Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 22 juin 2023 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé le renouvellement de son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français, fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit d'y retourner pendant deux ans.
Par un jugement n° 2309203 du 8 décembre 2023, le tribunal administratif de Montreuil a annulé l'arrêté attaqué, enjoint au préfet compétent de réexaminer la situation de M. B... dans le délai de trois mois et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
I- Par une requête enregistrée le 3 janvier 2024 sous le n° 24PA00026, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 8 décembre 2023 ;
2°) de rejeter la requête de première instance présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Montreuil en toutes ses prétentions.
Il soutient que :
- c'est à tort que les juges de première instance ont retenu, d'une part, qu'il n'était pas justifié que l'employeur de M. B... n'avait pas été destinataire d'une demande de pièces complémentaires et, d'autre part, qu'il appartenait au préfet de solliciter le pétitionnaire
lui-même pour compléter sa demande de titre de séjour au regard de la rubrique 66 de l'annexe 10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la demande de pièces complémentaires adressée à l'employeur de M. B... est restée sans réponse ;
- la décision portant refus de titre de séjour pouvait, sans être entachée d'une erreur de droit, être assortie d'une obligation de quitter le territoire français et d'une décision fixant le pays de destination.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2024, M. B..., représenté par Me Toujas, demande à la Cour de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au bénéfice de son conseil en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, à défaut d'admission à l'aide juridictionnelle, de lui verser cette somme sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de la Seine-Saint-Denis ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 mars 2024.
Les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir est susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de la méconnaissance du champ d'application de la loi par l'application, à un ressortissant tunisien, de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans l'appréciation de l'admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié.
Par un mémoire, enregistré le 9 septembre 2024, M. B... soutient que le moyen est fondé et que le préfet de la Seine-Saint-Denis a ainsi entaché sa décision d'une erreur de droit et d'un défaut d'examen complet de sa demande.
II- Par une requête, enregistrée le 3 janvier 2024 sous le n° 24PA00025, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour de surseoir à l'exécution du jugement n° 2309203 du 8 décembre 2023 du tribunal administratif de Montreuil.
Il soutient que les conditions prévues aux articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative sont remplies dès lors que les moyens qu'il invoque à l'appui de sa requête au fond paraissent sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement comme le rejet des conclusions accueillies par ce jugement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juillet 2024, M. B..., représenté par Me Toujas, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au bénéfice de son conseil en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, à défaut d'admission à l'aide juridictionnelle, de lui verser cette somme sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les conditions prévues aux articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative ne sont pas réunies.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 mars 2024.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Lorin a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant tunisien né le 11 octobre 1989, a sollicité son admission exceptionnelle au séjour. Par un arrêté du 22 juin 2023, le préfet de la
Seine-Saint-Denis a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Par la présente requête, le préfet de la Seine-Saint-Denis relève régulièrement appel du jugement du 8 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a annulé cet arrêté et enjoint au réexamen de la demande de M. B....
2. Les requêtes susvisées nos 24PA00026 et 24PA00025, présentées par le préfet de la Seine-Saint-Denis, tendent respectivement à l'annulation et au sursis à l'exécution du même jugement du 8 décembre 2023 du tribunal administratif de Montreuil et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur la requête n° 24PA00026 :
Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
3. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 mars 2024. Il n'y a pas lieu, par suite, de l'admettre à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. Pour rejeter la demande de titre de séjour présentée par M. B... à fin d'exercer un emploi salarié de coiffeur au sein de la société Street Barber Shop, le préfet de la Seine-Saint-Denis a opposé à l'intéressé l'absence de réponse à la demande de production de pièces complémentaires adressée à son employeur le 10 octobre 2022, son dossier étant en conséquence incomplet. Le préfet a déduit de ces éléments qu'il ne pouvait prétendre à une admission exceptionnelle au séjour au titre du travail.
5. Portant sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaires prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte, mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée. Ainsi, dès lors que l'article 3 de l'accord franco-tunisien prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, le préfet de la Seine-Saint-Denis ne pouvait sans méconnaître le champ d'application de la loi, légalement rejeter la demande d'admission exceptionnelle au séjour présentée par M. B... en qualité de salarié en se fondant sur la circonstance que ce dernier ne remplissait pas les conditions mentionnées par les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. Aux termes de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration : " Lorsqu'une demande adressée à l'administration est incomplète, celle-ci indique au demandeur les pièces et informations manquantes exigées par les textes législatifs et réglementaires en vigueur (...) ".
7. Les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile constituent des dispositions spéciales régissant le traitement par l'administration des demandes de titres de séjour, en particulier les demandes incomplètes, que le préfet peut refuser d'enregistrer. Par suite, la procédure prévue à l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration n'est pas applicable à ces demandes et M. B... ne peut utilement s'en prévaloir. En revanche, il ressort des pièces produites à l'instance que le préfet de la Seine-Saint-Denis a adressé le 10 octobre 2022 un courrier électronique à l'attention de l'employeur de M. B... dans le cadre de la demande d'autorisation de travail que ce dernier avait introduite au profit de l'intéressé. A supposer même que le préfet ait entendu faire application des dispositions de l'article 3 de l'accord franco-tunisien en ce qu'elles prévoient la délivrance d'un titre de séjour en qualité de salarié aux ressortissants tunisiens, ce courriel invitant son employeur qui avait seul la qualité de demandeur dans le cadre de la demande d'autorisation de travail présentée au bénéfice de M. B..., n'a toutefois pas été envoyé à l'adresse courriel de la société qui figurait sur l'ensemble des pièces communiquées aux services préfectoraux. Par suite, en se bornant à produire ce courrier électronique, sans justifier de l'utilisation d'une adresse valide autre que celle de la société, le préfet de la Seine-Saint-Denis ne démontre pas que l'employeur de M. B... a effectivement été destinataire de cette demande de complément. Par suite, il n'établit pas que la procédure préalable à l'édiction de l'arrêté attaqué a été conduite régulièrement, conformément aux dispositions de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration.
8. Toutefois un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.
9. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté en litige que pour rejeter la demande de titre de séjour présentée par M. B... en qualité de salarié, le préfet s'est uniquement fondé sur le caractère incomplet du dossier présenté par son employeur. Par suite, ce vice de procédure doit être regardé en l'espèce comme ayant exercé une influence sur le sens de la décision. Il suit de là que ce vice de procédure a entaché d'illégalité la décision du préfet refusant d'admettre M. B... au séjour en qualité de salarié.
10. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Seine-Saint-Denis n'est pas fondé à se plaindre de ce que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a annulé son arrêté du 22 juin 2023 en toutes ses dispositions.
Sur la requête n° 24PA00025 :
11. La Cour se prononçant, par le présent arrêt, sur la requête n° 24PA00026 du préfet de la Seine-Saint-Denis tendant à l'annulation du jugement du 8 décembre 2023 du tribunal administratif de Montreuil, il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 24PA00025 par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis sollicitait de la Cour le sursis à exécution de ce jugement.
Sur les frais liés aux litiges :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat, une somme de 1 200 euros au bénéfice de Me Toujas, sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que cette dernière renonce à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y pas lieu d'admettre M. B..., à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle dans l'instance n° 24PA00026.
Article 2 : Il n'y a plus lieu à statuer sur la requête du préfet de la Seine-Saint-Denis n° 24PA00025.
Article 3 : La requête n° 24PA00026 du préfet de la Seine-Saint-Denis est rejetée.
Article 4 : L'Etat versera une somme de 1 200 euros à Me Toujas, conseil de M. B..., dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et l'article 112 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 27 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président,
- M. Lemaire, président assesseur,
- Mme Lorin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 11 octobre 2024.
La rapporteure,
C. LORIN
Le président,
S. CARRERE
La greffière,
E. LUCE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
Nos 24PA00026 - 24PA00025