Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 1er août 2022 de l'autorité consulaire française en Guinée lui refusant la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en qualité d'étudiante.
Par un jugement n° 2216445 du 31 octobre 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de réexaminer la demande de visa présentée par Mme A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 décembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 31 octobre 2023 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- Mme A... ayant sollicité un visa long séjour en qualité de visiteur, il ne peut être reproché à la commission de ne pas avoir examiné sa demande en qualité d'étudiante ;
- les autres moyens soulevés en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 janvier 2024, Mme B... A..., représentée par Me Lassort, conclut au rejet de la requête, à qu'il soit enjoint au ministre de délivrer le visa sollicité sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de l'injonction et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés ;
- la décision est entachée d'illégalité en l'absence de motivation ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnait les dispositions de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile eu égard à son projet d'études ;
- elle méconnait les dispositions de l'article L. 426-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile eu égard à son projet d'études et à sa prise en charge par son frère.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Rivas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A..., ressortissante guinéenne, a présenté une demande de visa d'entrée et de long séjour en France auprès de l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée). Par décision du 1er août 2022, cette autorité a refusé de lui délivrer le visa sollicité. Par une décision implicite née le 5 novembre 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire. Par un jugement du 31 octobre 2023, dont le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision de la commission et a enjoint au ministre de réexaminer la demande de Mme A.... Il a été sursis à l'exécution de ce jugement par le président de la 5ème chambre de la cour administrative d'appel de Nantes par une décision du 6 mars 2024.
2. Il ressort des pièces du dossier, dont la demande de visa signée par Mme A... que le ministre produit pour la première fois en appel, que l'intéressée a sollicité un visa de long séjour en qualité de visiteur et non en qualité d'étudiante. Or le jugement attaqué du tribunal administratif de Nantes a annulé le refus de visa opposé à Mme A... au motif que la commission n'a pas procédé à un examen particulier de sa demande faute d'avoir statué sur sa contestation d'un refus de visa aux fins d'études. En conséquence, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes, s'est fondé, pour annuler la décision contestée, sur un défaut d'examen particulier de la demande de Mme A....
3. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... tant devant le tribunal administratif de Nantes que devant la cour.
4. En premier lieu, l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; / 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. ". L'article L. 211-5 du même code dispose que : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ". Enfin, aux termes de l'article L. 232-4 de ce code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. ".
5. Aux termes de l'article D. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue du décret du 29 juin 2022 relatif aux modalités de contestation des refus d'autorisations de voyage et des refus de visas d'entrée et de séjour en France : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre de l'intérieur est chargée d'examiner les recours administratifs contre les décisions de refus de visa de long séjour prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. Le sous-directeur des visas, au sein de la direction générale des étrangers en France du ministère de l'intérieur, est chargé d'examiner les recours administratifs contre les décisions de refus de visa de court séjour prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. La saisine de l'une ou l'autre de ces autorités, selon la nature du visa sollicité, est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier. ". L'article D. 312-8-1 du même code, applicable, en vertu de l'article 3 du même décret, aux demandes ayant donné lieu à une décision diplomatique ou consulaire prise à compter du 1er janvier 2023, dispose : " En l'absence de décision explicite prise dans le délai de deux mois, le recours administratif exercé devant les autorités mentionnées aux articles D. 312-3 et D. 312-7 est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision contestée. L'administration en informe le demandeur dans l'accusé de réception de son recours. ".
6. Les décisions des autorités consulaires portant refus d'une demande de visa doivent être motivées en vertu des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Il en va de même pour les décisions de rejet des recours administratifs préalables obligatoires formés contre ces décisions.
7. Les dispositions de l'article D. 312-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile impliquent que si le recours administratif préalable obligatoire formé contre une décision de refus d'une demande de visa fait l'objet d'une décision implicite de rejet, cette décision implicite, qui se substitue à la décision initiale, doit être regardée comme s'étant appropriée les motifs de la décision initiale. Dans le cadre de la procédure de recours administratif préalable obligatoire applicable aux refus de visa, il en va de même, avant l'entrée en vigueur de ces dispositions, si le demandeur a été averti au préalable par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'une telle appropriation en cas de rejet implicite de sa demande.
8. Si la décision consulaire n'est pas motivée, le demandeur qui n'a pas sollicité, sur le fondement de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration, la communication des motifs de la décision implicite de rejet prise sur son recours préalable obligatoire, ne peut utilement soutenir devant le juge qu'aurait été méconnue l'obligation de motivation imposée par l'article L. 211-2 du même code. Si la décision consulaire est motivée, l'insuffisance de cette motivation peut être utilement soulevée devant le juge, sans qu'une demande de communication de motifs ait été faite préalablement. Si, dans l'hypothèse où la décision consulaire était motivée, une telle demande a néanmoins été présentée et l'autorité administrative y a explicitement répondu, cette réponse doit être regardée comme une décision explicite se substituant à la décision implicite de rejet initiale du recours administratif préalable obligatoire.
9. Il ressort des pièces du dossier que le recours administratif préalable obligatoire de Mme A... a été enregistré le 5 septembre 2022 par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, sans que celle-ci en ait accusé réception par un courrier spécifique. Il n'est par ailleurs pas même soutenu qu'en application de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration Mme A... aurait demandé la communication des motifs de la décision implicite contestée de la commission. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'absence de motivation de la décision de la commission de recours doit être écarté.
10. En deuxième lieu, si Mme A... se prévaut des dispositions des articles L. 422-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives aux conditions de délivrance d'une carte de séjour portant la mention " étudiant " d'une durée inférieure ou égale à un an, ainsi qu'il a été exposé au point 2, et en tout état de cause, Mme A... n'a pas sollicité un visa de long séjour en qualité d'étudiante. Par suite, ce moyen inopérant ne peut qu'être écarté.
11. En troisième lieu, l'étranger désirant se rendre en France et qui sollicite un visa de long séjour en qualité de visiteur doit justifier de la nécessité dans laquelle il se trouve de résider en France pour un séjour de plus de trois mois. En l'absence de toute disposition conventionnelle, législative ou réglementaire déterminant les cas où ce visa peut être refusé, et eu égard à la nature d'une telle décision, les autorités françaises, saisies d'une telle demande, disposent, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, d'un large pouvoir d'appréciation et peuvent se fonder non seulement sur des motifs tenant à l'ordre public, tel que le détournement de l'objet du visa, mais aussi sur toute considération d'intérêt général. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France peut légalement fonder sa décision de refus sur les motifs tirés de ce que le demandeur ne dispose pas des moyens d'existence suffisants pour faire face aux dépenses liées à son séjour en France et de ce qu'il ne justifie pas de la nécessité de se voir délivrer un visa de long séjour.
12. Mme A... se borne à produire des attestations de M. A..., son frère installé en France, indiquant qu'il s'engage à prendre en charge la totalité des frais liés au séjour de la demandeuse de visa en France et une attestation d'assurance la concernant pour moins de deux mois, au titre de l'année 2022. Or M. A..., ressortissant guinéen né en 2000 titulaire d'une carte de résident depuis 2022, exerce une activité sous contrat d'apprentissage conclu en 2021, dont le terme est fixé au 27 août 2023 ; il ne mentionne ni ses revenus ni ses propres charges. Ainsi Mme A..., mineure venant en France pour poursuivre sa scolarité, ne justifie pas qu'elle disposerait de ressources suffisantes pour couvrir ses frais de toute nature durant son séjour en France. Dans ces conditions, cette dernière n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée serait entachée d'une erreur d'appréciation à cet égard, ni, en tout état de cause, d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 426-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatif à la délivrance des seuls titres de séjour du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
13. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). ".
14. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... est scolarisée en Guinée, pays où elle a toujours vécu et où résident des membres de sa fratrie, alors même qu'elle est orpheline de père depuis 2020. Elle indique par ailleurs qu'elle vit séparée de son frère établi en France depuis son jeune âge. Enfin il n'est pas établi qu'elle serait sous la menace d'un mariage forcé en Guinée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
16. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction sous astreinte, ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, présentées par Mme A..., partie perdante, doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2216445 du 31 octobre 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Nantes et ses demandes présentées devant la cour administrative d'appel de Nantes sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme B... A....
Délibéré après l'audience du 24 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 novembre 2024.
Le rapporteur,
C. RIVAS
Le président,
S. DEGOMMIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23NT03881