Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 19 avril 2023 par lequel le préfet de police de Paris a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 2310503/3-1 du 4 juillet 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoires complémentaire enregistrés le 26 juillet 2023 et le 27 février 2024, M. B..., représenté par Me Loehr, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'ordonner la communication du rapport médical sur lequel se sont fondés les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) pour apprécier sa situation médicale ;
3°) d'annuler l'arrêté du 19 avril 2023 du préfet de police de Paris ;
4°) d'enjoindre au préfet de police de Paris de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et de le munir d'une autorisation provisoire de séjour valant autorisation de travail ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les premiers juges, en n'ordonnant pas la communication du dossier sur lequel se sont fondés les médecins de l'OFII pour apprécier sa situation médicale, ont méconnu le principe d'égalité des armes dans le débat contradictoire tel que garanti par les articles 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'un vice de procédure dès lors qu'il n'est pas établi que les signatures des médecins apposées sur l'avis du collège de médecins de l'OFII soient authentiques ;
- il est entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- il est entaché d'une erreur de droit dès lors que le préfet s'est estimé lié par l'avis du collège de médecins de l'OFII ;
- il méconnaît les dispositions des articles L. 425-9 et L. 611-3 9° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 février 2024, le préfet de police de Paris conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Par un courrier du 26 septembre 2023, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a été invité à transmettre l'entier dossier médical de M. B... au vu duquel les médecins du collège se sont prononcés pour rendre leur avis du 2 janvier 2022.
Par des pièces enregistrées le 4 octobre 2023, l'OFII a communiqué le dossier médical de M. B....
Par un mémoire enregistré le 24 avril 2024, l'OFII a présenté, à la demande de la cour, ses observations sur la disponibilité en Côte d'Ivoire du traitement dont M. B... a besoin.
Par un nouveau mémoire enregistré le 29 mai 2024, M. B... a répondu à ces observations, en maintenant ses conclusions par les mêmes moyens.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'ordonnance n° 2005-1615 du 8 décembre 2005 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 425-11 à R. 425-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l'exercice par les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, de leurs missions, prévues à l'article 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Vrignon-Villalba a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant ivoirien né le 1er janvier 1991 et entré en France le 28 janvier 2017 selon ses déclarations, a été mis en possession le 6 octobre 2020 d'un titre de séjour pour raisons de santé, régulièrement renouvelé jusqu'au 26 octobre 2022. Le 19 septembre 2022, il a sollicité le renouvellement de son titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 19 avril 2023, le préfet de police de Paris a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement. Par un jugement du 4 juillet 2023, dont M. B... relève appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 19 avril 2023 :
2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. (...). / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ". Aux termes de l'article R. 425-11 du même code : " Pour l'application de l'article L. 425-9, le préfet délivre la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'office et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ". Aux termes de l'article R. 425-12 de ce même code : " Le rapport médical (...) est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (...) ". Aux termes de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 pris pour l'application de ces dispositions : " (...) un collège de médecins (...) émet un avis (...) précisant : a) si l'état de santé du demandeur nécessite ou non une prise en charge médicale ; / b) si le défaut de prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; / c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; / d) la durée prévisible du traitement. / Dans le cas où le ressortissant étranger pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays dont il est originaire, le collège indique, au vu des éléments du dossier du demandeur, si l'état de santé de ce dernier lui permet de voyager sans risque vers ce pays. (...) / L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège ". Enfin, aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l'exercice par les médecins de l'OFII, de leur missions, prévues à l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'avis du collège de médecins de l'OFII est établi sur la base du rapport médical élaboré par un médecin de l'office selon le modèle figurant dans l'arrêté du 27 décembre 2016 (...) ainsi que des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays dont le demandeur d'un titre de séjour pour raison de santé est originaire. / Les possibilités de prise en charge dans ce pays des pathologies graves sont évaluées, comme pour toute maladie, individuellement, en s'appuyant sur une combinaison de sources d'informations sanitaires. / L'offre de soins s'apprécie notamment au regard de l'existence de structures, d'équipements, de médicaments et de dispositifs médicaux, ainsi que de personnels compétents nécessaires pour assurer une prise en charge appropriée de l'affection en cause. / L'appréciation des caractéristiques du système de santé doit permettre de déterminer la possibilité ou non d'accéder effectivement à l'offre de soins et donc au traitement approprié. / Afin de contribuer à l'harmonisation des pratiques suivies au plan national, des outils d'aide à l'émission des avis et des références documentaires présentés en annexe II et III sont mis à disposition des médecins de l'office ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un accès effectif à un traitement approprié dans le pays de renvoi. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dont il peut effectivement bénéficier dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a bénéficié le 6 octobre 2020 d'un titre de séjour pour raisons de santé, régulièrement renouvelé jusqu'au 26 octobre 2022. Pour refuser à l'intéressé le renouvellement de son titre de séjour, le préfet de police de Paris s'est notamment fondé sur l'avis du 2 janvier 2023 du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui mentionne que si l'état de santé de l'intéressé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé de la Côte d'Ivoire, il peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé.
5. Il ressort des pièces du dossier, en particulier de certificat médical établi le 19 mai 2023 par une cheffe de clinique-assistante au sein du service des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital Saint-Louis, et des prescriptions et examens d'hématologie produits au dossier de l'instance, que M. B... souffre d'une hépatite B chronique de stade F2 découverte en avril 2019 et que son état de santé nécessite un suivi spécialisé tous les six mois en service hospitalier, des bilans biologiques, virologiques et morphologiques réguliers ainsi que la prise à vie d'un traitement médicamenteux à base d'Entécavir, commercialisé sous la dénomination de Baraclude. M. B... soutient qu'il ne pourra pas bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé en Côte d'Ivoire dès lors que l'Entécavir n'y est pas commercialisé, que les infrastructures dédiées au traitement des hépatites virales sont insuffisantes et que le coût des soins et des antiviraux y est prohibitif. A l'appui de ses allégations, M. B... produit pour la première fois en appel un certificat médical du 26 juillet 2023 de la même cheffe de clinique, postérieur à l'édiction de l'arrêté en litige mais se référant à un état de fait antérieur, selon lequel un suivi effectif et complet ne serait pas possible en Côte d'Ivoire en raison du coût prohibitif des consultations, bilans et examens. En réponse à la demande de la cour, l'OFII a produit au dossier de l'instance des extraits de fiches MedCOI (medical country of origin information) en date du 29 août 2022 et du 29 janvier 2024, dont il précise qu'elles sont " le résultat d'une recherche récente effectuée par une autorité administrative d'un Etat membre dans le cadre d'une procédure d'éloignement ", et selon lesquelles, s'agissant de la première, l'Entécavir et un suivi spécialisé sont disponibles au Centre Hospitalier Universitaire de Treichville à Abidjan et, s'agissant de la seconde, le Ténofovir est vendu dans une pharmacie d'Abidjan. L'OFII relève également qu'il existe en Côte d'Ivoire un plan de lutte national contre les hépatites. En réplique, M. B... produit un extrait de l'index pharmaceutique établi par la Nouvelle PSP Côte-d'Ivoire, organisme chargé d'une mission de service public à finalité sociale, qui a pour mission d'assurer la disponibilité des médicaments essentiels en Côte d'Ivoire, et sur lequel l'Entécavir n'est pas répertorié comme médicament commercialisé au 29 mai 2024. Il produit également un courrier du laboratoire Biogaran, en date du 31 janvier 2024, selon lequel l'Entécavir n'est pas commercialisé en Côte d'Ivoire. Il ressort pas ailleurs des pièces produites au dossier par M. B..., notamment du document intitulé " Elimination des hépatites et accès aux antiviraux en Afrique -Hépatite B " et de l'article du 8 mai 2021 intitulé " " Hépatites virales : en Afrique seuls 1 % des malades ont accès aux antiviraux ", que très peu de malades atteints d'hépatite accèdent au traitement par le générique de l'Entécavir en raison de son coût élevé, qui n'est pas pris en charge par l'Etat sauf pour les malades porteurs du VIH, et ce malgré la création d'un programme national de lutte contre les hépatites virales en 2008. Dans ces conditions, et alors que, selon les certificats médicaux produits, M. B... doit effectuer " tous les 6 mois avant la consultation de maladies infectieuses une prise de sang avec sérologie hépatite B, une sérologie hépatite delta, un dosage de l'ADN viral de l'hépatite B, une numération formule sanguine plaquette, un temps de prothrombine, un bilan hépatique complet, un dosage de l'alphafoetoprotéine. Il doit également réaliser tous les ans une échoDoppler hépatique avec fibroscan ", il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... pourrait bénéficier effectivement en Côte d'Ivoire d'un traitement et d'une surveillance adaptés à son état de santé.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de police du 19 avril 2023.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
7. Eu égard au motif d'annulation retenu, et en l'absence de changement dans la situation de l'intéressé, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de police de Paris ou à tout préfet territorialement compétent de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler. Il n'a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 4 juillet 2023 et l'arrêté du préfet de police de Paris du 19 avril 2023 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de Paris ou à tout préfet territorialement compétent de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à M. B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de police de Paris.
Copie sera adressée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et au procureur de la République près le tribunal judicaire de Paris.
Délibéré après l'audience du 10 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- Mme Collet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.
La rapporteure,
C. Vrignon-Villalba La présidente,
A. Menasseyre
La greffière
N. Couty
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA03357