Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 6 octobre 2022 par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer a maintenu la décision de classement sans suite de sa demande de naturalisation.
Par une ordonnance n° 2216050 du 23 décembre 2022, la présidente de la 2ème chambre du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 décembre 2022, Mme A... B..., représentée par Me Darmon, demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du 23 décembre 2022 de la présidente de la 2ème chambre du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 6 octobre 2022 du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur à titre principal de procéder à sa naturalisation et, subsidiairement, de procéder au réexamen de sa demande ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision ministérielle est entachée d'une insuffisance de motivation ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; elle était dans l'impossibilité de satisfaire à la demande de l'administration dès lors que la législation russe ne prévoit pas de procédure d'homologation des actes de divorce ; elle répond aux conditions pour pouvoir être naturalisée et elle ne constitue pas une menace pour l'ordre public.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 février 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Par un courrier du 6 juin 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de ce que l'auteure de l'ordonnance attaquée était incompétente au regard des dispositions de l'article R. 222-1 du code de justice administrative dès lors que la requête n'entrait pas dans le champ du 7° de cet article.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Rivas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., ressortissante russe née en 1990 résidant en France au bénéfice d'une carte de séjour pluriannuelle, a sollicité sa naturalisation auprès du préfet des Bouches-du-Rhône le 21 août 2019. Par une décision du 28 juillet 2022 le ministre de l'intérieur et des outre-mer lui a indiqué qu'il procédait au classement sans suite de sa demande. Par une nouvelle décision du 6 octobre 2022, en réponse au recours administratif présenté par Mme B..., et au terme d'un nouvel examen, le ministre a décidé de maintenir sa décision. Par une ordonnance du 23 décembre 2022 intervenue sur le fondement du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, la présidente de la 2ème chambre du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de cette décision du 6 octobre 2022. Mme B... relève appel de cette ordonnance.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative dans sa rédaction alors applicable : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, les premiers vice-présidents des tribunaux et des cours, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours et les magistrats ayant une ancienneté minimale de deux ans et ayant atteint au moins le grade de premier conseiller désignés à cet effet par le président de leur juridiction peuvent, par ordonnance : / (...) 7° Rejeter, après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire, les requêtes ne comportant que des moyens de légalité externe manifestement infondés, des moyens irrecevables, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. (...) ".
3. La présidente de la 2ème chambre du tribunal administratif de Nantes a, sur le fondement de ces dispositions, rejeté la demande de Mme B... tendant à l'annulation de la décision ministérielle du 6 octobre 2022 classant sans suite sa demande de naturalisation, au motif que l'intéressée n'avait présenté que des moyens inopérants. Or, l'intéressée avait présenté un moyen opérant tiré de l'impossibilité où elle se trouvait de produire le document sollicité par l'administration française et ce moyen ne pouvait être écarté, compte tenu de sa teneur, par application des dispositions du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative. Par suite, l'auteure de l'ordonnance attaquée a méconnu sa compétence en se fondant sur ces dispositions pour rejeter par ordonnance la demande de Mme B..., cette demande ne relevant par ailleurs d'aucune autre disposition de cet article. Par suite, l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité et doit être annulée pour ce motif.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Nantes.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision ministérielle du 6 octobre 2022 :
5. En premier lieu, aux termes de l'article 27 du code civil : " Toute décision déclarant irrecevable, ajournant ou rejetant une demande d'acquisition, de naturalisation ou de réintégration par décret ainsi qu'une autorisation de perdre la nationalité française doit être motivée. ".
6. Les décisions de classement sans suite d'une demande de naturalisation n'entrent pas dans le champ de l'obligation de motivation définie à l'article 27 du code civil et ne présentent pas le caractère de décisions administratives individuelles défavorables devant être motivées en application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, le moyen tiré d'une motivation insuffisante, inopérant, doit être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 21-15 du code civil : " (...) l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger. ".
8. L'article 40 du décret du 30 décembre 1993 dispose que : " L'autorité qui a reçu la demande ou le ministre chargé des naturalisations peut, à tout moment de l'instruction de la demande de naturalisation ou de réintégration, mettre en demeure le demandeur de produire les pièces complémentaires ou d'accomplir les formalités administratives qui sont nécessaires à l'examen de sa demande. / Si le demandeur ne défère pas à cette mise en demeure dans le délai qu'elle fixe, la demande peut être classée sans suite. Le demandeur est informé par écrit de ce classement. ". L'article 37-1 de ce décret du 30 décembre 2019 dans sa rédaction alors applicable indique : " Le demandeur fournit, selon les mêmes conditions de recevabilité que celles prévues par l'article 9 : / (...) 6° Le cas échéant, son ou ses actes de mariage ainsi que les pièces de nature à justifier la dissolution de ses unions antérieures (...). ".
9. Il ressort des pièces du dossier que pour classer sans suite la demande d'acquisition de la nationalité française présentée par Mme B... le ministre de l'intérieur et des outre-mer s'est fondé sur le fait que l'intéressée n'a pas produit le jugement demandé d'homologation de son acte de divorce prononcé au consulat de Russie à Marseille.
10. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a été mise en demeure le 21 mars 2022 de produire un jugement d'homologation russe de son certificat de divorce prononcé le 15 mars 2019 par le service de l'état-civil russe au sein du consulat de la fédération de Russie à Marseille. Il ressort des documents produits par le ministre, lesquels n'ont pas été contestés, que la France ne reconnait pas juridiquement un tel divorce prononcé sur son sol alors qu'en France, à cette date, seule l'autorité judiciaire française pouvait prononcer un divorce, y compris entre des ressortissants étrangers. Ce même document, produit par le ministre de l'intérieur, expose qu'une homologation de ce certificat de divorce par une juridiction russe était alors une solution permettant à Mme B... de faire reconnaitre ce divorce par la France. Si Mme B... affirme que les juridictions russes ne procèdent pas à l'homologation d'un certificat de divorce russe, en produisant à l'appui de ses dires une attestation rédigée par une avocate russe, il n'en demeure pas moins que le certificat de divorce russe qu'elle avait produit n'était pas de nature à justifier de la dissolution alléguée de son union antérieure. Mme B... n'a ainsi pas satisfait à l'obligation qui lui était faite, en application de l'article 37-1 du décret du 30 décembre 2019, d'apporter à l'appui de sa demande de naturalisation toute pièce de nature à justifier de cette dissolution. En conséquence, c'est au terme d'une exacte application des dispositions citées au point 8 que le ministre de l'intérieur a classé sans suite la demande de Mme B....
11. En troisième lieu, les circonstances que Mme B... remplirait les conditions requises par la législation française pour se voir accorder la nationalité française, et qu'elle ne constituerait pas une menace pour l'ordre public, sont sans incidence sur la légalité de la décision contestée, eu égard à son motif, et alors qu'elle ne constitue pas une décision de rejet ou d'ajournement de sa demande.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision ministérielle du 6 octobre 2022. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : L'ordonnance n° 2216050 du 23 décembre 2022 de la présidente de la 2ème chambre du tribunal administratif de Nantes est annulée.
Article 2 : La demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Nantes, ainsi que le surplus des conclusions de la requête d'appel, sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 13 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juillet 2024.
Le rapporteur,
C. RIVAS
Le président,
S. DEGOMMIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT04112