Vu la procédure suivante :
La société Val d'Europe Airports a demandé au Tribunal administratif de Melun de condamner l'Etat à lui verser la somme de 369 534,24 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'illégalité de la décision du 23 octobre 2008 autorisant le licenciement de M. A..., cette somme portant intérêts au taux légal à compter du
5 février 2018, avec capitalisation des intérêts.
Par un jugement n° 1805275 du 3 février 2023, le Tribunal administratif de Melun a condamné l'Etat à verser à la société Val d'Europe Airports une somme de 32 009 euros avec intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2022 et rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 6 avril 2023, la société Val d'Europe Airports, représentée par Me Morandi, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1805275 du Tribunal administratif de Melun en date du
3 février 2023 en tant qu'il a limité la condamnation de l'Etat à la somme de 32 009 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2022 ;
2°) à titre principal, de porter le montant de la condamnation de l'Etat à la somme de 184 508,10 euros ou, à titre subsidiaire, en cas de partage de responsabilité à hauteur de 50 % avec l'Etat, à la somme de 92 254,05 euros ;
3°) de mettre la somme de 5 000 euros à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Val d'Europe Airports soutient que :
- le jugement est irrégulier car le Tribunal administratif de Melun a commis une erreur de fait en jugeant que l'indemnité due à M. A... n'incluait pas sa condamnation à une provision de 80 000 euros par l'ordonnance du juge des référés du conseil des prud'hommes de Meaux du 27 octobre 2017 ;
- une erreur de fait en jugeant qu'elle avait commis une faute en licenciant un salarié ayant participé à un mouvement de grève illicite ;
- une erreur de droit au regard de l'article L. 2422-4 du code du travail en jugeant que la condamnation de l'Etat ne devait pas inclure les cotisations afférentes à l'indemnité due à
M. A... ;
- elle n'a commis aucune faute exonératoire de la responsabilité de l'Etat en décidant de licencier M. A... dès lors que la Cour de cassation a jugé dans sa décision n° 91-41.024 du
16 novembre 1993 que la participation à un mouvement de grève illicite constituait une faute grave susceptible de fonder une décision de licenciement et que le mouvement de grève du
3 juillet 2018 auquel a participé M. A... a été jugé illicite en raison d'une absence de préavis par un arrêt rendu le 2 juillet 2009 par la cour d'appel de Paris, et que l'illégalité de la décision d'autorisation de licenciement tient à sa motivation illégale alors que l'Etat a renoncé à demander au tribunal une substitution de motifs ;
- le montant de la condamnation de l'Etat doit être rehaussé à la somme totale de 184 508,10 euros correspondant à la provision de 80 000 euros ainsi qu'au montant de 104 508,10 euros au titre des cotisations patronales et salariales, et en cas de partage de responsabilité avec l'Etat pour moitié, à la somme de 92 254,05 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 octobre 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la Société Val d'Europe Airports ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Julliard,
- et les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêt du 6 juin 2016 devenu définitif, la Cour administrative d'appel de Paris a annulé la décision d'autorisation de licenciement du 23 octobre 2008 de M. B... A..., conducteur d'autocars, au motif que la faute reprochée au salarié par son employeur, la société Val d'Europe Airports, ne revêtait pas un caractère de gravité suffisante. Le 22 juillet 2022, la société Val d'Europe Airports a demandé au Tribunal administratif de Melun de condamner l'Etat à lui verser la somme de 369 534,24 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'illégalité fautive de la décision d'autorisation de licenciement de M. A.... Par un jugement du 3 février 2023, le Tribunal administratif de Melun a jugé que la société Val d'Europe Airports avait commis une faute de nature à exonérer l'Etat à hauteur de la moitié de sa responsabilité et condamné l'Etat à verser à la société Val d'Europe Airports une somme de 32 009 euros avec intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2022. La société Val d'Europe relève appel du jugement et demande à la Cour de porter le montant de la condamnation de l'Etat à la somme de 184 508,10 euros ou, à titre subsidiaire, en cas de partage de responsabilité à hauteur de 50 % avec l'Etat, à la somme de 92 254,05 euros.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. La société Val d'Europe Airports soutient que le jugement est entaché de deux erreurs de fait et d'une erreur de droit. Ces moyens qui relèvent du bien-fondé de la décision juridictionnelle attaquée ne constituent pas des moyens touchant à sa régularité. En tout état de cause, hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur le bien-fondé de la condamnation prononcée par le tribunal dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. La société Val d'Europe Airports ne peut donc utilement soulever les moyens énoncés ci-dessus pour demander l'annulation du jugement attaqué.
Sur les conclusions aux fins de condamnation de l'Etat :
En ce qui concerne le partage de responsabilité entre l'Etat et la société Val d'Europe Airports :
3. Aux termes de l'article L. 2422-4 du code du travail : " Lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision. L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration. Ce paiement s'accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire. ".
4. L'illégalité de la décision autorisant le licenciement d'un salarié protégé constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique quelle que puisse être par ailleurs la responsabilité encourue par l'employeur. Cependant, l'Etat peut être en tout ou partie exonéré de sa responsabilité lorsque l'employeur a présenté une demande d'autorisation de licenciement dont il ne pouvait raisonnablement ignorer l'illégalité.
5. Pour demander à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier M. A..., la société Val d'Europe Airports s'est fondée sur un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. Soc., 16 novembre 1993, n° 91-41.024) qui a jugé qu'un salarié qui participe à un mouvement de grève illicite commet une faute grave susceptible de fonder une décision de licenciement. Par ailleurs, le mouvement de grève en date du 3 juillet 2008 auquel a participé M. A... a été jugé définitivement illicite par un arrêt du 2 juillet 2009 de la cour d'appel de Paris (RG S 08/15380). Enfin les opérations de blocage de deux cars, le 4 juillet 2008, et de trois cars, le 5 juillet 2008 auxquelles a directement participé M A... ont été jugées suffisamment graves pour justifier la demande de licenciement de l'intéressé par un jugement n° 0903488/1 du 13 mai 2011 du Tribunal administratif de Melun confirmé par un arrêt n° 11PA03094 du 10 mai 2012 de la Cour administrative d'appel de Paris. Dans ces conditions, la société requérante est fondée à soutenir qu'elle n'a commis aucune faute exonératoire de la responsabilité de l'Etat en présentant une demande d'autorisation de licenciement. Dès lors, la responsabilité de l'Etat doit être retenue à hauteur de 100 %. Il y a lieu en conséquence de réformer le jugement attaqué sur ce point.
En ce qui concerne le montant de la condamnation de l'Etat :
6. Aux termes de l'article L. 2422-4 du code du travail : " Lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision. /L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration. /Ce paiement s'accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire. ".
7. Il résulte du jugement du conseil des prud'hommes de Meaux du 1er juillet 2022 que la société Val d'Europe a été condamnée à verser à M. A... une somme de 64 018 euros équivalente aux salaires qu'il aurait perçus entre la date du licenciement nul, soit le 29 octobre 2008, et sa date de réintégration effective au sein de l'entreprise, le 12 septembre 2016, déduction faite des allocations d'aide au retour à l'emploi versées par Pôle Emploi et des revenus tirés d'un emploi occupé au sein de la société Aerolis pendant la période litigieuse. Il résulte de l'instruction que la société appelante avait également été condamnée à verser au salarié une provision de 80 000 euros par ordonnance de référé du 27 octobre 2017 du conseil des prud'hommes de Meaux, confirmée par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 28 juin 2018. Il en résulte que l'Etat doit donc être condamné à verser l'employeur de M. A... la somme totale de 144 018 euros.
8. En revanche, si en vertu des dispositions précitées du dernier alinéa de l'article
L. 2422-4 du code du travail, le paiement de l'indemnité due au salarié protégé illégalement licencié s'accompagne du versement par l'employeur des cotisations sociales et patronales y afférentes, la société Val d'Europe Airports ne justifie pas s'être acquittée des cotisations sociales et patronales à hauteur de la somme de 104 508,10 euros qu'elle sollicite. Sa demande à ce titre ne peut en conséquence qu'être rejetée.
En ce qui concerne les intérêts :
9. La société Val d'Europe Airports a droit à ce que la somme que l'Etat est condamné à lui verser porte intérêt au taux légal à compter de la date de sa demande, soit le
22 juillet 2022 et à la capitalisation de ces intérêts.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Val d'Europe Airports et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser la somme de 144 018 euros à la société Val d'Europe Airport, somme assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2022 et des intérêts des intérêts.
Article 2 : Le jugement n° 1805275 du 3 février 2023 du Tribunal administratif de Melun est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à la société Val d'Europe Airports en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Val d'Europe Airports et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 19 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président,
- Mme Marianne Julliard, présidente assesseure,
- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 janvier 2024.
La rapporteure,
M. JULLIARD Le président,
I. LUBEN
La greffière,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA01406