Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... B... et Mme C... B... ont demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2012.
Par un jugement n° 2009524/1-1 du 5 janvier 2022 le Tribunal administratif de Paris a déchargé les requérants de l'intégralité, en droits et pénalités, de cette cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 mai 2022 et le 12 juillet 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2009524/1-1 du 5 janvier 2022 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rétablir, en droits et pénalités, les impositions dont le jugement attaqué a prononcé la décharge.
Il soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé en s'étant borné à relever que la requalification en traitements et salaires était impossible faute pour l'administration d'avoir entendu écarter l'interposition de la société Sunflower ;
- le gain taxé résulte de l'acte de disposition que constitue l'apport, par M. B..., à la société Sunflower de ses titres de la société Tournesol, intervenu le 25 juin 2012, les titres étant apportés pour une valeur fixée par transparence avec le prix de rachat versé deux jours plus tard par Montecin ;
- M. B... est le bénéficiaire de ce gain, la société civile Sunflower s'étant seulement substituée à lui pour la cession des titres de la société Tournesol ;
- il n'y avait pas lieu de mettre en œuvre la procédure d'abus de droit de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dès lors que M. B... a réalisé un gain dès l'apport du 25 juin 2012 et qu'il n'était par suite pas nécessaire d'écarter l'interposition de la société Sunflower pour imposer ce gain ;
- le gain réalisé par M. B... a une nature salariale dès lors que l'avantage qui lui a été consenti par cette opération résulte directement et exclusivement de ses fonctions dans le groupe Prezioso.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 juin 2023, M. et Mme B..., représentés par Me Turot, concluent au rejet de la requête.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par le recours ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hamon,
- les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Turot pour M. et Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Le groupe Prezioso-Technilor, créé en 1957 et spécialisé dans les isolants industriels, était détenu depuis 2005 par la holding Saint-Clair, elle-même détenue via la société luxembourgeoise Mezzazine 2000 contrôlée par le fonds d'investissement Indigo Capital. Indigo ayant décidé en 2009 de vendre ce groupe par une opération d'achat-revente avec effet de levier, dite leverage buy out (LBO), plusieurs sociétés ont, dans cette perspective, été créées en 2009 par les dirigeants du groupe Prezioso-Technilor, dont la société (SAS) Tournesol Capital, créée par M. B... et M. D..., respectivement président des SAS Saint-Clair Holding et Prezioso-Technilor et directeur général des opérations du groupe Prezioso-Technilor avec un capital de 3 euros, M. B... détenant 2 actions d'une valeur unitaire d'un euro. Le 2 décembre 2009, Tournesol Capital a procédé à une augmentation de son capital en émettant 222 825 actions ordinaires, dont F... ont été acquises, sur ses fonds personnels, par M. B..., au prix de F... euros. Le 17 décembre 2009, aux termes d'un pacte d'actionnaires, Indigo Capital a permis à Tournesol Capital d'entrer dans le capital de Saint-Clair Holding en acquérant 265 500 actions ordinaires et en souscrivant à 142 500 actions de préférence de Saint-Clair Holding pour un total de 959 625 euros, les actions de préférence accordant à leurs titulaires une quote-part du prix de cession des titres en cas de revente du groupe Prezioso-Technicolor. Ces acquisitions et souscriptions ont été financés pour partie par un apport en numéraire, dont F... euros financés par M. B... sur ses fonds personnels et, pour le reste, par l'émission d'un emprunt obligataire de 750 000 euros souscrit par la société Mezzanine 2000, pour lequel M. B... s'est porté caution. Cet investissement conférait donc à M. B..., par l'interposition de la société Tournesol Capital dont il détient les deux tiers du capital, 175 000 actions ordinaires et 95 000 actions de préférence de la société Saint-Clair Holding, soit environ 7 % de son capital. Le 16 mai 2012, M. B... a créé avec son épouse, Mme C... B..., la société civile Sunflower, qui a opté pour son assujettissement à l'impôt sur les sociétés. Le 25 juin 2012, M. B... a apporté la totalité de ses titres de la société Tournesol à la société Sunflower au prix de J... euros. Cet apport a bénéficié du sursis d'imposition prévu par les dispositions alors applicables de l'article 150-O B du code général des impôts. Le débouclage de l'opération de rachat du groupe Preziosio a eu lieu le 27 juin 2012, la totalité des titres de la société Tournesol Capital ayant été cédée par la société Sunflower à l'acquéreur du groupe Prezioso, la société Montecin France 1, pour le même prix de J... euros qui, distribué au cours de l'année 2012 à hauteur de G... euros à M. B..., somme qui a été taxée entre les mains de ce dernier dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, la société Sunflower ayant, toujours au cours de l'année 2012, réinvesti près des deux tiers du prix qu'elle avait ainsi encaissé dans la société Montecin France 1 dans le cadre d'un LBO secondaire.
2. A la suite de l'examen contradictoire de situation fiscale personnelle de M. et Mme B..., l'administration fiscale a estimé que la vente du groupe Prezioso s'était accompagnée d'un mécanisme d'intéressement consistant à rétrocéder à certains cadres dirigeants associés à l'opération, dont faisait partie M. B..., une partie du gain attendu de cette opération. A l'issue de ce contrôle, conduit selon la procédure de rectification contradictoire, elle a donc estimé que la minoration du prix d'acquisition des actions de préférence dont avait bénéficié M. B... devait être imposée dans la catégorie des traitements et salaires, en tant que complément de rémunération, soit H... euros correspondant pour M. B... à sa part du gain net de cession des titres de la société Tournesol Capital, apportés à la société civile Sunflower Capital deux jours avant leur cession au repreneur pour une même valeur. Le Tribunal administratif de Paris, saisi par M. et Mme B..., a prononcé la décharge intégrale, en droits, intérêts de retard et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contribution sur les hauts revenus prévue à l'article 223 sexies du code général des impôts auxquelles ils avaient été assujettis au titre de l'année 2012 en conséquence de l'imposition de ce gain en tant que traitements et salaires. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique fait appel de ce jugement pour demander que ces impositions soient remises à la charge de M. et Mme B....
Sur la régularité du jugement :
3. En ayant relevé que le service vérificateur, qui n'a pas entendu écarter l'interposition de la société civile Sunflower comme ne lui étant pas opposable sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, au motif qu'elle présenterait un caractère fictif ou que sa création répondrait à un but exclusivement fiscal en vue d'une application littérale de textes ou de décisions en méconnaissance des objectifs de leurs auteurs, ne pouvait pas requalifier en complément de salaire le gain dégagé par l'apport des titres Saint-Clair Holding à la société Sunflower, et ce, alors même que M. B..., qui contrôlait et dirigeait cette société, exerçait lui-même une activité salariée au sein du groupe Prezioso, et en considérant que dans ces conditions, le gain litigieux, dégagé par l'apport des titres de la société Saint-Clair, ne pouvait être regardé comme un complément de salaire, sans caractériser l'existence d'un avantage financier consenti à M. B... par la société Prezioso à raison de ses fonctions de cadre dirigeant dont procèderait ce gain, les premiers juges ont suffisamment énoncé les motifs de fait et de droit pour lesquels ils ont prononcé la décharge en litige.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. Pour prononcer la décharge intégrale des impositions en litige, le Tribunal a relevé que la société civile Sunflower, qui avait opté pour son assujettissement à l'impôt sur les sociétés, n'était, par nature, pas salariée du groupe Prezioso et a considéré que l'administration n'ayant pas entendu écarter l'interposition de cette société Sunflower comme constituant un abus de droit et comme ne lui étant, par suite, pas opposable sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, elle ne pouvait pas requalifier en complément de salaire le gain dégagé par l'apport des titres Saint-Clair à la société civile Sunflower par M. B..., et ce, alors même que M. B... contrôlait et dirigeait cette société.
5. Aux termes de l'article 150-0 A du code général des impôts : " I.-1. (...) les gains nets retirés des cessions à titre onéreux (...) de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres (...), de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu (...) ". L'article 150-0 B du même code, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que : " Les dispositions de l'article 150-0 A ne sont pas applicables, au titre de l'année de l'échange des titres, aux plus-values réalisées dans le cadre (...) d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés (...) ".
6. La circonstance que des titres ont été acquis à un prix préférentiel au regard de leur valeur réelle à la date de cette acquisition ou souscription est de nature à révéler l'existence d'un avantage à concurrence de la différence entre le prix ainsi acquitté et cette valeur. Un tel avantage, lorsqu'il trouve essentiellement sa source dans l'exercice par l'intéressé de ses fonctions de dirigeant ou salarié, a le caractère d'un avantage accordé en sus du salaire, imposable au titre de l'année d'acquisition des titres dans la catégorie des traitements et salaires en application des articles 79 et 82 du code général des impôts. Le caractère préférentiel de ce prix est en revanche sans incidence sur la nature des gains réalisés ultérieurement par le contribuable lors de la cession des titres ainsi acquis.
7. Les gains nets retirés par une personne physique de la cession à titre onéreux de valeurs mobilières sont en principe imposables suivant le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières des particuliers institué par l'article 150-0 A du code général des impôts, y compris lorsque ces titres ont été acquis ou souscrits auprès d'une société dont le contribuable était alors dirigeant ou salarié, ou auprès d'une société du même groupe. Il en va toutefois autrement lorsque, eu égard aux conditions de réalisation du gain de cession, ce gain doit essentiellement être regardé comme acquis, non à raison de la qualité d'investisseur du cédant, mais en contrepartie de ses fonctions de salarié ou de dirigeant et constitue, ainsi, un revenu imposable dans la catégorie des traitements et salaires en application des articles 79 et 82 du code général des impôts, réalisé et disponible l'année de la cession de ces titres.
8. En premier lieu, le ministre ne conteste ni que l'administration n'a pas entendu écarter l'interposition de la société Sunflower sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, ni que c'est cette seule société Sunflower, laquelle ne peut, par nature, être salariée, qui a procédé à la cession, le 27 juin 2012, de la totalité des titres de la société Tournesol détenant les titres de la société Saint-Clair. Dans ces conditions, le ministre n'est pas fondé à soutenir que le gain dégagé lors de cette opération de cession des titres de la société Tournesol Capital à la société Montecin France 1 par la société Sunflower, qui en outre avait opté pour son assujettissement à l'impôt sur les sociétés, constituerait un complément de salaire imposable entre les mains de M. B..., qui ne peut pas être regardé comme ayant réalisé un quelconque gain de cession, étant relevé qu'ainsi qu'il a déjà été dit, la société Sunflower, qui a le 27 juin 2012 encaissé sur son compte bancaire le prix de la cession litigieuse, soit J... euros, en a, au cours de cette même année, d'une part, distribué A... millions à M. B... sous forme de dividendes qui ont été imposés dans le chef de ce dernier au prélèvement libératoire de l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux, d'autre part, réinvesti près des deux tiers auprès de la cessionnaire, la société Montecin France 1, de sorte que le gain de cession en cause ne peut être regardé comme ayant été acquis par M. B.... .
9. En second lieu, si le ministre doit être regardé comme demandant en appel que soit substitué au motif fondant les rehaussements en litige, tiré des conditions de l'opération de cession du 27 juin 2012, le motif tiré de ce que le gain litigieux imposé dans la catégorie des traitements et salaires, a pour fait générateur non pas cette cession, mais l'apport, réalisé par M. B... le 25 juin 2012, de l'intégralité de ses titres Tournesol Capital, d'une valeur de J... euros, à la société Sunflower en échange de l'attribution de titres Sunflower pour la même valeur, et de ce que ce gain constituerait un complément de salaire imposable entre les mains de M. B... au titre de l'année 2012, cette demande de substitution ne peut être accueillie. En effet, la plus-value résultant d'un tel échange de titres ne peut être qualifiée de traitements et salaires dès lors que l'administration n'a pas entendu remettre en cause, sur le fondement de l'abus de droit, l'interposition de la société Sunflower, ce qui fait obstacle à ce qu'un tel apport puisse, comme le soutient le ministre, être regardé comme un acte de disposition par lequel M. B... aurait renoncé à exercer son droit de vente et l'aurait cédé à la société Sunflower, alors surtout qu'à la date de l'apport des titres de la société Tournesol Capital, ces derniers n'ont produit aucun gain pour l'intéressé et que le gain issu de leur cession le 27 juin 2012 a été encaissé par la société Sunflower qui en a disposé dans les conditions rappelées au point précédent. Dans ces conditions, la plus-value d'échange née de l'apport des titres de la société Tournesol Capital à la société Sunflower ne peut être imposée dans le chef de M. B... dans la catégorie des traitements et salaires, mais se trouve placée en sursis d'imposition conformément aux dispositions dans leur rédaction alors applicables de l'article 150- 0 B du code général des impôts.
10. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles M. et Mme B... ont été assujettis au titre de l'année 2012.
Sur les frais de l'instance :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. et Mme B... d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à M. et Mme B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à M. E... B... et à Mme C... B... et à la direction nationale des vérifications de situations fiscales.
Délibéré après l'audience du 23 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Auvray, président de chambre,
- Mme Hamon, présidente-assesseure,
- Mme Zeudmi Sahraoui, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 février 2024.
La rapporteure,
P. HAMONLe président,
B. AUVRAY
La greffière,
C. BUOT La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA02007