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14/01/2025 | FRANCE | N°22PA02381

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 14 janvier 2025, 22PA02381


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... F... épouse D..., M. H... D..., M. C... D..., M. A... D... et Mme G... D... ont demandé au tribunal administratif de Montreuil, dans le dernier état de leurs écritures :

- à titre principal, de statuer sur la faute commise par l'Etat dans l'exercice de ses pouvoirs de police sanitaire, s'agissant de l'information donnée aux prescripteurs et aux patients sur les effets indésirables du médicament Dépakine en cas d'exposition in utero, et de désigner avan

t-dire droit un expert psychologue ayant pour mission d'évaluer l'ensemble des préjudices ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... F... épouse D..., M. H... D..., M. C... D..., M. A... D... et Mme G... D... ont demandé au tribunal administratif de Montreuil, dans le dernier état de leurs écritures :

- à titre principal, de statuer sur la faute commise par l'Etat dans l'exercice de ses pouvoirs de police sanitaire, s'agissant de l'information donnée aux prescripteurs et aux patients sur les effets indésirables du médicament Dépakine en cas d'exposition in utero, et de désigner avant-dire droit un expert psychologue ayant pour mission d'évaluer l'ensemble des préjudices résultant pour eux de l'interruption volontaire médicale de grossesse subie par Mme B... D... le 5 novembre 1996 ;

- à titre subsidiaire, de dire que l'obligation de les indemniser incombe à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) en application de l'article L. 1142-24-16 du code de la santé publique, et de condamner l'ONIAM ou l'Etat à verser, à titre provisionnel, les sommes de 180 000 euros pour Mme B... D..., 80 000 euros pour M. H... D..., et de 15 000 euros chacun pour M. C... D..., M. A... D... et Mme G... D....

Par un jugement n° 2000479 du 22 mars 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 mai et 28 octobre 2022, Mme B... D..., M. H... D..., M. C... D..., M. A... D... et Mme G... D..., représentés par la SELAS Dante, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal, de statuer sur la faute commise par l'Etat dans l'exercice de ses pouvoirs de police sanitaire, s'agissant de l'information donnée aux prescripteurs et aux patients sur les effets indésirables du médicament Dépakine en cas d'exposition in utero, de désigner avant-dire droit un expert psychologue ayant pour mission d'évaluer l'ensemble des préjudices résultant pour eux de l'interruption volontaire de grossesse subie par Mme B... D... le 5 novembre 1996 et de condamner l'Etat à verser, à titre provisionnel, les sommes de 180 000 euros pour Mme B... D..., 80 000 euros pour M. H... D..., 15 000 euros chacun pour MM. C... et A... D... et Mme G... D... ;

3°) à titre subsidiaire, de dire que l'obligation de les indemniser incombe à l'ONIAM en application de l'article L. 1142-24-16 du code de la santé publique, et de condamner l'ONIAM à verser, à titre provisionnel, les sommes de 180 000 euros pour Mme B... D..., 80 000 euros pour M. H... D..., et 15 000 euros chacun pour MM. C... et A... D... et Mme G... D... ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat et de l'ONIAM la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

5°) de condamner l'Etat et l'ONIAM aux entiers dépens.

Ils soutiennent que :

- en engageant une procédure devant l'ONIAM, ils ont mis en cause la responsabilité de l'Etat et ont saisi le tribunal de ce moyen dès la saisine, contrairement à ce que celui-ci a jugé ; par suite, le tribunal administratif était bien compétent et leur demande était recevable ;

- à titre principal, l'Etat a commis une faute dans l'exercice de ses pouvoirs de police sanitaire, qui engage sa responsabilité ;

- une expertise doit être ordonnée afin d'évaluer l'ensemble des préjudices subis par les époux D... et leurs enfants en raison de l'interruption volontaire médicale de grossesse subie par Mme B... D... le 5 novembre 1996, après qu'ils ont été informés de ce que le fœtus était atteint de malformations congénitales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 septembre 2022, le ministre de la santé et de la prévention conclut au rejet de la requête.

Il soutient :

- à titre principal, que le juge administratif est incompétent pour connaître des conclusions indemnitaires dirigées contre l'ONIAM, et que les conclusions indemnitaires dirigées contre l'Etat sont irrecevables pour avoir été présentées tardivement et en l'absence de demande indemnitaire préalable ;

- à titre subsidiaire, que l'Etat n'a commis aucune faute dans l'exercice de ses pouvoirs de police sanitaire susceptible d'engager sa responsabilité.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 27 septembre 2022 et 26 mai 2023, l'ONIAM, représenté par Me Fitoussi, conclut au rejet de la requête.

Il soutient :

- à titre principal, que l'offre d'indemnisation contestée a été formulée sur le fondement du II de l'article L1142-24-16 du code de la santé publique, au titre de la responsabilité exclusive du laboratoire Sanofi Aventis France ; il en résulte que dès lors qu'ils ont renoncé à une indemnisation amiable, les consorts D... ne peuvent rechercher la responsabilité du laboratoire Sanofi que devant les juridictions de l'ordre judiciaire ;

- à titre subsidiaire, que les conditions d'intervention de l'ONIAM ne sont pas réunies et que l'utilité de la mesure d'expertise sollicitée n'est pas démontrée ;

- à titre infiniment subsidiaire, que les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ne concernent que les époux D..., à l'exclusion de leurs enfants, et doivent être ramenées à de plus justes proportions.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne, qui n'a pas présenté d'observations.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vrignon-Villalba,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Paucod et de Me de Noray, pour les consorts D..., de Me Fitoussi pour l'ONIAM et de M. E... pour la ministre de la santé et de l'accès aux soins.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... D... souffre d'épilepsie traitée par Dépakine depuis 1981. Le 23 octobre 1996, alors qu'elle était enceinte de son troisième enfant, une anomalie vertébrale du fœtus a été détectée par échographie. Après que le diagnostic de spina bifida a été posé, elle a décidé avec son époux d'interrompre médicalement sa grossesse, le 5 novembre 1996, à vingt-deux semaines d'aménorrhée. Le 2 mars 2018, estimant que la malformation dont le fœtus était atteint était en lien avec l'exposition in utero au valproate de sodium, elle a saisi l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) d'une demande d'indemnisation, sur le fondement de l'article L. 1142-24-10 du code de la santé publique. Le 12 mai 2019, le collège d'experts prévu par l'article L. 1142-24-11 du code de la santé publique, a retenu que les malformations physiques détectées lors des échographies prénatales étaient imputables à l'exposition in utero du fœtus au valproate de sodium. En application de l'article L. 1142-24-12 du code de la santé publique dans sa rédaction alors en vigueur, la demande a été transmise au comité d'indemnisation placé auprès de l'office. Ce dernier a, dans sa séance du 25 septembre 2019, estimé que l'action en responsabilité contre le laboratoire Sanofi était prescrite et a considéré que l'ONIAM devait indemniser les préjudices subis, au titre du II de l'article L. 1142-24-16 du code de la santé publique. Le 12 novembre 2019, l'ONIAM a respectivement proposé à Mme et M. D... une offre d'indemnisation, que ceux-ci ont refusé, les estimant insuffisantes. Le 14 janvier 2020, les consorts D... ont demandé au tribunal administratif de condamner l'ONIAM puis, dans un mémoire enregistré le 11 janvier 2022, l'Etat, à les indemniser de leurs préjudices. Ils relèvent appel du jugement du 22 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande.

Sur le cadre juridique :

2. Aux termes de l'article L. 1142-24-9 du code de la santé publique : " Sans préjudice des actions qui peuvent être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des préjudices imputables au valproate de sodium ou à l'un de ses dérivés est assurée dans les conditions prévues à la présente section. ". Aux termes de l'article L. 1142-24-10 du même code : " Toute personne s'estimant victime d'un préjudice en raison d'une ou de plusieurs malformations ou de troubles du développement imputables à la prescription, avant le 31 décembre 2015, de valproate de sodium ou de l'un de ses dérivés pendant une grossesse, ou le cas échéant, son représentant légal ou ses ayants droit, peut saisir l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales en vue d'obtenir la reconnaissance de l'imputabilité de ces dommages à cette prescription. / La demande précise le nom des médicaments qui ont été administrés et les éléments de nature à établir l'administration de valproate de sodium ou de l'un de ses dérivés. / La saisine de l'office suspend les délais de prescription et de recours contentieux jusqu'au terme de la procédure prévue à la présente section. ". L'article L. 1142-24-12, dans sa rédaction applicable en l'espèce, dispose que : " S'il constate l'imputabilité des dommages mentionnés à l'article L. 1142-24-10 à la prescription de valproate de sodium ou de l'un de ses dérivés pendant une grossesse, le collège d'experts transmet la demande au comité d'indemnisation placé auprès de l'office. / Il en informe le demandeur, qui fournit à l'office les informations mentionnées aux deuxième et avant-dernier alinéas de l'article L. 1142-7. / Dès qu'il reçoit ces éléments, l'office en informe les organismes de sécurité sociale auxquels l'auteur de la demande est affilié. ". Aux termes de l'article L. 1142-24-15 du même code, alors en vigueur : " Au vu de l'appréciation du collège d'experts, le comité d'indemnisation se prononce sur les circonstances, les causes, la nature et l'étendue de ces dommages ainsi que sur la responsabilité de l'une ou de plusieurs des personnes mentionnées au premier alinéa de l'article L. 1142-5 ou de l'Etat, au titre de ses pouvoirs de sécurité sanitaire. / (...) Cet avis ne peut être contesté qu'à l'occasion de l'action en indemnisation, introduite devant la juridiction compétente par la victime, ou des actions subrogatoires prévues aux articles L. 1142-14 et L. 1142-24-17. ". Aux termes l'article L. 1142-24-16 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " I.- Les personnes considérées comme responsables par le collège d'experts ou les assureurs qui garantissent la responsabilité civile ou administrative de ces personnes adressent à la victime ou à ses ayants droit, dans un délai d'un mois à compter de la réception de l'avis du collège d'experts, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis. (...). / Lorsque le responsable désigné est l'Etat, l'offre est adressée par l'office. (...). / II.- Lorsque le comité d'indemnisation s'est prononcé sur l'imputabilité des dommages à un manque d'information de la mère sur les effets indésirables du médicament prescrit au regard des obligations légales et réglementaires s'imposant au produit, sans avoir pu identifier une personne tenue à indemniser, l'office adresse à la victime ou à ses ayants droit, dans un délai d'un mois à compter de la réception de l'avis du comité d'indemnisation, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis. Les troisième, quatrième et dernier alinéas de l'article L. 1142-15, les deuxième à quatrième et avant-dernier alinéas de l'article L. 1142-17, l'article L. 1142-19 et l'article L. 1142-20 sont applicables à cette offre. ". Selon l'article L. 1142-24-17 du même code : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur ou des personnes responsables mentionnées à l'article L. 1142-24-16 de faire une offre dans le délai d'un mois ou en cas d'offre manifestement insuffisante, l'office est substitué à l'assureur ou à la personne responsable. / Dans un délai d'un mois à compter de l'échéance du délai mentionné à l'article L. 1142-24-16 ou, le cas échéant, à compter du refus explicite ou de l'offre manifestement insuffisante mentionnés au premier alinéa du présent article, l'office adresse à la victime ou à ses ayants droit une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis ". L'article L. 1142-20 du même code dispose que : " La victime, ou ses ayants droit, dispose du droit d'action en justice contre l'office si aucune offre ne lui a été présentée ou si elle n'a pas accepté l'offre qui lui a été faite. / L'action en indemnisation est intentée devant la juridiction compétente selon la nature du fait générateur du dommage. ".

3. Par ailleurs, aux termes de l'article R. 1142-63-24 du code de la santé publique : " La demande mentionnée à l'article est déposée auprès de l'office contre récépissé ou adressée à l'office par tout moyen permettant d'attester de la date de son envoi. / Elle est accompagnée d'un dossier comportant l'ensemble des informations mentionnées au deuxième alinéa de l'article L. 1142-7. Elle comporte également des certificats médicaux précisant l'étendue des dommages dont le demandeur a été ou s'estime victime. En outre, celui-ci joint à sa demande tout autre document de nature à l'appuyer et notamment à établir l'existence d'une malformation ou d'un trouble du comportement mentionné à l'article L. 1142-24-10. La personne informe le collège des procédures juridictionnelles relatives aux mêmes faits éventuellement en cours. Si une action en justice est intentée, la personne informe le juge de la saisine de l'office. / Le formulaire de demande ainsi que la liste des pièces nécessaires à la recevabilité du dossier sont établis par arrêté du ministre chargé de la santé. L'office demande, le cas échéant, les pièces manquantes. Lorsque le dossier est complet, l'office adresse au demandeur un récépissé mentionnant la date de réception de toutes les pièces. (...). ". Aux termes de l'article L. 1142-63-30 du même code, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Lorsqu'il constate l'imputabilité des dommages au valproate de sodium ou à l'un de ses dérivés, le collège d'experts informe, le cas échéant, le demandeur de la filière de soins et de prise en charge appropriée et transmet son dossier au comité d'indemnisation (...) ". Selon l'article R. 1142-63-34 du même code, dans sa rédaction applicable au présent litige : " I.- Le comité d'indemnisation précise pour chaque chef de préjudice les circonstances, les causes, la nature et l'étendue des dommages subis ainsi que son appréciation sur les responsabilités encourues. / Les parties mises en cause indiquent sans délai à l'office le nom de l'assureur qui garantit leur responsabilité civile, au moment de la demande d'indemnisation ainsi qu'à l'époque de réalisation du dommage. / II.- Le comité adresse le projet d'avis aux parties et, le cas échéant, à leurs conseils, à l'Etat et aux personnes mentionnées au premier alinéa de L. 1142-24-15 ainsi qu'à leurs assureurs éventuels, qui disposent alors d'un délai de quinze jours pour lui faire parvenir leurs éventuelles observations. / Dans tous les cas, le comité prend en considération les observations des parties et joint à son projet d'avis, sur leur demande, tous documents y afférents. / Le projet d'avis du comité est également adressé au service médical des organismes de sécurité sociale auxquels est ou était affiliée la victime lors du dommage subi ainsi qu'à celui des autres tiers payeurs des prestations versées du chef de ce dommage. / III.- Le comité adresse l'avis par tout moyen permettant d'attester sa date d'envoi au demandeur et aux personnes auxquelles la procédure a été rendue opposable, ainsi qu'à leurs assureurs. L'avis du comité précise, le cas échéant, si la ou les personnes considérées comme responsables n'ont pas communiqué le nom de leur assureur ou si elles ont indiqué ne pas être assurées. Il est aussi adressé au service médical des organismes de sécurité sociale auxquels est ou était affiliée la victime lors du dommage subi, ainsi qu'à celui des autres tiers payeurs des prestations versées du chef de ce dommage. / L'avis informe le demandeur qu'il peut saisir l'office si l'assureur ou la personne responsable ne lui a pas fait parvenir une offre d'indemnisation dans le délai d'un mois suivant la réception de l'avis. Il est accompagné des documents établis en application du 3° de l'article R. 1142-51. ". Et aux termes de l'article R. 1142-43-36 du même code : " I.- Lorsque le comité ne retient aucune responsabilité, il en informe par lettre recommandée avec demande d'avis de réception le demandeur et les personnes auxquelles la procédure a été rendue opposable, ainsi que leurs assureurs. / II.- Lorsque le comité estime que les conditions prévues par le II de l'article L. 1142-24-16 sont remplies, il informe le demandeur que l'office lui adressera dans le délai d'un mois suivant la réception de son avis une offre d'indemnisation. ".

Sur l'indemnisation proposée par l'ONIAM dans le cadre de la procédure amiable prévue par article L. 1142-24-9 du code de la santé publique :

4. Il résulte des dispositions citées aux points 2 et 3 que lorsque le comité d'indemnisation s'est prononcé sur l'imputabilité des dommages à un manque d'information de la mère sur les effets indésirables du médicament prescrit, sans avoir pu identifier une personne tenue à indemniser, et que la procédure de règlement amiable prévue par les dispositions des articles L. 1142-24-9 et suivants du code de la santé publique n'a pu aboutir à défaut pour la victime ou ses ayants droit d'accepter l'offre faite par l'ONIAM en application du II de l'article L. 1142-24-16 du code de la santé publique, ces derniers peuvent alors agir en justice contre l'office. L'ordre de juridiction compétent pour connaître de l'action ouverte à la victime ou à ses ayants-droits est déterminé en fonction de la nature du fait générateur du dommage.

5. D'une part, il résulte expressément des termes de l'avis rendu par le comité d'indemnisation le 25 septembre 2019 et de ceux des protocoles d'indemnisation litigieux que les propositions d'indemnisation amiable adressées par l'ONIAM aux époux D... l'ont été sur le fondement du II de l'article L. 1142-24-16 du code de la santé publique et non pas sur celui du I de ce même article. Par suite, lorsqu'il a adressé ces offres aux intéressés, l'ONIAM ne s'était pas substitué à l'Etat après avoir reconnu la responsabilité de celui-ci, conformément à ce qui est prévu par les dispositions de l'article L. 1142-24-17 de ce code.

6. D'autre part, pour décider d'adresser aux époux D... des propositions d'indemnisation sur le fondement du II de l'article L. 1142-24-16 du code de la santé publique, le comité d'indemnisation a estimé dans sa séance du 25 septembre 2019 que le fait générateur du dommage était le manque d'information donnée à Mme D... par le producteur de la Dépakine, la société Sanofi-Aventis France, sur les risques pour le fœtus liés à une exposition in utero au valproate de sodium, par l'intermédiaire de la notice du médicament. Il a ensuite relevé que la responsabilité du laboratoire Sanofi, initialement retenue sur le fondement de l'article 1382 (ancien) du code civil, tel qu'interprété à la lumière de la directive du 25 juillet 1985, ne pouvait toutefois être recherchée compte tenu de la prescription de l'action à l'encontre du producteur, et en a déduit que les conditions de mise en jeu au titre de la solidarité nationale étaient réunies. Contrairement à ce que les requérants soutiennent, en proposant à M. et Mme D..., pour ce seul motif, des offres d'indemnisation sur le fondement du II de l'article L. 1142-24-16 du code de la santé publique, que les intéressés contestent comme étant insuffisantes, l'ONIAM a implicitement mais nécessairement considéré que la responsabilité de l'Etat n'était pas engagée.

7. Il s'ensuit que la créance détenue par Mme et M. D... au titre de la responsabilité du laboratoire Sanofi était une créance de droit privé. Dans ces conditions, les conclusions dont les requérants ont initialement saisi le tribunal administratif de Montreuil, par lesquelles ils contestaient uniquement le montant des indemnisations proposées et demandaient la condamnation de l'ONIAM à leur verser des indemnités plus élevées, devaient être portées devant le juge judiciaire. La circonstance que des indications erronées ont été données aux requérants sur les voies de recours contre ces propositions est sans incidence à cet égard.

Sur les conclusions dirigées contre l'Etat sur le terrain de la responsabilité pour faute :

8. Ainsi que précisé à l'article L. 1142-24-9 du code de la santé publique, la poursuite de la procédure amiable devant l'ONIAM s'effectue sans préjudice des actions qui peuvent être exercées conformément au droit commun.

9. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction résultant du décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. ". Le premier alinéa de l'article R. 421-2 du même code dispose que : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours. ".

10. D'une part, il ne résulte pas de l'instruction et n'est d'ailleurs pas allégué par les requérants qu'à la date à laquelle les premiers juges ont statué, ils avaient adressé à l'Etat une demande préalable tendant à la réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison de la carence de l'Etat dans l'exercice de ses pouvoirs de police sanitaire, que l'autorité administrative aurait expressément ou implicitement rejetée.

11. D'autre part, il ne résulte pas des dispositions, citées aux points 2 et 3, du code de la santé publique, ni d'aucune autre disposition légale ou réglementaire, que lorsqu'une demande d'indemnisation est adressée à l'ONIAM sur le fondement des dispositions des articles L. 1142-24-9 et suivants du code de la santé publique, le producteur ou l'Etat en seraient informés dès la réception de cette demande, ni que, dans les cas où le comité d'indemnisation n'a pas retenu leur responsabilité et qu'il ne leur est donc pas demandé d'adresser une offre d'indemnisation amiable au demandeur, le projet d'avis puis l'avis rendu par le comité leur seraient communiqués.

12. En l'espèce, ainsi qu'il a été dit aux points 4 à 6, le comité d'indemnisation n'a pas retenu la responsabilité de l'Etat et les offres d'indemnisation adressée par l'ONIAM à M. et Mme D... l'ont été sur le fondement II de l'article L. 1142-24-16 du code de la santé publique, après que le comité d'indemnisation a considéré que la responsabilité du laboratoire Sanofi ne pouvait plus être engagée dès lors que la prescription était acquise. Dès lors, et en tout état de cause, ni l'avis rendu par le comité d'indemnisation le 25 septembre 2019 ni, à plus forte raison, la demande dont l'ONIAM a été saisie par les consorts D... le 2 mars 2018, qui n'ont pas été transmis à l'Etat, ne peuvent être regardés, au sens et pour l'application du second alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, comme une demande préalable formée devant celui-ci. Par suite, les conclusions des consorts D... présentées pour la première fois devant le tribunal administratif de Montreuil, dirigées contre l'Etat et fondées sur l'existence d'une faute commise par ce dernier, étaient irrecevables.

13. Au demeurant, à supposer même qu'ainsi qu'elle le soutient, Mme B... D... n'ait pas été informée des risques de spina bifida en cas d'exposition in utero au valproate de sodium lors de sa grossesse en 1996, il n'est pas allégué qu'informée de ce risque, l'intéressée aurait pu renoncer à prendre de la Dépakine ou, à défaut, qu'elle aurait renoncé à être enceinte, alors qu'il résulte de l'instruction, en particulier des pièces médicales produites au dossier de l'instance, qu'elle a continué à prendre de la Dépakine après 1996, y compris pendant ses grossesses menées en 1999 et 2000, la requérante indiquant d'ailleurs dans ses écritures avoir été particulièrement angoissée à ces occasions. Dans ces conditions, et en toute hypothèse, le préjudice dont la réparation est demandée n'apparaît pas en lien avec la faute commise, selon les requérants, par l'Etat dans l'exercice de ses pouvoirs de police sanitaire s'agissant de l'information qui aurait dû être donnée sur les effets tératogènes du valproate de sodium, notamment dans la notice destinée aux patients.

14. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts D... ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, leur requête doit être rejetée, en toutes ses conclusions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête des consorts D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... F... épouse D..., à M. H... D..., à M. C... D..., à M. A... D..., à Mme G... D..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affectations iatrogènes et des infections nosocomiales, à la ministre du travail, de la santé des solidarités et des familles et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 9 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 janvier 2025.

La rapporteure,

C. Vrignon-VillalbaLa présidente,

A. Menasseyre

La greffière,

N. Couty

La République mande et ordonne à ministre du travail, de la santé des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA02381


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA02381
Date de la décision : 14/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Cécile VRIGNON-VILLALBA
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SELARL DANTE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-14;22pa02381 ?
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