Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association Eau et Rivières de Bretagne a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 15 février 2022 du préfet du Finistère portant sur la règlementation des usages de l'eau dans le département ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux.
Par un jugement n° 2203901 du 20 avril 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 21 juin 2023 et 28 juin 2024, l'association Eau et Rivières de Bretagne, représentée par Me Dubreuil, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 20 avril 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 15 février 2022 du préfet du Finistère portant sur la règlementation des usages de l'eau dans le département ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;
3°) d'enjoindre au préfet du Finistère de prendre une nouvelle décision dans un délai de six mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
L'association soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il est insuffisamment motivé s'agissant de la réponse à l'argumentaire technique développé sur la limite des données météorologiques ;
- l'article R. 122-17 du code de l'environnement est illégal en tant qu'il n'intègre pas les arrêtés-cadre de sécheresse dans la liste des décisions administratives de l'Etat soumises à évaluation des incidences environnementales ;
- l'arrêté contesté devait être soumis à évaluation environnementale dès lors qu'il constitue un plan ou un programme susceptible d'avoir des incidences notables sur l'environnement ;
- l'arrêté contesté devait être soumis à évaluation environnementale dès lors qu'il est susceptible d'avoir des incidences significatives sur des sites classés Natura 2000 ;
- les mesures d'adaptation pouvant être prises par le préfet au titre de l'article 5 de l'arrêté contesté, en fonction des circonstances hydrologiques et météorologiques ne sont pas limitées ni conditionnées ; ces mesures ne sont pas proportionnées ; elles confient au préfet un pouvoir discrétionnaire mettant en cause le principe même de l'arrêté ;
- l'article 5 de l'arrêté contesté méconnait les dispositions de l'article R. 211-67 du code de l'environnement dès lors que l'octroi des mesures de dérogation n'est pas encadré ;
- le recours exclusif, par l'article 5 de l'arrêté contesté, aux données météorologiques n'est pas adapté, il doit être contextualisé avec le critère de l'évapotranspiration par les plantes ;
- les stations de l'Elorn à Plouedern, de l'Aulne à Châteauneuf-du Faou, de l'Isole à Quimperlé et du Goyen à Pont-Croix retenues comme référence par l'arrêté contesté ne sont pas représentatives de l'état des cours d'eau de la zone d'alerte.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 mai 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par l'association Eau et Rivières de Bretagne ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2001/42/CE du Parlement et du Conseil européen du 27 juin 2021 ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dubost,
- les conclusions de M. Frank, rapporteur public,
- et les observations de Me Dubreuil, représentant l'association Eau et Rivières de Bretagne.
Une note en délibéré, présentée pour l'association Eau et Rivières de Bretagne, a été enregistrée le 3 avril 2025.
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet du Finistère a, par arrêté-cadre du 15 février 2022, règlementé les usages de l'eau dans le département. L'association Eau et Rivières de Bretagne a formé un recours gracieux contre cet arrêté qui a été implicitement rejeté. L'association a alors demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler ces décisions. Elle relève appel du jugement du 20 avril 2023 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".
3. Les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments présentés à l'appui des moyens soulevés par l'association requérante, ont indiqué de manière suffisamment précise les motifs pour lesquels ils ont écarté le moyen tiré de ce que la référence aux données météorologiques ne serait pas adaptée pour apprécier les niveaux de gestion de l'eau à mettre en œuvre. Ainsi, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance :
4. Aux termes de l'article L. 142-1 du code de l'environnement : " Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l'environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci. / Toute association de protection de l'environnement agréée au titre de l'article L. 141-1 ainsi que les fédérations départementales des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique et les associations agréées de pêcheurs professionnels justifient d'un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec leur objet et leurs activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l'environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elles bénéficient de l'agrément dès lors que cette décision est intervenue après la date de leur agrément. ".
5. L'association Eau et Rivières de Bretagne, agréée au titre de la protection de l'environnement sur le territoire de la région Bretagne le 11 décembre 2018, conformément à l'article L. 141-1 du code de l'environnement, a pour objet, selon l'article 2 de ses statuts, " de faire œuvre d'éducation populaire en élevant la conscience écologique, la connaissance des règles qui régissent les équilibres naturels et le respect du patrimoine naturel, et en développant les comportements citoyens individuels et collectifs des consommateurs ", " de promouvoir le respect de l'eau et des milieux naturels aquatiques ", " de défendre les intérêts des usagers de l'eau et des milieux aquatiques, en particulier des consommateurs " et " de contribuer à l'amélioration de la gestion équilibrée des eaux souterraines et superficielles, phréatiques, alluviales, fluviales, estuariennes et marines, notamment en luttant pour la promotion des économies d'eau et contre le gaspillage de la ressource ". Ainsi, l'association requérante qui fait état des effets dommageables que pourrait entrainer la décision contestée, eu égard aux insuffisances qu'elle allègue, justifie d'un intérêt à agir contre l'arrêté préfectoral du 15 février 2022 portant réglementation des usages de l'eau dans le Finistère qui a pour objet d'anticiper les situations de tension et de pénurie de la ressource en eau et de définir des mesures de vigilance, de restriction ou d'interdiction temporaires de certains usages de l'eau pouvant être rendus nécessaires pour la préservation de la santé, de la sécurité civile, de l'approvisionnement en eau potable et de la préservation des écosystèmes aquatiques. Par suite, la fin de non-recevoir opposée en défense tirée du défaut d'intérêt à agir de l'association requérante, ne peut être accueillie.
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du préfet du 15 février 2022 :
S'agissant des moyens tirés de l'absence de réalisation d'une évaluation environnementale :
6. D'une part, aux termes de l'article 2 de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement sont, pour son application, des plans et programmes, ceux " (...) : - élaborés et/ou adoptés par une autorité au niveau national, régional ou local ou élaborés par une autorité en vue de leur adoption par le parlement ou par le gouvernement, par le biais d'une procédure législative, et - exigés par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives (...) ". L'article 3 prévoit qu'une évaluation environnementale, qui doit, selon l'article 4, être effectuée " pendant l'élaboration du plan ou du programme et avant qu'il ne soit adopté ou soumis à la procédure législative ", est nécessaire " 2. pour tous les plans et programmes: a) qui sont élaborés pour les secteurs de l'agriculture, de la sylviculture, de la pêche, de l'énergie, de l'industrie, des transports, de la gestion des déchets, de la gestion de l'eau, des télécommunications, du tourisme, de l'aménagement du territoire urbain et rural ou de l'affectation des sols et qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre des projets énumérés aux annexes I et II de la directive 85/337/CEE pourra être autorisée à l'avenir ; ou b) pour lesquels, étant donné les incidences qu'ils sont susceptibles d'avoir sur des sites, une évaluation est requise en vertu des articles 6 et 7 de la directive 92/43/CEE. (...) 4. Pour les plans et programmes, autres que ceux visés au paragraphe 2, qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre des projets pourra être autorisée à l'avenir, les Etats membres déterminent s'ils sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ".
7. Dans l'hypothèse où une évaluation environnementale est requise, il résulte de l'article 5 de cette directive qu'un rapport sur les incidences environnementales doit être élaboré, devant notamment identifier, décrire et évaluer les incidences notables probables de la mise en œuvre du plan ou du programme. Ce rapport ainsi que le projet de plan ou programme doivent, en vertu de l'article 6 de la directive, être mis à la disposition du public et soumis à la consultation des autorités, désignées par les Etats membres, " qui, étant donné leur responsabilité spécifique en matière d'environnement, sont susceptibles d'être concernées par les incidences environnementales de la mise en œuvre de plans et de programmes ". L'article 8 de la directive prévoit que le rapport prévu à l'article 5 et les avis exprimés en vertu de l'article 6 sont pris en considération pendant l'élaboration du plan ou programme concerné et avant que ceux-ci ne soient adoptés ou soumis à la procédure législative. Lors de leur adoption, les Etats membres doivent, conformément à l'article 9 de la directive, veiller à ce que les autorités visées à l'article 6 ainsi que le public soient informés et que soient notamment mis à leur disposition le plan ou programme tel qu'il a été adopté. Enfin, les Etats membres assurent, en vertu de l'article 10 de la directive, le suivi des incidences notables sur l'environnement de la mise en œuvre des plans et programmes.
8. Selon l'article L. 122-4 du code de l'environnement : " (...) II. - Font l'objet d'une évaluation environnementale systématique : / 1° Les plans et programmes qui sont élaborés dans les domaines de l'agriculture, de la sylviculture, de la pêche, de l'énergie, de l'industrie, des transports, de la gestion des déchets, de la gestion de l'eau, des télécommunications, du tourisme ou de l'aménagement du territoire et qui définissent le cadre dans lequel les projets mentionnés à l'article L. 122-1 pourront être autorisés ; (...) / III. - Font l'objet d'une évaluation environnementale systématique ou après examen au cas par cas par l'autorité environnementale : / 1° Les plans et programmes mentionnés au II qui portent sur des territoires de faible superficie s'ils sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ; / 2° Les plans et programmes, autres que ceux mentionnés au II, qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre de projets pourra être autorisée si ces plans sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement (...) ". L'article L. 122-5 du même code prévoit qu'un décret en Conseil d'Etat précise notamment " 1° La liste des plans et programmes soumis à évaluation environnementale de manière systématique ou à un examen au cas par cas, en application des II et III de l'article L. 122-4 et les conditions de son actualisation annuelle ; / 2° Les conditions dans lesquelles, lorsqu'un plan ou programme relève du champ du II ou du III de l'article L. 122-4 mais ne figure pas sur la liste établie en application du 1°, le ministre chargé de l'environnement décide, pour une durée n'excédant pas un an, de le soumettre à évaluation environnementale systématique ou à examen au cas par cas (...) ".
9. Pour l'application de ces dispositions, l'article R. 122-17 du même code fixe la liste de plans, schémas, programmes et autres documents de planification devant systématiquement ou à la suite d'un examen au cas par cas faire l'objet d'une évaluation environnementale au titre du II et du III de l'article L. 122-4 précité. Il précise que " Lorsqu'un plan ou un programme relevant du champ du II ou du III de l'article L. 122-4 ne figure pas dans les listes établies en application du présent article, le ministre chargé de l'environnement, de sa propre initiative ou sur demande de l'autorité responsable de l'élaboration du projet de plan ou de programme, conduit un examen afin de déterminer si ce plan ou ce programme relève du champ de l'évaluation environnementale systématique ou d'un examen au cas par cas, en application des dispositions du IV de l'article L. 122-4. / L'arrêté du ministre chargé de l'environnement soumettant un plan ou un programme à évaluation environnementale systématique ou après examen au cas par cas est publié au Journal officiel de la République française et mis en ligne sur le site internet du ministère chargé de l'environnement. (...) ".
10. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans ses arrêts du 27 octobre 2016, D'Oultremont e.a. (C 290/15), du 7 juin 2018, Inter-Environnement Bruxelles e.a. (C 671/16), du 12 juin 2019, Terre Wallonne (C-321/18) et du 25 juin 2020 A. e.a (Éoliennes à Aalter et à Nevele) (C-24/19), la notion de " plans et programmes " soumis à évaluation environnementale en application du paragraphe 2 de l'article 3 de la directive 2001/42/CE se rapporte à tout acte qui établit, en définissant des règles et des procédures, un ensemble significatif de critères et de modalités pour l'autorisation et la mise en œuvre d'un ou de plusieurs projets, mentionnés par la directive 2011/92/UE, susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement. Sont également soumis à évaluation environnementale les plans et programmes mentionnés au paragraphe 4 de l'article 3, qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre d'autres projets pourra être autorisée à l'avenir, lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement.
11. D'autre part, aux termes de l'article L. 211-2 du code de l'environnement : " I. - Les règles générales de préservation de la qualité et de répartition des eaux superficielles, souterraines et des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales sont déterminées par décret en Conseil d'Etat. (...). " Aux termes de l'article L. 211-3 de ce code dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " I. - En complément des règles générales mentionnées à l'article L. 211-2, des prescriptions nationales ou particulières à certaines parties du territoire sont fixées par décret en Conseil d'Etat afin d'assurer la protection des principes mentionnés à l'article L. 211-1. II. - Ces décrets déterminent en particulier les conditions dans lesquelles l'autorité administrative peut : 1° Prendre des mesures de limitation ou de suspension provisoire des usages de l'eau, pour faire face à une menace ou aux conséquences d'accidents, de sécheresse, d'inondations ou à un risque de pénurie ; (...) ". Aux termes de l'article R. 211-66 du même code : " Les mesures générales ou particulières prévues par le 1° du II de l'article L. 211-3 pour faire face à une menace ou aux conséquences d'accidents, de sécheresse, d'inondations ou à un risque de pénurie sont prescrites par arrêté du préfet du département dit arrêté de restriction temporaire des usages de l'eau. Elles peuvent imposer la communication d'informations sur les prélèvements selon une fréquence adaptée au besoin de suivi de la situation. Elles peuvent aussi imposer des opérations de stockage ou de déstockage de l'eau. Dans ce cas, l'arrêté imposant l'opération est porté à la connaissance de l'exploitant par tous moyens adaptés aux circonstances. Ces mesures, proportionnées au but recherché, ne peuvent être prescrites que pour une période limitée, éventuellement renouvelable. Dès lors que les conditions d'écoulement ou d'approvisionnement en eau redeviennent normales, il est mis fin, s'il y a lieu graduellement, aux mesures prescrites. Celles-ci ne font pas obstacle aux facultés d'indemnisation ouvertes par les droits en vigueur. Concernant les situations de sécheresse, les mesures sont graduées selon les quatre niveaux de gravité suivants : vigilance, alerte, alerte renforcée et crise. Ces niveaux sont liés à des conditions de déclenchement caractérisées par des points de surveillance et des indicateurs relatifs à l'état de la ressource en eau. (...) " et aux termes de l'article R. 211-67 de ce code : " (...) II.- Afin de préparer les mesures à prendre et d'organiser la gestion de crise en période de sécheresse, le préfet prend un arrêté, dit arrêté-cadre, désignant la ou les zones d'alerte, indiquant les conditions de déclenchement des différents niveaux de gravité et mentionnant les mesures de restriction à mettre en œuvre par usage, sous-catégorie d'usage ou type d'activités en fonction du niveau de gravité ainsi que les usages de l'eau de première nécessité à préserver en priorité et les modalités de prise des décisions de restriction. (...) ". Aucune disposition législative ni règlementaire ne soumet ces arrêtés pris en application des dispositions des articles R. 211-66 et R. 211-67 du code de l'environnement, à une évaluation environnementale.
12. En premier lieu, les arrêtés-cadres pris en application des dispositions citées au point précédent visent à préparer les mesures destinées à faire face à une menace ou aux conséquences d'accidents, de sécheresse, d'inondations ou à un risque de pénurie de la ressource en eau en désignant la ou les zones d'alerte, en indiquant les conditions de déclenchement des différents niveaux de gravité et en mentionnant les mesures de restriction temporaire des usages de l'eau pouvant être mises en œuvre. Ces arrêtés n'ont ainsi ni pour objet ni pour effet de définir le cadre de mise en œuvre de travaux ou projets et ne sont donc pas au nombre des plans et programmes au sens de l'article L. 122-4 du code de l'environnement, pris pour la transposition de l'article 3 de la directive 2001/42/CE, qui doivent être soumis à une évaluation environnementale préalable. Le moyen tiré de l'exception d'illégalité de l'article R. 122-17 du code de l'environnement au regard des dispositions de l'article L. 122-4 de ce code, en tant qu'il ne soumet pas les arrêtés-cadres pris au titre de l'article R. 211-67 du code de l'environnement à évaluation environnementale, doit donc être écarté.
13. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 414-4 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'ils sont susceptibles d'affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés, doivent faire l'objet d'une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dénommée ci-après " Evaluation des incidences Natura 2000 " : 1° Les documents de planification qui, sans autoriser par eux-mêmes la réalisation d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations, sont applicables à leur réalisation ; 2° Les programmes ou projets d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations ; 3° Les manifestations et interventions dans le milieu naturel ou le paysage. (...) ".
14. Comme il a été dit au point 12, l'arrêté-cadre contesté vise à préparer les mesures destinées à faire face à une menace ou aux conséquences d'accidents, de sécheresse, d'inondations ou à un risque de pénurie de la ressource en eau en désignant la ou les zones d'alerte, en indiquant les conditions de déclenchement des différents niveaux de gravité et en mentionnant les mesures de restriction temporaire des usages de l'eau. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'un tel arrêté soit susceptible d'affecter les sites Natura 2000 " Rivière le Douron ", " Marais de Mousterlin " et " Rivière Elle " de manière significative au sens de l'article L. 414-4 du code de l'environnement. Le moyen tiré de ce que l'arrêté du 15 février 2022 aurait dû faire l'objet, en vertu de cet article, d'une évaluation de ses incidences au regard des objectifs de conservation de ces sites doit par suite être écarté.
15. En troisième lieu, eu égard à ce qui a été dit aux points 12 et 14, et alors qu'aucune disposition législative ni règlementaire n'imposait que l'arrêté contesté soit précédé d'une évaluation environnementale, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure en l'absence d'une telle évaluation doit être écarté.
S'agissant du moyen tiré de ce que les stations de l'Elorn à Plouedern, de l'Aulne à Châteauneuf-du Faou, de l'Isole à Quimperlé et du Goyen à Pont-Croix retenues comme référence par l'arrêté contesté ne sont pas représentatives de l'état des cours d'eau de la zone d'alerte :
16. L'article 3 de l'arrêté contesté définit les sept stations de référence permettant de déterminer, de manière exclusive, l'atteinte ou le franchissement des seuils par zone d'alerte. A ce titre, s'agissant des zones d'alerte de l'Elorn, de l'Aulne, de la baie de Douarnenez et du sud-Cornouaille - Isole, il retient respectivement les stations de l'Elorn à Plouédern, de l'Aulne à Châteauneuf-du-Faou, du Goyen à Pont-Croix et de l'Isole à Quimperlé. L'association requérante fait valoir que ces stations ne sont pas représentatives de l'état des cours d'eau de la zone d'alerte dans laquelle elles sont implantées. A cet égard, elle soutient que ces quatre stations sont implantées en aval d'une prise d'eau destinée à l'alimentation du réseau d'eau potable, d'une retenue d'eau ou, s'agissant de l'Isole, à proximité d'un bief de moulin, circonstances qui exercent une influence significative sur l'écoulement de l'eau et que ces stations ne rendent ainsi pas compte de l'écoulement naturel de ces cours d'eau. Toutefois, les éléments produits ne permettent pas de le démontrer alors que le ministre fait valoir que les stations hydrométriques constituent le réseau de vigilance Vigicrues ayant permis une collecte de données pertinentes pour assurer un mesurage des débits d'étiage des cours d'eau dans le département et que le déplacement de ces stations rendrait impossible tout travail statistique sur les nouvelles données mesurées. Par ailleurs, s'agissant des stations de référence de l'Elorn à Plouédern, de l'Aulne à Châteauneuf-du-Faou et de l'Isole à Quimperlé, il ressort des pièces du dossier que ces points ont été retenus comme références par le schéma directeur de gestion des eaux (SDAGE) Loire-Bretagne et que les seuils de gestion de crise définis pour ces stations sont en adéquation avec ceux retenus par l'arrêté contesté. Dans ces conditions, le moyen doit être écarté.
S'agissant des moyens dirigés contre l'article 5 de l'arrêté contesté :
17. L'arrêté contesté prévoit en son article 5 que : " Les mesures de restriction applicables en cas de vigilance, alerte, alerte renforcée ou crise sont listées en annexe 3 du présent arrêté. Le préfet peut adapter la liste et le contenu de ces mesures en fonction des circonstances hydrologiques et météorologiques et de la période de l'année ".
18. En premier lieu, l'association requérante fait valoir que le recours exclusif aux données météorologiques prévu par l'article 5 de l'arrêté en litige n'est pas suffisant pour apprécier la situation et que ces données doivent être contextualisées avec le paramètre d'évapotranspiration par les plantes. Toutefois, d'une part, les pièces du dossier ne permettent pas de démontrer que les données météorologiques, qui sont établies en fonction d'un recueil de données de phénomènes météorologiques sur de nombreuses années et permettent ainsi des modélisations précises et des calculs de probabilités pertinentes, ne seraient pas suffisantes pour apprécier la réalité de la situation. D'autre part, il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que l'évapotranspiration par les plantes pourrait constituer une donnée pertinente pour définir les mesures de restriction applicables. Le moyen doit donc être écarté.
19. En deuxième lieu, si l'arrêté cadre a pour but de préparer les mesures à prendre et d'organiser la gestion de crise en période de sécheresse en désignant la ou les zones d'alerte, en indiquant les conditions de déclenchement des différents niveaux de gravité et en mentionnant les mesures de restriction à mettre en œuvre par usage, sous-catégorie d'usage ou type d'activités en fonction du niveau de gravité ainsi que les usages de l'eau de première nécessité à préserver en priorité et les modalités de prise des décisions de restriction, il ne fait pas obstacle à ce que les mesures prévues puissent être adaptées, lors de la survenue de l'évènement, en fonction des conditions hydrologiques et météorologiques réelles et de la période de l'année. Une telle disposition ne peut être regardée comme portant atteinte au principe même de l'arrêté-cadre contesté. Dans ces conditions, le moyen doit être écarté.
20. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 211-66 du code de l'environnement : " (...) Le préfet peut, à titre exceptionnel, à la demande d'un usager, adapter les mesures de restriction s'appliquant à son usage, dans les conditions définies par l'arrêté cadre en vigueur. Cette décision est alors notifiée à l'intéressé et publiée sur le site internet des services de l'Etat dans le département concerné. " et aux termes de l'article R. 211-67 de ce code, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué, issue du décret n°2021-795 du 23 juin 2021 : " (...) L'arrêté-cadre indique également, le cas échéant, les conditions selon lesquelles le préfet peut, à titre exceptionnel, à la demande d'un usager, adapter les mesures de restriction s'appliquant à son usage. Ces conditions tiennent compte des enjeux économiques spécifiques, de la rareté, des circonstances particulières et de considérations techniques. Elles sont strictement limitées en volume et dans le temps, par le respect des enjeux environnementaux. (...) ".
21. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient aux auteurs de l'arrêté-cadre de définir les conditions dans lesquelles doivent être examinées les demandes d'adaptation des mesures de restriction temporaire des usages de l'eau pouvant être présentées par les usagers, compte tenu notamment " des enjeux économiques spécifiques, de la rareté, des circonstances particulières et de considérations techniques " et en s'assurant que ces dérogations restent " strictement limitées en volume et dans le temps, par le respect des enjeux environnementaux ". En l'espèce, en se bornant à mentionner que le préfet pourra adapter la liste et le contenu de ces mesures en fonction des circonstances hydrologiques et météorologiques et de la période de l'année, l'arrêté contesté ne peut être regardé comme définissant les conditions dans lesquelles le préfet pourra adapter les mesures de restriction telles que prévues par les dispositions citées au point 20. Par ailleurs, l'annexe 3 de l'arrêté en cause se borne à indiquer, pour chaque mesure pouvant être prise, que la demande d'adaptation devra être adressée au service compétent et être argumentée, individuelle ou collective, et mentionne le délai minimum dans lequel cette demande devra être déposée. De tels éléments, qui ne peuvent être regardés comme participant à la définition des conditions de fond dans lesquelles doivent être examinées les demandes d'adaptation des mesures de restriction temporaire des usages de l'eau pouvant être présentées par les usagers, ne satisfont pas non plus aux dispositions énoncées au point 20. En revanche, la circonstance que cette annexe mentionne que, s'agissant des " mesures relatives à la défense incendie et à l'entretien des réseau AEP ", la demande d'adaptation devra comporter une justification des nécessités de service validée par le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale, autorité de police compétence en matière de défense extérieure contre l'incendie, n'a ni pour objet ni pour effet de conduire le préfet à se dessaisir de sa compétence pour autoriser les adaptations sollicitées.
22. Il résulte de tout ce qui précède que l'association Eau et Rivières de Bretagne est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Finistère du 15 février 2022 en tant qu'il ne définit pas les conditions dans lesquelles le préfet peut à titre exceptionnel, à la demande d'un usager, adapter les mesures de restriction s'appliquant à l'usage de l'eau et à l'annulation de la décision implicite de rejet de son recours gracieux dans la même mesure.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
23. Eu égard à ses motifs, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que le préfet du Finistère procède à la modification de l'arrêté contesté s'agissant de la définition des conditions dans lesquelles le préfet peut à titre exceptionnel, à la demande d'un usager, adapter les mesures de restriction s'appliquant à l'usage de l'eau. Par voie de conséquence, il y a lieu d'enjoindre au préfet de procéder à cette modification dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
24. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par l'association Eau et Rivières de Bretagne et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 5 de l'arrêté du préfet du Finistère du 15 février 2022 est annulé en tant qu'il ne définit pas les conditions dans lesquelles le préfet peut à titre exceptionnel, à la demande d'un usager, adapter les mesures de restriction s'appliquant à l'usage de l'eau ainsi que la décision implicite de rejet de recours gracieux dans la même mesure.
Article 2 : Le jugement n° 2203901 du 20 avril 2023 du tribunal administratif de Rennes est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Finistère de procéder à la modification de l'arrêté du 15 février 2022 dans les conditions mentionnées au point 21 dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à l'association Eau et Rivières de Bretagne une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Eau et Rivières de Bretagne, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et au préfet du Finistère.
Délibéré après l'audience du 27 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 avril 2025.
La rapporteure,
A.-M. DUBOST
Le président,
S. DEGOMMIER
Le greffier,
C. GOY La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT01849