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22/10/2024 | FRANCE | N°23NT03685

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 1ère chambre, 22 octobre 2024, 23NT03685


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 10 mai 2023 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office lorsque le délai sera expiré.



Par un jugement n° 2307436 du 15 novembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes

a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire en...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 10 mai 2023 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office lorsque le délai sera expiré.

Par un jugement n° 2307436 du 15 novembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 11 décembre 2023 et 22 août 2024, Mme C..., représentée par Me Blin, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 15 novembre 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 10 mai 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique d'examiner sa situation au regard des dispositions de l'article L. 425-1 du code de l'entrée et du séjour de étrangers et du droit d'asile;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- la décision est insuffisamment motivée ;

- le droit d'être entendu tel qu'il résulte de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne n'a pas été mis en œuvre avant l'édiction de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- la décision méconnaît les dispositions de l'article L. 425-1 du code l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision méconnaît le droit protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision méconnaît le droit protégé par les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

S'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :

- la décision est insuffisamment motivée ;

- la décision porte une atteinte disproportionnée au droit protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et méconnaît le droit d'être protégé qui est prévu par les stipulations de l'article 3 de cette convention ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 août 2024, le préfet de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.

Mme C... a été admise à l'aide juridictionnelle totale par décision du 20 mars 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Viéville,

- et les observations de Me Blin représentant Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... D... C..., ressortissante nigériane, née le 31 janvier 1997, est entrée sur le territoire français le 3 septembre 2018. Sa demande d'obtention du statut de réfugié a été rejetée par décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 14 mars 2019 confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 5 décembre 2019. Sa demande de réexamen de sa demande d'asile a également été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 12 mai 2021 puis par la Cour nationale du droit d'asile le 4 avril 2022. Par un arrêté du 10 mai 2023, le préfet de la Loire-Atlantique lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office lorsque le délai sera expiré. Mme C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cet arrêté. Par un jugement du 15 novembre 2023, dont Mme C... relève appel, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, Mme C... reprend en appel sans apporter des éléments nouveaux en fait et en droit son moyen invoqué en première instance et tiré de l'insuffisante motivation de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par la magistrate désignée, d'écarter ce moyen.

3. En deuxième lieu, lorsqu'il oblige un étranger à quitter le territoire français sur le fondement des dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet doit appliquer les principes généraux du droit de l'Union européenne, dont celui du droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle défavorable ne soit prise à son encontre, tel qu'il est énoncé notamment au 2 de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ce droit n'implique pas systématiquement l'obligation pour l'administration d'organiser, de sa propre initiative, un entretien avec l'intéressé, ni même d'inviter ce dernier à produire ses observations, mais suppose seulement que, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, il soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de demander un entretien pour faire valoir ses observations orales. Lorsqu'il demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour, y compris au titre de l'asile, l'étranger, du fait même de l'accomplissement de cette démarche qui vise à ce qu'il soit autorisé à se maintenir en France et ne puisse donc pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement forcé, ne saurait ignorer qu'en cas de refus il sera en revanche susceptible de faire l'objet d'une telle décision. En principe, il se trouve ainsi en mesure de présenter à l'administration, à tout moment de la procédure, des observations et éléments de nature à faire obstacle à l'édiction d'une mesure d'éloignement. Enfin, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la décision faisant grief que si la procédure administrative aurait pu, en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, aboutir à un résultat différent du fait des observations et éléments que l'étranger a été privé de faire valoir.

4. S'il est constant que Mme C... n'a pas été invitée par l'administration à présenter, préalablement à l'édiction de la décision contestée, ses observations écrites ou orales sur la perspective d'une mesure d'éloignement, elle ne pouvait ignorer, dans la mesure où elle était informée du rejet définitif de sa demande d'asile, qu'elle était susceptible de faire l'objet d'une telle mesure. De plus, si l'intéressée, qui a sollicité en vain l'obtention d'un rendez-vous auprès des services de la préfecture de Loire-Atlantique à l'occasion du dépôt de sa demande de titre de séjour, n'a pas été entendue et n'a pas été mise à même de présenter des observations, s'agissant notamment de la possibilité pour elle de pouvoir bénéficier d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-1 du code l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que les arguments qu'elle aurait pu opposer préalablement à la prise de l'arrête litigieux auraient pu en changer le sens de la décision contestée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu et des droits de la défense doit être écarté.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile: " L'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre des faits constitutifs des infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme, visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal, ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions, se voit délivrer, sous réserve qu'il ait rompu tout lien avec cette personne, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / Elle est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites ".

6. Il résulte de ces dispositions que pendant toute la durée de la procédure pénale, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an est, sous réserve que sa présence ne constitue pas une menace pour l'ordre public, délivrée de plein droit au ressortissant étranger qui a déposé plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre l'infraction visée à l'article 225-4-1 du code pénal de traite des êtres humains. Par ailleurs, un étranger ne peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français lorsque la loi prescrit qu'il doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour.

7. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de la Loire-Atlantique a sollicité par courriel le 20 mai 2022 que Mme C... complète sa demande de délivrance d'un titre de séjour déposée le 12 mai précédent en produisant notamment la copie du procès-verbal de dépôt de sa plainte ou la preuve qu'elle a porté son témoignage dans une procédure pénale. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme C... aurait produit la copie des pièces demandées et notamment la copie de la plainte adressée au procureur par l'association appelée " Mouvement du nid " le 9 mars 2023. Les circonstances que la Cour nationale du droit d'asile l'ait reconnue victime de traite d'êtres humains et qu'elle ait pu bénéficier d'une prise en charge dans le dispositif national ACSÉ ne sont pas de nature à lui ouvrir un droit au séjour au titre des dispositions précitées. Enfin, et alors que la Cour nationale du droit d'asile a estimé que Mme C... n'apportait pas la preuve de son éloignement du réseau dont elle faisait partie et de sa proxénète, le préfet n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 425-1 précité et a ainsi procédé à un examen particulier de la situation personnelle de la requérante au regard de l'article L. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Loire-Atlantique n'a pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de la requérante notamment au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En revanche, il n'était pas tenu de procéder à un tel examen au regard des stipulations de l'article 3 de cette convention dans la mesure où la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas pour objet ni pour effet de contraindre Mme C... à retourner dans son pays d'origine.

9. En quatrième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ".

10. Mme C... fait valoir qu'elle a quitté le Nigéria en 2016 dans le cadre d'un réseau de traite d'êtres humains, qu'elle a été victime de ce réseau en Europe et qu'elle vit en France depuis 2018, où elle est accompagnée depuis février 2021 par

l'ANEF-FERRER, qu'elle suit des cours de français et est suivie par des professionnels de santé. Toutefois, et alors qu'elle a vécu au Nigéria jusqu'à l'âge de 22 ans, elle n'établit pas des liens personnels ou familiaux en France. Compte tenu des conditions d'entrée et de séjour en France, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressée une atteinte disproportionnée au regard des buts qu'elle a poursuivis, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. Enfin, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté par adoption du motif retenu à bon droit par la magistrate désignée.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :

12. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

13. Mme C... soutient qu'elle serait exposée à des risques pour sa vie et sa sécurité en cas de retour dans son pays d'origine. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... a fait partie d'un réseau nigérian d'êtres humains dont elle a été victime le 9 mars 2023 ainsi que l'a reconnu la Cour nationale du droit d'asile dans sa décision du 4 avril 2022 et a porté plainte contre ce réseau. Par suite, la crainte de représailles de membres du réseau est fondée et le risque de subir des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d'origine doit être tenu pour probable. Dès lors, et sans qu'il soit besoins d'examiner les autres moyens de la requête, Mme C... est fondée à demander l'annulation de la décision en tant qu'elle fixe le Nigéria comme pays de destination.

14. Il résulte de ce qui précède que Mme C... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 mai 2023 en tant qu'il fixe le Nigéria comme pays de destination.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

15. L'exécution du présent arrêt n'implique aucune mesure particulière d'exécution. Les conclusions à fin d'injonction sont rejetées.

Sur les frais de justice :

16. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement à Me Blin, conseil de Mme C..., d'une somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 15 novembre 2023 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du préfet de la Loire-Atlantique du 10 mai 2023 en tant qu'il fixe le Nigéria comme pays de destination.

Article 2 : L'arrêté du préfet de la Loire-Atlantique du 10 mai 2023 en tant qu'il fixe le Nigéria comme pays de destination est annulé.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 200 euros hors taxe au titre des dispositions des

articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 à

à Me Blin, conseil de Mme C....

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme C... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Loire-Atlantique.

Délibéré après l'audience du 4 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Geffray, président,

- M. Penhoat, premier conseiller,

- M. Viéville, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 octobre 2024.

Le rapporteur

S. VIÉVILLELe président

J.E. GEFFRAY

La greffière

H. DAOUD

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23NT0368502


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23NT03685
Date de la décision : 22/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GEFFRAY
Rapporteur ?: M. Sébastien VIEVILLE
Rapporteur public ?: M. BRASNU
Avocat(s) : BLIN

Origine de la décision
Date de l'import : 27/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-22;23nt03685 ?
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