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15/04/2025 | FRANCE | N°23NT01851

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 5ème chambre, 15 avril 2025, 23NT01851


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'association Eau et Rivières de Bretagne a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 18 mars 2022 du préfet du Morbihan portant " arrêté cadre sécheresse " ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux.



Par un jugement n° 2204605 du 20 avril 2023, le tribunal administratif de Rennes a annulé la dernière phrase de l'article 16 de l'arrêté contesté selon laquelle " Une absence de réponse aux demandes de d

rogations sous 14 jours à compter du dépôt vaut rejet " et a rejeté le surplus des conclusions de la d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Eau et Rivières de Bretagne a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 18 mars 2022 du préfet du Morbihan portant " arrêté cadre sécheresse " ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux.

Par un jugement n° 2204605 du 20 avril 2023, le tribunal administratif de Rennes a annulé la dernière phrase de l'article 16 de l'arrêté contesté selon laquelle " Une absence de réponse aux demandes de dérogations sous 14 jours à compter du dépôt vaut rejet " et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 21 juin 2023 et 23 juillet 2024, l'association Eau et Rivières de Bretagne, représentée par Me Dubreuil, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 20 avril 2023 en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions à fin d'annulation ;

2°) d'annuler entièrement l'arrêté du 18 mars 2022 du préfet du Morbihan portant arrêté cadre sécheresse ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;

3°) d'enjoindre au préfet du Morbihan de prendre une nouvelle décision dans un délai de six mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'association soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors qu'il est insuffisamment motivé s'agissant de la réponse à l'argumentaire technique développé sur la limite des données météorologiques ;

- l'article R. 122-17 du code de l'environnement est illégal en tant qu'il n'intègre pas les arrêtés-cadre de sécheresse dans la liste des décisions administratives de l'Etat soumises à évaluation des incidences environnementales ;

- l'arrêté contesté devait être soumis à évaluation environnementale dès lors qu'il constitue un plan ou un programme susceptible d'avoir des incidences notables sur l'environnement ;

- l'arrêté contesté devait être soumis à évaluation environnementale dès lors qu'il est susceptible d'avoir des incidences significatives sur des sites classés Natura 2000 ;

- les mesures d'adaptation pouvant être prises par le préfet au titre de l'article 9-2 de l'arrêté contesté, en fonction des circonstances hydrologiques et météorologiques ne sont pas limitées ni conditionnées ; ces mesures ne sont pas proportionnées ; elles confient au préfet un pouvoir discrétionnaire mettant en cause le principe même de l'arrêté ;

- l'article 16 de l'arrêté contesté méconnait les dispositions de l'article R. 211-67 du code de l'environnement dès lors que l'octroi des mesures de dérogation n'est pas encadré ;

- le recours exclusif, par l'article 5 de l'arrêté contesté, aux données météorologiques n'est pas adapté, il doit être contextualisé avec le critère de l'évapotranspiration par les plantes ;

- la mise en place d'un Comité technique des Producteurs d'Eau (CTPE) par l'article 7 de l'arrêté préfectoral a pour effet de rendre subsidiaire le Comité de gestion de la ressource en Eau (CGRE), évacuant ainsi les objectifs de transparence et de concertation entre les différents usages de l'eau en donnant une priorité absolue à l'eau potable, en écartant les principes d'une gestion équilibrée de la ressource en eau et en évacuant l'impératif de bon fonctionnement des milieux aquatiques ;

- les sites de Pont de Cran, de Languidic, de Pleugriffet, de Guénin et d'Arzano ne peuvent servir de référence pour la gestion en période d'étiage.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 mai et 24 juin 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par l'association Eau et Rivières de Bretagne ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2001/42/CE du Parlement et du Conseil européen du 27 juin 2021 ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dubost,

- les conclusions de M. Frank, rapporteur public,

- et les observations de Me Dubreuil, représentant l'association Eau et Rivières de Bretagne.

Une note en délibéré, présentée pour l'association Eau et Rivières de Bretagne, a été enregistrée le 3 avril 2025.

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet du Morbihan a, par un arrêté-cadre du 18 mars 2022, règlementé les usages de l'eau dans le département. L'association Eau et Rivières de Bretagne a formé un recours gracieux contre cet arrêté qui a été implicitement rejeté. L'association a alors demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler ces décisions. Elle relève appel du jugement du 20 avril 2023 par lequel ce tribunal, après avoir annulé la dernière phrase de l'article 8 de cet arrêté, a rejeté le surplus de ses conclusions à fin d'annulation de ces décisions.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

3. Les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments présentés à l'appui des moyens soulevés par l'association requérante, ont indiqué de manière suffisamment précise les motifs pour lesquels ils ont écarté le moyen tiré de ce que la référence aux données météorologiques ne serait pas adaptée pour apprécier les niveaux de gestion de l'eau à mettre en œuvre. Ainsi, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les moyens tirés de l'absence de réalisation d'une évaluation environnementale :

4. D'une part, aux termes de l'article 2 de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement sont, pour son application, des plans et programmes, ceux " (...) : - élaborés et/ou adoptés par une autorité au niveau national, régional ou local ou élaborés par une autorité en vue de leur adoption par le parlement ou par le gouvernement, par le biais d'une procédure législative, et - exigés par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives (...) ". L'article 3 prévoit qu'une évaluation environnementale, qui doit, selon l'article 4, être effectuée " pendant l'élaboration du plan ou du programme et avant qu'il ne soit adopté ou soumis à la procédure législative ", est nécessaire " 2. pour tous les plans et programmes: a) qui sont élaborés pour les secteurs de l'agriculture, de la sylviculture, de la pêche, de l'énergie, de l'industrie, des transports, de la gestion des déchets, de la gestion de l'eau, des télécommunications, du tourisme, de l'aménagement du territoire urbain et rural ou de l'affectation des sols et qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre des projets énumérés aux annexes I et II de la directive 85/337/CEE pourra être autorisée à l'avenir ; ou b) pour lesquels, étant donné les incidences qu'ils sont susceptibles d'avoir sur des sites, une évaluation est requise en vertu des articles 6 et 7 de la directive 92/43/CEE. (...) 4. Pour les plans et programmes, autres que ceux visés au paragraphe 2, qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre des projets pourra être autorisée à l'avenir, les Etats membres déterminent s'ils sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ".

5. Dans l'hypothèse où une évaluation environnementale est requise, il résulte de l'article 5 de cette directive qu'un rapport sur les incidences environnementales doit être élaboré, devant notamment identifier, décrire et évaluer les incidences notables probables de la mise en œuvre du plan ou du programme. Ce rapport ainsi que le projet de plan ou programme doivent, en vertu de l'article 6 de la directive, être mis à la disposition du public et soumis à la consultation des autorités, désignées par les Etats membres, " qui, étant donné leur responsabilité spécifique en matière d'environnement, sont susceptibles d'être concernées par les incidences environnementales de la mise en œuvre de plans et de programmes ". L'article 8 de la directive prévoit que le rapport prévu à l'article 5 et les avis exprimés en vertu de l'article 6 sont pris en considération pendant l'élaboration du plan ou programme concerné et avant que ceux-ci ne soient adoptés ou soumis à la procédure législative. Lors de leur adoption, les Etats membres doivent, conformément à l'article 9 de la directive, veiller à ce que les autorités visées à l'article 6 ainsi que le public soient informés et que soient notamment mis à leur disposition le plan ou programme tel qu'il a été adopté. Enfin, les Etats membres assurent, en vertu de l'article 10 de la directive, le suivi des incidences notables sur l'environnement de la mise en œuvre des plans et programmes.

6. Selon l'article L. 122-4 du code de l'environnement : " (...) II. - Font l'objet d'une évaluation environnementale systématique : / 1° Les plans et programmes qui sont élaborés dans les domaines de l'agriculture, de la sylviculture, de la pêche, de l'énergie, de l'industrie, des transports, de la gestion des déchets, de la gestion de l'eau, des télécommunications, du tourisme ou de l'aménagement du territoire et qui définissent le cadre dans lequel les projets mentionnés à l'article L. 122-1 pourront être autorisés ; (...) / III. - Font l'objet d'une évaluation environnementale systématique ou après examen au cas par cas par l'autorité environnementale : / 1° Les plans et programmes mentionnés au II qui portent sur des territoires de faible superficie s'ils sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ; / 2° Les plans et programmes, autres que ceux mentionnés au II, qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre de projets pourra être autorisée si ces plans sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement (...) ". L'article L. 122-5 du même code prévoit qu'un décret en Conseil d'Etat précise notamment " 1° La liste des plans et programmes soumis à évaluation environnementale de manière systématique ou à un examen au cas par cas, en application des II et III de l'article L. 122-4 et les conditions de son actualisation annuelle ; / 2° Les conditions dans lesquelles, lorsqu'un plan ou programme relève du champ du II ou du III de l'article L. 122-4 mais ne figure pas sur la liste établie en application du 1°, le ministre chargé de l'environnement décide, pour une durée n'excédant pas un an, de le soumettre à évaluation environnementale systématique ou à examen au cas par cas (...) ".

7. Pour l'application de ces dispositions, l'article R. 122-17 du même code fixe la liste de plans, schémas, programmes et autres documents de planification devant systématiquement ou à la suite d'un examen au cas par cas faire l'objet d'une évaluation environnementale au titre du II et du III de l'article L. 122-4 précité. Il précise que " Lorsqu'un plan ou un programme relevant du champ du II ou du III de l'article L. 122-4 ne figure pas dans les listes établies en application du présent article, le ministre chargé de l'environnement, de sa propre initiative ou sur demande de l'autorité responsable de l'élaboration du projet de plan ou de programme, conduit un examen afin de déterminer si ce plan ou ce programme relève du champ de l'évaluation environnementale systématique ou d'un examen au cas par cas, en application des dispositions du IV de l'article L. 122-4. / L'arrêté du ministre chargé de l'environnement soumettant un plan ou un programme à évaluation environnementale systématique ou après examen au cas par cas est publié au Journal officiel de la République française et mis en ligne sur le site internet du ministère chargé de l'environnement. (...) ".

8. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans ses arrêts du 27 octobre 2016, D'Oultremont e.a. (C 290/15), du 7 juin 2018, Inter-Environnement Bruxelles e.a. (C 671/16), du 12 juin 2019, Terre Wallonne (C-321/18) et du 25 juin 2020 A. e.a (Éoliennes à Aalter et à Nevele) (C-24/19), la notion de " plans et programmes " soumis à évaluation environnementale en application du paragraphe 2 de l'article 3 de la directive 2001/42/CE se rapporte à tout acte qui établit, en définissant des règles et des procédures, un ensemble significatif de critères et de modalités pour l'autorisation et la mise en œuvre d'un ou de plusieurs projets, mentionnés par la directive 2011/92/UE, susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement. Sont également soumis à évaluation environnementale les plans et programmes mentionnés au paragraphe 4 de l'article 3, qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre d'autres projets pourra être autorisée à l'avenir, lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement.

9. D'autre part, aux termes de l'article L. 211-2 du code de l'environnement : " I. - Les règles générales de préservation de la qualité et de répartition des eaux superficielles, souterraines et des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales sont déterminées par décret en Conseil d'Etat. (...). " Aux termes de l'article L. 211-3 de ce code dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " I. - En complément des règles générales mentionnées à l'article L. 211-2, des prescriptions nationales ou particulières à certaines parties du territoire sont fixées par décret en Conseil d'Etat afin d'assurer la protection des principes mentionnés à l'article L. 211-1. II. - Ces décrets déterminent en particulier les conditions dans lesquelles l'autorité administrative peut : 1° Prendre des mesures de limitation ou de suspension provisoire des usages de l'eau, pour faire face à une menace ou aux conséquences d'accidents, de sécheresse, d'inondations ou à un risque de pénurie ; (...) ". Aux termes de l'article R. 211-66 du même code : " Les mesures générales ou particulières prévues par le 1° du II de l'article L. 211-3 pour faire face à une menace ou aux conséquences d'accidents, de sécheresse, d'inondations ou à un risque de pénurie sont prescrites par arrêté du préfet du département dit arrêté de restriction temporaire des usages de l'eau. Elles peuvent imposer la communication d'informations sur les prélèvements selon une fréquence adaptée au besoin de suivi de la situation. Elles peuvent aussi imposer des opérations de stockage ou de déstockage de l'eau. Dans ce cas, l'arrêté imposant l'opération est porté à la connaissance de l'exploitant par tous moyens adaptés aux circonstances. Ces mesures, proportionnées au but recherché, ne peuvent être prescrites que pour une période limitée, éventuellement renouvelable. Dès lors que les conditions d'écoulement ou d'approvisionnement en eau redeviennent normales, il est mis fin, s'il y a lieu graduellement, aux mesures prescrites. Celles-ci ne font pas obstacle aux facultés d'indemnisation ouvertes par les droits en vigueur. Concernant les situations de sécheresse, les mesures sont graduées selon les quatre niveaux de gravité suivants : vigilance, alerte, alerte renforcée et crise. Ces niveaux sont liés à des conditions de déclenchement caractérisées par des points de surveillance et des indicateurs relatifs à l'état de la ressource en eau. (...) " et aux termes de l'article R. 211-67 de ce code : " (...) II.- Afin de préparer les mesures à prendre et d'organiser la gestion de crise en période de sécheresse, le préfet prend un arrêté, dit arrêté-cadre, désignant la ou les zones d'alerte, indiquant les conditions de déclenchement des différents niveaux de gravité et mentionnant les mesures de restriction à mettre en œuvre par usage, sous-catégorie d'usage ou type d'activités en fonction du niveau de gravité ainsi que les usages de l'eau de première nécessité à préserver en priorité et les modalités de prise des décisions de restriction. (...) ". Aucune disposition législative ni règlementaire ne soumet ces arrêtés pris en application des dispositions des articles R. 211-66 et R. 211-67 du code de l'environnement, à une évaluation environnementale.

10. En premier lieu, les arrêtés-cadres pris en application des dispositions citées au point précédent visent à préparer les mesures destinées à faire face à une menace ou aux conséquences d'accidents, de sécheresse, d'inondations ou à un risque de pénurie de la ressource en eau en désignant la ou les zones d'alerte, en indiquant les conditions de déclenchement des différents niveaux de gravité et en mentionnant les mesures de restriction temporaire des usages de l'eau pouvant être mises en œuvre. Ces arrêtés n'ont ainsi ni pour objet ni pour effet de définir le cadre de mise en œuvre de travaux ou projets et ne sont donc pas au nombre des plans et programmes au sens de l'article L. 122-4 du code de l'environnement, pris pour la transposition de l'article 3 de la directive 2001/42/CE, qui doivent être soumis à une évaluation environnementale préalable. Le moyen tiré de l'exception d'illégalité de l'article R. 122-17 du code de l'environnement au regard des dispositions de l'article L. 122-4 de ce code, en tant qu'il ne soumet pas les arrêtés-cadres pris au titre de l'article R. 211-67 du code de l'environnement à évaluation environnementale, doit donc être écarté.

11. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 414-4 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'ils sont susceptibles d'affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés, doivent faire l'objet d'une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dénommée ci-après " Evaluation des incidences Natura 2000 " : 1° Les documents de planification qui, sans autoriser par eux-mêmes la réalisation d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations, sont applicables à leur réalisation ; 2° Les programmes ou projets d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations ; 3° Les manifestations et interventions dans le milieu naturel ou le paysage. (...) ".

12. Comme il a été dit au point 10 du présent arrêt, l'arrêté-cadre contesté vise à préparer les mesures destinées à faire face à une menace ou aux conséquences d'accidents, de sécheresse, d'inondations ou à un risque de pénurie de la ressource en eau en désignant la ou les zones d'alerte, en indiquant les conditions de déclenchement des différents niveaux de gravité et en mentionnant les mesures de restriction temporaire des usages de l'eau. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'un tel arrêté soit susceptible d'affecter les sites Natura 2000 du " Massif dunaire Gâvres Quiberon et zones humides associées ", " Rivière Scorff, Forêt de Pont Calleck, Rivière Sarre " et " Rivière de Penerf, Marais de Suscinio " de manière significative au sens de l'article L. 414-4 du code de l'environnement. Le moyen tiré de ce que l'arrêté du 18 mars 2022 aurait dû faire l'objet, en vertu de cet article, d'une évaluation de ses incidences au regard des objectifs de conservation de ces sites doit par suite être écarté.

13. En troisième lieu, eu égard à ce qui a été dit aux points 10 et 12, et alors qu'aucune disposition législative ni règlementaire n'imposait que l'arrêté contesté soit précédé d'une évaluation environnementale, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure en l'absence d'une telle évaluation doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de ce que le critère des données météorologiques défini par l'article 5 de l'arrêté contesté est insuffisant :

14. L'association requérante fait valoir que le recours exclusif aux données météorologiques prévu par l'article 5 de l'arrêté en litige n'est pas suffisant pour apprécier la situation et que ces données doivent être contextualisées avec le paramètre d'évapotranspiration par les plantes. Toutefois, d'une part, les pièces du dossier ne permettent pas de démontrer que les données météorologiques, qui sont établies en fonction d'un recueil de données de phénomènes météorologiques sur de nombreuses années et permettent ainsi des modélisations précises et des calculs de probabilités pertinentes, ne seraient pas suffisantes pour apprécier la réalité de la situation. D'autre part, il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que l'évapotranspiration par les plantes pourrait constituer une donnée pertinente pour définir les mesures de restriction applicables. Le moyen doit donc être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'illégalité de l'article 7 de l'arrêté contesté :

15. L'article 7 de l'arrêté contesté, relatif à la " Gouvernance " prévoit la mise en place d'un comité de gestion de la ressource en eau (CGRE), instance de débat et de décision qui se réunit à l'initiative du préfet, dès lors que le niveau de vigilance est atteint. Il peut être saisi pour donner des avis sur ces mesures de limitation et d'interdiction provisoire des usages de l'eau ainsi que pour la levée des restrictions. Ce même article 7 institue par ailleurs un comité technique des producteurs d'eau (CTPE), réunit, sous l'égide de la mission interservice de l'eau et de la nature, les personnes responsables de la production d'eau potable participant ou bénéficiant de la sécurisation départementale ainsi que la direction départementale des territoires et l'agence régionale de santé. Il ressort par ailleurs de l'arrêté en cause que le CTPE est ainsi consulté seulement en cas d'alerte sur un point de suivi de la zone interconnectée relative aux eaux destinées à la consommation humaine, qu'il lui appartient alors de procéder à l'analyse multicritères de la situation et d'évaluer l'impact sur le maintien du service d'eau potable dans cette zone interconnectée. D'une part, le préfet était fondé, au titre de son pouvoir général d'organisation des services à prendre toute mesure nécessaire au bon fonctionnement de l'administration placée sous son autorité et, à ce titre, à mettre en place un comité destiné à le conseiller en cas d'alerte sur un point de suivi de la zone interconnectée relative aux eaux destinées à la consommation humaine. D'autre part, si ce comité technique peut proposer au préfet des restrictions des usages de l'eau, le préfet conserve son pouvoir de décision. Enfin, il ne ressort pas de l'arrêté contesté que ce comité constituerait une instance ayant vocation à se substituer au CGRE. Le moyen doit donc être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'illégalité de l'article 8 de l'arrêté contesté s'agissant des stations de référence :

16. L'article 8 de l'arrêté du 18 mars 2022 fixe les stations de référence pour chaque zone de gestion qu'il définit. A cet égard, il indique que pour les zones de gestion de la Vilaine aval, de l'Oust amont, de l'Evel jusqu'à la confluence du Blavet, du Blavet aval et de l'Elle, il y a lieu de retenir respectivement les stations de la Vilaine à Pont de Cran, de l'Oust à Pleugriffet, de l'Evel à Guénin, du Blavet à Languidic et de l'Elle à Arzano. Si l'association requérante fait valoir que ces stations sont inadaptées pour servir de référence au sein d'une zone de gestion, les éléments produits ne permettent pas de le démontrer alors que le préfet fait valoir que les stations hydrométriques font l'objet d'un suivi par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement et que leurs données sont confrontées aux informations recueillies par les piézomètres du bureau de recherche géologique et minière ainsi que par le réseau de l'observatoire national des étiages (ONDE) de l'office français de la biodiversité. Par ailleurs, il ressort de l'arrêté contesté que s'agissant de la station de référence de la Vilaine à Pont de Cran, les données de celle-ci bénéficieront d'un " appui ONDE " sur les ruisseaux de Kersempé et de la Bouloterie. Le moyen doit donc être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de ce que les mesures d'adaptation prévues par l'article 9-2 de l'arrêté contesté ne sont pas limitées ni conditionnées :

17. L'arrêté contesté prévoit en son article 9-2 que : " le préfet peut adapter la liste et le contenu des mesures de l'article 11 en fonction des circonstances hydrologiques et météorologiques et de la période de l'année ".

18. Si l'arrêté cadre a pour but de préparer les mesures à prendre et d'organiser la gestion de crise en période de sécheresse en désignant la ou les zones d'alerte, en indiquant les conditions de déclenchement des différents niveaux de gravité et en mentionnant les mesures de restriction à mettre en œuvre par usage, sous-catégorie d'usage ou type d'activités en fonction du niveau de gravité ainsi que les usages de l'eau de première nécessité à préserver en priorité et les modalités de prise des décisions de restriction, il ne fait pas obstacle à ce que les mesures prévues puissent être adaptées, lors de la survenue de l'évènement, en fonction des conditions hydrologiques et météorologiques réelles et de la période de l'année. Une telle disposition ne peut être regardée comme portant atteinte au principe même de l'arrêté-cadre contesté. Dans ces conditions, le moyen doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de ce que l'article 16 de l'arrêté du 18 mars 2022 méconnait les dispositions de l'article R. 211-67 du code de l'environnement :

19. Aux termes de l'article R. 211-66 du code de l'environnement : " (...) Le préfet peut, à titre exceptionnel, à la demande d'un usager, adapter les mesures de restriction s'appliquant à son usage, dans les conditions définies par l'arrêté cadre en vigueur. Cette décision est alors notifiée à l'intéressé et publiée sur le site internet des services de l'Etat dans le département concerné. " et aux termes de l'article R. 211-67 de ce code, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué, issue du décret n°2021-795 du 23 juin 2021 : " (...) L'arrêté-cadre indique également, le cas échéant, les conditions selon lesquelles le préfet peut, à titre exceptionnel, à la demande d'un usager, adapter les mesures de restriction s'appliquant à son usage. Ces conditions tiennent compte des enjeux économiques spécifiques, de la rareté, des circonstances particulières et de considérations techniques. Elles sont strictement limitées en volume et dans le temps, par le respect des enjeux environnementaux. (...) ".

20. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient aux auteurs de l'arrêté-cadre de définir les conditions dans lesquelles doivent être examinées les demandes d'adaptation des mesures de restriction temporaire des usages de l'eau pouvant être présentées par les usagers, compte tenu notamment " des enjeux économiques spécifiques, de la rareté, des circonstances particulières et de considérations techniques " et en s'assurant que ces dérogations restent " strictement limitées en volume et dans le temps, par le respect des enjeux environnementaux ". En l'espèce, en se bornant à mentionner que le préfet pourra exceptionnellement accorder des dérogations au cas par cas, si la situation le justifie et sous réserve de disponibilité de la ressource, et à indiquer les éléments devant être précisés dans la demande de dérogation, l'arrêté contesté ne peut être regardé comme indiquant les conditions dans lesquelles le préfet pourra adapter les mesures de restriction telles que prévues par les dispositions précitées.

21. Il résulte de tout ce qui précède que l'association Eau et Rivières de Bretagne est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Morbihan du 18 mars 2022 en tant qu'il ne définit pas les conditions dans lesquelles le préfet peut à titre exceptionnel, à la demande d'un usager, adapter les mesures de restriction s'appliquant à l'usage de l'eau et à l'annulation de la décision implicite de rejet de son recours gracieux dans la même mesure.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

22. Eu égard à ses motifs, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que le préfet du Morbihan procède à la modification de l'arrêté contesté s'agissant de la définition des conditions dans lesquelles le préfet peut à titre exceptionnel, à la demande d'un usager, adapter les mesures de restriction s'appliquant à l'usage de l'eau. Par voie de conséquence, il y a lieu d'enjoindre au préfet de procéder à cette modification dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

23. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par l'association Eau et Rivières de Bretagne et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 16 de l'arrêté du préfet du Morbihan du 18 mars 2022 est annulé en tant qu'il ne définit pas les conditions dans lesquelles le préfet peut à titre exceptionnel, à la demande d'un usager, adapter les mesures de restriction s'appliquant à l'usage de l'eau ainsi que la décision implicite de rejet de recours gracieux dans la même mesure.

Article 2 : Le jugement n° 2204605 du 20 avril 2023 du tribunal administratif de Rennes est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Morbihan de procéder à la modification de l'arrêté du 18 mars 2022 dans les conditions mentionnées au point 22 dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à l'association Eau et Rivières de Bretagne une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Eau et Rivières de Bretagne, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et au préfet du Morbihan.

Délibéré après l'audience du 27 mars 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président-assesseur,

- Mme Dubost, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 avril 2025.

La rapporteure,

A.-M. DUBOST

Le président,

S. DEGOMMIER

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01851


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01851
Date de la décision : 15/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: Mme Anne-Maude DUBOST
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : DUBREUIL

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-15;23nt01851 ?
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