Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 23 août 2022 de l'autorité consulaire française à Douala (Cameroun) refusant de délivrer à la jeune C... E... un visa d'entrée et de long séjour au titre du regroupement familial.
Par un jugement n° 2301718 du 11 décembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 février 2024, Mme B... D..., représentée par Me Gillioen, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 11 décembre 2023 ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme D... soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en droit et en fait s'agissant de la réponse aux moyens tirés de la méconnaissance des stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le jugement attaqué est entaché d'un défaut d'examen réel et sérieux, d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation ;
- le lien de filiation est établi par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mars 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés et se réfère à son mémoire de première instance dont il produit une copie.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Dubost a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante camerounaise née le 22 septembre 1984, a obtenu le bénéfice du regroupement familial au profit de la jeune C... E..., née le 6 novembre 2005, qu'elle présente comme sa fille. La demande de visa de long séjour déposée à ce titre a été rejetée par l'autorité consulaire française à Douala (Cameroun). Le recours formé contre ce refus consulaire devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision implicite née du silence gardé par ladite commission pendant plus de deux mois. Mme D... a alors demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette décision. Elle relève appel du jugement du 11 décembre 2023 de ce tribunal rejetant sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".
3. Alors que les premiers juges n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments présentés à l'appui des moyens soulevés par Mme D..., et qu'ils ont estimé, au terme d'une motivation suffisante, que l'identité et le lien de filiation de la jeune C... E... n'étaient pas établis, ils ont indiqué de manière suffisamment précise, les motifs pour lesquels ils ont écarté les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, par référence au point 6 de leur jugement. Ainsi, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué doit être écarté.
4. En deuxième lieu, eu égard à l'office du juge d'appel, qui est appelé à statuer, d'une part, sur la régularité de la décision des premiers juges et, d'autre part, sur le litige qui a été porté devant eux, les moyens tirés de ce que le jugement attaqué est entaché d'un défaut d'examen réel et sérieux, d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés comme inopérants.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter le recours formé à l'encontre de la décision des autorités consulaires françaises à Douala, sur la circonstance que l'identité et le lien de filiation de la jeune C... E... avec Mme D... n'étaient pas établis.
6. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur (...). ". L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
7. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
8. D'autre part, lorsque la venue d'une personne en France a été autorisée au titre du regroupement familial, l'autorité diplomatique ou consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère authentique des actes d'état civil produits.
9. Pour justifier de l'identité de la jeune C... E... a été produit un acte de naissance n° 946/2005, dressé le 7 décembre 2005 par l'officier d'état-civil du centre spécial de Deido et Akwa-Nord. L'autorité consulaire française à Douala a procédé à une levée d'acte qui a révélé que l'acte de naissance portant ces références a été dressé le 17 mai 2005 et appartient à une tierce personne. Cet acte d'état civil, entaché de fraude, ne permet donc pas d'établir l'identité de la demanderesse de visa. Par ailleurs, Mme D... a produit un jugement n° 1332/L, rendu le 27 octobre 2022, par lequel le tribunal de première instance de Douala Bonanjo a ordonné la reconstitution de l'acte de naissance de la jeune C... E... au motif que celui-ci a été égaré. Or d'une part, il ressort des pièces du dossier que l'acte de naissance n° 946/2005 précité, qui a été produit au soutien de la demande de visa, n'avait donc pas été égaré à la date à laquelle Mme D... a saisi le tribunal de première instance de Douala Bonanjo, et, d'autre part, que le jugement est fondé sur le constat de l'existence de la souche de l'acte de naissance, qui comme il a été dit, correspond à une tierce personne. Dans ces conditions, le jugement du 27 octobre 2022 rendu par le tribunal de première instance de Douala Bonanjo ordonnant la reconstitution de l'acte de naissance de la demanderesse de visa, ainsi que l'acte de naissance dressé en transcription le 3 janvier 2023, doivent être regardés comme entachés de fraude. En outre, si la requérante produit un jugement n° 791/L du 18 juin 2024 du tribunal de première instance de Douala Bonanjo, ce dernier, qui se borne à annuler l'acte de naissance n° 946/2005 dressé le 7 décembre 2005, n'est pas davantage de nature à établir l'identité de la demanderesse de visa. Enfin, les éléments présentés pour établir le lien familial par la possession d'état, qui consistent uniquement dans le fait que Mme D... a introduit des requêtes devant le tribunal de première instance de Douala Bonanjo au bénéfice de la jeune C... E..., ne suffit pas à établir l'identité de l'intéressée. Par suite, en estimant que l'identité de la jeune C... E... et le lien de filiation avec Mme D... n'étaient pas établis, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France n'a pas fait une inexacte application des dispositions citées aux point 6.
10. En second lieu, l'identité de la demanderesse de visa et le lien de filiation avec Mme D... n'étant pas établis, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ne peuvent qu'être écartés.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
12. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par Mme D..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction sous astreinte présentées par la requérante doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 6 février 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 mars 2025.
La rapporteure,
A.-M. DUBOST
Le président,
S. DEGOMMIERLa présidente,
C. BUFFET
Le greffier,
C. GOY
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT00344