Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... A... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 27 janvier 2021 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination d'une mesure d'éloignement.
Par jugement n° 2109233 du 14 décembre 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 17 janvier 2023, Mme A... épouse B..., représentée par Me Ghedir, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2109233 du 14 décembre 2022 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) d'annuler l'arrêté du 27 janvier 2021 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination d'une mesure d'éloignement ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer un certificat de résidence algérien dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, ou à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
S'agissant de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :
- elle méconnaît les stipulations de l'article 6 alinéa 7 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 6 alinéa 5 du même accord et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle ;
S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, reprises au 9° de l'article L. 611-3 de ce code et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
S'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est insuffisamment motivée, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, reprises à l'article L. 721-4 de ce code et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Collet ;
- les observations de Me Barbosa, avocate de Mme A... épouse B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... A... épouse B..., ressortissante algérienne née le 22 septembre 1986 et entrée en France le 24 juin 2018 sous couvert d'un visa touristique, s'est vue délivrer un certificat de résidence algérien en raison de son état de santé valable du 24 septembre 2019 au 23 mars 2020. Le 1er juillet 2020, elle a sollicité le renouvellement de son certificat de résidence. Par un arrêté du 27 janvier 2021, le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination d'une mesure d'éloignement. Par jugement n° 2109233 du 14 décembre 2022, dont Mme A... épouse B... relève appel, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : / (...) / 7° Au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays (...) ". Aux termes de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version en vigueur à la date de la décision contestée, dont les dispositions de procédure s'appliquent aux demandes présentées par les ressortissants algériens : " (...) le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'OFII et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un accès effectif à un traitement approprié dans le pays de renvoi. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dont il peut effectivement bénéficier dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
4. Mme A... épouse B... a bénéficié du 24 septembre 2019 au 23 mars 2020 d'un certificat de résidence algérien en raison de son état de santé. Pour refuser à l'intéressée le renouvellement de ce titre de séjour, le préfet de la Seine-Saint-Denis s'est notamment fondé sur l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 30 décembre 2021 qui précisait que si l'état de santé de Mme A... épouse B... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, toutefois elle pouvait bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé de ce pays et qu'au vu des éléments du dossier et à la date de l'avis, son état de santé pouvait lui permettre de voyager sans risque vers son pays d'origine. Il ressort des pièces du dossier, en particulier de la lettre d'orientation du 9 décembre 2017 du docteur F..., chirurgien à la clinique médico-chirurgicale et gynécologique des Hauts Plateaux à Sétif, que Mme A... épouse B..., qui souffre d'une thyroïdite d'Hashimoto, a été hospitalisée le 2 février 2011 en Algérie pour une thyroïdectomie totale dans le cadre de la prise en charge d'un goître nodulaire, présente depuis cette intervention une hypoparathyroïdie définitive entraînant des crises d'hypocalcémie difficiles à juguler et qu'elle a ainsi été prise en charge à compter du mois de juin 2018 par le professeur D..., responsable du centre de référence des maladies rares du calcium et du phosphate à l'hôpital européen Georges Pompidou. Il ressort également des pièces du dossier, qu'un traitement innovant à base de tériparatide (Forstéo) a été mis en place, accompagné d'un traitement par calcium (Caltrate), vitamine D (Un-Alfa et Uvedose), magnésium carbonate (Mag2), fer (Inofer) et lévothyroxine sodique (Lévothyrox) et que Mme A... épouse B... est reçue tous les six mois par le professeur D... aux fins d'évaluation de la résistance au traitement par tériparatide et d'ajustement des dosages des différentes substances actives prescrites. Il ressort enfin des pièces du dossier que malgré ce traitement, l'intéressée a été hospitalisée les 20 août, 24 septembre 2020 et 21 janvier 2021 au centre hospitalier de Melun pour des crises d'hypocalcémie. Mme A... épouse B... soutient qu'elle ne pourra bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine dès lors qu'elle nécessite un suivi médical dans un centre de référence spécialisé, inexistant en Algérie et que le Forstéo n'y est pas commercialisé. D'une part, il ressort respectivement de l'attestation du 6 septembre 2022 du professeur D... ainsi que du compte-rendu du 21 décembre 2022 du docteur C..., chirurgien au centre hospitalo-universitaire Mustapha-Pacha à Alger, établis postérieurement à la décision en litige mais se référant à un état de fait antérieur que " la précarité de la situation ainsi que l'usage de médicaments hors AMM dans le cadre de l'activité du centre de référence nécessitent le maintien de la patiente en région parisienne " et que " la patiente a consulté dans plusieurs services de chirurgie et d'endocrinologie en Algérie et son cas dépasse nos compétences relevant d'une prise en charge dans un service spécialisé qui n'est pas disponible en Algérie ". D'autre part, il ressort des attestations nouvellement produites en appel et établies les 21, 24, 26 et 27 décembre 2022 par différents pharmaciens algériens, postérieures à l'édiction de la décision en litige mais se référant à un état de fait antérieur, que la dénomination commune internationale " tériparatide " n'est pas commercialisée en Algérie. Le préfet de la Seine-Saint-Denis, qui n'a pas produit de mémoire en défense, ne conteste ni l'impossibilité pour Mme A... épouse B... de bénéficier d'un suivi médical dans un centre de référence spécialisé ni l'indisponibilité de la tériparatide en Algérie. Dans ces conditions, Mme A... épouse B... doit être regardée comme justifiant par les pièces qu'elle produit, que le traitement nécessaire à son état de santé n'est pas disponible en Algérie. Il s'ensuit que le préfet de la Seine-Saint-Denis a méconnu les stipulations de l'article 6-5° de l'accord franco-algérien. Par suite, Mme A... épouse B... est fondée à demander l'annulation de la décision lui refusant le renouvellement de son certificat de résidence algérien ainsi que, par voie de conséquence, celle des décisions lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de de destination d'une mesure d'éloignement, lesquelles sont dépourvues de base légale.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme A... épouse B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 27 janvier 2021 du préfet de la Seine-Saint-Denis.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Eu égard au motif d'annulation retenu ci-dessus, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que soit délivré à Mme A... épouse B... un certificat de résidence algérien sur le fondement des stipulations de l'article 6-5° de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis ou à tout autre préfet territorialement compétent de lui délivrer ce titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Dans les circonstances de l'espèce et en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Mme A... épouse B....
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2109233 du 14 décembre 2022 du tribunal administratif de Montreuil et l'arrêté du 27 janvier 2021 du préfet de la Seine-Saint-Denis sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis ou à tout préfet territorialement compétent de délivrer à Mme A... épouse B... un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente.
Article 3 : L'Etat versera à Mme A... épouse B..., la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... A... épouse B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Copie en sera adressée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris.
Délibéré après l'audience du 15 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- Mme Collet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 février 2024.
La rapporteure,
A. COLLET La présidente,
A. MENASSEYRE
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA00218