Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 23 octobre 2018 par laquelle la ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par son employeur, annulé la décision de l'inspectrice du travail du
28 décembre 2017 et autorisé son licenciement pour faute.
Par jugement n° 1813295 du 22 février 2021, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 21 avril 2021 et 9 mars 2022, M. B..., représenté par Me Bitton, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1813295 du 22 février 2021 du Tribunal administratif de Montreuil ;
2°) d'annuler la décision du 23 octobre 2018 par laquelle la ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par son employeur, annulé la décision de l'inspectrice du travail du 28 décembre 2017 et autorisé son licenciement pour faute ;
3°) de mettre à la charge de la société G... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) de mettre à la charge de la société Alyzia Roissy Check 1 les entiers dépens.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une omission à statuer dès lors que le tribunal ne s'est pas prononcé sur le moyen tiré de l'illégalité de la décision de la ministre du travail du
23 octobre 2018, faute de justifier du respect du délai de retrait de quatre mois suivant la décision implicite de rejet née le 23 juin 2018 ;
- il est insuffisamment motivé s'agissant de la prescription des faits qui lui sont reprochés ;
- la décision du 23 octobre 2018 est insuffisamment motivée ;
- elle a été transmise hors délai ;
- la décision de l'inspectrice du travail du 28 décembre 2017 n'était pas illégale ;
- les faits étaient prescrits ;
- il n'a commis aucune faute ;
- les faits ne sont pas suffisamment graves pour justifier une autorisation de licenciement.
Par un mémoire en défense et des pièces complémentaires enregistrés les 2 juillet 2021 et 19 janvier 2022, la Selarl F..., agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société par actions simplifiée G..., représentée par Me Lepargneur, conclut au rejet de la requête de M. B... et à ce que soit mise à la charge de M. B... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense et des pièces enregistrés le 22 juillet 2021 et le 27 janvier 2022, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête de M. B....
Elle reprend les observations produites en première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Collet,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bitton, avocate de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. D... B... a été engagé le 6 décembre 2007 en qualité d'agent de passage par la société Alyzia Roissy Check 1 A..., d'abord en contrat à durée déterminée, puis en contrat à durée indéterminée à compter du 1er octobre 2009. Il a été élu délégué du personnel le 24 février 2017. Une procédure de licenciement pour motif disciplinaire a été engagée à son encontre le 9 août 2017, la société A... lui reprochant un cumul d'emplois depuis le 18 mai 2017 au sein de la société E..., constitutif d'un manquement à son obligation contractuelle de loyauté. Par décision du 20 octobre 2017, l'inspectrice du travail a refusé d'accorder à la société A... l'autorisation de procéder au licenciement de M. B... au motif que le délai de cinq jours ouvrables prévu à l'article L. 1232-2 du code du travail n'avait pas été respecté. Après régularisation de la procédure, le 24 novembre 2017, la société A... a saisi l'inspectrice du travail d'une nouvelle demande d'autorisation de licenciement de M. B... pour motif disciplinaire. Par une décision du 28 décembre 2017, l'inspectrice du travail a refusé d'accorder cette autorisation au motif que les faits reprochés à M. B... étaient prescrits. Par courrier du 21 février 2018, reçu le
23 février 2018, la société A... a formé auprès de la ministre du travail un recours hiérarchique contre la décision du 28 décembre 2017 et une décision implicite de rejet est née le 23 juin 2018. Par une décision du 23 octobre 2018, la ministre du travail a retiré cette décision implicite, annulé la décision de l'inspectrice du travail du 28 décembre 2017 et autorisé le licenciement pour faute de l'intéressé. Par jugement du 22 février 2021, dont M. B... relève appel, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision. La société A... a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 21 décembre 2021 du Tribunal de commerce de Toulouse, qui a désigné la Selarl Benoit et Associés en qualité de liquidateur.
Sur la régularité du jugement :
2. D'une part, par l'argumentation qu'il développe sous l'intitulé " omission à statuer sur certains moyens ", M. B... doit être regardé comme soutenant que le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur l'illégalité de la décision de la ministre du travail du 23 octobre 2018, faute pour celle-ci de justifier du respect du délai de retrait de quatre mois suivant la décision implicite de rejet née le 23 juin 2018. Il ressort, toutefois, des termes du jugement contesté que les premiers juges, après avoir cité l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration, se sont prononcés au point 6 de leur jugement sur le respect par la ministre du travail du délai de retrait de quatre mois prévu par cet article. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le tribunal aurait omis de répondre à ce moyen.
3. D'autre part, il ressort du point 8 du jugement attaqué que les premiers juges ont énoncé de façon suffisamment complète et précise les motifs pour lesquels ils ont écarté le moyen tiré de la prescription des faits reprochés à M. B.... Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué sur ce point doit également être écarté.
Sur la légalité de la décision de la ministre du travail du 23 octobre 2018 :
En ce qui concerne sa légalité externe :
4. En premier lieu, M. B... n'apporte en cause d'appel aucun élément nouveau au soutien de son moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision de la ministre du travail du
23 octobre 2018. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges au point 4 du jugement.
5. En second lieu, la circonstance que la décision de la ministre du travail du
23 octobre 2018 aurait été notifiée à M. B... après l'expiration du délai imparti au ministre pour l'adopter est sans incidence sur sa légalité.
En ce qui concerne sa légalité interne :
6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ".
7. Le délai de prescription de deux mois institué par ces dispositions est interrompu par l'engagement de poursuites disciplinaires.
8. Il ressort des pièces du dossier qu'après avoir eu connaissance des faits reprochés à M. B... le 2 août 2017, la société A... a engagé à son encontre, dans le délai de deux mois, une procédure d'autorisation de licenciement pour faute, en le convoquant à un entretien préalable le
17 août 2017, et a saisi l'inspecteur du travail le lendemain. Par décision du 20 octobre 2017, l'inspectrice du travail a refusé d'accorder à la société l'autorisation de procéder à son licenciement, au motif que le délai de cinq jours ouvrables prévu à l'article L. 1232-2 du code du travail n'avait pas été respecté. La société disposait alors d'un nouveau délai de deux mois suivant la notification de cette décision pour poursuivre la procédure disciplinaire pour les mêmes faits. Or il est constant qu'elle a convoqué à nouveau M. B... à un entretien préalable le 3 novembre 2017, engageant ainsi une nouvelle procédure disciplinaire, moins de deux mois après avoir reçu notification de la décision du 20 octobre 2017, et qu'elle a saisi de nouveau l'inspectrice du travail le 24 novembre 2017. Dès lors, l'inspectrice du travail ne pouvait refuser, par sa décision du 28 décembre 2017, d'accorder l'autorisation de licenciement sollicitée au motif que les faits reprochés à M. B... étaient prescrits. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision de l'inspectrice du travail du
28 décembre 2017 était légale et que les faits étaient prescrits.
9. En second lieu, en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient, dans l'intérêt des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, ne peuvent être licenciés qu'avec l'autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Un agissement du salarié intervenu en dehors de l'exécution de son contrat de travail, et notamment durant ses heures de délégation, ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat.
10. Par sa décision du 23 octobre 2018, la ministre du travail a autorisé le licenciement de M. B... aux motifs que l'utilisation par celui-ci de ses heures de délégation pour exercer une activité professionnelle constituait un détournement de son mandat visant à lui permettre de se soustraire aux obligations de présence résultant de son contrat de travail ainsi qu'un manquement à son obligation de loyauté et qu'en exerçant une activité extérieure salariée pendant ses périodes d'arrêts maladie ainsi que pendant ses heures de délégation, il avait commis une faute d'une gravité suffisante pour justifier une mesure de licenciement.
11. Il ressort des pièces du dossier que la société A... a été informée le 2 août 2017 par la société Qatar Airways que M. B... avait conclu avec elle le 28 mai 2017 un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, comportant une période d'essai de trois mois, pour un poste d'agent d'escale situé à Nice, et qu'il avait travaillé pour le compte de cette compagnie dans cette ville du 28 mai au 20 juillet 2017. M. B... était en arrêt maladie du 25 mai au 2 juin 2017, les
6 avril, 3 mai, 2 juin 2017, puis il a déposé une demande de congés pour la période allant du
6 juin au 30 juin 2017, puis du 1er au 10 juillet 2017 et pour le 11 juillet 2017. Enfin, par courriels des 11 juillet et 10 août 2017, il a déposé deux fois 14 heures de délégation sur ses horaires de travail, d'abord pour les 12 et 16 juillet 2017, puis pour les 15 et 17 juillet 2017.
12. L'utilisation par un salarié protégé de ses heures de délégation pour exercer une autre activité professionnelle méconnaît l'obligation de loyauté à l'égard de son employeur qui découle de son contrat de travail. Si M. B... soutient qu'il n'a pas pu utiliser ses heures de délégation pour exercer une autre activité professionnelle, étant en absence injustifiée les 15 et 17 juillet 2017, ainsi que le mentionne son bulletin de salaire du mois de juillet 2017, il ressort toutefois de ce qui a été dit au point 11 que ce n'est que le 10 août 2017 qu'il a déposé 14 heures de délégation au titre des deux journées concernées, soit postérieurement à l'édition de ce bulletin de paie, dont le règlement a été effectué le 25 juillet 2017. Par ailleurs, il ne conteste pas avoir pris ces heures de délégation sur ses horaires de travail au sein de la société A... alors qu'il exerçait ses fonctions pour le compte de la société Qatar Airways. Par suite, la ministre était fondée à considérer que M. B... avait commis des agissements constitutifs d'un manquement à son obligation de loyauté vis-à-vis de son employeur, la société A..., et d'un détournement de son mandat. Si elle ne pouvait légalement se fonder sur l'exercice d'une autre activité pendant des périodes d'arrêts maladie, en l'absence de préjudice pour l'employeur, il résulte de l'instruction qu'elle aurait pris la même décision si elle ne s'était fondée que sur l'exercice d'une autre activité pendant des heures de délégation, faute d'une gravité suffisante pour justifier, à elle seule, l'autorisation de licenciement sollicitée par la société A....
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 23 octobre 2018 par laquelle la ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique née le 23 juin 2018, annulé la décision de l'inspectrice du travail du 28 décembre 2017 et autorisé son licenciement pour faute.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par M. B... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens soit mise à la charge de société A..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... une somme de 2 000 euros à verser à la Selarl Benoit et Associés en qualité de liquidateur de la société A... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
Sur les dépens :
15. La présente instance n'ayant impliqué aucun frais au titre des dépens, les conclusions tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Alyzia Roissy Check 1 à ce titre ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : M. B... versera à la Selarl Benoit et Associés, en qualité de liquidateur de la société Alyzia Roissy Check 1, la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B..., à Me Benoit en qualité de liquidateur de la société Alyzia Roissy Check 1 et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Fombeur, présidente de la Cour,
- M. Le Goff, président de chambre,
- Mme Collet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 avril 2022.
La rapporteure,
A. COLLET La présidente,
P. FOMBEUR
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA02111