Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 29 juillet 2022 par lequel le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour et de lui accorder le bénéfice de la protection temporaire, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être renvoyée.
Par un jugement n° 2218799/2-1 du 30 mai 2023, le Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté en tant qu'il a refusé à Mme A... le bénéfice de la protection temporaire, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être éloignée (article 1er), a enjoint au préfet de police de délivrer à Mme A... un document provisoire de séjour portant la mention " bénéficiaire de la protection temporaire " dans un délai d'un mois et, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour (article 2), et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 3).
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 29 juin 2023, le préfet de police, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 30 mai 2023 ;
2°) de rejeter la demande présentée de Mme A... devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- Mme A... peut retourner dans son pays d'origine, la Russie, dans des conditions sûres et durables, car elle n'établit pas, en produisant un rapport annuel de portée générale, qu'elle encourrait personnellement des risques en cas de retour dans ce pays, et n'a pas formulé de demande d'asile tendant à faire connaître les risques éventuellement encourus ;
- par ailleurs, sa fille, lors de sa propre demande de titre de séjour du 21 avril 2021, avait déclaré que Mme A... vivait en Russie à cette date, ce qui apparaît en contradiction avec les allégations de cette dernière.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juillet 2023, Mme A..., représentée par Me Debazac, conclut au rejet de la requête, et à ce qu'une somme de 800 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le préfet de police ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil ;
- la décision d'exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 constatant l'existence d'un afflux massif de personnes déplacées en provenance d'Ukraine, au sens de l'article 5 de la directive 2011/55/CE et ayant pour effet d'introduire une protection temporaire ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Niollet,
- et les observations de Me Debazac pour Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante russe née le 1er avril 1965 à Lazeshchyna (Ukraine), entrée sur le territoire français le 2 mars 2022 sous couvert d'un visa Schengen de type C à entrées multiples délivré le 10 avril 2020 et valable jusqu'au 9 avril 2024, a sollicité, le 6 mai 2022, le bénéfice de la protection temporaire ainsi que la délivrance d'un titre de séjour au titre de l'admission exceptionnelle. Par un arrêté du 29 juillet 2022, le préfet de police a rejeté ses demandes, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être renvoyée. Le préfet de police demande à la Cour l'annulation du jugement du 30 mai 2023 par lequel le Tribunal administratif de Paris, d'une part, a annulé cet arrêté en tant qu'il a refusé à Mme A... le bénéfice de la protection temporaire, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être éloignée, d'autre part, lui a enjoint de délivrer à Mme A... un document provisoire de séjour portant la mention " bénéficiaire de la protection temporaire " dans un délai d'un mois ainsi que, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour.
Sur la requête du préfet de police :
2. Aux termes de l'article L. 581-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le bénéfice du régime de la protection temporaire est ouvert aux étrangers selon les modalités déterminées par la décision du Conseil de l'Union européenne mentionnée à l'article 5 de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001, définissant les groupes spécifiques de personnes auxquelles s'applique la protection temporaire, fixant la date à laquelle la protection temporaire entrera en vigueur et contenant notamment les informations communiquées par les Etats membres de l'Union européenne concernant leurs capacités d'accueil. " Aux termes de l'article L. 581-3 du même code, les étrangers appartenant à un groupe spécifique de personnes bénéficiaires de la protection temporaire instituée en application de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 susvisée sont " mis en possession d'un document provisoire de séjour assorti, le cas échéant, d'une autorisation provisoire de travail. Ce document provisoire de séjour est renouvelé tant qu'il n'est pas mis fin à la protection temporaire. / Le bénéfice de la protection temporaire est accordé pour une période d'un an renouvelable dans la limite maximale de trois années. Il peut être mis fin à tout moment à cette protection par décision du Conseil ".
3. Aux termes du paragraphe 2 de l'article 2 de la décision d'exécution du Conseil du 4 mars 2022 : " Les États membres appliquent la présente décision ou une protection adéquate en vertu de leur droit national à l'égard des apatrides, et des ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine, qui peuvent établir qu'ils étaient en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022 sur la base d'un titre de séjour permanent en cours de validité délivré conformément au droit ukrainien, et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou leur région d'origine dans des conditions sûres et durables. "
4. Il ressort du jugement attaqué que, pour annuler la décision refusant de délivrer à Mme A... un document provisoire de séjour portant la mention " bénéficiaire de la protection temporaire ", le tribunal administratif s'est fondé sur l'opposition de Mme A... au régime russe et à la guerre menée en Ukraine, et sur son soutien au gouvernement et aux forces armées ukrainiens, qu'elle a exprimés sur les " réseaux sociaux ", sur des extraits d'articles de presse et d'un rapport annuel du Département d'Etat américain sur les droits humains en Russie en 2021 et sur diverses attestations circonstanciées faisant apparaitre qu'après avoir résidé en Russie à partir de 1984 et avoir de ce fait obtenu la nationalité russe en 1991, elle a quitté ce pays en 2007 et n'y a plus aucune attache personnelle ou familiale. Il a estimé que le préfet de police avait entaché sa décision d'une erreur d'appréciation, Mme A... n'étant pas en mesure de rentrer en Russie dans des conditions sûres et durables.
5. En se bornant à discuter la valeur probante du rapport du Département d'Etat américain mentionné au point qui précède, à produire la demande de titre de séjour présentée par la fille de Mme A... le 2 avril 2021, qui, il est vrai, fait état de la présence de sa mère en Russie contrairement aux attestations mentionnées ci-dessus, mais qui est antérieure au déclenchement de la guerre le 24 février 2022, et à soutenir que Mme A... n'a formulé aucune demande d'asile, le préfet de police ne fait valoir aucun élément de nature à remettre en cause les motifs du jugement du tribunal administratif, rappelés ci-dessus. Sa requête doit donc être rejetée.
6. Il résulte de ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 29 juillet 2022.
Sur les conclusions soulevées par Mme A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme A... de la somme de 800 euros qu'elle demande.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme B....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 5 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Bonifacj, présidente de chambre,
M. Niollet, président-assesseur,
M. Pagès, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 septembre 2023.
Le rapporteur,
J-C. NIOLLETLa présidente,
J. BONIFACJ
La greffière,
E. TORDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA02867