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04/06/2019 | FRANCE | N°16PA00131

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 04 juin 2019, 16PA00131


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Compagnie parisienne de chauffage urbain (CPCU) a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner les sociétés Ginger Cebtp, Catema, Darnaud Gta, ainsi que la ville de Paris à l'indemniser des préjudices causés par les fautes commises dans le cadre de l'exécution de contrats relatifs à la réalisation d'une chambre de purge et de sectionnement dans le secteur de la rue des Ardennes et du quai de la Marne dans le 19ème arrondissement à Paris, qui sont à l'origine de l'ennoiement de cet ouvrage

. La société Darnaud Gta a demandé la condamnation du responsable du sinis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Compagnie parisienne de chauffage urbain (CPCU) a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner les sociétés Ginger Cebtp, Catema, Darnaud Gta, ainsi que la ville de Paris à l'indemniser des préjudices causés par les fautes commises dans le cadre de l'exécution de contrats relatifs à la réalisation d'une chambre de purge et de sectionnement dans le secteur de la rue des Ardennes et du quai de la Marne dans le 19ème arrondissement à Paris, qui sont à l'origine de l'ennoiement de cet ouvrage. La société Darnaud Gta a demandé la condamnation du responsable du sinistre à lui verser la somme de 9 920 euros hors taxe en réparation des préjudices liés à ses interventions en réparation et en mesures conservatoires.

Par un jugement n° 1411829/5-2 du 12 novembre 2015, le Tribunal administratif de Paris a mis hors de cause la ville de Paris et a condamné les sociétés Catema, Ginger Cebtp et Darnaud Gta à verser à la société CPCU, respectivement, les sommes de 2 140 744,89 euros, 891 977,038 euros et 535 186,22 euros, et les sociétés Catema et Ginger Cebtp à verser à la société Darnaud Gta, respectivement, les sommes de 5 992 euros et 2 480 euros.

Procédure devant la Cour :

Par une requête sommaire et des mémoires, enregistrés les 12 janvier 2016, 26 février 2016, 7 octobre 2016 et 6 mai 2019, la société Catema, représentée par Me D...J...a demandé à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1411829/5-2

du 12 novembre 2015 ;

2°) à titre principal, de rejeter les demandes présentées à son encontre ;

3°) à titre subsidiaire, de réformer le jugement du tribunal administratif et de s'en tenir à la part de responsabilité déterminée par l'expert en limitant sa part de responsabilité à 25 % et en ramenant à 2 539 491,49 euros l'indemnité due à la société CPCU ;

4°) de condamner les responsables du sinistre à lui verser une indemnité de 90 996,76 euros ;

5°) de lui allouer la somme de 9 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- son appel est recevable, dès lors que l'acquiescement aux faits prévu par les dispositions énoncées par l'article 612-6 du code de justice administrative ne vaut que pour l'instance engagée devant le tribunal administratif ;

- elle n'est pas responsable du sinistre dès lors qu'elle n'a aucune qualification particulière dans le domaine géotechnique, que le pompage extérieur prévu dans sa méthodologie a bien été effectué, que le défaut de pompage adéquat n'a pas été signalé par la maîtrise d'oeuvre, qu'elle a bien assuré sa mission d'étude et de suivi géotechnique d'exécution et qu'elle a transmis à la société Ginger Cebtp, en charge de la mission de supervision géotechnique d'exécution, les documents lui permettant d'exercer son contrôle ;

- la solution proposée par elle a été validée par la société CPCU, maître d'ouvrage, la société Darnaud Gta, maître d'oeuvre, et la société Ginger Cebtp ;

- l'absence d'étanchéité du canal de l'Ourcq ayant contribué au sinistre, la ville de Paris, propriétaire du canal et responsable de son entretien, doit être considérée comme responsable, sa part de responsabilité devant être fixée au minimum à 50 % ;

- la société CPCU a contribué à la réalisation du dommage dès lors qu'elle est un professionnel averti, qu'elle participait aux réunions de chantier et, à supposer qu'il n'y ait pas eu de pompage extérieur à la fouille, qu'elle n'en a pas relevé la nécessité ;

- elle aurait dû vérifier que l'effet de renard hydraulique avait été pris en compte lors de la phase de conception de l'ouvrage ;

- elle a refusé de mettre en oeuvre la méthode des pieux séquents ;

- la société Ingevalor est responsable dès lors qu'elle a choisi l'implantation du projet et aurait dû proposer une méthodologie susceptible d'être mise en oeuvre en pratique ;

- la société Ginger Cebtp est responsable dès lors qu'elle a considéré que l'étanchéité du canal avait été refaite dix ans auparavant et qu'elle a validé la méthode de réalisation de la chambre de purge par blindage métallique coulissant ;

- la société Darnaud Gta est responsable dès lors qu'elle aurait dû alerter les acteurs du chantier d'un danger aussi évident ;

- les préjudices invoqués par la ville de Paris et la société CPCU sont pour partie injustifiés.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 30 août 2016 et 7 mai 2019, la société CPCU, représentée par MeH..., a conclu à la confirmation en tous points du jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1411829/5-2 du 12 novembre 2015, au rejet des demandes des parties dirigées à son encontre et à ce que soit mise à la charge des sociétés Catema, Ginger Cebtp, Darnaud GTA et le cas échéant de la ville de Paris, la somme de 25 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la société Catema, défendeur en première instance, qui n'a pas produit d'observations et a été considérée en conséquence comme ayant acquiescé aux faits allégués, est irrecevable à contester l'engagement de sa responsabilité ;

- l'expertise judiciaire ordonnée par le Tribunal administratif de Paris, précisée par la Cour administrative d'appel de Paris, est opposable à la société Darnaud Gta, car l'expert n'a pas excédé le cadre de sa mission, telle qu'elle lui a été judiciairement confiée, et n'a pas été établie au terme d'une procédure irrégulière ;

- elle n'est pas responsable du sinistre ;

- toutes les sommes réclamées par elle sont en lien avec le sinistre.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 20 septembre 2016 et 2 janvier 2017, la société Ingevalor, représentée par MeI..., a conclu au rejet des demandes formulées par les autres parties à son encontre et à ce que lui soit alloué la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'est intervenue qu'en phase avant-projet et n'est plus intervenue sur la maîtrise d'oeuvre de la chambre de purge et n'a plus établi le moindre document au sujet de cette opération à compter du 8 novembre 2010, date à laquelle la société Darnaud GTA, maître d'oeuvre d'exécution, a pris la suite ;

- sa responsabilité ne peut pas être engagée dès lors que la solution proposée dans le cadre de sa mission de maîtrise d'oeuvre de conception n'a pas été retenue et qu'elle n'avait pas à se prononcer sur la faisabilité de la solution de soutènement par blindage métallique, dès lors que cette solution a été présentée par la société Catema en avril 2011, soit après la fin de sa mission de maîtrise d'oeuvre de conception relative à cette opération.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 septembre 2016, la société Ginger Cebtp, représentée par MeC..., a demandé à la Cour :

1°) à titre principal, de réformer le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1411829/5-2 du 12 novembre 2015 en tant qu'il l'a condamnée à verser à la société CPCU la somme de 891 977,04 euros, et à la société Darnaud Gta la somme de 2 480 euros, plus la somme de 1 500 euros à la société CPCU au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rejeter les demandes formulées par les autres parties à son encontre ;

3°) à titre subsidiaire, de réduire le montant des préjudices mis à sa charge, de rejeter les demandes de la société CPCU qui ne sont pas suffisamment justifiées, et de condamner les sociétés Catema, Darnaud Gta, Ingevalor, CPCU et la ville de Paris, solidairement ou à défaut in solidum, à la garantir ;

4°) de mettre à la charge de la société CPCU la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, elle n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité dès lors qu'elle a alerté les entreprises du risque de renard pendant la phase d'exécution ;

- elle n'a pas commis de faute en indiquant que l'étanchéité du canal avait été refaite dix ans auparavant, qu'il revenait à la société CPCU de s'assurer de l'étanchéité du canal et qu'elle n'avait pas à remettre en question les plans fournis par la ville de Paris mentionnant l'imperméabilisation du canal ;

- la mission de supervision géotechnique d'exécution qui lui a été confiée par la société CPCU ne comprenant pas la direction et le contrôle de l'exécution des travaux, elle n'avait pas à vérifier la réalité de la mise en oeuvre de ses préconisations sur le chantier, et a correctement conseillé le maître d'oeuvre conformément à sa mission ;

- elle a suivi le risque de renard en mentionnant dans chacun des rapports G4 les venues d'eau et la stabilité de la fouille, et elle a toujours refusé de valider la méthodologie de la société Catema en l'absence de production des notes de calcul demandées à cette société ;

- la société Catema n'ayant pas exécuté sa mission d'étude et suivi géotechnique et n'ayant pas transmis les notes de calcul lui permettant d'effectuer sa mission de supervision géotechnique d'exécution, est responsable du sinistre ;

- elle n'a pas mis en oeuvre le système de pompage extérieur mentionné dans sa méthodologie ;

- dans l'hypothèse où la société Catema aurait réalisé un pompage extérieur, elle serait la seule responsable du dommage ;

- la société CPCU est responsable du sinistre dès lors qu'elle a retenu une solution de soutènement mal adaptée à la situation ;

- elle a débuté les travaux avant le commencement de la mission de supervision géotechnique d'exécution, avant que les réserves émises par la société Ginger Cebtp ne soient levées et ne s'est pas assurée de la réalisation de la mission d'étude et de suivi géotechnique par la société Catema ;

- la société Darnaud Gta est responsable du dommage dès lors qu'elle n'a pas arrêté le chantier en l'absence de transmission des notes de calcul de la société Catema à la société Ginger Cebtp et qu'elle n'a formulé aucune directive visant à ce que la société Catema mette en oeuvre un pompage extérieur permettant de rabattre la nappe ;

- la société Ingevalor est responsable du dommage dès lors que l'étude géotechnique de conception avait bien été réalisée avant la phase de conception du projet et qu'elle n'a pas vérifié si la méthode du soutènement par blindage métallique coulissant était appropriée avec le projet envisagé ;

- la ville de Paris est responsable du dommage dès lors qu'elle a induit en erreur les constructeurs sur l'étanchéité du canal ;

- à titre subsidiaire, sa part de responsabilité dans la survenance du litige n'est que secondaire et est nécessairement bien inférieure à 15 % ;

- les préjudices de la société CPCU sont pour partie injustifiés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 septembre 2016, la société Darnaud Gta, représentée par MeG..., a demandé à la Cour :

1°) de réformer le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1411829/5-2 du

12 novembre 2015, en tant qu'il l'a condamnée à verser la somme de 535 186.22 euros à la société CPCU ;

2°) de rejeter les demandes formulées par les autres parties à son encontre ;

3°) de porter à 50 % la part de responsabilité de la ville de Paris et à une proportion ne pouvant être inférieure à 20 % la part de responsabilité de la société CPCU ;

4°) de confirmer la condamnation des sociétés Catema et Ginger Cebtp à lui verser la somme de 9 920 euros hors taxe en réparation de ses préjudices ;

5°) de mettre à la charge de la partie perdante la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le rapport d'expertise est nul, dès lors qu'il méconnaît les principes du contradictoire et de l'égalité de traitement des parties, et que l'expert a outrepassé sa mission ;

- le rapport d'expertise ne lui est pas opposable dès lors qu'elle n'était pas partie dans les procédures ordonnant l'expertise, et que l'ordonnance de la Cour administrative d'appel de Paris ne lui a pas été notifiée ;

- le jugement est entaché d'un défaut de motivation en ce qu'il ne précise pas pourquoi le tribunal administratif a porté sa part de responsabilité à 15 % ;

- la société Ingevalor est mentionnée dans les documents établis par la société Ginger Cebtp comme maître d'oeuvre ;

- la société Darnaud Gta était en charge des phases EXE, VISA, DET, OPC, AOR ;

- la ville de Paris est responsable du sinistre dès lors que l'ennoiement de la fouille est dû au défaut d'étanchéité du canal dont elle est propriétaire ;

- elle a méconnu son obligation d'information des constructeurs ;

- sa part de responsabilité doit être portée au minimum à 50 % ;

- la société CPCU doit, en tant que professionnel ayant participé aux réunions de chantiers et ayant retenu la solution technique mise en oeuvre, être tenue pour responsable en ce qu'elle ne s'est pas assurée de la mise en oeuvre du pompage par la société Catema ;

- la société Darnaud Gta n'est pas responsable du sinistre dès lors qu'un pompage en cours d'affouillement avait été prévu et que ce pompage a été mis en oeuvre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 avril 2019, la ville de Paris, représentée par Me F...B..., a conclu au rejet des demandes formulées par les autres parties à son encontre et à ce que soit mise à la charge des sociétés CPCU, Catema, Ginger Cebtp et Darnaud Gta la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité dès lors qu'elle n'était pas tenue d'étanchéifier le canal de l'Ourcq et n'avait pas à informer les constructeurs du défaut d'étanchéité du canal ;

- elle n'a, à aucun moment, été interrogée par la société Ginger Cebtp sur l'étanchéité du canal ;

- il n'existe pas un lien de causalité direct entre la circonstance que la ville de Paris n'a pas informé les constructeurs de l'absence d'étanchéité du canal et la survenance du dommage, d'autant que le risque de renard hydraulique avait été identifié et qu'une méthode permettant de supprimer ce risque avait été préconisée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Even,

- les conclusions de MmeA...,

- les observations de MeD..., pour la société Catema,

- les observations de MeH..., pour la société CPCU,

- les observations de MeE..., pour la société Darnaud Gta,

- et les observations de MeI..., pour la société Ingevalor.

Considérant ce qui suit :

1. La ville de Paris a concédé le service public de distribution d'eau chaude sanitaire et de chaleur par voie de vapeur sur son territoire à la société Compagnie parisienne de chauffage urbain (CPCU). La société CPCU a, dans le cadre de cette concession, entrepris des travaux d'extension de son réseau dans le secteur de la rue des Ardennes et du quai de la Marne dans le 19ème arrondissement de Paris, au cours de l'année 2011, comportant la réalisation d'une chambre de purge et de sectionnement nommée " chambre 7001 ". Pour cette opération, la société CPCU, maître d'ouvrage, a confié à la société Ingevalor une mission de maîtrise d'oeuvre de conception, à la société Darnaud Gta une mission de maîtrise d'oeuvre d'exécution, à la société Fondasol une mission d'étude géotechnique d'avant-projet, à la société Ginger Cebtp des missions d'étude géotechnique de projet et de supervision géotechnique d'exécution, tandis que la société Catema a quant à elle été chargée de la réalisation des travaux, avec une mission d'étude et de suivi géotechnique d'exécution. Durant la nuit du 29 au 30 mai 2011, une importante arrivée d'eau, en provenance du canal de l'Ourcq situé à proximité, a ennoyé ce chantier. Le Tribunal administratif de Paris a, par une ordonnance du 10 juin 2011, ordonné un constat en vue d'examiner les lieux du sinistre, puis, par deux ordonnances du 15 juillet 2011 et du 8 août 2011, précisées par une ordonnance de la Cour du 22 décembre 2011, désigné un expert en vue de déterminer les causes du sinistre, les responsabilités et d'apprécier les préjudices subis. Le rapport d'expertise a été déposé au greffe du tribunal administratif le

1er juillet 2013. La société CPCU a demandé la condamnation des sociétés Catema, Ginger Cebtp, Darnaud Gta et de la ville de Paris à l'indemniser des préjudices subis en raison de cet ennoiement. Par un jugement du 12 novembre 2015, le Tribunal administratif de Paris a condamné, d'une part, les sociétés Catema, Ginger Cebtp, Darnaud Gta à lui verser respectivement les sommes de 2 140 744.89 euros, 891 911.038 euros et 535 186.22 euros et, d'autre part, les sociétés Catema et Ginger Cebtp à verser respectivement les sommes de 5 992 euros et 2 480 euros à la société Darnaud Gta. La société Catema fait appel de ce jugement, tandis que les sociétés Ginger Cebtp et Darnaud Gta demandent sa réformation par la voie de l'appel incident.

Sur la recevabilité des conclusions présentées par la société Catema en appel :

2. Aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance. (...) ". Par suite, l'appel formé par la société Catema qui était présente en première instance est recevable, nonobstant la circonstance que cette société n'a produit aucune défense en dépit d'une mise en demeure et pouvait donc se voir opposer le mécanisme d'acquiescement aux faits.

Sur la régularité du jugement attaqué :

En ce qui concerne la régularité des opérations d'expertise :

3. En premier lieu, la société Darnaud Gta soutient que le rapport d'expertise méconnaît le principe du contradictoire car elle n'a jamais eu communication du dire n° 1 de la ville de Paris, auquel était annexé le rapport d'inspection subaquatique du canal établi avant l'ordonnance du Tribunal administratif de Paris ordonnant l'expertise, sur lequel l'expert s'est fondé. Il résulte de l'instruction et notamment de la note aux parties n° 1, communiquée en particulier à la société Darnaud Gta, que la communication de ce rapport d'inspection a été demandée à la ville de Paris par l'expert, à la suite de la réunion du 21 juillet 2011. Cette société reconnaît en outre expressément avoir eu connaissance de l'existence de ce rapport et n'établit pas en avoir demandé communication à l'expert. Dès lors, la société Darnaud Gta ne peut soutenir utilement que cette absence de communication méconnaîtrait le principe du contradictoire.

4. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que les deux dires produits postérieurement à la date de limite de réception des dires récapitulatifs, fixée de manière indicative par l'expert au 2 juin 2013, à savoir celui émanant de la société Ingevalor daté

du 6 juin 2013, et celui émanant de la société CPCU daté du 19 juin 2013, ont été annexés au rapport d'expertise. Par suite, la société Darnaud Gta ne peut utilement soutenir que l'expert aurait méconnu le principe d'égalité, dès lors qu'il n'aurait pris en compte que le dire de la société Ingevalor, au motif que celui-ci répondait à un argument nouveau développé dans le dire récapitulatif de la société Darnaud Gta daté du 1er juin 2013, mais pas celui émanant de la société CPCU au motif que ce dire était " largement hors délai ".

5. En troisième lieu, la société Darnaud Gta n'est pas fondée à soutenir que l'expert, qui avait pour mission de fournir tout élément utile pour se prononcer sur l'origine, la nature et l'imputabilité des dommages causés aux ouvrages de la société CPCU a outrepassé sa mission en se prononçant sur les responsabilités encourues, en imputant une partie du préjudice à chacune des parties qu'il a déclarées responsables.

6. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que la société Darnaud Gta a reçu notification des ordonnances de référé expertise émanant du Tribunal administratif de Paris et de la Cour administrative d'appel de Paris, et a participé aux opérations d'expertise, sans être privée de la possibilité de faire des observations et de produire tous documents qu'elle jugeait utiles de porter à la connaissance de l'expert. Elle n'est dès lors pas fondée à soutenir que le rapport d'expertise, déposé au greffe du Tribunal administratif de Paris le 1er juillet 2013, ne lui serait pas opposable.

En ce qui concerne la motivation du jugement attaqué :

7. Il ressort des points 8 et 12 du jugement attaqué que le tribunal administratif a retenu un partage de responsabilité après en avoir explicité les raisons en se référant au rapport d'expertise pour chacune des sociétés mises en cause. Par suite, les premiers juges doivent être regardés comme ayant suffisamment motivé, notamment, la part de responsabilité imputée à la société Darnaud Gta en première instance.

Sur le fond :

En ce qui concerne l'identification du fait générateur du dommage :

8. Il résulte de l'instruction que, durant la nuit du 29 au 30 mai 2011, une importante arrivée d'eau a inondé et détruit la chambre de purge et de sectionnement en construction, dans le cadre de l'exécution du service public concédé à la société CPCU, cet évènement constituant un dommage accidentel de travaux publics. Il est constant, et il n'est pas contesté par les parties, que cet accident est consécutif à un affouillement brutal survenu entre le canal de l'Ourcq, jouxtant les travaux, et cette chambre en raison d'un phénomène de renard hydraulique. Il résulte du rapport d'expertise que la méthode de soutènement par blindage coulissant à doubles parois non étanche, retenue comme étaiement lors des travaux, qui avait été proposée par la société Catema et validée par la société Ginger Cebtp en soulignant la nécessité d'un pompage extérieur, n'est pas la cause du dommage, dès lors que la mise en place d'un tel pompage extérieur à la fouille pour assécher ses alentours devait permettre d'éviter la survenue du risque de renard hydraulique. Il ressort par ailleurs du rapport d'expertise, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Darnaud Gta et Catema sans l'établir, qu'un pompage extérieur à la fouille n'a jamais été effectivement mis en oeuvre, ce qui est à l'origine du phénomène de renard hydraulique qui a entraîné la destruction de la chambre de purge et de sectionnement en construction.

En ce qui concerne la responsabilité des différentes parties :

S'agissant de la ville de Paris :

9. Si la ville de Paris est chargée, en sa qualité de propriétaire, du curage et de l'entretien des ouvrages de navigation figurant sur le canal de l'Ourcq, qui relève du domaine public fluvial, conformément aux dispositions énoncées par l'article L. 2124-11 du code général de la propriété des personnes publiques dans sa rédaction applicable issue de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 et de l'article L. 215-14 du code de l'environnement dans sa rédaction applicable issue de cette même loi, il n'existe aucune prescription légale ou réglementaire lui imposant d'entretenir son étanchéité. Il ne peut donc être reproché à la ville de Paris de ne pas avoir préservé l'étanchéité de ce canal qui était déficiente. Il appartenait aux constructeurs de tenir compte de la proximité du canal de l'Ourcq et d'adapter les travaux en conséquence, après s'être informés de son état d'étanchéité auprès de la ville de Paris, laquelle a la qualité de tiers et non de participant aux travaux incriminés. Enfin, aucun élément du dossier ne permet d'établir que la ville de Paris aurait induit en erreur les entreprises réalisant les travaux en délivrant des informations erronées au sujet du canal de l'Ourcq ou en refusant de les communiquer. La ville de Paris n'a donc commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité.

S'agissant de la société CPCU :

10. La société CPCU ayant, en sa qualité de maître de l'ouvrage, délégué totalement la conception, la réalisation et le suivi des travaux concernant la chambre 7001, à une maîtrise d'oeuvre, des bureaux d'étude et une entreprise de construction, elle ne peut être considérée comme étant à l'origine des fautes incombant à ces entreprises. Le moyen tiré de la circonstance que les études auraient été lancées tardivement par le maître d'ouvrage doit être écarté dès lors qu'il ressort du rapport d'expertise que l'enchainement des contrats d'étude et de travaux ne souffrent pas d'anomalies particulières. La méthode retenue pour effectuer les travaux n'étant pas à l'origine du dommage, il ne peut être reproché à la société CPCU d'avoir contribué à retenir la formule d'un étaiement par blindage coulissant non étanche. La mission de maîtrise d'oeuvre ayant été déléguée à la société Darnaud Gta, aucune faute ne peut être reprochée à la CPCU pour n'avoir pas contrôlé l'exécution des travaux et notamment l'existence d'un pompage extérieur à la fouille, quand bien même elle aurait été présente lors des réunions de chantier. La société CPCU n'a donc commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité.

S'agissant de la société Ingevalor :

11. Il ressort du rapport d'expertise et il n'est pas contesté que la mission de maîtrise d'oeuvre de conception dont était chargée la société Ingevalor s'est arrêtée au stade de la phase d'avant-projet, la maîtrise d'oeuvre ayant été transférée par la suite à la société Darnaud Gta. Le dommage a pour cause le défaut de mise en place d'un pompage extérieur à la fouille ce qui constitue une mauvaise exécution de la méthodologie retenue pour l'exécution des travaux incriminés et non pas un défaut de conception. La société Ingevalor n'ayant pas été chargée d'une mission de suivi d'exécution du chantier ne peut voir sa responsabilité engagée.

S'agissant de la société Ginger Cebtp :

12. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la société Ginger Cebtp était en charge d'une mission d'étude géotechnique de projet. La circonstance qu'elle a précisé que le fond du canal de l'Ourcq avait été imperméabilisé 10 ans auparavant est sans incidence, dès lors qu'elle a par ailleurs relevé que cette imperméabilisation était vétuste et que des fuites d'eau étaient à craindre. On ne peut en outre lui reprocher d'avoir validé la méthode d'étaiement proposée par la société Catema sous la condition de mettre en oeuvre un rabattement de la nappe d'eau par pompage extérieur à la fouille, dès lors qu'il est établi que cette méthodologie était à même d'éviter la survenance d'un phénomène de renard hydraulique.

13. En second lieu, il n'est pas contesté que la société Ginger Cebtp était en outre en charge d'une mission spécifique de supervision géotechnique d'exécution. Il résulte de ses rapports établis au titre de cette mission, que la société Ginger Cebtp a manqué à son devoir contractuel de conseil en ne vérifiant pas si la méthode d'étaiement qu'elle a validée avec réserve était effectivement mise en oeuvre. En ne s'inquiétant pas de l'absence de pompage extérieur à la fouille qu'elle avait pourtant préconisé, et en n'informant ni le maître d'ouvrage, ni le maître d'oeuvre, ni l'entreprise Catema de cette absence, la société Ginger Cebtp doit être regardée comme ayant commis une faute qui est partiellement à l'origine du dommage.

S'agissant de la société Darnaud Gta :

14. Il résulte de l'instruction que la société Darnaud Gta, maître d'oeuvre d'exécution pour les phases d'étude d'exécution et de suivi d'exécution, a reçu le courriel du

11 avril 2011 et le rapport de la société Ginger Cebtp daté du 23 avril 2011 validant la méthodologie de soutènement non étanche proposée par la société Catema sous la condition de la mise en place d'un pompage extérieur à la fouille. Elle ne pouvait donc ignorer la nécessité d'un tel pompage extérieur et devait en sa qualité de maître d'oeuvre, en charge de la surveillance et de la bonne exécution du chantier, s'assurer de sa mise en oeuvre par la société Catema. La société Darnaud n'ayant pas exercé ce contrôle doit être regardée comme étant également partiellement responsable du dommage.

S'agissant de la société Catema :

15. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, que la société Catema, qui était en charge de la mission d'étude et de suivi géotechnique des travaux, et de l'exécution des travaux de soutènement, n'a pas mis en place effectivement le pompage extérieur exigé dans le cadre de la méthodologie validée par la société Ginger Cebtp. Cette société, qui ne peut être considérée comme n'étant pas qualifiée dans le domaine de la géotechnique, a donc manqué à ses obligations contractuelles en ne s'assurant pas que la solution qu'elle avait

elle-même préconisée était effectivement mise en oeuvre et permettait de s'affranchir du risque de renard hydraulique, et en ne respectant pas les réserves émises par la société Ginger Cebtp. La société Catema doit donc être regardée comme étant le principal responsable du dommage.

En ce qui concerne le partage de responsabilité :

16. Il résulte de tout ce qui précède que la ville de Paris, la société CPCU et la société Ingevalor doivent être mises hors de cause. Les sociétés Catema, Ginger Cebtp et Darnaud Gta sont en revanche responsables du dommage subi par la société CPCU et doivent être condamnées à l'indemniser à hauteur respectivement de 50 % 30 % et 20 %. Par suite, la société Catema est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris lui a imputé 60 % du montant des indemnités à verser à la société CPCU. Ledit jugement doit être réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Sur les conclusions indemnitaires présentées par les sociétés Catema et Darnaud Gta :

17. Les sociétés Catema et Darnaud Gta, ayant contribué à la survenance du dommage, ne sont pas fondées à obtenir réparation des préjudices qu'elles affirment avoir subi à l'occasion de cet ennoiement, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de ces conclusions présentées pour la première fois en appel par la société Catema. Le jugement doit donc être également réformé sur ce point.

Sur l'évaluation du préjudice subi par la société CPCU :

18. Les sociétés Catema et Ginger Cebtp soutiennent que l'expert aurait en procédant au chiffrage de ce préjudice, retenu des dépenses de la société CPCU qui n'ont pas pour objet de réparer les conséquences du sinistre, qui ne seraient pas justifiées, ou qui correspondent à des travaux ou prestations que la société CPCU n'avait pas jugé nécessaires lors des travaux de terrassement initiaux. Mais il résulte de l'instruction que toutes les dépenses litigieuses, chiffrées par l'expert à la somme de 3 567 908,15 euros hors taxe, sont liées aux études et travaux provisoires puis définitifs rendus nécessaires pour la réfection dans les règles de l'art de l'ouvrage sinistré. Il y a donc lieu de condamner les sociétés Catema, Ginger Cebtp, et Darnaud Gta à verser, respectivement, à la société CPCU les sommes de 1 783 954,08, 1 070 372,45, et 713 581,63 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis.

Sur les conclusions présentées au titre des frais de justice :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de la ville de Paris, de la société CPCU, et de la société Ingevalor qui ne sont pas, dans la présente instance, des parties perdantes, les sommes que les sociétés, Catema, Ginger Cebtp, et Darnaud Gta demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des sociétés Catema, Ginger Cebtp, et Darnaud Gta, une somme de 2 000 euros, chacune, au titre des frais exposés par la société CPCU, la ville de Paris et la société Ingevalor non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'indemnité que la société Catema est condamnée à verser à la société Compagnie parisienne de chauffage urbain (CPCU) est ramenée de la somme de 2 140 744,89 euros à celle de 1 783 954,075 euros.

Article 2 : L'indemnité que la société Ginger Cebtp est condamnée à verser à la société CPCU est portée de la somme de 891 977,038 euros à celle de 1 070 372,445 euros.

Article 3 : L'indemnité que la société Darnaud Gta est condamnée à verser à la société CPCU est portée de la somme de 535 186,22 euros à celle de 713 581,63 euros.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1411829/5-2 du 12 novembre 2015 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6 : Les sociétés Catema, Ginger Cebtp et Darnaud Gta verseront la somme de 2 000 euros, chacune, à la ville de Paris, et aux sociétés CPCU et Ingevalor sur le fondement de l'article 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la Compagnie parisienne de chauffage urbain, à la ville de Paris, à la société Darnaud Gta, à la société Catema, à la société Ginger Cebtp et à la société Ingevalor.

Délibéré après l'audience du 13 mai 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Even, président de chambre,

- Mme Hamon, président assesseur,

- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 4 juin 2019.

Le président rapporteur,

B. EVEN Le président assesseur,

P. HAMON

Le greffier,

S. GASPAR

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

12

N° 16PA00131


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA00131
Date de la décision : 04/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Rapports entre l'architecte - l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage - Responsabilité contractuelle.

Marchés et contrats administratifs - Rapports entre l'architecte - l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage - Réparation - Partage des responsabilités.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Bernard EVEN
Rapporteur public ?: Mme ORIOL
Avocat(s) : BLANCHETIER

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-06-04;16pa00131 ?
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