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14/01/2025 | FRANCE | N°21PA04849

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 14 janvier 2025, 21PA04849


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme K... B... et M. G... C..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de leur fils mineur E... B...C..., ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat à leur verser les sommes de 772 026,45 euros pour M. E... I..., 73 000,94 euros pour Mme B... et 60 000 euros pour M. C..., en réparation de leurs préjudices résultant des fautes commises par l'Etat dans l'exercice de son pouvoir de police sanitaire relative au médicament Dépa

kine, et de réserver les droits indemnitaires pour les postes de préjudices ne pouva...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme K... B... et M. G... C..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de leur fils mineur E... B...C..., ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat à leur verser les sommes de 772 026,45 euros pour M. E... I..., 73 000,94 euros pour Mme B... et 60 000 euros pour M. C..., en réparation de leurs préjudices résultant des fautes commises par l'Etat dans l'exercice de son pouvoir de police sanitaire relative au médicament Dépakine, et de réserver les droits indemnitaires pour les postes de préjudices ne pouvant pas faire l'objet d'une évaluation à ce stade de la procédure.

Par un jugement n° 1704497 du 29 juin 2021, le tribunal administratif de Montreuil a condamné l'Etat à verser à Mme B... et M. C..., en leur qualité de représentants légaux de M. E... I..., la somme de 155 712,12 euros, une rente trimestrielle de 8 369,49 euros selon les modalités définies au point 27 du jugement et une rente trimestrielle de 283,61 euros selon les modalités définies au point 29 du jugement, à Mme B... la somme de 10 231 euros et à M. C... la somme de 10 000 euros, a mis à la charge définitive de l'Etat les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 1 200 euros ainsi que le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté la surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 27 août 2021, 2 décembre 2022, et 16 janvier 2023, et appuyés de pièces complémentaires enregistrées le 30 août 2021, Mme B... et M. C..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs E... et A..., représentés par Me Joseph-Oudin, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler le jugement du 29 juin 2021 du tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à leur demande indemnitaire ;

2°) de condamner l'Etat à leur verser les sommes suivantes :

- 584 367,24 euros pour E... B...-C... ;

- 82 810,60 euros pour Mme B... ;

- 51 469,41 euros pour M. C... ;

- 20 000 euros pour A... C...-B... ;

3°) de réserver les droits indemnitaires pour les postes de préjudices ne pouvant pas faire l'objet d'une évaluation à ce stade de la procédure ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- l'Etat a commis une faute dans d'exercice de son pouvoir de police sanitaire en tardant à modifier l'autorisation de mise sur le marché de la Dépakine, s'agissant tant du résumé des caractéristiques du produit, à destination des professionnels de santé, que de la notice de ce médicament, alors que les risques de malformations physiques et troubles neurodéveloppementaux en cas d'exposition in utero au valproate de sodium étaient connus depuis 1984 et, en tout état de cause, avant la fin de l'année 2007 ;

- dès lors que la faute de l'Etat porte en elle l'intégralité du dommage, et eu égard à l'étroite imbrication des agissements fautifs qui sont à l'origine du dommage, l'Etat doit être condamné à indemniser l'intégralité de leurs préjudices, sans préjudice de la possibilité pour ce dernier d'engager des actions récursoires éventuelles contre la société Sanofi-Aventis France et les médecins de Mme B..., dont la responsabilité a été reconnue par le tribunal, qui a en conséquence fixé la part de responsabilité de l'Etat à 40 % seulement ;

- les pathologies dont souffre M. E... I..., né le 14 juin 2008, sont imputables à son exposition in utero au valproate de sodium ;

- ils sont fondés à obtenir les sommes suivantes :

* pour M. E... I... : 2 032,45 euros au titre des dépenses de santé actuelles, 456 758 euros au titre de la tierce personne temporaire spécialisée et non spécialisée, 46 248 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 35 000 euros au titre des souffrances endurées, 10 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, 33 477,96 euros au titre d'une rente annuelle provisionnelle de la date du dépôt d'expertise à la date de consolidation, en indemnisation de son besoin d'assistance par tierce personne et 850,83 euros au titre d'une rente annuelle provisionnelle de la date du dépôt d'expertise à la date de consolidation, en indemnisation de son déficit fonctionnel temporaire ;

* pour Mme B... : 1 469,41 euros au titre des frais divers, 31 341,19 euros au titre des pertes de gains professionnels actuels, 25 000 euros au titre du préjudice d'affection et 25 000 euros au titre du préjudice permanent exceptionnel ;

* pour M. C... : 1 469,41 euros au titre des frais divers, 25 000 euros au titre du préjudice d'affection et 25 000 euros au titre du préjudice permanent exceptionnel ;

* pour Mme A... I... : 10 000 euros au titre du préjudice d'affection et 10 000 euros au titre du préjudice permanent exceptionnel.

Par un mémoire, enregistré le 18 octobre 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- l'Etat n'a pas commis de faute susceptible d'engager sa responsabilité ;

- l'évaluation des préjudices faite par le tribunal administratif de Montreuil en se fondant sur le référentiel ONIAM apparaît conforme à l'état de santé de E..., et à la situation des époux I....

Par des mémoires, enregistrés les 15 novembre 2021 et 27 juin 2023, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), représentée par Me Schmelck, a présenté des observations dans lesquelles elle demande à la cour :

1°) à titre principal, de rejeter comme irrecevables les conclusions présentées par Mme B... et M. C... en qualité de représentants de leur fille A... I..., de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure amiable engagée devant l'ONIAM et d'ordonner la production par les requérants de l'ensemble des recours indemnitaires exercés en lien avec le présent litige, notamment devant la juridiction civile ;

2°) à titre subsidiaire, de constater que l'ensemble des risques connus liés à l'exposition in utero de la Dépakine étaient mentionnés dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP) de ce médicament à l'époque de la grossesse litigieuse de Mme B... et de débouter les consorts I... de leurs demandes, en retenant l'absence de faute de l'ANSM à l'origine des dommages dont ils demandent la réparation ;

3°) à titre très subsidiaire, de retenir comme exonératoires les fautes commises par le laboratoire Sanofi et les médecins et de débouter, en conséquence, les consorts I... de l'ensemble de leurs demandes ;

4°) à titre encore plus subsidiaire, de confirmer le jugement du tribunal administratif de Montreuil en ce qu'il a procédé à une juste indemnisation des préjudices des consorts I... ;

5°) à titre infiniment subsidiaire, de débouter les consorts I... de leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à les indemniser intégralement de leur préjudice, à charge pour l'Etat d'exercer une action récursoire contre les co-auteurs.

Elle soutient que :

- à titre principal, il appartient à la cour de prendre toute mesure nécessaire pour éviter une double indemnisation des préjudices allégués par les consorts I... ;

- à titre subsidiaire, l'Etat n'a commis aucune faute ;

- à titre infiniment subsidiaire, les fautes commises par le laboratoire Sanofi et les médecins qui ont suivi Mme K... B... constituent des causes d'exonération de la responsabilité de l'Etat ;

- en vertu du principe selon lequel une collectivité publique ne saurait être condamnée à payer une somme qu'elle ne droit pas, toute responsabilité in solidum est exclue, et dans l'hypothèse où un tiers et l'administration seraient co-auteurs d'un dommage, cette dernière ne saurait répondre que de la quote-part du préjudice qui lui est imputable.

Par une intervention enregistrée le 23 mai 2023, la société Sanofi-Aventis France, aux droits de laquelle vient la société Sanofi Winthrop Industrie, demande à la cour d'infirmer le jugement du 15 juin 2021 du tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il a retenu une exonération partielle de responsabilité de l'Etat au titre de la responsabilité de la société et, en tant que de besoin, eu égard par ailleurs à la responsabilité des médecins de Mme B... retenue par le tribunal comme cause exonératoire de la responsabilité de l'Etat à hauteur de 20 %, de condamner l'Etat à indemniser les consorts I..., à tout le moins à hauteur de 80 % des préjudices retenus par le tribunal. Elle demande également que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- son intervention doit être admise ;

- elle n'a commis aucune faute de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité.

- dès lors qu'elle a respecté les décisions prises par l'autorité de santé au titre de ses pouvoirs de police sanitaire, le fait de mettre à sa charge une partie de l'indemnisation due aux consorts B... constitue pour elle un préjudice grave et spécial qui ne saurait être regardé comme une charge lui incombant normalement.

La procédure a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse et à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), qui n'ont pas présenté d'observations.

Par ordonnance du 28 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 octobre 2023 à 12 heures.

Un mémoire en défense, présenté pour les consorts B..., a été enregistré le 12 novembre 2024.

Le 13 novembre 2024, les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la cour était susceptible d'être fondé sur les moyens relevés d'office tirés de ce que :

- les conclusions indemnitaires présentées par Mme B... et M. C... en leur qualité de représentants légaux de leur fille mineure A... I..., présentées pour la première fois en appel et qui n'ont pas été précédées d'une demande indemnitaire préalable, sont irrecevables ;

- dès lors que, d'une part, l'ANSM n'a pas, dans la présente instance dans laquelle la responsabilité de l'Etat est recherchée, la qualité de défendeur et que, d'autre part, sa qualité d'observateur ne lui confère pas la qualité de partie dès lors qu'elle n'aurait pas, à défaut d'être présente, qualité pour faire tierce-opposition, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice sont irrecevables ;

- la société Sanofi-Aventis France, intervenante, n'étant pas partie à l'instance, ses conclusions présentées par la société Sanofi-Aventis France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice sont irrecevables.

Les consorts I... ont présenté, le 15 novembre 2024, des observations sur les moyens relevés d'office par la cour. Ils soutiennent que les conclusions présentées par Mme B... et M. C... au nom de leur fille A... sont recevables, dès lors qu'ils sont parties à la procédure depuis la première demande préalable d'indemnisation et que les demandes formulées en première instance n'ont pas été majorées.

La société Sanofi Winthrop Industrie a présenté, le 18 novembre 2024, des observations sur les moyens relevés d'office par la cour. Elle soutient que son intervention doit être admise.

La ministre de la santé et de l'accès aux soins a présenté, le 2 décembre 2024, des observations sur les moyens relevés d'office par la cour. Elle soutient que, d'une part, les conclusions présentées pour Mme A... I... sont irrecevables, à défaut de liaison du contentieux d'autre part, la société Sanofi Winthrop Industrie, qui vient aux droits de la société Sanofi-Aventis France, n'étant pas partie à l'instance, les conclusions qu'elle a présentées au titre des frais liés à l'instance sont irrecevables.

Un mémoire en défense, présenté par la ministre de la santé et de l'accès aux soins, a été enregistré le 2 décembre 2024.

Un mémoire, présenté par la société Sanofi Winthrop Industrie, a été enregistré le 5 décembre 2024.

Un mémoire, présenté par l'ONIAM, a été enregistré le 5 décembre 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2001/83/CE du 6 novembre 2001 ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2007-613 du 26 avril 2007 ;

- la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 ;

- la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 ;

- le décret n° 79-506 du 28 juin 1979 modifié ;

- le décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004 ;

- le décret n° 2005-156 du 18 février 2005 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vrignon-Villalba,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Paucod et de Me de Noray pour les consorts B..., de Me Avigies pour la société Sanofi Winthrop Industrie, de M. H... pour la ministre de la santé et de l'accès aux soins et de Me Schmelck pour l'ANSM.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 décembre 2024, présentée pour la société Sanofi Winthrop Industrie.

1. Mme K... B..., qui souffre d'une épilepsie photosensible, suit depuis 1992 un traitement épileptique à base de valproate de sodium, sous forme de Dépakine puis de Dépakine Chrono 500 mg, en mono ou en bithérapie avec du lévétiracétam, de la lamotrigine ou du clobazam. Elle a fait une fausse couche le 28 novembre 2006 puis a donné naissance, le 14 juin 2008, alors qu'elle était traitée uniquement par Dépakine chrono, à E..., lequel présente des malformations physiques et des troubles du développement et du comportement que ses parents imputent à ce traitement. Par courrier du 11 octobre 2016, reçu le lendemain, Mme B... et M. C..., estimant que l'Etat avait commis une faute dans l'exercice de ses pouvoirs de police sanitaire, en ne s'assurant pas que les professionnels de santé et les patients soient correctement informés des risques pour les enfants exposés in utero au valproate de sodium, ont saisi la ministre des affaires sociales et de la santé d'une demande indemnitaire préalable. En l'absence de réponse, ils ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil qui, par une ordonnance du 17 novembre 2017, a ordonné une expertise aux fins, notamment, d'évaluer les préjudices subis par Mme B... et M. C... et par leur fils E..., et de fournir au tribunal, de manière générale, tous éléments susceptibles de lui permettre de statuer sur un éventuel recours en responsabilité. Par un jugement du 29 juin 2021, le tribunal administratif de Montreuil a condamné l'Etat à verser à Mme B... et M. C..., en leur qualité de représentants légaux de M. E... I..., la somme de 155 712,12 euros, une rente trimestrielle de 8 369,49 euros selon les modalités définies au point 27 du jugement et une rente trimestrielle de 283,61 euros selon les modalités définies au point 29 du jugement, à Mme B... la somme de 10 231 euros et à M. C... la somme de 10 000 euros, a mis à la charge définitive de l'Etat les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 1 200 euros ainsi que le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté la surplus des conclusions de la demande. Mme B... et M. C..., en leur nom propre et en qualité de représentant légaux de leur fils E..., relèvent appel de ce jugement, en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à leurs prétentions indemnitaires. Ils sollicitent également, en qualité de représentant légaux de leur fille A..., née le 26 octobre 2016, la condamnation de l'Etat à indemniser celle-ci de ses préjudices propres en sa qualité de victime indirecte.

Sur la demande de sursis à statuer :

2. Il ne résulte d'aucune disposition légale ou réglementaire que le juge administratif serait tenu de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure d'indemnisation amiable prévue par les dispositions des articles L. 1142-24-9 et L. 1142-24-10 du code de la santé publique ou, le cas échéant, de procédure en cours devant le juge civil. Par suite, les conclusions de l'ANSM tendant au sursis à statuer doivent, en tout état de cause, être rejetées.

Sur l'intervention de la société Sanofi-Aventis France :

3. D'une part, en demandant, comme les consorts B..., la réformation du jugement du 29 juin 2021 du tribunal administratif de Montreuil qui retient une cause exonératoire de responsabilité de l'Etat, la société Sanofi Winthrop Industrie doit être regardée comme s'associant aux conclusions de la requête, alors même que la réformation du jugement n'est pas sollicitée pour les mêmes motifs.

4. D'autre part, en l'espèce, eu égard à la nature et l'objet des questions soulevées par le litige, la société Sanofi Winthrop Industrie justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir dans la présente instance. Par suite, son intervention est recevable.

Sur la recevabilité des conclusions présentées pour Mme A... I... :

5. Les conclusions par lesquelles Mme B... et M. C... demandent, en leur qualité de représentants légaux de leur fille A..., née le 26 octobre 2016, la condamnation de l'Etat à indemniser celle-ci de ses préjudices propres, s'agissant d'une personne pour laquelle le tribunal administratif de Montreuil n'a pas été saisi d'un recours indemnitaire, ni, d'ailleurs, l'Etat d'une demande indemnitaire préalable, sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables, et ce alors même que les préjudices dont la réparation est demandée se rattachent au même fait générateur que ceux dont ils ont demandé réparation au tribunal, pour eux et pour leur fils E....

Sur le principe de responsabilité :

En ce qui concerne le régime applicable :

6. En premier lieu, l'article L. 5121-8 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au présent litige, prévoyait que toute spécialité pharmaceutique ou tout autre médicament fabriqué industriellement dont la mise sur le marché n'a pas été autorisée par la Communauté européenne doit faire l'objet, avant sa commercialisation ou sa distribution à titre gratuit, en gros ou au détail, d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, renouvelable par période quinquennale et que l'Agence pouvait modifier, suspendre ou retirer cette autorisation. Ainsi que le prévoient les dispositions de l'article R. 5121-21 de ce même code, dans leur rédaction issue du décret du 29 juillet 2004 relatif aux parties IV et V (dispositions réglementaires) du code de la santé publique et modifiant certaines dispositions de ce code, la demande d'autorisation de mise sur le marché comporte un résumé des caractéristiques techniques du produit (RCP). Ce document doit mentionner en particulier les contre-indications, les effets indésirables et les préconisations à tenir en cas de grossesse. Selon les dispositions de l'article R. 5121-25 de ce même code, dans sa rédaction issue du même décret, la demande d'autorisation comprend également un projet de notice. L'article R. 5121-147, dans sa rédaction issue du même décret, dispose que : " Le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché se conforme aux bonnes pratiques de notice établies, par décision du directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. ". Aux termes des dispositions de l'article R. 5121-149 du code, dans sa rédaction issue du même décret : " La notice est établie en conformité avec le résumé des caractéristiques du produit. Elle comporte, dans l'ordre, les indications suivantes : (...) / 3° L'énumération des informations nécessaires avant la prise du médicament relatives aux contre-indications, aux précautions d'emploi, aux interactions médicamenteuses et autres interactions susceptibles d'affecter l'action du médicament et aux mises en garde spéciales. / Cette énumération doit : / a) Tenir compte de la situation particulière des catégories suivantes d'utilisateurs : enfants, femmes enceintes ou allaitant, personnes âgées, personnes présentant certaines pathologies spécifiques ; (...) / 5° Une description des effets indésirables pouvant être observés lors de l'usage normal du médicament ou du produit et, le cas échéant, la conduite à tenir, ainsi qu'une invitation expresse pour le patient à communiquer à son médecin ou à son pharmacien tout effet indésirable qui ne serait pas mentionné dans la notice. (...) ". Et aux termes de l'article R 5121-41-7 du même code, dans sa version issue du décret du 18 février 2005 relatif aux modifications d'autorisation de mise sur le marché de médicaments à usage humain et modifiant le code de la santé publique : " 1° Dans l'intérêt des malades ou pour tout autre motif de santé publique, et, le cas échéant, à la demande du ministre chargé de la santé, le directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé peut, par décision motivée indiquant les voies et délais de recours, modifier l'autorisation de mise sur le marché, lorsqu'il est nécessaire de la mettre à jour en fonction des connaissances scientifiques. / Sauf en cas d'urgence, le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché doit être mis à même de présenter ses observations avant l'intervention de la décision de modification. ".

7. En vertu du quatrième alinéa de l'article L. 5311-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 26 avril 2007 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine du médicament, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, devenue l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, est notamment chargée de procéder à l'évaluation des bénéfices et des risques liés à l'utilisation des médicaments à tout moment opportun et notamment lorsqu'un élément nouveau est susceptible de remettre en cause l'évaluation initiale. Elle assure la mise en œuvre des systèmes de vigilance et prépare la pharmacopée. L'article L. 5311-2 du même code, lui aussi issue de la loi du 26 février 2007, prévoit que l'Agence " procède à l'évaluation des bénéfices et des risques liés à l'utilisation [des médicaments] à tout moment opportun et notamment lorsqu'un élément nouveau est susceptible de remettre en cause l'évaluation initiale ". Son article L. 53111-2 prévoit en outre, que cette agence " procède ou fait procéder à toute expertise et à tout contrôle technique " relatifs, notamment, aux médicaments et qu'elle " recueille et évalue les informations sur les effets inattendus, indésirables ou néfastes " des médicaments.

8. En vertu des dispositions des articles R. 5121-150 et R. 5121-151 du code de la santé publique, dans leur rédaction issue du décret du décret susvisé du 29 juillet 2004, la pharmacovigilance a pour objet la surveillance du risque d'effet indésirable résultant, notamment, de l'utilisation des médicaments et comporte à ce titre le signalement de ces effets indésirables et le recueil des informations les concernant, ainsi que la réalisation de toutes études et de tous travaux concernant la sécurité de ces médicaments. L'article R. 5121-155 du même code, dans sa rédaction issue du décret du 26 décembre 2007, dispose que " l'Agence française du médicament assure la mise en œuvre du système national de pharmacovigilance. Elle définit les orientations de la pharmacovigilance, anime et coordonne les actions des différents intervenants et veille au respect des procédures de surveillance organisées par le présent chapitre. / Elle reçoit les déclarations et les rapports qui sont adressés à son directeur général (...) par les entreprises et organismes exploitant des médicaments (...), ainsi que les informations qui lui sont transmises (...) par les centres régionaux de pharmacovigilance. / Le directeur général de l'agence peut demander aux centres régionaux de pharmacovigilance de mener à bien toutes enquêtes et tous travaux de pharmacovigilance. (...) / Les entreprises et organismes exploitant des médicaments (...) doivent, sur demande motivée du directeur général de l'agence, fournir toute information mentionnée au 2° et au dernier alinéa de l'article R. 5121-151 ou effectuer toutes enquêtes et tous travaux concernant les risques d'effets indésirables que ces médicaments ou produits sont susceptibles de présenter. Les informations, enquêtes ou travaux ainsi demandés doivent être nécessaires à l'exercice de la pharmacovigilance. ". Aux termes de l'article R. 5121-156 du même code, dans sa rédaction issue du même décret : " Après exploitation des informations recueillies, le directeur général de l'Agence (...) prend, le cas échéant, les mesures appropriées pour assurer la sécurité d'emploi des médicaments (...) et pour faire cesser les incidents et accidents qui se sont révélés liés à leur emploi, ou saisit les autorités compétentes. ".

9. Par ailleurs, aux termes de l'article R. 5121-171 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue du décret du 29 juillet 2004 : " Toute entreprise ou tout organisme exploitant un médicament ou produit mentionné à l'article R. 5121-150 est tenu d'enregistrer et de déclarer sans délai au directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, et au plus tard dans les quinze jours suivant la réception de l'information : / 1° Tout effet indésirable grave survenu en France et susceptible d'être dû à ce médicament ou produit, ayant été porté à sa connaissance par un professionnel de santé ; / 2° Tous les autres effets indésirables graves survenus en France et susceptibles d'être dus à ce médicament ou produit, dont il peut prendre connaissance, compte tenu notamment de l'existence de publications en faisant état ou de leur enregistrement dans des bases de données accessibles, ou qui ont fait l'objet d'une déclaration répondant aux critères fixés par les bonnes pratiques de pharmacovigilance définies en application de l'article R. 5121-179 / 3° Tout effet indésirable grave et inattendu survenu dans un pays tiers et susceptible d'être dû à ce médicament ou produit ayant été porté à sa connaissance. / Toute entreprise ou tout organisme exploitant un médicament dont l'autorisation de mise sur le marché initialement obtenue en France a fait l'objet d'une reconnaissance dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen est tenu de déclarer au directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé les effets indésirables graves susceptibles d'être dus à ce médicament survenus dans cet autre Etat. ". Et aux termes de l'article R. 5121-173 du même code, dans sa version issue du même décret : " Toute entreprise ou tout organisme exploitant un médicament ou produit mentionné à l'article R. 5121-150 est tenu de transmettre au directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, sous la forme d'un rapport périodique actualisé de pharmacovigilance, les informations relatives aux effets indésirables susceptibles d'être dus à ce médicament ou produit qu'il a déclarés ou qui lui ont été signalés ainsi que toutes les informations utiles à l'évaluation des risques et des bénéfices liés à l'emploi de ce médicament ou produit. Sans préjudice des dispositions de l'article R. 5121-175, ce rapport est transmis, accompagné d'une évaluation scientifique de ces risques et bénéfices : / 1° Immédiatement, sur demande ; / 2° Semestriellement, durant les deux ans suivant la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché du médicament ou produit ou la modification de celle-ci lorsqu'elle est consécutive à un changement de composants, à de nouvelles indications thérapeutiques ou à de nouveaux modes d'administration ; / 3° Annuellement, pendant les deux années suivantes ; / 4° Avec la première demande de renouvellement de l'autorisation ; / 5° A intervalle de cinq ans, en même temps que la demande de renouvellement de l'autorisation. ".

10. Eu égard tant à la nature des pouvoirs conférés par les dispositions précitées aux autorités chargées de la police sanitaire relative aux médicaments qu'aux buts en vue desquels ces pouvoirs leur ont été attribués, la responsabilité de l'Etat peut être engagée par toute faute commise dans l'exercice de ces attributions, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain.

11. En second lieu, une présomption d'imputabilité a été instituée par l'article L. 1142-24-12 du code de la santé publique issu de l'article 266 de la loi de finances pour 2020 du 28 décembre 2019, aux termes duquel : " S'il constate un ou plusieurs dommages mentionnés à l'article L. 1142-24-10 qu'il impute à la prescription, avant le 31 décembre 2015, de valproate de sodium ou de l'un de ses dérivés pendant une grossesse, le collège d'experts émet un avis sur les circonstances, les causes, la nature et l'étendue de ces dommages ainsi que sur la responsabilité de l'une ou de plusieurs des personnes mentionnées au premier alinéa de l'article L. 1142-5 ou de l'Etat, au titre de ses pouvoirs de sécurité sanitaire./ Les malformations congénitales sont présumées imputables à un manque d'information de la mère sur les effets indésirables du valproate de sodium ou de l'un de ses dérivés lorsqu'il a été prescrit à compter du 1er janvier 1982. Les troubles du développement comportemental et cognitif sont présumés imputables à un manque d'information de la mère sur les effets indésirables du valproate de sodium ou de l'un de ses dérivés lorsqu'il a été prescrit à compter du 1er janvier 1984. (...) ". Cette présomption ne s'impose toutefois qu'au collège d'experts se prononçant sur l'imputabilité des dommages à l'exposition au valproate de sodium ou de l'un de ses dérivés dans le cadre de la procédure amiable d'indemnisation des victimes et n'a donc pas d'incidence sur l'appréciation faite par le juge, saisi d'une action en responsabilité fondée sur d'éventuels manquements de l'Etat dans l'exercice de ses pouvoirs de police sanitaire.

En ce qui concerne l'existence d'une faute de l'Etat :

12. En premier lieu, le résumé des caractéristiques du produit (RCP) de la Dépakine 200 mg résultant de l'autorisation de mise sur le marché du 25 janvier 2006, dont il n'est pas contesté qu'il était applicable dans les mêmes conditions à la Dépakine Chrono 500 mg, en vigueur durant la deuxième grossesse de Mme B... du 20 septembre 2007 au 14 juin 2008, comportait la mise en garde selon laquelle " l'utilisation de valproate de sodium est déconseillée tout au long de la grossesse et chez les femmes en âge de procréer sans contraception efficace ". Le résumé mentionnait également au titre de la rubrique " grossesse " des risques de malformations " 3 à 4 fois supérieur à celui de la population générale qui est de 3 % ", et décrivait les " malformations les plus souvent rencontrées ", à savoir " des anomalies de fermeture du tube neural (de l'ordre de 2 à 3 %), des dysmorphies faciales, des fentes faciales, des crâniosténoses, des malformations cardiaques, des malformations rénales et urogénitales et des malformations des membres ". Il y était souligné que des posologies supérieures à 1 000 mg par jour et l'association d'autres anticonvulsivants étaient des " facteurs de risque importants dans l'apparition de ces malformations ". Cette même rubrique faisait état de l'absence de " diminution du quotient intellectuel global chez les enfants exposés in utero au valproate de sodium " mise en évidence par les études épidémiologiques mais aussi d'une " légère diminution des capacités verbales et/ou une augmentation de la fréquence du recours à l'orthophonie ou au soutien scolaire ont été décrites chez ces enfants. ". Il était également indiqué que " par ailleurs, quelques cas isolés d'autisme et de troubles apparentés ont été rapportés chez les enfants exposés in utero au valproate de sodium. Des études complémentaires sont nécessaires pour confirmer ou infirmer l'ensemble de ces résultats ". Enfin, il était signalé que si une grossesse est envisagée, " toutes les mesures seront mises en œuvre pour envisager le recours à d'autres thérapeutiques en vue de cette grossesse. / Si le valproate de sodium devait absolument être maintenu (absence d'alternative) : Il convient d'administrer la dose journalière minimale efficace et de privilégier des formes à libération prolongée, ou à défaut de la répartir en plusieurs prises afin d'éviter les pics plasmatiques d'acide valproïque ".

13. Le RCP ainsi libellé déconseille très clairement l'usage du valproate de sodium pendant la grossesse et préconise le recours à une alternative thérapeutique lorsque cela est possible. Il mentionne également la relation dose-effet mise en évidence, notamment, par les études Samrén (1999) et Arpino (étude " MADRE " de 2000), et préconise en conséquence, en l'absence d'alternative thérapeutique, une diminution des doses journalières. Il liste les principales malformations congénitales associées à l'époque, de façon certaine ou probable, à une exposition in utero au valproate de sodium, telles qu'elles seront d'ailleurs reprises dans le Protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) " Embryo-foetopathie au Valproate " de 2017, ainsi que leur fréquence, évaluée dans des proportions similaires à celles reprises dans ce même PNDS, qu'il s'agisse des malformations congénitales en général ou du spina bifida en particulier. Dans un contexte où, d'une part, ainsi que le rappelle le rapport de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) " enquête relative aux spécialités pharmaceutiques contenant du valproate de sodium " rédigé en février 2016, les morts soudaines inattendues dans l'épilepsie demeuraient l'une des causes les plus fréquentes de décès brutal non accidentel chez les jeunes adultes, avec un risque accru chez les femmes enceintes pour lesquelles les doses de médicaments étaient diminuées, ce qui justifiait les alertes déconseillant tout arrêt brutal d'un traitement antiépileptique et, d'autre part, il n'y avait pas ou peu de recul sur les éventuels effets indésirables des antiépileptiques de seconde génération, l'absence de mention, dans le RCP de certaines malformations, relativement moins graves que les précédentes auxquelles elles sont en général associées et / ou dont le lien avec l'exposition au valproate n'était alors que suggéré, comme les angiomes et lésions cutanées, les malformations dentaires, les mamelons espacés, les hernies ou les reflux gastro-œsophagien, la maladie d'Arnold Chiari, l'hydrocéphalie et la microcéphalie, n'apparaît pas fautive. S'agissant des risques de troubles neurodéveloppementaux, le RCP les mentionne pour la première fois, dans des termes prudents que les requérants contestent, en soutenant que cela ne reflétait pas l'état des connaissances scientifiques en 2006 et, à plus forte raison, en 2008. Toutefois il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'IGAS, que si les études Moore de 2000 et Abad de 2001 et 2004 ont mis en évidence des " suspicions sérieuses d'imputabilité des retards de développement au valproate de sodium ", selon les termes de ce rapport, elles ont également relevé le faible nombre d'études sur le sujet et les difficultés liées aux divergences méthodologiques et à l'absence de prise en considération de facteurs confondants (génétique, sociaux, environnementaux ou en lien avec l'épilepsie de la mère). Ces suspicions ne seront précisées, s'agissant en particulier des troubles du développement, des troubles du spectre autistique et des troubles du comportement, qu'après la réalisation de plusieurs études prospectives menées après ces publications et qui aboutissent à partir de la fin des années 2000, notamment l'étude multicentrique sur les effets neurodéveloppementaux des antiépileptiques dite " Etude NEAD " (Neurodevelopmental Effects of Antiepileptic Drugs), dont les résultats seront publiés de façon échelonnée entre 2006 et 2013. Par suite, à la date de la grossesse de Mme B..., le RCP était conforme à l'état des données scientifiques disponibles, s'agissant tant des risques de malformations congénitales que des risques de troubles du développement et du comportement encourus en cas de grossesse sous Dépakine.

14. En second lieu, toutefois, la notice du 25 janvier 2006 se bornait à préciser, au titre des " mises en garde spéciales ", que " En début de traitement, le médecin s'assurera que vous n'êtes pas enceinte et vous prescrira si besoin une méthode de contraception (cf rubrique Grossesse et allaitement). " Selon la rubrique " grossesse " : " L'utilisation de ce médicament est déconseillée, sauf avis contraire de votre médecin, pendant la grossesse. Si vous découvrez que vous êtes enceinte pendant le traitement, consultez rapidement votre médecin lui seul pourrait adapter le traitement à votre état (...) ". Ces seules mentions, qui n'étaient pas conformes au RCP, ne permettaient pas à Mme B... de prendre directement connaissance des risques encourus en cas de grossesse et connus en l'état des données scientifiques disponibles à la date de sa grossesse, s'agissant tant des malformations congénitales que des troubles du développement et du comportement. Les difficultés d'ordre réglementaire invoquées par l'ANSM et qui l'auraient empêchée, jusqu'en 2004, de modifier de manière unilatérale l'autorisation de mise sur le marché du médicament, ne peuvent, en tout état de cause, être utilement invoquées dans le présent litige, s'agissant d'une grossesse postérieure à 2004.

15. Il résulte de ce qui précède qu'en ne modifiant pas ou en ne faisant pas modifier l'autorisation de mise sur le marché de la Dépakine afin que la notice soit conforme au RCP et reflète ainsi l'état des connaissances scientifiques et informe directement les utilisatrices des risques en cas d'exposition du fœtus à ce médicament, l'Agence exerçant au nom de l'Etat ses missions de pharmacovigilance a manqué à ses obligations de contrôle, et, ce faisant, commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

En ce qui concerne l'existence de causes exonératoires de responsabilité :

16. Estimant que tant la société Sanofi-Aventis France que les médecins assurant le suivi de Mme B... avaient commis des fautes qui avaient concouru à la réalisation du dommage, le tribunal a limité la part de responsabilité de l'Etat à 40 %. D'une part, alors que la responsabilité de l'Etat est engagée sur le fondement de la faute, ni ces médecins ni la société Sanofi ne peuvent être regardés comme collaborant étroitement avec l'Etat dans le cadre de la mise en œuvre d'un service public, le laboratoire étant seulement soumis au contrôle d'une autorité agissant au nom de l'Etat. D'autre part, si le manquement de l'Agence a rendu possible la délivrance d'un médicament dans des conditions qui ne permettaient pas aux patientes d'en mesurer les graves effets potentiels en cas de grossesse, les fautes de l'Agence, de la société Sanofi et des médecins ne peuvent être regardées comme portant chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites. Ainsi le tribunal a pu, à bon droit, considérer que des agissements fautifs de tiers, pouvaient, le cas échéant, être de nature à atténuer la responsabilité de l'Etat. Les appelants ne sont, dès lors, pas fondés à soutenir que l'Etat devrait être condamné à indemniser l'intégralité de leurs préjudices, à charge pour lui d'engager des actions récursoires contre d'éventuels tiers responsables.

S'agissant de l'existence de fautes commises par la société Sanofi-Aventis France :

17. D'une part, il résulte de l'instruction que, le 23 décembre 2004, la société Sanofi-Aventis France a, sur le fondement des dispositions de l'article R. 5121-29 du code la santé publique, soumis à l'AFSSAPS une demande de modification de l'autorisation de mise sur le marché de la Dépakine, incluant la révision de la notice dans les termes suivants : " Une grossesse non planifiée n'est pas souhaitable chez une femme traitée par un antiépileptique. Avant d'interrompre une méthode contraceptive efficace, il est recommandé de prévenir votre médecin de votre désir de grossesse./ Les femmes traitées par un antiépileptique ont un risque plus élevé de mettre au monde un enfant malformé. Le risque de survenue de malformations est augmenté si vous prenez simultanément plusieurs antiépileptiques ./ La prise de Dépakine au cours de la grossesse est susceptible d'entrainer des anomalies dans le développement du fœtus : anomalies de la colonne vertébrale (spina bifida), des membres ou du cœur. Cependant ces anomalies peuvent habituellement être détectées par les examens de surveillance réalisés au cours de la grossesse. / Un risque de trouble du développement psychomoteur de l'enfant a également été évoqué. / Il est donc essentiel de prévenir votre médecin avant votre grossesse afin qu'il puisse éventuellement adapter votre traitement et programmer une surveillance particulière de cette grossesse. ". Toutefois, plus d'un an après cette demande, l'Agence, qui a accepté la modification du RCP dans les termes rappelés au point 12, a en revanche rejeté la proposition de la société Sanofi-Aventis France pour la notice et a validé la formulation suivante, encore plus éloignée du RCP que celle proposée par le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché : " L'utilisation de ce médicament est déconseillée, sauf avis contraire de votre médecin, pendant la grossesse. Si vous découvrez que vous êtes enceinte pendant le traitement, consultez rapidement votre médecin lui seul pourrait adapter le traitement à votre état. / D'une façon générale, il convient, au cours de la grossesse et de l'allaitement, de toujours demander l'avis à votre médecin ou à votre pharmacien avant de prendre un médicament. ". En octobre 2008, puis en mars 2009 la société a de nouveau sollicité la modification de la notice, pour y mentionner, de manière générale, les différents risques associés à une exposition in utero au valproate de sodium, proposition qui a de nouveau été rejetée. Ce n'est qu'en 2010 que la notice sera finalement modifiée pour intégrer l'information selon laquelle " La prise de ce médicament au cours de la grossesse est susceptible d'entraîner des malformations du fœtus, des troubles de la coagulation chez le nouveau-né et des troubles du développement de l'enfant et des troubles autistiques chez l'enfant. ". Ainsi que le relève l'IGAS dans son rapport précité, ces refus successifs opposés par l'Agence aux demandes de modification de la notice faites par la société Sanofi-Aventis France sont conformes aux préconisations de l'Agence à l'époque, selon lesquelles les effets secondaires en cas de grossesse et allaitement n'étaient mentionnés dans la notice, qu'en cas de contre-indication et qu'à défaut, il convenait d'utiliser des formules-types préconisant la consultation d'un médecin. Il ne saurait être reproché à la société Sanofi, ainsi que le fait l'ANSM, de ne pas avoir fait appel de ces refus successifs.

18. D'autre part, aux termes de l'article R. 5121-41 du code de la santé publique, dans sa version applicable au présent litige : " Le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché soumet au directeur général de l'Agence (...) tout projet de modification d'un élément relatif à l'étiquetage ou à la notice, autre que les modifications du résumé des caractéristiques du produit, prévu aux articles R. 5121-23 et R. 5121-24. / Si le directeur général de l'agence ne s'est pas prononcé dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de présentation de la demande, le demandeur peut procéder à la mise en œuvre des modifications ".

19. Il résulte de ces dispositions, ainsi que de celles de la directive 2001/83/CE pour la transposition desquelles elles ont été prises, en particulier ses articles 59 et 61, qu'elles ne sont pas applicables lorsque la modification de la notice porte sur les éléments, qui doivent en principe y être repris, qui figurent dans le RCP, en particulier les éléments relatifs aux indications thérapeutiques, aux instructions nécessaires et habituelles pour une bonne utilisation (posologie, voie et fréquence d'administration, durée du traitement...) et à la description des effets indésirables. Il suit de là qu'en l'espèce, contrairement à ce que l'ANSM soutient dans ses observations, s'agissant de la mention dans la notice des effets indésirables de la Dépakine, la société Sanofi-Aventis France n'aurait ainsi, en tout état de cause, pas pu passer outre les refus opposés par l'Agence à sa demande de modification de décembre 2004 en se prévalant de ces dispositions.

20. Il résulte de ce qui précède que, pour la période en cause, la société Sanofi-Aventis France, qui a vainement proposé à plusieurs reprises de mettre les documents en cause en conformité avec l'état des connaissances scientifiques, n'a pas commis de faute de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité.

S'agissant de l'existence de fautes commises par les médecins de Mme B... :

21. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) ". Aux termes de l'article R. 4127-35 de ce même code : " Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension. / (...) ".

22. Le régime spécifique de preuve prévu par l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, qui prévoit qu'en cas de litige, il appartient au professionnel de santé d'apporter la preuve que l'information prévue par cet article a été délivrée à l'intéressé, ne trouve pas à s'appliquer dans des litiges autres que ceux où un patient reproche à un médecin ou à un établissement un défaut d'information médicale. Il suit de là que, dans le cadre du présent litige, auquel les médecins qui ont pris en charge Mme B... ne sont pas partie, leur faute éventuelle ne saurait être retenue que si elle résulte de l'instruction, en particulier du ou des expertises judiciaires, de l'avis du collège d'experts auprès de l'ONIAM si un tel avis a été rendu ou des pièces médicales versées au dossier de l'instance.

23. En l'espèce, il ne résulte pas de l'instruction que Mme B... n'aurait pas été informée par les différents médecins qui l'ont suivie, notamment les neurologues et les gynécologues, des risques de malformation tels qu'ils étaient mentionnés dans le RCP en vigueur lors de sa grossesse. Par ailleurs, il ne saurait leur être reproché de ne pas avoir donné à Mme B... des informations qui ne figuraient pas dans ce même RCP s'agissant des risques de troubles neurodéveloppementaux. Il en résulte que dans le cadre de la présente instance, aucune faute ne peut être retenue à leur encontre. Par suite, il n'y a pas lieu de retenir une faute exonératoire de la responsabilité de l'Etat commise par le neurologue de Mme B....

24. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la part de responsabilité de l'Etat doit être portée à 100 %.

Sur le lien entre la faute et le dommage :

25. D'une part, au regard des critères de suspicion d'une embryofoetopathie au valproate de sodium dégagés par le Protocole national de diagnostic et de soins de mai 2017 auquel se réfère l'expertise judiciaire du 27 décembre 2018 ordonnée par le tribunal administratif de Montreuil, doivent être regardés comme imputables à l'exposition in utero au valproate de sodium, les anomalies morphologiques faciales, squelettiques et des extrémités, les malformations, les anomalies associées touchant d'autres organes comme les anomalies cutanées, les infections oto-rhino-laryngologiques (ORL) ou le strabisme, ainsi que les troubles du neurodéveloppement, dès lors qu'ils ne sont imputables à aucune autre cause et que le traitement au valproate de sodium s'est poursuivi au cours de la grossesse.

26. En l'espèce, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que E... B...-C... souffre d'une dysmorphie faciale, d'agénésie dentaire et de troubles du développement et du comportement qui ne peuvent être imputés à une autre cause qu'à l'exposition in utero à la Dépakine Chrono. S'agissant en revanche des troubles visuels, alors que ni l'hypermétrie, l'astigmatisme et la presbytie ne sont mentionnés dans le Protocole national de diagnostic et de soins de mai 2017 et qu'ils correspondent à des troubles fréquents chez les jeunes enfants, leur imputabilité à cette exposition n'est pas établie en l'absence au dossier de tout élément probant en ce sens.

27. D'autre part, la non-conformité au RCP des mentions de la notice de la Dépakine n'a pas permis à Mme B... de prendre directement connaissance des risques encourus en cas de grossesse, s'agissant tant des malformations congénitales que des troubles du développement et du comportement. Cette faute n'a entraîné, pour la victime et les victimes indirectes, qu'une perte de chance de se soustraire aux risques qui se sont réalisés. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise et des pièces médicales versées au dossier de l'instance, que l'état de santé de Mme B... a rendu indispensable la prise d'un antiépileptique, le plus souvent en bithérapie. La tentative de substitution de la Dépakine par le Lamictal (lamotrigine) et le Keppra (lévétiracétam), en 2004, s'est soldée par un échec et un retour à un traitement à base de Dépakine et de Lamictal en bithérapie. Il résulte certes également de l'instruction que Mme B... a mené en 2016, près de dix ans plus tard, une troisième grossesse au cours de laquelle une alternative thérapeutique temporaire a pu être trouvée avec, au début de la grossesse, une bithérapie associant le Lamictal et l'Urbanyl (clobazam). Toutefois, il ressort des pièces médicales versées au dossier de l'instance, notamment de la lettre du 4 juin 2007 adressée au docteur D... par le docteur F..., que Mme B... n'a consulté son neurologue que cinq mois après le début de sa première grossesse, qui a conduit à une fausse-couche, et un mois après le début de sa seconde grossesse, le 20 septembre 2007, alors que ce même neurologue relève que lors d'une consultation le 22 mai 2007, il est apparu que Mme B... " n'a pas de contraception, elle ne semble pas désirer pour l'instant de nouvelle grossesse ". Après l'avoir reçue en consultation le 22 octobre 2007, enceinte d'un mois, et alors qu'elle avait déjà arrêté le Lamictal, ce même neurologue a, conformément à ce qui était déjà préconisé à l'époque et l'est toujours en cas d'absence d'alternative thérapeutique, conseillé à Mme B... de réduire les doses de Dépakine. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction qu'une éventuelle alternative thérapeutique, nécessitant un arrêt progressif de la Dépakine et son remplacement par un autre médicament, aurait pu être mise en place avant le début de cette grossesse. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments et, par ailleurs, de l'état de santé de Mme B..., de son évolution prévisible en l'absence de traitement pendant sa grossesse et des risques en résultant pour le fœtus et pour elle-même, la chance perdue par E... B...-C..., du fait du manquement de l'Etat, d'éviter les conséquences d'une exposition in utero au valproate de sodium doit être évaluée, dans les circonstances de l'espèce, à 25 %.

Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne E... B...-C... :

S'agissant de l'étendue de l'indemnisation :

28. Il résulte de l'instruction que l'état de santé de M. E... I... n'est pas consolidé et que cet état de santé doit de nouveau faire l'objet d'une évaluation à ses dix-huit ans. L'indemnisation porte donc uniquement sur les préjudices temporaires.

S'agissant des dépenses de santé :

29. D'une part, les requérants ne justifient pas plus en appel qu'en première instance de ce que les dépenses d'ergothérapie et de psychomotricité dont ils produisent les factures au dossier de l'instance seraient restées à leur charge. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 26, il ne résulte pas de l'instruction que les troubles visuels dont souffre E... B...-C... seraient imputables à son exposition in utero au valproate de sodium. Par suite, c'est à tort que les premiers juges ont accordé à M. E... I... la somme de 460 euros pour ce chef de préjudice.

S'agissant de l'assistance par tierce personne :

30. En vertu des principes qui régissent l'indemnisation par une personne publique des victimes d'un dommage dont elle doit répondre, il y a lieu de déduire de l'indemnisation allouée à la victime d'un dommage corporel au titre des frais d'assistance par une tierce personne le montant des prestations dont elle bénéficie par ailleurs et qui ont pour objet la prise en charge de tels frais. Il en est ainsi alors même que les dispositions en vigueur n'ouvrent pas à l'organisme qui sert ces prestations un recours subrogatoire contre l'auteur du dommage. La déduction n'a toutefois pas lieu d'être lorsqu'une disposition particulière permet à l'organisme qui a versé la prestation d'en réclamer le remboursement au bénéficiaire s'il revient à meilleure fortune.

31. Les règles rappelées au point précédent ne trouvent à s'appliquer que dans la mesure requise pour éviter une double indemnisation de la victime. Par suite, lorsque la personne publique responsable n'est tenue de réparer qu'une fraction du dommage corporel, notamment parce que la faute qui lui est imputable n'a entraîné qu'une perte de chance d'éviter ce dommage, la déduction ne se justifie, le cas échéant, que dans la mesure nécessaire pour éviter que le montant cumulé de l'indemnisation et des prestations excède le montant total des frais d'assistance par une tierce personne.

32. Le montant de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) et de son complément éventuel peuvent être déduits d'une rente ou indemnité allouée au titre de l'assistance par tierce personne. Ainsi qu'il a été dit au point précédent, lorsque l'auteur de la faute n'est tenu de réparer qu'une fraction du dommage corporel, cette déduction n'a lieu d'être que lorsque le montant cumulé de l'indemnisation incombant normalement au responsable et des allocations excéderait le montant total des frais d'assistance par une tierce personne. L'indemnisation doit alors être diminuée du montant de cet excédent.

33. En l'espèce, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que E... B...-C... a besoin, depuis ses trois ans, d'un accompagnement pour les gestes de la vie quotidienne, qui peut être évaluée à 7 heures par jour. Il a également besoin d'une aide quotidienne dans tous les apprentissages, y compris durant les week-ends et les vacances scolaires, qui peut être évaluée à 2 heures par jour. Le taux horaire de l'assistance par une tierce personne doit être portée à 18 euros pour l'aide non spécialisée et à 20,50 euros pour l'aide spécialisée. Afin de tenir compte des congés payés et des jours fériés prévus par l'article L. 3133-1 du code du travail, il y a lieu de calculer l'indemnisation sur la base d'une année de 412 jours. Par ailleurs, il résulte, d'une part, de ce qui a été dit au point 24 que la part du dommage que l'Etat doit supporter doit être portée à 100 % de ce dommage et, d'autre part, de ce qui a été dit au point 27, que la faute commise par l'Etat est seulement à l'origine d'une perte de chance de 25 %, pour l'intéressé, d'échapper au dommage qui est advenu. Dès lors, Mme B... et M. C..., en tant que représentants légaux de E... B...-C..., sont fondés à solliciter, au titre de la période allant des trois ans de leur fils à la majorité de celui-ci, soit 5 479 jours, une indemnité de 1 032 814 euros, soit 258 203,50 euros après application du taux de perte de chance de 25 %.

34. Il résulte de l'instruction, notamment des pièces produites par les requérants en réponse à la mesure diligentée par le tribunal, que des prestations ont été versées au titre de l'AEEH, pour la période en cause, pour un montant total de 44 213,84 euros. Eu égard au montant des allocations mensuelles susceptibles d'être versées au titre de l'AEEH pour E... B...-C... entre la date de mise à disposition de l'arrêt et la veille de sa majorité, le montant cumulé de l'indemnisation incombant à l'Etat et des allocations qu'il aura ainsi perçues n'excèdera pas le montant total des frais d'assistance par une tierce personne s'élevant à la somme de 1 032 814 euros. Dans ces conditions, en application des points 30 à 32, il n'y a pas lieu de procéder à une réfaction sur le montant alloué. Le montant de l'indemnité due par l'Etat au titre de ce chef de préjudice doit donc être ramené à la somme de 258 203,50 euros.

S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :

35. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que M. E... I... présente, pour la période en cause, un déficit temporaire partiel de 45 %.

36. Pour réparer le déficit fonctionnel temporaire de M. E... I..., les premiers juges ont retenu un taux journalier de 13 euros, qu'il n'y a pas lieu, en l'espèce, de porter, comme demandé par les requérants, à une somme supérieure. Ce taux a été pondéré par application du pourcentage de déficit fonctionnel. Ils ont ensuite, pour fixer la réparation du déficit fonctionnel partiel de l'intéressé, retenu une part de responsabilité de 40 %. Toutefois, il résulte, d'une part, de ce qui a été dit au point 24 que la part du dommage que l'Etat doit supporter doit être portée à 100 % de ce dommage et, d'autre part, de ce qui a été dit au point 27, que la faute commise par l'Etat est seulement à l'origine d'une perte de chance de 25 %, pour l'intéressé, d'échapper au dommage qui est advenu. Il suit de là que l'évaluation de l'indemnité due au titre de ce chef de préjudice, arrêtée par les premiers juges à la somme totale de 13 676 euros, doit être ramenée à 8 547,50 euros.

S'agissant des souffrances endurées :

37. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que M. E... I... présente de nombreuses malformations et des troubles psychologiques. Ces souffrances endurées, qui sont en lien avec la faute commise par l'Etat, ont été fixées par l'expert à 5 sur une échelle allant jusqu'à 7. Les juges ont procédé à une juste évaluation de ce chef de préjudice en fixant l'assiette de l'indemnisation à la somme de 25 000 euros. Compte tenu toutefois du taux de perte de chance de 25 %, l'évaluation de l'indemnité due en réparation de ce préjudice doit être ramenée à 6 250 euros.

S'agissant du préjudice esthétique temporaire :

38. Les requérants demandent l'indemnisation du préjudice esthétique subi par M. E... I... en raison d'une dysmorphie faciale, d'un angiome dans la région lombaire, d'une agénésie dentaire et du fait qu'il porte des lunettes. Toutefois, d'une part, ainsi qu'il a été dit au point 26, il ne résulte pas de l'instruction que les troubles visuels dont souffre E... B...-C... seraient imputables à son exposition in utero au valproate de sodium. D'autre part, le préjudice esthétique temporaire, s'agissant le cas échéant de l'agénésie dentaire, si celle-ci peut être corrigée, est pris en compte dans le cadre du déficit fonctionnel temporaire. De troisième part, la dysmorphie faciale et l'angiome relèvent du préjudice esthétique permanent, qui sera indemnisé plus tard, après la date de consolidation à la majorité de M. E... I.... Par suite, c'est à tort que les premiers juges ont alloué à l'intéressé, à ce titre, la somme de 2 400 euros.

39. Le tribunal a réparé les préjudices de E... B..., par le versement d'une somme de 155 712,12 euros, d'une rente trimestrielle de 8 369,49 euros calculée à partir d'un capital de 167 389,84 euros et d'une rente trimestrielle de 283,61 euros calculée à partir d'un capital de 5 672,16 euros. Il résulte des points 29 à 38 qu'en fixant à ces sommes la réparation des préjudices de M. E... I..., le tribunal n'en a pas fait une évaluation insuffisante. Dès lors, les requérants ne sont pas fondés à se plaindre de la réparation ainsi allouée.

40. Ils sont en revanche fondés à demander que les parts des indemnités au titre de la tierce personne et du déficit fonctionnel temporaire que le tribunal a accordées sous forme de rentes pour la période allant de la date de l'expertise à la majorité de E... B...-C..., soit respectivement 167 389,84 euros et 5 672,16 euros, soient versées sous forme d'un capital plutôt que d'une rente, après déduction, le cas échéant, des rentes trimestrielles versées par l'Etat en exécution du jugement du 29 juin 2021 du tribunal administratif de Montreuil.

En ce qui concerne Mme B... et M. C... :

41. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment des pièces justificatives dont certaines ont été produites pour la première fois en appel, que Mme B... justifie avoir exposé des frais de déplacement pour transporter son fils aux rendez-vous médicaux justifiés par son état de santé, entre 2011 et 2020. Compte tenu du barème kilométrique publié par l'administration fiscale et applicable pour chaque année en cause à un véhicule de cinq chevaux, ainsi que mentionné sur la copie de la carte grise produite par Mme B..., et d'un nombre de kilomètres parcourus de 4,4 en 2011, 171,8 en 2012, 269,4 en 2013, 100 en 2014, 282 en 2015, 242 en 2016, 123,8 en 2017, 67,6 en 2018, 665,8 en 2019 et 748,8 en 2020, les frais s'élèvent à la somme totale de 1 453,18 euros, soit 363 euros après application du taux de perte de chance de 25 %. Par suite, les frais mis à la charge de l'Etat doivent être fixés à la somme totale de 363 euros.

42. En second lieu, après avoir indiqué, dans leur requête, une absence de perte de revenus, les requérants ont demandé, dans le mémoire en réplique enregistré le 2 décembre 2022, la condamnation de l'Etat à leur payer la somme de 31 341,19 euros au titre du préjudice économique résultant pour eux des pertes de gains professionnels de Mme B.... Toutefois, en l'absence de toute information sur les revenus perçus par Mme B... et M. C... entre 2003 et 2010, la perte de revenus alléguée n'est pas établie. Par suite, les conclusions tendant à la réparation du préjudice économique de Mme B... et de M. C..., qui sont en tout état de cause nouvelles en appel, ne peuvent être accueillies.

43. En troisième lieu, en fixant à la somme de 25 000 euros l'assiette de leur réparation, le tribunal administratif de Montreuil a fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence de Mme B... et M. C.... Compte tenu du taux de perte de chance de 25 %, il y a lieu de ramener à la somme à la somme de 6 250 euros chacun la réparation de ces chefs de préjudice.

44. Il résulte des points 41 à 43 qu'en fixant aux sommes respectives de 10 231 euros et 10 000 euros la réparation des préjudices de Mme B... et de M. C..., le tribunal n'en a pas fait une évaluation insuffisante. Dès lors Mme B... et M. C... ne sont pas fondés à se plaindre de la réparation ainsi allouée.

Sur les frais liés à l'instance :

45. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société Sanofi-Aventis France, qui n'aurait pas pu faire tierce opposition si elle n'avait pas été présente à l'instance et qui n'a donc pas la qualité de partie à l'instance, obtienne le versement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

46. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance, la somme que les consorts I... réclament au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : L'intervention de la société Sanofi Winthrop Industrie est admise.

Article 2 : Les parts des indemnités au titre de la tierce personne et du déficit fonctionnel temporaire que le tribunal administratif de Montreuil a accordées sous forme de rentes pour la période allant de la date de l'expertise à la majorité de E... B...-C..., soit respectivement 167 389,84 euros et 5 672,16 euros, seront versées sous forme d'un capital, après déduction le cas échéant des rentes trimestrielles versées par l'Etat en exécution du jugement du 29 juin 2021 du tribunal administratif de Montreuil.

Article 3 : Le jugement du 29 juin 2021 du tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme K... B..., à M. G... C..., à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles et à la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse.

Copie en sera adressée à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 9 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 janvier 2025.

La rapporteure,

C. Vrignon-VillalbaLa présidente,

A. Menasseyre

La greffière,

N. Couty

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA04849


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA04849
Date de la décision : 14/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Cécile VRIGNON-VILLALBA
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SELARL DANTE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-14;21pa04849 ?
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