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10/06/2024 | FRANCE | N°23PA04235

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 10 juin 2024, 23PA04235


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 19 août 2022 par lequel le préfet de police de Paris a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois.



Par un jugement n° 222449

8/8 du 15 février 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devan...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 19 août 2022 par lequel le préfet de police de Paris a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois.

Par un jugement n° 2224498/8 du 15 février 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 octobre 2023, Mme A..., représentée par Me Perdereau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de Paris de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 80 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me Perdereau au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve de renonciation par son conseil à la part contributive de l'Etat.

Elle soutient que :

S'agissant de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle ;

S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision de refus de séjour ;

- elle méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle ;

S'agissant de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 février 2024, le préfet de police de Paris conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 avril 2023 du tribunal judiciaire de Paris.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Vrignon-Villalba a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante congolaise (République démocratique du Congo) née le 23 juillet 1976 et entrée en France le 20 juin 2015 selon ses déclarations, a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 19 août 2022, le préfet de police de Paris a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois. Par un jugement du 15 février 2023, dont Mme A... relève appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. (...). / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ".

3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un accès effectif à un traitement approprié dans le pays de renvoi. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dont il peut effectivement bénéficier dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

4. Pour refuser à Mme A... la délivrance d'un titre de séjour, le préfet de police de Paris s'est notamment fondé sur l'avis du 30 juin 2022 du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui mentionnait que si l'état de santé de l'intéressée nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé de la République démocratique du Congo, elle pouvait y bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé. Mme A... fait valoir que, compte tenu de l'insuffisance de structures médicales dédiées aux pathologies mentales dans son pays d'origine, elle ne pourra y bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé.

5. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... est prise en charge depuis le mois de novembre 2017 par le centre Primo Levi en raison d'un état de stress post-traumatique sévère avec comorbidité secondaire à type de personnalité borderline et psychose qui nécessite un traitement médicamenteux, composé d'un antidépresseur et d'un anxiolytique, un suivi trimensuel assuré par un médecin généraliste, une psychothérapie analytique hebdomadaire ainsi qu'un encadrement institutionnel adapté. Mme A... présente par ailleurs une atteinte inflammatoire chronique de la cheville gauche, une neutropénie ainsi qu'une hypertension nécessitant un suivi médical spécifique, notamment en orthopédie et en hématologie. Dans le certificat médical qu'il a établi le 21 juin 2019, le médecin qui la suit au centre Primo Levi souligne le caractère non substituable du traitement médicamenteux lourd et du suivi psychothérapeutique dont Mme A... fait l'objet et relève l'insuffisance tant quantitative que qualitative des structures de prise en charge. Dans le certificat médical qu'il a établi le 8 mars 2022, l'autre médecin qui suit la requérante au centre Primo Levi indique qu'en RDC, " les structures et la prise en charge de l'Etat de Syndrome de Stress Post Traumatique sont très insuffisants. Le personnel compétent est rare, et tout est regroupé dans la capitale ", et ajoute que " le coût de la santé, la rupture de médicaments (...) poussent les patients à aller vers les vendeurs ambulants acheter des médicaments souvent frelatés responsables d'intoxication voire de décès ". Ces attestations sont corroborées par le rapport de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) du 28 février 2022, selon lequel, d'une part, les possibilités de psychothérapie sont presque inexistantes en RDC et sont difficilement accessibles en raison des leur coût élevé, qui n'est pas pris en charge par le système d'assurance maladie et, d'autre part, la disponibilité limitée des médicaments et un coût élevé entrainent une mauvaise adhésion aux traitements. Par ailleurs, selon le rapport Medcoi (Medical Country of Origin Information Report) établi en août 2021 par l'agence européenne pour l'asile et concernant la RDC, s'il existe six centres hospitaliers spécialisés dans le traitement des maladies mentales et qui prennent en charge des patients en cas de crise grave et la psychothérapie est quasiment inexistante en-dehors des suivis mis en place par certaines associations et des ONG, dont l'offre est concentrée dans le centre et l'est du pays. Le rapport mentionne le manque de professionnels de santé formés à ce type de prise en charge ainsi que les difficultés d'accès pour les patients compte tenu de leur localisation, essentiellement dans la capitale, et de leur coût extrêmement élevé. Il relève également le coût élevé des traitements et l'absence de toute prise en charge par l'Etat, et conclut que la grande majorité des personnes qui ont besoin de soins psychiatriques n'y ont pas accès. Dans ces conditions, Mme A... est fondée à soutenir qu'en refusant de lui délivrer un titre de séjour en raison de son état de santé, le préfet de police a fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. Il résulte de ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 août 2022 par lequel le préfet de police de Paris a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

7. Eu égard au motif d'annulation retenu, et en l'absence de changement dans la situation de l'intéressée, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de police de Paris ou à tout préfet territorialement compétent de délivrer à Mme A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au profit de Me Perdereau sur le fondement des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative. Conformément aux dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 modifiée, le recouvrement en tout ou partie de cette somme vaudra renonciation à percevoir, à due concurrence, la part contributive de l'Etat.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du 15 février 2023 du tribunal administratif de Paris et l'arrêté du 19 août 2022 du préfet de police de Paris sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de Paris ou à tout préfet territorialement compétent de délivrer à Mme A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'État versera à Me Perdereau la somme de 1 000 euros au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative. Me Perdereau renoncera, s'il recouvre cette somme, à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de police de Paris.

Copie sera adressée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et au procureur de la République près le tribunal judicaire de Paris.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- Mme Jayer, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juin 2024.

La rapporteure,

C. Vrignon-Villalba La présidente,

A. Menasseyre

Le greffier

P. Tisserand

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA04235


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA04235
Date de la décision : 10/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Cécile VRIGNON-VILLALBA
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : PERDEREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-10;23pa04235 ?
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