Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 21 mars 2023 par lequel le préfet de police lui a refusé le renouvellement d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il serait susceptible d'être éloigné.
Par un jugement n° 2315758 du 10 octobre 2023 le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 janvier et 1er février 2024, M. A..., représenté par Me Maugin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 21 mars 2023 du préfet de police ;
3°) d'enjoindre au préfet de police, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision de refus de renouvellement de titre de séjour :
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- elle méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mai 2024, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Par une décision du bureau d'aide juridictionnelle en date du 30 novembre 2023, M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Delage a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant népalais né le 6 avril 1988 et entré en France le 1er décembre 2010 selon ses déclarations, s'est vu délivrer un premier titre de séjour en qualité d'étranger malade valable du 19 novembre 2017 au 18 novembre 2018, régulièrement renouvelé. En dernier lieu, par arrêté du 21 mars 2023, le préfet de police lui a refusé ce renouvellement, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il serait susceptible d'être éloigné. Il demande à la Cour d'annuler le jugement n° 2315758 du 10 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le refus de renouvellement du titre de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ".
3. Pour refuser de renouveler le titre de séjour de M. A..., le préfet de police a estimé, au vu de l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) du 22 décembre 2022, que si l'état de santé de l'intéressé nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il pouvait toutefois bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine, vers lequel il pouvait voyager sans risque. Il résulte des dispositions citées au point 2 qu'il appartient seulement au juge de s'assurer, eu égard à la pathologie de l'intéressé, de l'existence d'un traitement approprié et de sa disponibilité dans des conditions permettant d'y avoir accès, sans rechercher si les soins dans le pays d'origine sont équivalents à ceux offerts en France ou en Europe, et pas davantage à prendre en compte des facteurs étrangers à ces critères.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est atteint de la maladie de Berger caractérisée par une insuffisance rénale chronique sévère. Il a bénéficié avec succès d'une transplantation rénale le 18 avril 2018 à l'hôpital Bicêtre, d'un suivi médical et d'un traitement médicamenteux composé notamment, selon les différents comptes rendus d'hospitalisation en date des 6 et 12 avril 2021, le rapport médical établi par le docteur Baron et le dernier rapport médical du 27 avril 2023, relatif à un état antérieur à l'arrêté, établi par la néphrologue en charge de son suivi, d'Advagraf, de Xarelto, de Coveram et de Cortancyl.
5. M. A... soutient que son traitement n'est pas disponible dans son pays d'origine en l'absence de commercialisation du Cortancyl 5, du Coveram 10/10 mg et de l'Advagraf. Pour rejeter sa demande, le tribunal a relevé qu'il ressortait des pièces du dossier, et notamment de la liste des médicaments essentiels disponibles au Népal en 2021, que le Xarelto, dont la substance active est le rivaroxaban, indisponible au Népal, peut être substitué par l'énoxaparine ou la coumadine (warfarine), que l'Advagraf dont la substance active est le tacrolimus peut être substitué par la cyclosporine, que les substances actives que sont l'amlodipine et le perindopril composant le Coveram sont respectivement disponibles au Népal et substituables par l'enalapril, et enfin que le Cortancyl dont la substance active est la prednisone, indisponible au Népal, peut être substitué par la prednisolone. Si l'intéressé se prévaut de ce que contrairement au Xarelto, la coumadine nécessite une ou deux injections par jour, de sa contre-indication en cas d'insuffisance rénale, des risques d'interaction avec d'autres médicaments et de la nécessité de trouver un dosage adapté à chaque cas, il n'établit pas davantage qu'en première instance ni être dans l'incapacité de réaliser de telles injections, ni l'interaction avec les autres médicaments prescrits ni l'impossibilité de trouver un dosage satisfaisant eu égard à son état de santé dans son pays d'origine ou de bénéficier de l'énoxaparine substituable au Xarelto et disponible au Népal, alors que le jugement attaqué mentionne l'avis du 8 juillet 2020 de la Haute autorité de santé indiquant le caractère comparable de ces médicaments. Par ailleurs, M. A... soutient que l'Advagraf ne peut être substitué par la cyclosporine en raison, d'une part, de l'absence d'équivalence entre les traitements immunosuppresseurs et, d'autre part, du risque de rejet, parfois sévère. Il se prévaut en particulier à cet égard du certificat médical établi le 29 août 2023 par le médecin en charge de son suivi à l'hôpital Bicêtre qui mentionne que la modification de l'immunosuppression six années après une transplantation est très risquée et peut avoir de graves effets sur son état de santé et que changer les traitements dans plusieurs spécialités thérapeutiques chez un patient transplanté est aléatoire même en cas d'équivalence de traitement. Toutefois, ces éléments d'ordre général et à caractère hypothétique ne sont pas suffisants pour remettre en cause les conclusions du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et la possibilité d'un traitement de substitution. Si ce document mentionne également que plusieurs études ont démontré que la cyclosporine est moins efficace que le tacrolimus en matière de prévention de risque de rejet, il résulte des principes exposés ci-dessus que le requérant ne peut utilement faire valoir que les soins dans son pays d'origine ne sont pas équivalents à ceux offerts en France.
6. M. A... soutient en outre que les installations médicales dans son pays d'origine sont insuffisantes, compte-tenu de son état de santé et du nécessaire suivi rapproché dont il doit faire l'objet. Il produit à cet effet un courrier du 26 mai 2023 d'un médecin néphrologue exerçant au Népal. Toutefois, ce courrier n'est pas circonstancié quant aux installations médicales nécessaires à la prise en charge et à la surveillance médicale du requérant et qui seraient manquantes. Le requérant se prévaut aussi de diverses sources publiques selon lesquelles, malgré les avancées et la législation en la matière, le Népal demeure un pays où les installations médicales sont rares et le suivi des patients insuffisant. Toutefois, ces éléments, issus de différents articles ou publications notamment à caractère économique, ne suffisent pas établir l'impossibilité pour le requérant de bénéficier effectivement du traitement requis compte tenu de sa situation et de l'offre de soins au Népal. Enfin, le requérant se prévaut d'un certificat médical établi le 27 janvier 2024 selon lequel " Un retour définitif et contraint au Népal s'accompagnerait d'une interruption du suivi et des traitements et impliquerait une rupture du contrat de soins à l'origine d'une extrême gravité sur l'état de santé de M. A... B... ". Cependant, ce document établi selon ses propres mentions à la demande du requérant et de son conseil ne justifie pas de manière suffisamment circonstanciée de l'interruption du traitement qui résulterait d'un retour au Népal alors qu'il est notamment motivé par la circonstance qu'il " parait déraisonnable d'envisager de modifier son traitement pour des alternatives thérapeutiques, qui ne constituent pas des équivalents thérapeutiques et dont l'impact en termes d'efficacité et de tolérance restent difficiles à appréhender " et qu'il présente ainsi un caractère hypothétique et imprécis quant aux risques encourus.
7. Dans ces conditions, si les traitements disponibles au Népal ne sont pas équivalents à ceux dont M. A... bénéficie en France, ils sont, du moins, appropriés à la prise en charge de son affection au sens des dispositions précitées de l'article L. 425-9 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que l'a considéré à bon droit le tribunal. Dès lors, le moyen tiré de ce que le préfet de police aurait méconnu ces dispositions en rejetant la demande de renouvellement du titre de séjour de M. A... en qualité d'étranger malade doit être écarté.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
9. M. A..., qui fait valoir l'ancienneté de sa présence en France, soutient avoir tissé de nombreuses relations amicales et sociales, sans néanmoins assortir cette affirmation de justifications et de précisions. Il se prévaut également de ce qu'il a bénéficié d'un accompagnement important dans la prise en charge de sa maladie par l'équipe médicale de l'hôpital Bicêtre et soutient ne pouvoir se prévaloir d'une insertion professionnelle réussie en raison de ses problèmes de santé qui l'ont empêché de travailler. Toutefois, M. A... est sans charge de famille en France et n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où résident sa femme et son enfant et où il a vécu jusqu'à l'âge de vingt-sept ans. Dans ces circonstances, en refusant le renouvellement d'un titre de séjour à M. A..., le préfet de police n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs de ce refus, en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. En troisième lieu, si le requérant soutient que la décision litigieuse est entachée d'erreur manifeste d'appréciation compte tenu de son ancienneté de présence en France et de l'intérêt à ce qu'il bénéficie du suivi médical dont il y dispose, ce moyen doit être écarté pour les mêmes motifs de fait exposés aux points 4 à 7 et 9 du présent arrêt.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
11. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable au présent litige : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ". Il résulte de ce qui a été exposé aux points 4 à 7 ci-dessus que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
12. En second lieu, les moyens tirés de ce qu'en obligeant M. A... à quitter le territoire français, le préfet de police aurait porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts qu'il a poursuivis en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressé doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux exposés, respectivement, au point 9 et au point 10.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction sous astreinte et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copies en seront adressées au préfet de police et à l'office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Barthez, président de chambre,
- M. Delage, président assesseur,
- Mme Lellig, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la cour, le 28 octobre 2024.
Le rapporteur,
Ph. DELAGELe président,
A. BARTHEZ
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA00284