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14/01/2025 | FRANCE | N°24NT00606

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 5ème chambre, 14 janvier 2025, 24NT00606


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... E..., agissant en son nom propre et au nom des enfants A... C... E... et F... B..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 24 mai 2022 de l'autorité consulaire française à Abidjan (Côte-d'Ivoire) refusant de délivrer à l'enfant A... C... E... un visa de long séjour au titre de la réu

nification familiale.



Par un jugement n° 2300290 du 20 novembre 2023, le tribun...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... E..., agissant en son nom propre et au nom des enfants A... C... E... et F... B..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 24 mai 2022 de l'autorité consulaire française à Abidjan (Côte-d'Ivoire) refusant de délivrer à l'enfant A... C... E... un visa de long séjour au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2300290 du 20 novembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 27 février 2024, Mme G..., représentée par Me Régent, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 20 novembre 2023 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer la demande de visa dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- les premiers juges ont dénaturé les pièces du dossier ;

- les dispositions des articles L. 561-2 à L. 561-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 424-3 du même code ont été méconnues et la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; l'enfant est éligible à la procédure de réunification familiale en sa qualité de collatérale d'une enfant mineure reconnue réfugiée eu égard au principe d'unité familiale ; la décision méconnait le droit au respect de la vie privée et familiale et l'intérêt supérieur de l'enfant eu égard notamment à la l'autorité parentale qui a été déléguée à sa mère ; le lien de filiation unissant Mme E... à la demandeuse de visa est établi ;

- la décision consulaire, non réformée sur ce point par celle de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, est entachée d'une erreur de droit dès lors que l'administration s'est estimée liée par les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 avril 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rivas,

- et les observations de Me Régent, représentant Mme E....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... E..., ressortissante ivoirienne, réside en France sous couvert d'une carte de résident en qualité de mère de la jeune F... B..., ressortissante ivoirienne née le 7 juin 2017, qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 30 août 2019. Une demande de visa de long séjour a été déposée en 2022 pour le compte de la jeune A... C... E..., ressortissante ivoirienne née le

2 février 2009, fille de la requérante et demi-sœur de l'enfant F.... Par une décision du 24 mai 2022, l'autorité consulaire française à Abidjan (Côte-d'Ivoire) a refusé de lui délivrer le visa sollicité. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire par une décision implicite née le 23 août 2022, puis par une décision expresse du 24 novembre suivant. Par un jugement du 20 novembre 2023, dont Mme E... relève appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

2. Il ressort des pièces du dossier, notamment des termes de la décision expresse du 24 novembre 2022, que pour rejeter le recours formé par Mme E... contre la décision consulaire refusant le visa sollicité au titre de la réunification familiale pour l'enfant A... C... E..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le fait que cette dernière ne pouvait bénéficier des dispositions régissant la réunification familiale alors notamment que les deux parents de sa demi-sœur, qui seule bénéficie de la qualité de réfugiée, résident en France depuis plusieurs années et sur la circonstance que la décision ne méconnaissait pas, dans ces conditions, les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

3. En premier lieu, eu égard à l'office du juge d'appel, qui est appelé à statuer, d'une part, sur la régularité de la décision des premiers juges et, d'autre part, sur le litige qui a été porté devant eux, le moyens tiré de ce que le tribunal administratif aurait dénaturé les pièces du dossier en estimant que la décision de refus de visa litigieuse ne violait pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ni celles de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, qui tend en réalité à remettre en cause l'appréciation des premiers juges, ne peut être utilement soulevé à l'appui d'une contestation de la régularité du jugement attaqué.

4. En deuxième lieu, eu égard aux effets d'un recours administratif préalable obligatoire, la décision expresse du 24 novembre 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est totalement substituée à la décision consulaire et n'a pas réformé cette décision uniquement au regard de certains de ses motifs. En conséquence, le moyen tiré de ce que la décision consulaire est partiellement illégale en ce qu'elle n'aurait pas été réformée sur un point par la décision de la commission est inopérant et ne peut qu'être écarté pour ce motif.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / Si le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire est un mineur non marié, il peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint par ses ascendants directs au premier degré, accompagnés le cas échéant par leurs enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective. (...) ". Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " (...) La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. " et aux termes de l'article L. 561-5 de ce code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. (...). ". Par ailleurs les dispositions de l'article L. 424-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile fixent les conditions de délivrance d'une carte de résident au bénéficiaire d'une protection internationale, ainsi qu'à certaines autres personnes au titre desquelles ne figurent pas les membres de sa fratrie.

6. Les dispositions citées au point précédent, issues de la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, permettent à un réfugié d'être rejoint au titre de la réunification familiale par certains membres de sa famille, sans que le bénéfice de ce droit soit soumis aux conditions de régularité et de durée préalable du séjour, de ressources et de logement qui s'appliquent au droit des étrangers séjournant en France à être rejoints par leur conjoint ou par leurs enfants mineurs au titre du regroupement familial en application des articles L. 432-2 et suivants de ce code. Elles ont été complétées par la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie pour permettre, lorsqu'un enfant mineur sollicite la réunification familiale avec ses parents restés à l'étranger, que ceux-ci soient accompagnés des enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective.

7. La différence de traitement, opérée par les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, entre les mineurs bénéficiant de la qualité de réfugié selon que leurs parents résident ou non sur le territoire français et selon que leurs frères et sœurs mineurs demeurés à l'étranger accompagnent ou non leurs parents, est justifiée par la différence de situation entre les mineurs réfugiés en France selon qu'ils sont ou non accompagnés de leurs parents, au regard de l'objet des dispositions en cause, qui est de leur permettre d'être rejoints par leurs parents demeurés à l'étranger tout en évitant que la mise en œuvre de ce droit n'implique que des enfants qui seraient dans l'impossibilité d'accompagner leurs parents sur le territoire national soient séparés de leur famille. En outre, ces dispositions qui visent à permettre aux réfugiés d'être rejoints par certains membres de leur famille dans des conditions plus favorables que celles qui permettent aux étrangers séjournant régulièrement en France de solliciter le regroupement familial, ne portent aucune atteinte au droit à une vie familiale normale ni, en tout état de cause, à l'intérêt supérieur de l'enfant. Pour les mêmes motifs, ces dispositions ne portent pas atteinte au principe d'unité familiale.

8. Il ressort des pièces du dossier que l'enfant F... B..., à qui la qualité de réfugiée a été reconnue, est née en 2017 en France de la relation entretenue en France par sa mère, Mme C... E... dont la demande de protection internationale a été rejetée, avec un compatriote ivoirien. Il est constant que l'enfant A... C... E..., pour qui le visa a été sollicité, est née d'une relation antérieure de Mme E... avec un ressortissant ivoirien établi dans ce pays. L'enfant A... C... E... étant la demi-sœur de l'enfant à qui la qualité de réfugiée a été reconnue en France, son lien familial avec celle-ci ne correspond pas à l'un des cas lui permettant de demander un visa dans le cadre de la procédure de réunification familiale en qualité de membre de famille de réfugié. Par suite, et alors que la commission n'a pas opposé à la demandeuse de visa qu'elle ne serait pas la fille de Mme E... et la demi-sœur de l'enfant F... B..., les moyens tirés de la méconnaissance du principe d'unité familiale et des articles L. 561-2 à L. 561-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que de l'article L. 424-3 du même code doivent être écartés.

9. En quatrième lieu, il ne ressort pas des termes de la décision contestée, qui examine d'ailleurs la situation de la demandeuse de visa au regard des stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France se serait crue tenue de refuser le visa sollicité au seul motif que l'enfant A... C... E... n'entrait pas dans le champ de la procédure de réunification familiale. Les moyens tirés de ce qu'elle aurait entaché sa décision d'erreur de droit pour ce motif ainsi que d'une erreur d'appréciation doivent dès lors être écartés.

10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".

11. Il ressort des pièces du dossier qu'alors même qu'à la demande de M. D... E..., père de la jeune A... C... E..., et avec l'accord de sa mère, appelante, le juge des tutelles du tribunal de première instance de Korhogo (Côte-d'Ivoire) a délégué, par une ordonnance du 11 mai 2022, à cette dernière l'autorité parentale exclusive sur cette enfant, dont sa garde et son instruction, celle-ci a toujours vécu en Côte-d'Ivoire, où elle est scolarisée dans un collège privé, et où réside son père. Ainsi, si la demi-sœur de cette enfant née en 2017 vit en France, la demandeuse de visa réside en Côte-d'Ivoire aux côtés du reste de sa famille et il n'est pas établi qu'elle aurait revu Mme E... depuis le départ de cette dernière de Côte-d'Ivoire en 2014. Si Mme E... se prévaut également du fait qu'elle pourvoit complètement aux besoins matériels de sa fille, il n'est pas établi qu'elle ne pourrait continuer à le faire et lui rendre visite en Côte-d'Ivoire. Par ailleurs, les envois d'argent et les communications par messagerie avec sa fille, dont Mme E... se prévaut, datent pour les plus anciens de 2021. Enfin, la législation française permet l'entrée de cette enfant sur le territoire français sous réserve que soient remplies les conditions du regroupement familial. Dans ces conditions, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant doivent être écartés.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 12 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Ody, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 janvier 2025.

Le rapporteur,

C. RIVAS

Le président,

S. DEGOMMIER

La greffière,

S. PIERODÉ

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT00606


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT00606
Date de la décision : 14/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : REGENT

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-14;24nt00606 ?
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