Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... C..., Mme J... C..., M. H... A... et Mme E... D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions du 23 juin 2022 de l'autorité consulaire française à Téhéran (Iran) refusant de délivrer à Mme J... C..., à M. H... A... et à Mme E... D... des visas de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2213403 du 7 juillet 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 février 2024, M. F... C..., Mme J... C..., M. H... A... et Mme E... D..., représentés par Me Pollono, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 7 juillet 2023 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer les demandes de visa dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 1 800 euros hors taxe sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- la décision est entachée d'une erreur de droit ; l'administration s'est crue à tort en situation de compétence liée pour refuser les visas demandés sans examiner l'atteinte portée à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- s'agissant de Mme E... D... : M. F... C... a toujours déclaré être fiancé avec cette personne depuis 2015, malgré ses erreurs, qu'il explique, sur son état-civil ; ils se sont mariés le 20 mars 2022 et sont en lien constant ; en conséquence elle a droit au bénéfice de la réunification familiale ;
- s'agissant de Mme J... C..., M. H... A... et Mme J... C... : les décisions méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; depuis le décès de l'époux de Mme J... C... et père de M. A... et de M. C..., ce dernier subvient aux besoins de tous dont son frère handicapé ; ils sont en grande précarité en Iran ; ils ne peuvent retourner en Afghanistan depuis l'arrivée au pouvoir des talibans et risquent une expulsion d'Iran vers leur pays ; sa conjointe risque un mariage forcé ; du fait de leur genre sa mère et sa conjointe sont menacées en Afghanistan.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mai 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 30 août 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 27 septembre 2024.
Un mémoire présenté pour les consorts C... a été enregistré le 29 novembre 2024, soit après la clôture d'instruction.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rivas,
- et les observations de Me Pollono, représentant M. C... et autres.
Considérant ce qui suit :
1. M. F... C... est un ressortissant afghan né le 8 décembre 1993 et entré en France le 15 juillet 2017. Il s'est vu reconnaître le bénéfice de la protection subsidiaire par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 11 juin 2018. Mme J... C..., née le 1er septembre 1964, qu'il présente comme sa mère afghane, ainsi que M. H... A..., né le 30 juillet 1995, son frère afghan allégué, et Mme E... D..., née le 5 juin 1999, présentée comme sa fiancée afghane puis son épouse depuis le 20 mars 2022, ont déposé des demandes de visas de long séjour auprès des autorités consulaires françaises à Téhéran (Iran), en qualité de membres de famille d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire. Ces autorités consulaires ont refusé de délivrer les visas sollicités le 23 juin 2022. Par une décision implicite, née le 10 octobre 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours administratif préalable obligatoire formé contre ces refus de visas. Par un jugement du 7 juillet 2023, dont M. C..., Mme D..., M. A... et Mme C... relèvent appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande d'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que pour refuser implicitement les demandes de visas de Mme J... C..., de M. H... A... et de Mme E... D..., la commission s'est référée au motif qui leur avait été opposé par l'autorité consulaire française à Téhéran où les intéressés, en provenance d'Afghanistan, se sont établis à la fin de l'année 2021. Ce motif identique tient à ce que le lien familial allégué avec le bénéficiaire de la protection subsidiaire ne correspondait pas à l'un des cas leur ouvrant droit à la réunification familiale.
3. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...). ". L'article L. 561-5 du même code prévoit que : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. "
4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, s'agissant de Mme E... D... née le 5 juin 1999 à Zabul, que M. F... C... a renseigné le 22 juillet 2018, soit après l'obtention de la protection subsidiaire, une fiche familiale de référence mentionnant qu'il a vécu en concubinage en Afghanistan à compter de 2015, après leurs fiançailles, avec Mme G... née le 12 mai 1992 à Kapissa, dont il a également donné l'identité précise de ses parents. S'il a expliqué à compter de novembre 2021 s'être trompé sur l'identité même de sa concubine faute de la connaitre sous son nom d'état-civil, lequel serait imprécis en Afghanistan, il est également constant qu'il s'est également significativement trompé sur l'âge de celle-ci et son lieu de naissance. Aucune des autres pièces présentées n'atteste par ailleurs que Mme E... D... née B... aurait aussi été appelée Mme G... dans son pays. Ainsi les documents attestant de sa formation, datés de 2016 et 2017, sont établis au nom d'Amina B.... Enfin les quelques photographies et attestations fournies à propos de la cérémonie de fiançailles de 2015 ne permettent pas d'identifier la personne photographiée. Au surplus la circonstance que M. F... C... et Mme E... D... née B... se sont mariées en Iran le 20 mars 2022 est sans incidence sur la mise en œuvre des dispositions précitées dès lors que M. C... bénéficiait déjà en France, à cette date, d'une protection internationale. Dans ces conditions, faute d'établir que Mme E... D... née B... aurait vécu en situation de concubinage avec M. F... C... avant l'obtention par ce dernier d'une protection internationale en 2018 en France, les intéressés ne sont pas fondés à soutenir que la commission a fait une inexacte application des dispositions précitées en opposant à Mme E... D... née B... qu'elle ne remplissait pas les conditions prévues par le législateur pour bénéficier de la procédure de réunification familiale.
5. En deuxième lieu, Mme J... C..., et M. H... A... se présentent comme la mère et le frère majeur de M. F... C.... Eu égard aux dispositions précitées de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans le champ duquel ils n'entrent pas, ils ne sont pas fondés à soutenir que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France aurait fait une inexacte application de ces dispositions citées au point 4.
6. En troisième lieu, pour les motifs exposés aux deux points précédents, la décision contestée ne méconnait pas le principe d'unité familiale.
7. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation des demandeurs de visa, et notamment au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Du reste, la décision consulaire à laquelle la décision implicite de la commission renvoie vise cette stipulation conventionnelle. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'erreur de droit, au motif que la commission se serait considérée en situation de compétence liée pour refuser les visas sollicités après avoir considéré que les demandeurs n'avaient pas droit à un visa au titre de la réunification familiale, sans examiner leur situation au regard de cette stipulation conventionnelle, doit être écarté.
8. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
9. Il ressort des pièces du dossier que M. F... C... a quitté l'Afghanistan seul en 2016, alors que sa fiancée, sa mère et son frère, M. H... A..., ont alors vécu ensemble dans ce pays, au domicile de ces derniers, en compagnie du père du réunifiant. Ils expliquent être restés en Afghanistan après le décès de ce dernier en 2020 puis l'arrivée des talibans au pouvoir en août 2021. Ils ont ensuite quitté régulièrement leur pays en février 2022 pour se rendre en Iran, où ils ont été accueillis par un cousin établi dans ce pays, avant que M. F... C... ne leur loue un logement à Téhéran en mars 2022 à l'occasion d'un voyage. S'il est soutenu que M. H... A... souffrirait d'un handicap en conséquence notamment d'un accident de la route survenu en 2017, les pièces produites, peu circonstanciées sur ce handicap, ne l'établissent pas. Par ailleurs, dans sa fiche familiale de référence signée le 22 juillet 2018, M. F... C... a expliqué qu'il avait sept frères et sœur dont six étaient alors à Paghman (Afghanistan), comme ses parents. A cette occasion il a aussi indiqué que son frère Zoubiadullah C..., né le 8 janvier 1997, séjournait alors à Belgrade (Serbie). Il n'est par ailleurs pas établi qu'à la date de la décision contestée, les membres de cette fratrie ne contribuaient pas également à la prise en charge de leur mère partie en Iran et, en tant que de besoin, de M. H... A... et de Mme D... née B.... S'il est également fait état d'un risque de mariage forcé pour cette dernière et de menaces la concernant personnellement de la part de talibans influents, y compris en Iran, celles-ci sont imprécises alors notamment que Mme D... a pu établir en Afghanistan un passeport en 2020, une carte d'identité en 2022 et qu'avec M. F... C..., ils se sont rendus à l'ambassade d'Afghanistan en Iran en mars 2022 afin de se marier. Enfin, il n'est pas établi qu'à la date de la décision contestée, les intéressés risquaient d'être effectivement renvoyés en Afghanistan par les autorités iraniennes, alors qu'ils y résidaient alors régulièrement. Du reste, ils conservaient alors dans leur pays de nombreuses attaches familiales, dont les membres de la fratrie du réunifiant, susceptibles de les aider, y compris au regard de leur genre, en cas de retour. Dans ces conditions, M. F... C... et autres ne sont pas fondés à soutenir que la décision contestée est intervenue en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. C..., Mme C..., M. A... et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction sous astreinte ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. F... C..., de Mme J... C..., de M. H... A... et de Mme E... D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... C..., à Mme J... C..., à M. H... A..., à Mme E... D... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 12 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 janvier 2025.
Le rapporteur,
C. RIVAS
Le président,
S. DEGOMMIER
La greffière,
S. PIERODÉ
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 24NT00588