Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 11 août 2022 par lequel le préfet de police de Paris lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée à l'expiration de ce délai.
Par un jugement n° 2220549/6-1 du 6 janvier 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 8 mars et 7 novembre 2023, Mme B..., représenté par Me Reynolds, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2220549 du 6 janvier 2023 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler l'arrêté du 11 août 2022 du préfet de police ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de Paris, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour " passeport talent ", dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sus astreinte de 100 euros par jour de retard et, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation, en lui délivrant une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler pendant la durée de ce réexamen ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Reynolds de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
Sur la décision de refus de titre de séjour :
- elle est entachée d'incompétence ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 421-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ;
Sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français :
- elle est entachée d'incompétence ;
- elle est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ;
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est entachée d'incompétence ;
- elle est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juillet 2023, le préfet de police de Paris conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Mme B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 13 février 2023.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Cécile Vrignon-Villalba a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., née le 13 octobre 1990 à Newton (Etat du Massachussetts, Etats-Unis d'Amérique), est entrée en France le 26 août 2016 munie d'un visa de long séjour valant titre de séjour " étudiant ". Elle a sollicité le 10 janvier 2022 la délivrance d'un titre de séjour " passeport talent " portant la mention " profession artistique et culturelle ", sur le fondement des dispositions de l'article L. 421-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 11 août 2022, le préfet de police de Paris a refusé de lui délivrer le titre demandé, l'a obligée à quitter le territoire dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être éloignée d'office. Mme B... relève appel du jugement du 6 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il ressort des pièces du dossier que le tribunal administratif de Paris, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a répondu à l'ensemble des moyens soulevés par Mme B.... Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué est insuffisamment motivé doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les moyens communs dirigés contre l'ensemble des décisions :
3. Mme B... reprend en appel les moyens, qu'elle avait invoqués en première instance et tirés de ce que l'arrêté attaqué a été pris par une autorité incompétente et est insuffisamment motivé. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Paris aux points 2 et 3 de son jugement.
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
4. Aux termes de l'article L. 421-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger (...) qui est auteur d'une œuvre (...) artistique mentionnée à l'article L. 112-2 du (...) code [de la propriété intellectuelle] se voit délivrer une carte de séjour pluriannuelle portant la mention "passeport talent " d'une durée maximale de quatre ans, sous réserve de justifier du seuil de rémunération fixé par décret en Conseil d'Etat. ". Suivant le paragraphe 13 de l'annexe 10 du même code tel qu'approuvé par l'ordonnance du 16 novembre 2020, reprenant l'article R. 313-68 du code en vigueur avant le 1er mai 2021, les pièces à fournir en première demande ou changement de statut pour l'obtention de la carte de séjour lorsque l'étranger n'exerce pas une activité salariée sont : " les documents justifiant de la qualité d'artiste ou d'auteur d'œuvre littéraire ou artistique " et les " justificatifs de ressources, issues principalement (au moins 51 %) de l'activité, pour la période de séjour envisagée, pour un montant au moins équivalent à 70 % du SMIC brut pour un emploi à temps plein par mois de séjour en France. ".
5. Pour refuser à Mme B... le titre de séjour demandé, le préfet de police de Paris s'est fondé sur l'insuffisance de ses revenus et sur l'absence de projet professionnel concrétisé. Pour la période antérieure à la demande de titre, Mme B... produit deux décomptes de droits pour les mois d'août 2019 et de septembre 2021, pour des montants respectifs de 1 104,29 et 378,84 euros, ainsi que des décomptes salariaux montrant qu'elle a travaillé pour la société Altitude 100 Productions Sprl, située à Bruxelles, pour les mois d'octobre et novembre 2021, en qualité de traductrice, pour un salaire net de total de 907,20 euros. Si elle établit avoir reçu, sur un montant total de 5 000 euros, une somme de 4 000 euros au titre d'une bourse d'aide à la création attribuée par le centre national du cinéma et de l'image animée le 3 juin 2021, il ressort des termes mêmes de la lettre d'attribution que l'usage de cette somme doit être justifié au regard du projet de création auquel elle est affectée et que son reversement peut être demandé en cas d'absence d'avancée de ce projet. Dans ces conditions, elle ne peut être regardée comme une rémunération. Mme B... produit par ailleurs le contrat conclu avec la société Follow Back Films, le 7 septembre 2022, pour la période du 8 au 19 septembre 2022, pour une rémunération totale de 619,92 euros, des attestations du 7 octobre 2022, mentionnant l'intention de leurs auteurs d'embaucher Mme B... dans le cadre de projets pour lesquels les financements ne sont toutefois pas encore attribués, et une lettre attestant de l'achat par la société Arte d'un court métrage de fiction qu'elle a réalisé et qui a été primé notamment lors du festival de Clermont-Ferrand de 2023 et par le magazine Telerama. Toutefois, ces documents, qui sont postérieurs à la décision attaquée, ne suffisent pas pour établir qu'à la date de celle-ci, l'activité artistique de Mme B... pouvait lui permettre de se procurer, pour la période de séjour envisagée, des ressources équivalant à 70 % du SMIC. Dans ces conditions, et alors même que le sérieux du travail de Mme B... n'est pas contesté, le préfet de police de Paris pouvait sans commettre d'erreur d'appréciation lui refuser la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " passeport talent ".
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
7. Mme B... soutient qu'elle vit depuis 2016 en concubinage avec M. C..., ressortissant belge établi à Paris. Outre deux attestations signées par cette personne relatant en deux pages les circonstances de leur rencontre et décrivant leur vie commune, elle produit des billets d'avion à leur deux noms pour trois voyages en 2017, 2018, 2020, une série de photos non datées les représentant, un contrat de bail à leur deux noms en date du 15 décembre 2016 pour un appartement situé dans le 10ème arrondissement de Paris accompagné d'une lettre du propriétaire datée du 10 novembre 2022 attestant de leur vie commune à cette adresse, des attestations récentes d'amis et d'une psychologue attestant de cette relation ainsi qu'une déclaration de changement de bénéficiaire datée du 15 mars 2017 dans laquelle le concubin déclaré de Mme B... informe la caisse d'allocation de Paris de sa séparation d'avec son épouse et de la prise en charge de la requérante et, enfin, un ensemble de factures de fournisseurs d'énergie aux deux noms mentionnant l'existence d'un contrat commun à la même adresse depuis 2016 ainsi que les consommations en 2017, 2018, 2019, 2020 et 2021. La réalité de vie commune est toutefois contestée par le préfet de police de Paris qui fait notamment valoir, d'une part, que, fiches de salle à l'appui, Mme B... s'est présentée comme célibataire lors de ses demandes de renouvellement et de délivrance de titres de séjour pour les années 2017, 2019, 2021 et 2022 et que si elle a déclaré l'adresse commune dans le 10ème arrondissement lors de la demande de titre de séjour portant la mention " étudiant " en 2017, elle a mentionné une seconde adresse dans le 4ème arrondissement de Paris à l'occasion des demandes postérieures, justifiée par des factures d'électricité de France à son unique nom et produites par le préfet. D'autre part, l'administration indique en défense que les fiches de paie de M. C... mentionnent qu'il est toujours marié et qu'il ressort de ses avis d'impôts, produits par Mme B..., qu'il a déclaré en commun avec son épouse leurs revenus pour les années 2019, 2020 et 2022, alors même qu'il indique en être séparé et en instance de divorce depuis 2019. Dans ces conditions, alors que Mme B... n'est pas dépourvue de toute attache familiale aux Etats-Unis d'Amérique, son pays d'origine, où résident ses parents et où elle a elle-même vécu jusqu'à l'âge de 25 ans, la décision attaquée ne porte pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts qu'elle poursuit. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doit en conséquence être écarté.
8. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 5 et 7, le moyen tiré de ce la décision attaquée est entachée, à la date à laquelle elle a été prise, d'une erreur manifeste d'appréciation eu égard à ses conséquences sur la situation personnelle de Mme B... doit être écarté.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
9. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'illégalité, par voie d'exception, de la décision de refus de titre de séjour, soulevé à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français, est infondé et doit, par suite, être écarté.
10. En second lieu, pour les mêmes raisons que celles décrites aux points 5 et 7, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de police de Paris, en obligeant Mme B... à quitter le territoire, aurait commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de la requérante ou méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
11. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la décision obligeant Mme B... à quitter le territoire n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, celle-ci ne saurait se prévaloir par voie d'exception, de l'illégalité de cette décision, pour demander l'annulation de la décision fixant le pays de destination.
12. En second lieu, pour les mêmes raisons que celles décrites aux points 5 et 7, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de police, en fixant le pays de destination, aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de la requérante.
13. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions aux fins d'annulation et d'injonction ainsi que, par voie de conséquences, celles présentées au titre des frais liés à l'instance, doivent être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de police de Paris.
Délibéré après l'audience du 15 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Anne Menasseyre, présidente de chambre,
- Mme Cécile Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- Mme Aude Collet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 février 2024.
La rapporteure,
C. VRIGNON-VILLALBALa présidente,
A. MENASSEYRE
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA00952 2