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15/04/2025 | FRANCE | N°24NT00586

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 5ème chambre, 15 avril 2025, 24NT00586


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... E... D... et Mme B... C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 29 novembre 2022 de l'autorité consulaire française à Téhéran (Iran) refusant de délivrer à Mme C... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.



Par un jugement n

° 2303578 du 10 novembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.



Pro...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E... D... et Mme B... C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 29 novembre 2022 de l'autorité consulaire française à Téhéran (Iran) refusant de délivrer à Mme C... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2303578 du 10 novembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 26 février 2024, M. A... E... D... et Mme B... C..., représentés par Me Régent, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 10 novembre 2023 ;

2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Les requérants soutiennent que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que les premiers juges ont dénaturé les pièces du dossier ;

- l'identité et le lien marital ou, à tout le moins, la relation de concubinage sont établis par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 avril 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Le ministre soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés et se réfère à son mémoire de première instance dont il produit une copie.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (25 %) par une décision du 31 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dubost,

- et les observations de Me Régent, représentant M. D... et Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant afghan né le 12 septembre 1990, a été admis au bénéfice de la protection subsidiaire par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 29 novembre 2019. Mme C..., ressortissante afghane née le 27 novembre 1992, qu'il présente comme son épouse, a déposé une demande de visa de long séjour au titre de la réunification familiale auprès de l'autorité consulaire française à Téhéran, qui a rejeté cette demande par une décision du 29 novembre 2022. Le recours formé contre ce refus consulaire devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision implicite née du silence gardé par ladite commission pendant plus deux mois. M. D... et Mme C... ont alors demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette décision. Ils relèvent appel du jugement du 10 novembre 2023 de ce tribunal rejetant leur demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Eu égard à l'office du juge d'appel, qui est appelé à statuer, d'une part, sur la régularité de la décision des premiers juges et, d'autre part, sur le litige qui a été porté devant eux, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait dénaturé les pièces du dossier en estimant que ni le lien matrimonial ni la situation de concubinage n'étaient établis, qui tend en réalité à remettre en cause l'appréciation des premiers juges, ne peut être utilement soulevé à l'appui d'une contestation de la régularité du jugement attaqué.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter le recours formé à l'encontre de la décision des autorités consulaires françaises à Téhéran, sur la circonstance que la demandeuse de visa n'a pas justifié de son identité et de sa situation de famille, les documents produits n'étant pas probants.

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; (...) ". Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. " Aux termes de l'article L. 561-5 dudit code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne bénéficiaire de la protection subsidiaire ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.

5. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

6. Pour justifier de leur lien matrimonial, les requérants produisent une attestation de l'imam ayant célébré leur union le 16 août 2018 ainsi que l'acte de mariage dressé par les autorités afghanes le 6 juin 2021. Toutefois, d'une part l'attestation précitée de l'imam ne comporte ni le nom des époux ni même le lieu de la célébration du mariage et d'autre part, bien que l'union ait été célébrée au Pakistan, l'acte de mariage du 6 juin 2021 a été dressé par les autorités afghanes, sur les déclarations de Mme C... et de deux confesseurs dont il n'est pas démontré qu'ils auraient assisté à l'union des requérants. En outre, le lieu de l'union n'est pas non plus mentionné sur cet acte. Les documents produits ne peuvent donc être regardés comme établissant l'union matrimoniale des requérants le 16 août 2018 alors au surplus que M. D... n'a pas déclaré Mme C... comme son épouse dans sa fiche familiale de référence. Par ailleurs, M. D... et Mme C... font valoir qu'ils entretenaient une situation de concubinage stable et continue à la date de la demande d'asile de M. C..., le 7 juin 2019. Il ressort du compte rendu de l'entretien réalisé le 17 juillet 2019 au cours de l'instruction de la demande d'asile de M. D... que celui-ci a présenté Mme C... comme sa concubine avec laquelle il entretenait une relation sentimentale secrète ayant conduit à leur fuite hors d'Afghanistan à l'été 2018 en raison de l'hostilité de leurs familles à leur union. Toutefois, il ressort également de la décision de l'OFPRA accordant le bénéfice de la protection subsidiaire à M. D... que ce dernier " a rendu compte de sa relation amoureuse et clandestine alléguée en des termes particulièrement sommaires et dépourvus de dimension individuelle, notamment quant aux circonstances initiales de sa liaison et aux mesures de protection qu'il aurait adopté afin de la dissimuler ". Par ailleurs, il ressort également des déclarations de M. D... au cours de l'entretien d'asile qu'ayant quitté l'Afghanistan au cours de l'été 2018 pour le Pakistan, il y aurait séjourné un mois avant de se rendre en Iran puis en Turquie, en Grèce et en France. Ainsi, et alors que les requérants indiquent s'être séparés à l'issue de leur séjour au Pakistan, il ressort des déclarations de M. D... qu'ils ne sont restés ensemble qu'un mois au Pakistan, ce qui ne suffit pas à établir le caractère suffisamment stable et continu de la situation de concubinage alléguée à la date de la demande d'asile. Enfin les éléments présentés pour établir le lien familial par la possession d'état, qui consistent en des preuves de versements d'argent, de conversations téléphoniques et des photos des intéressés, qui sont postérieurs à la décision contestée, ne permettent pas de le démontrer. Dans ces conditions, en estimant que le lien familial de Mme C... avec M. D... n'était pas établi, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France, qui aurait pris la même décision en se fondant sur ce seul motif, n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

8. Dès lors, comme il a été dit au point 6, que le lien matrimonial n'est pas établi, pas plus que l'existence d'une relation de concubinage stable et continue, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées ne peut qu'être écarté.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

10. Si les requérants produisent des éléments tendant à établir les risques pesant de manière générale sur les femmes en Afghanistan, ils n'apportent pas d'éléments suffisamment précis et circonstanciés caractérisant la réalité et l'actualité du risque à l'égard de Mme C.... Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

12. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par les requérants, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction sous astreinte présentées par M. D... et Mme C... doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par le conseil de M. D... et Mme C... en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. D... et de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E... D..., à Mme B... C... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 27 mars 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président-assesseur,

- Mme Dubost, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 avril 2025.

La rapporteure,

A.-M. DUBOST

Le président,

S. DEGOMMIERLa présidente,

C. BUFFET

Le greffier,

C. GOY

La greffière,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT00586


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT00586
Date de la décision : 15/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: Mme Anne-Maude DUBOST
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : REGENT

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-15;24nt00586 ?
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