Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler d'une part, la décision du 19 mars 2018 par laquelle le ministre de l'intérieur a ajourné à deux ans sa demande de naturalisation et, d'autre part, celle du 30 mai 2018 par laquelle il a rejeté le recours gracieux formé contre cette décision.
Par un jugement n° 1812377 du 8 février 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 26 avril et 17 juillet 2023, Mme C... A... B..., représentée par Me Sgro, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 8 février 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 19 mars 2018 par laquelle le ministre de l'intérieur a ajourné à deux ans sa demande de naturalisation ainsi que la décision du 30 mai 2018 rejetant son recours gracieux ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Mme A... B... soutient que :
- les décisions contestées n'ont pas été signées par le ministre de l'intérieur ;
- les décisions contestées sont insuffisamment motivées ;
- les décisions contestées sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle a déclaré ses deux enfants ; les infractions pénales alléguées ne sont pas constituées ;
- le motif tiré de ce qu'elle n'exerce aucune activité professionnelle substitué à celui de la décision contestée n'est pas de nature à la fonder légalement.
Par des mémoires en défense enregistrés les 20 juin et 4 août 2023, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... B... ne sont pas fondés.
Mme A... B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 mars 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Dubost a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 19 mars 2018, le ministre de l'intérieur a ajourné à deux ans la demande de naturalisation formée par Mme A... B..., ressortissante camerounaise née le 26 juillet 1982. Par une décision du 30 mai 2018, le ministre de l'intérieur a rejeté le recours gracieux formé par l'intéressée contre cette décision. Mme A... B... a alors demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler ces décisions. Elle relève appel du jugement de ce tribunal du 8 février 2022 rejetant sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Statuant sur l'appel du demandeur de première instance dirigé contre un jugement qui a rejeté ses conclusions à fin d'annulation d'une décision administrative reposant sur plusieurs motifs en jugeant, après avoir censuré tel ou tel de ces motifs, que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée sur le ou les motifs que le jugement ne censure pas, il appartient au juge d'appel, s'il remet en cause le ou les motifs n'ayant pas été censurés en première instance, de se prononcer, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, sur les moyens critiquant la légalité du ou des motifs censurés en première instance, avant de déterminer, au vu de son appréciation de la légalité des différents motifs de la décision administrative, s'il y a lieu de prononcer l'annulation de cette décision ou de confirmer le rejet des conclusions à fin d'annulation.
3. En premier lieu, pour ajourner à deux ans la demande de naturalisation de Mme A... B..., le ministre de l'intérieur, dans sa décision du 19 mars 2018, lui a opposé les faits tirés, d'une part, de ce qu'elle n'a pas déclaré l'existence d'un de ses enfants dans le cadre de sa demande et, d'autre part, de ce qu'elle a fait l'objet de la procédure n° 2014-008836 le 25 avril 2014 par le commissariat central de Nancy pour outrage à un agent d'un exploitant de réseau de transport public de personnes ou habilité à constater les infractions à la police ou à la sûreté du transport et violence sur une personne chargée de mission de service public sans incapacité lors de manifestation sportive. Dans sa décision de rejet du recours gracieux du 30 mai 2018, le ministre de l'intérieur a confirmé cette décision mais en abandonnant ce premier motif. Il ressort, par ailleurs, des écritures en défense de première instance, que le ministre de l'intérieur a entendu, devant ce tribunal, abandonner le second motif, entaché d'erreur de fait.
4. Toutefois, pour établir que la décision contestée était légale, le ministre de l'intérieur a fait valoir en première instance un nouveau motif fondé sur le défaut d'insertion professionnelle de Mme A... B... dès lors qu'elle ne justifiait, à la date des décisions contestées, d'aucune activité professionnelle lui permettant de subvenir de manière autonome à ses besoins et que les ressources de son foyer étaient essentiellement constituées de prestations sociales, dont l'allocation pour l'éducation de son enfant handicapé. Par le jugement attaqué, le tribunal a accueilli cette substitution de motif.
5. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
6. Aux termes de l'article 21-15 du code civil : " Hors le cas prévu à l'article 21-14-1, l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger ". Aux termes de l'article 48 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 : " (...) / Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation (...) sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions (...) ".
7. L'autorité administrative dispose, en matière de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française, d'un large pouvoir d'appréciation. Elle peut, dans l'exercice de ce pouvoir, prendre en considération notamment, pour apprécier l'intérêt que présenterait l'octroi de la nationalité française, l'intégration de l'intéressé dans la société française, son insertion sociale et professionnelle et le fait qu'il dispose de ressources lui permettant de subvenir durablement à ses besoins en France. Pour rejeter une demande de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française, l'autorité administrative ne peut se fonder ni sur l'existence d'une maladie ou d'un handicap ni, par suite, sur l'insuffisance des ressources de l'intéressé lorsqu'elle résulte directement d'une maladie ou d'un handicap.
8. Il est constant que Mme A... B... n'exerce depuis 2016 aucune activité professionnelle et que les ressources du foyer sont essentiellement constituées de prestations sociales. Toutefois, l'intéressée est mère de deux enfants nés les 15 avril 2005 et 26 mars 2013 qu'elle élève seule et qui souffrent tous deux d'un important handicap reconnu par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) à un taux d'incapacité compris entre 50 et 75 %. Si la fille de l'intéressée est prise en charge au sein d'un institut médico éducatif en internat de semaine depuis 2011, son fils, né en 2013, bénéficie uniquement d'une prise en charge au sein d'un hôpital de jour ainsi que d'un centre médico-psycho-pédagogique, ce qui nécessite une présence importante de Mme A... B.... Par ailleurs, les pièces versées aux débats, notamment les décisions de la MDPH, permettent de démontrer qu'à la date de la décision contestée, les handicaps dont souffrent les enfants de la requérante, qui nécessitent la présence quotidienne d'un tiers, faisaient obstacle à la poursuite de l'activité professionnelle de Mme A... B.... Dans ces conditions, la substitution de motifs demandée par le ministre ne peut être accueillie.
9. En second lieu, alors que Mme A... B..., conteste avoir fait l'objet de poursuites pour outrage à un agent d'un exploitant de réseau de transport public, et fait état du classement sans suite de la procédure au motif que l'infraction est insuffisamment caractérisée, le ministre de l'intérieur admet en appel, comme en première instance, que ce motif est entaché d'erreur de fait.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. L'exécution du présent arrêt implique seulement que le ministre de l'intérieur et des outre-mer procède à un nouvel examen de la demande de Mme A... B.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
12. Mme A... B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros hors taxe à Me Sgro dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1812377 du 8 février 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : la décision du 19 mars 2018 par laquelle le ministre de l'intérieur a ajourné à deux ans la demande de naturalisation de Mme A... B... ainsi que la décision du 30 mai 2018 rejetant son recours gracieux sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de procéder au réexamen de la demande de Mme A... B... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Sgro une somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 27 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juillet 2024.
La rapporteure,
A.-M. DUBOST
Le président,
S. DEGOMMIERLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
S. PIERODÉ
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT01209