Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Micherouan a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 mars 2016.
Par un jugement n° 2108287 du 28 mars 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 15 mai 2023 et le 21 décembre 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la société Micherouan, représentée par Me Cohen, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôts sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie pour la période du 1er janvier 2014 au 31 mars 2016 à hauteur d'un montant de 89 214 euros.
Elle soutient que :
- la proposition de rectification est insuffisamment motivée ;
- sa comptabilité n'était pas irrégulière ;
- la méthode de reconstitution retenue par l'administration est insuffisante, radicalement viciée, excessivement sommaire et aboutit à une évaluation exagérée ;
- les pénalités ne peuvent être mises à sa charge dès lors que l'administration n'établit pas un manquement délibéré ou des manœuvres frauduleuses.
Par un mémoire en défense enregistré le 1er décembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dubois ;
- et les conclusions de Mme de Phily, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société Micherouan, qui exploite en location-gérance deux fonds de commerce d'achat-revente au détail de prêt-à-porter masculin, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2014 et 2015 et la période du 1er janvier 2016 au 31 mars 2016 à l'issue de laquelle lui a été notifiée, selon procédure contradictoire, une proposition de rectification du 16 février 2017 portant rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 mars 2016 et rehaussement d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2014 et 2015. Les impositions en cause ont fait l'objet d'un avis de mise en recouvrement du 31 novembre 2017. La réclamation préalable de la société Micherouan ayant été rejetée par décision du 25 février 2021, la société a sollicité la décharge de ces impositions devant le tribunal administratif de Paris. La société Micherouan relève appel du jugement n° 2108287 du 28 mars 2023 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. / Sur demande du contribuable reçue par l'administration avant l'expiration du délai mentionné à l'article L. 11, ce délai est prorogé de trente jours (...) ". L'article R. 57-1 du même code dispose que : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile.
3. En l'espèce, la proposition de rectification adressée le 16 février 2017 à la société requérante précise les motifs et le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal et la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés, ainsi que les années d'imposition concernées et les constats factuels sur lesquels le service vérificateur s'est fondé pour opérer les rehaussements correspondants. Contrairement à ce que soutient la société requérante, la proposition de rectification n'avait pas à comporter en annexe les feuilles journalières auxquelles des irrégularités comptables étaient reprochées pour justifier que soit écartée la comptabilité. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation ne peut qu'être écarté.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
En ce qui concerne le rejet de la comptabilité :
4. D'une part, il ressort de la proposition de rectification du 16 février 2017 que, pour écarter comme non-probante la comptabilité de la société Micherouan, le service vérificateur a relevé que, en l'absence de caisse enregistreuse, les recettes étaient comptabilisées sur des feuilles journalières volantes tenues manuellement et dépourvues de numérotation chronologique ininterrompue, ce qui ne permettait pas de s'assurer de leur exhaustivité. La proposition de rectification relève encore que les ventes groupées ont fait l'objet d'une comptabilisation globale ne permettant pas de détailler le prix de vente unitaire de chaque article du lot et que les espèces encaissées n'étaient ni enregistrées au débit du compte 53 " Caisse " ni individualisées au compte 512. La proposition de rectification mentionne également que les ventes au détail d'un montant supérieur à 76 euros n'ont pas fait l'objet d'une comptabilisation individuelle. La décision du 25 février 2021 rejetant la réclamation de la société relève également que les prix mentionnés sur ces feuilles journalières ne précisent pas l'application des remises accordées aux clients de manière fréquente pouvant aller de 10% à 30% du prix. Si la société requérante conteste certains des constats factuels opérés par le vérificateur, s'agissant notamment des carences des feuilles journalières, elle se borne au soutien de sa contestation à produire une unique feuille journalière en date du 18 mars 2016. Dans ces conditions, dans l'impossibilité de s'assurer du prix de vente des produits commercialisés et de vérifier la concordance entre les ventes et les achats comptabilisés, faute en outre pour la société de produire des factures d'achat comportant les références des produits achetés, c'est à bon droit que l'administration a écarté la comptabilité de la société pour non probante.
5. D'autre part, la requérante se prévaut, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, du paragraphe 40 de la doctrine administrative BOI-BIC-DECLA-30-10-20-50 du 17 mars 2014 qui admet, pour tenir compte des conditions d'exercice du commerce de détail, " lorsque la multiplicité et le rythme élevé des ventes de faible montant font pratiquement obstacle à la tenue d'une main courante, que l'enregistrement global des recettes en fin de journée ne suffise pas à lui seul à faire écarter la comptabilité présentée à condition toutefois que celle-ci soit, par ailleurs, bien tenue et que les résultats-et notamment le bénéfice brut qu'elle accuse - soient en rapport avec l'importance et la production apparente de l'entreprise ". Toutefois, il résulte de ce qui vient d'être dit que la comptabilité de la société n'était pas, par ailleurs, bien tenue. C'est donc à juste titre que le vérificateur a estimé que cette comptabilité était irrégulière et non probante et a procédé à la reconstitution extracomptable des recettes de la société vérifiée.
En ce qui concerne la reconstitution des recettes :
S'agissant de la charge de la preuve :
6. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'une des commissions ou le comité mentionnés à l'article L. 59 ou le comité prévu à l'article L. 64 est saisi d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission ou le comité. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission ou du comité. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge. / Elle incombe également au contribuable à défaut de comptabilité ou de pièces en tenant lieu, comme en cas de taxation d'office à l'issue d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle en application des dispositions des articles L. 16 et L. 69 ".
7. En l'absence de saisine de la commission départementale, la charge de la preuve de l'absence d'exagération de l'imposition est supportée par l'administration.
S'agissant du bien-fondé des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre des années 2014 et 2015 :
8. En premier lieu, il ressort des mentions de la proposition de rectification du 16 février 2017 que, selon les informations transmises par les services des douanes, le gérant de la société Micherouan, M. A... a été contrôlé à la gare du Nord le 28 janvier 2016 en possession d'un montant de 15 000 euros en espèces qu'il comptait emporter en Belgique dans le cadre d'un voyage urgent. Le gérant de la société a expliqué l'origine de la somme par plusieurs ventes exceptionnelles réglées par une famille de nationalité étrangère, et cette somme a été déposée sur le compte bancaire de la société et inscrite en comptabilité comme recettes en espèce. Cette somme représentant, pour le mois de janvier 2016, 30 % du chiffre d'affaires, l'administration, appliquant la méthode tirée du coefficient de paiement en espèces, a estimé que cette proportion devait s'appliquer à la totalité de la période vérifiée, alors que, selon le chiffre d'affaires déclaré par la société, seul 7 % environ du chiffre d'affaires correspondait à des recettes en espèces, ce pourcentage diminuant entre les années 2014 et 2015 en dépit d'un accroissement du chiffre d'affaires.
9. Si la société Micherouan fait valoir que le montant des paiements en espèces constatés au cours du mois de janvier 2016, sur lequel s'est fondé le service pour dégager le coefficient de recettes en espèces, présente un caractère exceptionnel en raison d'une vente inhabituelle faite à des commerçants tchadiens, elle n'apporte aucun commencement de preuve de cette affirmation qui diffère d'ailleurs de celle donnée aux douanes, alors que le service explique que le montant des ventes en espèces du mois de janvier 2016, après prise en compte de la somme de 15 000 euros découverte par les douanes, est sensiblement le même que celui constaté pour les mois de février et mars de la même année. De la même manière, le service fait valoir sans être sérieusement contesté que la moyenne mensuelle de chiffres d'affaires réalisés au cours de l'année 2015 se rapproche du chiffre d'affaires constaté sur les trois premiers mois de l'année 2016 après prise en compte de la somme de 15 000 euros, la société Micherouan ne faisant valoir aucun changement dans les conditions d'exploitation de ses magasins et se bornant à faire référence, sans les verser aux débats, à des feuilles journalières censées retracer au jour le jour les opérations de caisse. Si la société requérante soutient également que le service a implicitement estimé qu'elle procédait à des achats sans factures alors que la preuve n'est pas rapportée de tels achats sans facture, il ne résulte toutefois pas de l'instruction que le service aurait procédé à une telle analyse. Au demeurant, il ressort du compte-rendu de l'entretien qui s'est tenu le 18 octobre 2017 avec le supérieur hiérarchique de la vérificatrice que celui-ci, pour tenir compte des éléments d'explication apportés par la société Micherouan, a accepté de " tenir compte des achats revendus ", ce qui a abouti à une diminution de plus de la moitié des rectifications initialement envisagées. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve de l'absence d'exagération des impositions supplémentaires assignées à la société Micherouan. Par suite, le moyen tiré de ce que la méthode de reconstitution mise en œuvre par l'administration serait insuffisante, excessivement sommaire ou radicalement viciée ou encore qu'elle aboutirait à des résultats exagérés doit être écarté.
10. En second lieu, la société requérante ne saurait utilement se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la doctrine administrative contenue dans la documentation de base 4 G 3343 n° 4, qui précise que, le cas échéant, les bases imposables du contribuable sont reconstituées selon plusieurs méthodes de reconstitution, qui ne comporte aucune interprétation de la loi fiscale, au sens et pour l'application de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
En ce qui concerne les majorations pour manquement délibéré :
11. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : (...) / a. 40% en cas de manquement délibéré (...) ".
12. Alors que la société requérante se borne, pour contester cette majoration, à remettre en cause la reconstitution de son chiffre d'affaires, il résulte de ce qui précède que la vérification de comptabilité a mis en évidence l'importance des lacunes et irrégularités comptables commises pour l'ensemble de la période vérifiée et le caractère répété des omissions déclaratives à l'impôt sur les sociétés et en matière de taxe sur la valeur ajoutée collectée. Par suite, l'administration établit suffisamment l'intention délibérée de la société Micherouan d'éluder l'impôt et le moyen tiré de l'absence de caractère délibéré des manquements contestés doit ainsi être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Micherouan n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Micherouan est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Micherouan et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris.
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Barthez, président de chambre,
- M. Delage, président assesseur,
- M. Dubois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2024.
Le rapporteur,
J. DUBOISLe président,
A. BARTHEZ
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 23PA02153