Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler les arrêtés du 31 janvier 2024 par lesquels le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trente-six mois.
Par un jugement n° 2402529/8 du 13 février 2024, la magistrate désignée par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé ces arrêtés, a enjoint au préfet de police de procéder au réexamen de la situation administrative de M. A... dans un délai de trois mois à compter de la notification de ce jugement, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. A....
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 3 avril 2024, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1er, 2 et 3 de ce jugement du 13 février 2024 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- le motif d'annulation retenu par le tribunal n'est pas fondé ;
- la présence de M. A... en France constitue une menace pour l'ordre public ;
- les autres moyens soulevés en première instance par M. A... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juillet 2024, M. A..., représenté par Me Berdugo, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour :
1°) d'enjoindre au préfet de police de réexaminer sa situation administrative et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour lui permettant de travailler dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le motif d'annulation retenu par le tribunal est fondé ;
- les moyens soulevés par le préfet de police ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Desvigne-Repusseau,
- et les observations de Me Berdugo, avocat de M. A....
Une pièce en délibéré, présentée pour M. A..., a été enregistrée le 12 décembre 2024 et n'a pas été communiquée.
Considérant ce qui suit :
1. Par deux arrêtés distincts du 31 janvier 2024, le préfet de police a, d'une part, obligé M. A..., ressortissant comorien né en 1994, à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné, d'autre part, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trente-six mois. Le préfet de police fait appel du jugement du 13 février 2024 par lequel la magistrate désignée par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé ces arrêtés.
Sur le motif d'annulation retenu en première instance :
2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) / 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents / (...) / 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public / (...) ".
3. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
4. Pour annuler l'obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de M. A... et, par voie de conséquence, les décisions accessoires à cette mesure d'éloignement, la première juge s'est fondée sur le motif tiré d'une erreur manifeste d'appréciation dans les conséquences de la mesure d'éloignement sur sa situation personnelle, le préfet de police ayant initialement fondé l'obligation de quitter le territoire français attaquée, après avoir visé les dispositions précitées du 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sur la circonstance que l'intéressé " s'est vu refuser la délivrance (...) d'un titre de séjour par une décision du préfet de police (...) du [31 mai 2021], notifiée le [7 juin 2021] ".
5. En appel, le préfet de police conteste en partie les éléments relatifs au séjour de M. A... en France retenus par la première juge pour annuler l'obligation de quitter le territoire français attaquée et oppose, pour la première fois, le motif tiré de ce que sa présence sur le territoire français constituerait une menace pour l'ordre public. Ce faisant, le préfet de police doit être regardé comme sollicitant, à titre subsidiaire, de substituer au motif initialement retenu sur le fondement des dispositions précitées du 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, celui tiré de l'existence d'une menace pour l'ordre public prévu par les dispositions précitées du 5° du même article.
6. D'une part, il est constant que M. A... est entré en France en avril 2007, soit à l'âge de 13 ans, en compagnie de ses parents, son père étant de nationalité française et sa mère de nationalité comorienne, qu'il a été scolarisé en France entre 2007 et 2012, que, dans le cadre de sa prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance à compter du 7 juillet 2011 jusqu'à sa majorité, il a obtenu en 2011 un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) portant la mention " réparation des carrosseries ", qu'il a exercé un métier en rapport avec son diplôme entre 2014 et 2018 et qu'il a séjourné régulièrement sur le territoire français entre sa majorité et le 8 octobre 2020, date d'expiration de son dernier titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". S'il ressort des pièces du dossier que M. A... ne s'est pas rendu en préfecture pour prendre possession de son dernier titre de séjour, qui était valable du 9 octobre 2018 au 8 octobre 2020, et que la légalité de l'arrêté du 31 mai 2021, par lequel le préfet de police a rejeté sa demande d'admission exceptionnelle au séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a été confirmée par un jugement du Tribunal administratif de Paris du 19 octobre 2021, ces circonstances ne sont pas suffisantes, contrairement à ce que soutient le préfet de police, pour considérer que l'intéressé ne justifierait pas d'une présence continue en France depuis 2019, alors que, d'une part, M. A... produit des pièces attestant de sa présence sur le territoire français entre 2019 et l'intervention de l'arrêté attaqué et que, d'autre part, son passeport, valable du 13 juin 2018 au 13 juin 2023, ne fait pas apparaître qu'il aurait quitté le territoire français ou qu'il aurait rejoint les Comores pendant sa période de validité. Dans ces conditions, et dès lors que le préfet de police admet que les parents de M. A... résident effectivement et régulièrement en France, le préfet a entaché l'obligation de quitter le territoire français attaquée d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de l'intéressé dès lors que, même s'il est célibataire et sans charge de famille, le centre de ses intérêts personnels et familiaux est situé en France depuis près de dix-sept ans à la date de l'arrêté attaqué et qu'il y a vécu l'essentiel de sa vie.
7. D'autre part, si le préfet de police soutient, à titre subsidiaire, que le comportement de M. A... constitue une menace pour l'ordre public en France, il résulte toutefois de l'instruction que les faits qui lui sont reprochés, consistant en des faits de violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale temporaire inférieure ou égale à huit jours sur un fonctionnaire de police et sur personne vulnérable et d'outrage sur personne dépositaire de l'autorité publique commis le 29 janvier 2024, et dont M. A... reconnaît certes la matérialité, sont toutefois isolés et ne traduisent pas que le parcours de M. A... tendrait à s'inscrire dans la délinquance, l'intéressé n'étant pas jusqu'alors connu défavorablement des services de police depuis qu'il a rejoint le territoire français en avril 2007. Par ailleurs, le préfet ne soutient, ni même n'allègue, que les faits en cause auraient fait l'objet de poursuites pénales. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, et aussi regrettables soient-ils, les faits reprochés à M. A... ne peuvent être regardés comme caractérisant, en l'espèce, l'existence d'une menace pour l'ordre public au sens et pour l'application des dispositions précitées du 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le Tribunal administratif de Paris, que le préfet de police n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du préfet de police du 31 janvier 2024.
Sur les conclusions à fin d'injonction présentées en appel par M. A... :
9. D'une part, aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé / (...) ". Aux termes de l'article L. 911-3 de ce code : " La juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet ".
10. D'autre part, aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".
11. Si la première juge n'a pas enjoint au préfet de police de délivrer à M. A... une autorisation provisoire de séjour, il n'y a pas lieu d'y procéder en appel dès lors que les dispositions précitées de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile impliquent par elles-mêmes une telle délivrance lorsque, comme en l'espèce, une décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée par la juridiction administrative. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de ramener à deux mois le délai donné en première instance au préfet de police pour procéder au réexamen de la situation administrative de M. A..., ni d'assortir l'injonction prononcée par la première juge de l'astreinte demandée en appel par M. A..., alors qu'en outre, le conseil de M. A... a indiqué à l'audience qu'en exécution du jugement attaqué, le préfet de police, après avoir réexaminé la situation de son client, a refusé de lui délivrer un titre de séjour par un arrêté du 29 mai 2024 et que, par un jugement n° 2413937/6-3 du 7 novembre 2024, le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de police de délivrer au requérant une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ".
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées en appel par M. A... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 10 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Auvray, président de chambre,
- Mme Hamon, présidente-assesseure,
- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 décembre 2024.
Le rapporteur,
M. DESVIGNE-REPUSSEAULe président,
B. AUVRAY
La greffière,
L. CHANA
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA01535