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05/04/2024 | FRANCE | N°22NT03541

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 4ème chambre, 05 avril 2024, 22NT03541


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 novembre 2022 et le 31 octobre 2023, la SAS Vaudry Distribution, représentée par Me Courrech, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :



1°) d'annuler l'arrêté du 16 septembre 2022 par lequel le maire de la commune de Vire-Normandie, au vu de l'avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), a refusé de lui délivrer un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale ;



2°) d'enjoind

re au maire de Vire-Normandie de lui délivrer le permis de construire sollicité dans un délai ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 novembre 2022 et le 31 octobre 2023, la SAS Vaudry Distribution, représentée par Me Courrech, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler l'arrêté du 16 septembre 2022 par lequel le maire de la commune de Vire-Normandie, au vu de l'avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), a refusé de lui délivrer un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale ;

2°) d'enjoindre au maire de Vire-Normandie de lui délivrer le permis de construire sollicité dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à la CNAC de se prononcer à nouveau, dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, en émettant un avis favorable et d'enjoindre au maire de Vire-Normandie de statuer à nouveau sur sa demande de permis de construire dans le délai de deux mois à compter de l'avis de la CNAC ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le projet ne devait pas être soumis à l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) dès lors qu'il est dispensé d'une autorisation d'exploitation commerciale (AEC) ; le V de l'article L. 752-6 du code de commerce, qui prévoit un passage devant la CDAC pour les projets considérés comme engendrant une artificialisation des sols, ne s'applique que pour les demandes déposées à compter du 15 octobre 2022, selon son décret d'application n° 2022-1312 du 13 octobre 2022 ; de plus, l'article L. 752-1-1 du code de l'urbanisme dispense de CDAC les projets se développant dans un secteur d'intervention de l'opération de revitalisation d'un territoire (ORT), qui n'a fixé aucun seuil au-delà duquel une AEC redevient obligatoire ;

- subsidiairement, le projet s'inscrit dans le cadre des opérations d'aménagement et de programmation (OPA) du Plan local d'urbanisme (PLU) et le terrain d'assiette du projet fait partie d'une zone constructible que la collectivité a maîtrisé afin d'y développer son urbanisation ; le projet ne développe pas une surface de plancher trop importante par rapport à la surface de vente dès lors qu'il implique des surfaces de réserves significatives nécessitées par la séparation et l'autonomie des réserves de l'hypermarché de celles du " drive " ; le futur parking n'est pas démesuré compte-tenu de sa surface de vente et du nombre de salariés que le magasin a vocation à accueillir ; le projet va permettre l'emploi de 250 personnes ; le projet ne se développe pas uniquement en rez-de-chaussée ; un bassin de rétention sera créé et mutualisé avec la commune afin de permettre la gestion de la zone à vocation urbaine et des noues filtrantes et minérales seront aménagées entre les parcs de stationnement pour permettre une absorption des eaux pluviales ; le projet est conforme au schéma de cohérence territoriale (SCoT) du Bocage dès lors qu'il jouxte les zones urbaines et s'inscrit à l'intérieur d'une OAP ; il ne crée pas une nouvelle polarité urbaine mais vise à moderniser un équipement existant depuis 1979, dont les parkings et les accès sont dangereux pour la clientèle ; l'association des commerçants de Vire s'est montrée favorable à l'opération projetée qui n'a pas vocation à porter atteinte aux commerces de centre-ville ; la vacance commerciale brute du centre de Vire ressort à 9,50 % ; l'ORT, les secteurs opérationnels et les OAP créées sur le territoire visent à redonner une attractivité au patrimoine bâti existant et à développer l'offre foncière ; la limitation de la vitesse en amont du carrefour à feux qui sera créé pour permettre l'accès au projet constitue une mesure de police et non des travaux d'équipements nécessaires au projet ; le projet respecte le critère de la qualité environnementale, avec la pose de 4 831 m2 de panneaux photovoltaïques, 3 000 m2 de toiture végétalisée, un parking souterrain de 306 places, dont 30 sont équipées de recharge électrique et 92 sont précablées, 306 places de parking extérieur traitées en revêtement perméable sur 168 places ; la qualité architecturale du projet est éloquente dans un contexte où l'architecture viroise a été mise à mal par les bombardements de juin 1944 ; si le projet aboutit à la suppression de 471 mètres linéaires de haies bocagères, 363 mètres linéaires seront plantés le long d'une avenue et un vaste couloir écologique sera créé le long du magasin avec 239 arbres plantés.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 8 février 2023 et le 30 août 2023, la commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) demande à la cour de rejeter la requête de la SAS Vaudry Distribution.

Elle soutient que les moyens soulevés par la SAS Vaudry Distribution ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 juillet 2023, la commune de Vire-Normandie, représentée par Me Gorand, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la SAS Vaudry Distribution ;

2°) de mettre à la charge de la SAS Vaudry Distribution la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le projet concerné vise la création d'un hypermarché de 5 800 m2 de surface de vente avec un " drive " de trois pistes et est soumis à la délivrance d'une AEC ; le maire était lié par l'avis défavorable de la CNAC ;

- la SAS Vaudry Distribution n'est pas fondée à contester l'avis de la CNAC qui n'a qu'un caractère préparatoire à la décision prise par l'autorité administrative sur la demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code de l'urbanisme ;

- la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Chollet,

- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Morisseau, substituant Me Courrech, représentant la SAS Vaudry Distribution.

Une note en délibéré, présentée pour la SAS Vaudry, a été enregistrée le 19 mars 2024.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Vaudry Distribution a déposé, le 21 janvier 2022, une demande de permis de construire pour procéder au déménagement de son hypermarché ouvert en 1979, d'une surface de vente de 3 450 m2, sur un terrain vierge, propriété de la commune de Vire-Normandie, situé à une centaine de mètres en face du magasin existant. Le nouvel équipement doit disposer d'une surface de vente de 5 800 m2, soit une augmentation de 57% par rapport à la surface du magasin actuel, avec création d'un " drive " de trois pistes sur 137 m2 d'emprise au sol et d'une surface de plancher de 20 000 m2. Le 16 mars 2022, la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) du Calvados a émis un avis favorable sur le projet. Sur recours conjoint des sociétés " Distrikast " et " Malric Distribution ", la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) a émis un avis défavorable au projet le 28 juillet 2022. Par un arrêté du 16 septembre 2022, le maire de la commune de Vire-Normandie, prenant acte de cet avis défavorable, a refusé de délivrer le permis de construire sollicité valant autorisation d'exploitation commerciale. La société Vaudry Distribution demande à la cour d'annuler cet arrêté.

Sur la légalité externe de l'avis de la CNAC du 28 juillet 2022 :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'urbanisme : " Sont soumis à une autorisation d'exploitation commerciale les projets ayant pour objet : / 1° La création d'un magasin de commerce de détail d'une surface de vente supérieure à 1 000 mètres carrés, résultant soit d'une construction nouvelle, soit de la transformation d'un immeuble existant ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 752-1-1 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, entrée en vigueur le 25 août 2021 : " Par dérogation à l'article L. 752-1, les projets mentionnés aux 1° à 6° du même article L. 752-1 qui ne sont pas considérés comme engendrant une artificialisation des sols au sens du V de l'article L. 752-6 et dont l'implantation est prévue dans un secteur d'intervention d'une opération de revitalisation de territoire définie au I de l'article L. 303-2 du code de la construction et de l'habitation, comprenant un centre-ville identifié par la convention de ladite opération, ne sont pas soumis à autorisation d'exploitation commerciale. / Cette convention peut toutefois soumettre à autorisation d'exploitation commerciale les projets mentionnés aux 1° à 6° de l'article L. 752-1 du présent code dont la surface de vente dépasse un seuil qu'elle fixe et qui ne peut être inférieur à 5 000 mètres carrés ou, pour les magasins à prédominance alimentaire, à 2 500 mètres carrés. / Les conditions de publicité des projets mentionnés au premier alinéa du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 752-6 du code de commerce : " (...) / V.- L'autorisation d'exploitation commerciale ne peut être délivrée pour une implantation ou une extension qui engendrerait une artificialisation des sols, au sens du neuvième alinéa de l'article L. 101-2-1 du code de l'urbanisme. / Toutefois, une autorisation d'exploitation commerciale peut être délivrée si le pétitionnaire démontre, à l'appui de l'analyse d'impact mentionnée au III du présent article, que son projet s'insère en continuité avec les espaces urbanisés dans un secteur au type d'urbanisation adéquat, qu'il répond aux besoins du territoire et qu'il obéit à l'un des critères suivants : / 1° L'insertion de ce projet, tel que défini à l'article L. 752-1, dans le secteur d'intervention d'une opération de revitalisation de territoire ou dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ; / 2° L'insertion du projet dans une opération d'aménagement au sein d'un espace déjà urbanisé, afin de favoriser notamment la mixité fonctionnelle du secteur concerné ; / 3° La compensation par la transformation d'un sol artificialisé en sol non artificialisé, au sens de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 101-2-1 du code de l'urbanisme ; / 4° L'insertion au sein d'un secteur d'implantation périphérique ou d'une centralité urbaine identifiés dans le document d'orientation et d'objectifs du schéma de cohérence territoriale entré en vigueur avant la publication de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ou au sein d'une zone d'activité commerciale délimitée dans le règlement du plan local d'urbanisme intercommunal entré en vigueur avant la publication de la même loi. / Les deuxième à sixième alinéas du présent V sont applicables uniquement aux projets ayant pour objet : / a) La création d'un magasin de commerce de détail ou d'un ensemble commercial d'une surface de vente inférieure à 10 000 mètres carrés ; / (...) / Pour tout projet d'une surface de vente supérieure à 3 000 mètres carrés et inférieure à 10 000 mètres carrés, la dérogation n'est accordée qu'après avis conforme du représentant de l'Etat. / Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application du présent V ainsi que les projets considérés comme engendrant une artificialisation des sols au sens du premier alinéa du présent V ". Aux termes de l'article L. 101-2-1 du code de l'urbanisme : " (...) L'artificialisation est définie comme l'altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d'un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage. / (...) / Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent article. Il établit notamment une nomenclature des sols artificialisés ainsi que l'échelle à laquelle l'artificialisation des sols doit être appréciée dans les documents de planification et d'urbanisme ".

4. Une loi nouvelle entre en vigueur le lendemain de sa publication au Journal officiel, dans les conditions fixées à l'article 1er du code civil, sauf si elle en dispose autrement ou si son application est manifestement impossible en l'absence de dispositions réglementaires en précisant les modalités. La SAS Vaudry soutient que son projet n'était pas soumis à avis de la CDAC et de la CNAC dès lors que l'article L. 752-1-1 du code de commerce prévoit un régime dérogatoire pour les communes faisant l'objet d'une opération de revitalisation du territoire (ORT) et que la disposition de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 qui écarte l'exonération de la procédure d'autorisation d'exploitation commerciale pour les projets engendrant une artificialisation des sols n'était pas applicable en l'absence de décret d'application dès lors que l'article L. 752-1-1 renvoie au V de l'article L. 752-6 du code de commerce, dont les dispositions ne sont entrées en vigueur qu'après la publication de son décret d'application n° 2022-1312 du 13 octobre 2022 et, par suite, que pour les projets déposés à compter du 15 octobre 2022. Elle en déduit que son projet est dispensé d'une autorisation d'exploitation commerciale (AEC). Toutefois, il résulte de l'instruction que le décret dont il s'agit se borne à préciser la notion d'artificialisation des sols, déjà définie à l'article L. 101-2-1 du code de l'urbanisme auquel renvoie le V de l'article L. 752-6 du code de commerce, en introduisant un article R. 752 au code de commerce et en précisant la procédure à suivre lorsqu'un projet engendre une artificialisation des sols. Il en résulte que la condition tenant à ce que tout projet engendrant une artificialisation des sols doit être soumis à une AEC préalable et à l'avis de la CDAC, introduite par la loi du 22 août 2021 précitée, est applicable au projet en litige. La CNAC a, dans ces conditions, été régulièrement saisie pour donner un avis sur ce projet.

Sur la légalité interne l'avis de la CNAC du 28 juillet 2022 :

5. Aux termes de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme : " Lorsque le projet est soumis à autorisation d'exploitation commerciale au sens de l'article L. 752-1 du code de commerce, le permis de construire tient lieu d'autorisation dès lors que la demande de permis a fait l'objet d'un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d'aménagement commercial (...) ". Aux termes du troisième alinéa de l'article 1er de la loi du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat : " Les pouvoirs publics veillent à ce que l'essor du commerce et de l'artisanat permette l'expansion de toutes les formes d'entreprises, indépendantes, groupées ou intégrées, en évitant qu'une croissance désordonnée des formes nouvelles de distribution ne provoque l'écrasement de la petite entreprise et le gaspillage des équipements commerciaux et ne soit préjudiciable à l'emploi ". Aux termes de l'article L. 750-1 du code de commerce : " Les implantations, extensions, transferts d'activités existantes et changements de secteur d'activité d'entreprises commerciales et artisanales doivent répondre aux exigences d'aménagement du territoire, de la protection de l'environnement et de la qualité de l'urbanisme. Ils doivent en particulier contribuer au maintien des activités dans les zones rurales et de montagne ainsi qu'au rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités en centre-ville et dans les zones de dynamisation urbaine./ Dans le cadre d'une concurrence loyale, ils doivent également contribuer à la modernisation des équipements commerciaux, à leur adaptation à l'évolution des modes de consommation et des techniques de commercialisation, au confort d'achat du consommateur et à l'amélioration des conditions de travail des salariés ". Aux termes de l'article L. 752-6 du même code : " I.- L'autorisation d'exploitation commerciale mentionnée à l'article L. 752-1 est compatible avec le document d'orientation et d'objectifs des schémas de cohérence territoriale ou, le cas échéant, avec les orientations d'aménagement et de programmation des plans locaux d'urbanisme intercommunaux comportant les dispositions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 151-6 du code de l'urbanisme. / La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : / 1° En matière d'aménagement du territoire : / a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; / b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; / c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; / d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; / e) La contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre ; / f) Les coûts indirects supportés par la collectivité en matière notamment d'infrastructures et de transports ; / 2° En matière de développement durable : / a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique et des émissions de gaz à effet de serre par anticipation du bilan prévu aux 1° et 2° du I de l'article L. 229-25 du code de l'environnement, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l'emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; / b) L'insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l'utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales ; / c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche. Les a et b du présent 2° s'appliquent également aux bâtiments existants s'agissant des projets mentionnés au 2° de l'article L. 752-1 ; / 3° En matière de protection des consommateurs : / a) L'accessibilité, en termes, notamment, de proximité de l'offre par rapport aux lieux de vie ; / b) La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains ; / c) La variété de l'offre proposée par le projet, notamment par le développement de concepts novateurs et la valorisation de filières de production locales ; / d) Les risques naturels, miniers et autres auxquels peut être exposé le site d'implantation du projet, ainsi que les mesures propres à assurer la sécurité des consommateurs (...) ".

6. Il résulte de ces dispositions combinées que l'autorisation d'aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce. Les dispositions ajoutées au I de l'article L. 752-6 du code de commerce, par la loi du 23 novembre 2018, poursuivent l'objectif d'intérêt général de favoriser un meilleur aménagement du territoire et, en particulier, de lutter contre le déclin des centres-villes. Elles se bornent à prévoir un critère supplémentaire pour l'appréciation globale des effets du projet sur l'aménagement du territoire et ne subordonnent pas la délivrance de l'autorisation à l'absence de toute incidence négative sur le tissu commercial des centres-villes.

En ce qui concerne la compatibilité du projet avec le schéma de cohérence territoriale (SCoT) du Bocage :

7. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial non de vérifier la conformité des projets d'exploitation commerciale qui leur sont soumis aux énonciations des schémas de cohérence territoriale, mais d'apprécier la compatibilité de ces projets avec les orientations générales et les objectifs qu'ils définissent.

8. Il est constant que le projet se situe à l'extérieur de l'armature urbaine définie par le SCoT du bocage approuvé en 2013, devenu SCoT de l'intercom de la Vire au Noireau. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le projet jouxte l'actuel site d'implantation du centre commercial et les zones urbaines, et s'inscrit à l'intérieur d'une orientation d'aménagement et de programmation (OAP) " Les Mancellières " du Plan Local d'Urbanisme (PLU) de Vire-Normandie, " sorte de dent creuse comprise entre l'habitat pavillonnaire à l'ouest, les équipements de la commune au nord, la route départementale RD 512 et le centre d'aide pour le travail ", qui n'est pas incompatible avec le SCoT. Ce projet, qui se situe en zone 1AUx du PLU destinée aux constructions à usage commercial, vient aussi renforcer un centre commercial identifié comme pôle commercial principal du territoire et s'insère dans une opération de revitalisation de territoire (ORT) de Vire-Normandie dont la convention a été signée le 14 août 2019. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet de la société Vaudry Distribution serait incompatible avec le SCoT.

En ce qui concerne l'objectif d'aménagement du territoire :

9. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le projet de la société Vaudry Distribution, qui compte 20 000 m2 de surface de plancher, est situé sur un terrain d'assiette antérieurement à usage agricole de 32 380 m2, espace non artificialisé à ce jour, à environ cent mètres en face de l'actuel centre commercial qui développe une surface de vente de 3 325 m2. Ce projet se développe sur trois niveaux, la moitié des parkings, soit 306 places, étant en sous-sol ainsi que les trois pistes de " drive " et 2 426 m2 de stockage autonome. Il prévoit 3 073 m2 de surface en R+1, principalement des bureaux pour 1 521 m2 et du stockage pour 1 411 m2. Il compte cependant 13 818 m2 d'emprise au sol au rez-de-chaussée, dont 5 800 m2 de surface de vente, 2 008 m2 de surfaces de laboratoire pour la transformation de produits et 2 222 m2 de stockage. Comme le souligne la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) du Calvados, dont la CNAC reprend le rapport, il en résulte que plus des deux tiers de la surface de plancher du bâtiment seront destinés à d'autres affectations que le commerce, ce qui est " une caractéristique assez inhabituelle pour un hypermarché où généralement la surface de vente représente 50% de la surface affectée au commerce ". Il en résulte que le projet est peu économe de l'espace, alors même que des efforts ont été fait pour limiter l'emprise du parc de stationnement et du stockage en les développant sur trois niveaux.

10. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que la commune de Vire-Normandie a connu un recul de sa population de -3,7 % entre 2009 et 2019 et que les projections de l'INSEE évoquent -2,8 % de population à l'horizon 2028. En outre, comme le souligne la DDTM du Calvados, " la population de la zone de chalandise diminue de 0,27% par an " et " le nouveau quartier d'habitat programmé dans le cadre du PLU n'est plus à l'ordre du jour, notamment dans un souci de limitation de la consommation foncière de la commune ". Le ministre en charge de l'urbanisme souligne d'ailleurs, dans son avis du 27 juillet 2022, que le programme de logements du secteur du projet est abandonné au profit de la réhabilitation de l'habitat de centre-ville prévu dans le programme Action Cœur de Ville dont bénéficie la commune. Par suite, alors même que la création d'une ORT et d'OAP sur le territoire vise à redonner une attractivité au patrimoine bâti existant et à développer l'offre foncière et que le taux de vacance commerciale de 9,5 % de Vire-Normandie est inférieur à la moyenne nationale, la société Vaudry porte un projet surdimensionné au regard de l'animation de la vie urbaine en augmentant de 57 % la surface de vente par rapport à l'actuel hypermarché. Ce projet apparaît de nature à déstabiliser les équilibres commerciaux actuels entre le centre-ville, sa zone commerciale et celle située au nord de l'agglomération de Bischwiller. L'étude d'impact de la société Vaudry relève d'ailleurs que la densité commerciale passerait au niveau local à 387 m2, ce qui est supérieur au taux de 383 m2 évalué à l'échelle nationale, et que le futur magasin va générer des impacts économiques sur l'ensemble des commerces déjà en place, notamment par le dimensionnement du laboratoire de transformation de produits qui les concurrence directement. Si la société fait état d'un impact au maximum de 1,3 % sur les commerces du centre-ville, la DDTM a cependant relevé que cette étude écarte toutes les friches situées en couronne ou en périphérie de l'agglomération de Vire alors que le projet s'implante dans cette périphérie et que les friches sont recensées de façon incomplète.

11. En troisième lieu, il est constant que la desserte de l'hypermarché actuel est insuffisante. Si l'accès au futur magasin par la route départementale RD 512 n'est pas modifié par rapport à l'actuel hypermarché, il ressort des pièces du dossier qu'un carrefour à feux sera aménagé et, selon une étude de circulation réalisée par la société Ceryx Trafic System du 14 avril 2018, permettra de minimiser l'emprise allouée à l'intersection. Cette étude ajoute que " la réserve de capacité estimée est au minimum de 42% " et que l'aménagement de ce carrefour permet " des traversées piétonnes directes et protégées " tout en facilitant les circulations avec cycles. Par ailleurs, le site sera desservi par deux entrées/sorties. En outre, un arrêt de bus est situé en face du site du projet avec sept passages par jour, de 9h15 à 19h40 et des aménagements piétons sont présents le long de la RD 512 qui permet ainsi de se rendre dans la surface de vente depuis le centre-ville. Est également prévue la création de liaisons douces. Dans ces conditions, alors même que la solution préconisée par l'étude de circulation était la mise en place d'un scénario giratoire, la société est fondée à soutenir que c'est à tort que la CNAC a retenu que le projet serait de nature à compromettre les objectifs énoncés à l'article L. 752-6 du code de commerce en " l'absence d'aménagements en amont du carrefour afin de garantir une nette diminution de la vitesse des usagers de la RD 512 " et en ce que " la sécurité routière aux abords du projet ne sera pas assurée ".

12. Il résulte toutefois de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la CNAC a commis une erreur d'appréciation en considérant que son projet portera atteinte à l'objectif d'aménagement du territoire mentionné à l'article L. 752-6 du code de commerce, au regard des critères relatifs à la consommation économe de l'espace et à l'effet du projet sur l'animation de la vie urbaine et à sa contribution à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation.

En ce qui concerne l'objectif de développement durable :

13. En premier lieu, il est constant que le projet prévoit la pose de 4 831 m2 de panneaux photovoltaïques, ce qui représente 31% de l'emprise au sol du bâtiment selon le rapport de la DDTM, 3 000 m2 de toiture végétalisée, un parking souterrain de 306 places, dont 30 sont équipées de recharge électrique et 92 sont précablées, 168 places de parking extérieur traitées en revêtement perméable sur 306 places, enfin 4 237 m2 d'espaces verts. En outre, si le projet aboutit à la suppression de 471 mètres linéaires de haies bocagères, 363 mètres linéaires seront plantés le long d'une avenue et un vaste couloir écologique sera créé le long du magasin avec 239 arbres plantés. De plus, il n'est pas contesté qu'un bassin de rétention d'eaux pluviales est créé et mutualisé avec la commune en dehors de l'emprise foncière du projet. Toutefois, il est constant que le taux d'imperméabilisation du terrain d'assiette agricole passe de 0 à 78%, avec 3 000 m2 de voirie lourde, 6 286 m2 de voirie légère et 2 487 m2 de voie d'accès et voiries divers, alors que le projet est, ainsi qu'il a été dit aux points 9 et 10, surdimensionné par rapport à la baisse régulière de la population au niveau local en créant une surface de vente augmentée de 57% par rapport à la surface actuelle. Si la société soutient que la consommation de terres anciennement agricoles a été appréhendée et compensée au stade des documents d'urbanisme, elle ne produit aucun élément à l'appui de cette allégation. Par suite, la CNAC n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que la qualité environnementale du projet était insuffisante.

14. En second lieu, s'agissant de l'insertion paysagère et architecturale du projet, il ressort des pièces et photographies versées au dossier que le nouveau bâtiment, d'une hauteur jusqu'à 10 mètres, est implanté à l'entrée de la ville, en périphérie de la commune, à proximité de bocages normands. Il n'a pas fait l'objet de recherche particulière dans le choix des matériaux permettant de s'harmoniser avec l'environnement et présente un bardage métallique renvoyant à des références de bâtiment industriel peu qualitatives. Comme le relève la DDTM, alors même que des brises soleil et le ton des tôles de bardage semblent atténuer légèrement l'effet de masse, l'acrotère prévue en tôle blanche créera un contraste préjudiciable et la toiture végétalisée ne sera que peu visible. Il est en outre constant que le projet ne reprend aucune caractéristique de la région.

15. Il en ressort que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la CNAC aurait commis une erreur d'appréciation en considérant que son projet portera atteinte à l'objectif de développement durable mentionné à l'article L. 752-6 du code de commerce.

16. Il résulte de tout ce qui précède que, dès lors que le projet contesté compromet la réalisation des objectifs d'aménagement du territoire et de développement durable énoncés par la loi, la CNAC pouvait légalement, pour ce motif et dans le cadre de l'appréciation globale qui lui incombe, émettre un avis défavorable sur ce projet. Par suite, la requête de la société Vaudry Distribution doit être rejetée.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SAS Vaudry Distribution est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Vaudry Distribution, à la commune de Vire-Normandie et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée, pour information à la Commission nationale d'aménagement commercial.

Délibéré après l'audience du 19 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 avril 2024.

La rapporteure,

L. CHOLLET

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT03541


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03541
Date de la décision : 05/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: Mme Laure CHOLLET
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : SCP COURRECH & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-05;22nt03541 ?
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