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22/07/2024 | FRANCE | N°23PA01840

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 3ème chambre, 22 juillet 2024, 23PA01840


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner le centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger d'Aulnay-sous-Bois à lui verser la somme totale de 172 528 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2020, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la mesure de suspension de fonctions prononcée à son encontre le 9 mars 2016.



Par un jugement n° 2007886 du 8 mars 2023, le tribunal a

dministratif de Montreuil a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner le centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger d'Aulnay-sous-Bois à lui verser la somme totale de 172 528 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2020, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la mesure de suspension de fonctions prononcée à son encontre le 9 mars 2016.

Par un jugement n° 2007886 du 8 mars 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 mai 2023, M. D..., représenté par Me Jove Dejaiffe, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 8 mars 2023 ;

2°) de condamner le centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger d'Aulnay-sous-Bois à lui verser la somme totale de 172 528 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2020 ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger d'Aulnay-sous-Bois la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la responsabilité pour faute du centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger d'Aulnay-sous-Bois est engagée du fait de l'illégalité de la mesure de suspension de fonctions à titre conservatoire prononcée à son encontre le 9 mars 2016 ;

- il n'a pas été entendu avant l'édiction de cette décision ; elle a porté atteinte à la présomption d'innocence dont il bénéficie ; la procédure pénale engagée à son encontre n'a pas abouti et la sanction prononcée par la chambre disciplinaire de première instance a été annulée ;

- il n'est pas l'auteur des documents sur lesquels la décision de suspension est fondée ; il n'est pas établi que son comportement ou ses agissements étaient de nature à mettre en péril le bon fonctionnement du service ou la qualité des soins dispensés aux patients ;

- il a subi un préjudice matériel en raison de la non perception de primes et de rémunérations d'astreintes ; ce préjudice s'élève à 117 528 euros ;

- il a subi un préjudice de carrière qui doit être indemnisé à hauteur de 40 000 euros ;

- il a subi un préjudice moral qui doit être indemnisé par la somme de 15 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 mars 2024, le centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger d'Aulnay-sous-Bois, représenté par Me Lesson, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. D....

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

La clôture de l'instruction a été fixée au 18 avril 2024.

Vu :

- le code de la santé publique,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Lesson, représentant le centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger d'Aulnay-sous-Bois.

Considérant ce qui suit :

1. En 2015, la direction du centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger d'Aulnay-sous-Bois a été sollicitée par la sous-préfecture de Sarcelles en vue de confirmer l'authenticité d'un certificat médical, produit par un ressortissant congolais ayant demandé un titre de séjour en qualité d'étranger malade. Peu après, au début de l'année 2016, l'hôpital a été informé par l'Agence régionale de santé d'Île-de-France de la réception de plusieurs certificats médicaux dont l'authenticité était également douteuse. M. D..., praticien hospitalier en psychiatrie, responsable du service des urgences psychiatriques depuis 2014, a été mis en cause dans ce cadre, et l'hôpital a déposé une plainte à son encontre pour faux et usage de faux dans l'exercice de ses fonctions. Entendu par la direction de l'établissement, il a réfuté son implication. Le 3 mars 2016, un patient s'est présenté à l'hôpital pour réclamer le remboursement d'une somme d'argent qu'il indiquait avoir remis à M. D.... Par une décision du 9 mars 2016, le directeur du centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger a suspendu M. D... de ses fonctions à titre conservatoire et dans l'intérêt du service, sur le fondement des dispositions de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, dans l'attente de l'issue des poursuites pénales engagées par le Parquet au début de l'année 2016. Par une décision du 14 décembre 2017, la chambre disciplinaire de première instance d'Île-de-France de l'ordre des médecins a infligé à l'intéressé la sanction d'interdiction d'exercice de la médecine pendant trois ans. Par un courrier du 8 mars 2019, le Parquet a informé l'hôpital du classement sans suite de sa plainte. Enfin, par une décision du 7 octobre 2019, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a annulé cette sanction et a rejeté la plainte du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis de l'ordre des médecins, aux motifs, notamment, que le M. D... niait avoir été l'auteur des faux et que les éléments du dossier ne permettaient pas d'établir sa culpabilité. La suspension de fonctions prononcée à titre conservatoire a ensuite pris fin et l'intéressé a été placé en disponibilité à compter de janvier 2020.

2. Par un courrier du 24 avril 2020, reçu le 28 avril 2020 par le centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger d'Aulnay-sous-Bois, M. D... a demandé réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis du fait de la mesure de suspension de fonctions à titre conservatoire dont il avait fait l'objet le 9 mars 2016. Cette demande a été rejetée par un courrier du 18 juin 2020. M. D... demande à la cour d'annuler le jugement du 8 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger à lui verser la somme totale de 172 528 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2020.

Sur le bien-fondé de la décision litigieuse :

3. Aux termes de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique : " En cas d'urgence, lorsque la poursuite de son exercice par un médecin, un chirurgien-dentiste ou une sage-femme expose ses patients à un danger grave, le représentant de l'Etat dans le département prononce la suspension immédiate du droit d'exercer pour une durée maximale de cinq mois. Il entend l'intéressé au plus tard dans un délai de trois jours suivant la décision de suspension. / (...) / Les pouvoirs définis au présent article sont exercés par le directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation lorsque le danger grave auquel la poursuite de son exercice par un médecin, un chirurgien-dentiste ou une sage-femme expose ses patients a été constaté à l'occasion de l'exercice de ses fonctions dans un établissement de santé. Dans cette hypothèse, le directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation informe en outre immédiatement de sa décision le représentant de l'Etat dans le département. (...) ". Et aux termes de l'article L. 6143-7 du même code : " (...) Le directeur exerce son autorité sur l'ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s'imposent aux professions de santé, des responsabilités qui sont les leurs dans l'administration des soins et de l'indépendance professionnelle du praticien dans l'exercice de son art (...) ".

4. S'il appartient, en cas d'urgence, au directeur général de l'agence régionale de santé compétent de suspendre, sur le fondement de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique, le droit d'exercer d'un médecin qui exposerait ses patients à un danger grave, le directeur d'un centre hospitalier, qui, aux termes de l'article L. 6143-7 du même code, exerce son autorité sur l'ensemble du personnel de son établissement, peut toutefois, dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients, décider lui aussi de suspendre les activités cliniques et thérapeutiques d'un praticien hospitalier au sein du centre, à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné.

5. En premier lieu, une décision de suspension prise, comme en l'espèce, sur le fondement des dispositions précitées, présente le caractère d'une mesure conservatoire et non d'une sanction disciplinaire. La décision du 9 mars 2016 n'avait donc pas à être précédée d'une procédure contradictoire. Par suite, M. D... ne peut utilement invoquer une méconnaissance du principe du contradictoire ou une atteinte à sa présomption d'innocence pour soutenir que cette décision aurait été entachée d'une illégalité fautive engageant la responsabilité de l'administration. Les circonstances que la procédure pénale a été classée sans suite en 2019 et que la sanction disciplinaire d'interdiction d'exercice de la médecine pendant trois ans a été annulée, postérieures à la décision de suspension, sont sans influence sur sa légalité.

6. En second lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision de suspension, le 9 mars 2016, de nombreux éléments rendaient vraisemblables les faits sur lesquels cette mesure a été fondée. Le centre hospitalier, saisi en mai 2015 d'une demande d'authentification d'un certificat médical attestant d'un rendez-vous pour soins en France d'un ressortissant congolais, pour lequel M. D... avait fait un devis d'hospitalisation, a ainsi constaté qu'il s'agissait d'un faux document. En novembre 2015, l'établissement a été sollicité par le sous-préfet de Sarcelles afin d'authentifier cinq documents médicaux signés par M. D..., produits à l'appui d'une demande d'admission au séjour pour soins présentés par un étranger en situation irrégulière. Ces documents, antidatés, ne correspondaient pas à un patient suivi par le centre hospitalier. Par ailleurs, en janvier 2016, l'hôpital a été informé par l'agence régionale de santé d'Île-de-France du caractère douteux de onze certificats médicaux et de six ordonnances signés par l'intéressé dans le cadre de demande de titres de séjour pour soins. Enfin, le 3 mars 2016, un patient de nationalité étrangère s'est présenté pour réclamer un dédommagement au motif qu'il aurait remis une somme d'argent à M. D... au cours d'une consultation, sans être ultérieurement recontacté par le praticien. Alors que la plainte déposée par l'établissement de santé en décembre 2015 avait donné lieu à l'ouverture d'une enquête par le Parquet, et nonobstant la contestation de l'imputabilité de ces faits graves par M. D..., le directeur du centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger a donc pu légalement, compte tenu de l'existence de circonstances exceptionnelles de nature à mettre en péril la continuité du service et la sécurité des patients suivis en psychiatrie, dont le requérant était responsable, prendre une mesure de suspension de fonctions à titre conservatoire. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que cette décision serait entachée d'une illégalité fautive engageant la responsabilité de l'administration hospitalière.

7. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger d'Aulnay-sous-Bois à l'indemniser des préjudices subis du fait de la mesure de suspension à titre conservatoire dont il a fait l'objet par décision du 9 mars 2016.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger d'Aulnay-sous-Bois, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par M. D... et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ce dernier le versement de la somme de 1 500 euros au centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger d'Aulnay-sous-Bois, sur le fondement des mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : M. D... versera la somme de 1 500 euros au centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger d'Aulnay-sous-Bois, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et au centre hospitalier intercommunal Robert Ballanger d'Aulnay-sous-Bois.

Délibéré après l'audience du 6 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Marianne Julliard, présidente,

- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 juillet 2024.

La rapporteure,

G. A...La présidente,

M. B...

Le greffier,

É. MOULIN

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 23PA01840


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA01840
Date de la décision : 22/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme JULLIARD
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : SELARL JOVE-LANGAGNE-BOISSAVY

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-22;23pa01840 ?
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