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14/01/2025 | FRANCE | N°23PA03693

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 14 janvier 2025, 23PA03693


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 1er septembre 2020 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 23 janvier 2020 refusant à son employeur l'autorisation de licencier l'intéressé et a autorisé la société Alphaguard Sécurité Privée à le licencier.



Par jugement n° 2008901 du 13 juin 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté

sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 13 août 2023,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 1er septembre 2020 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 23 janvier 2020 refusant à son employeur l'autorisation de licencier l'intéressé et a autorisé la société Alphaguard Sécurité Privée à le licencier.

Par jugement n° 2008901 du 13 juin 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 août 2023, M. A..., représenté par Me Ricci, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2008901 du 13 juin 2023 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler la décision du 1er septembre 2020 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que la ministre du travail a considéré que son changement d'affectation professionnelle n'était pas une modification de son contrat de travail et que le refus opposé à son employeur était fautif ;

- son refus ne constituait pas une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.

Par des mémoires en défense enregistrés les 24 octobre 2023 et 30 septembre 2024, la société Alphaguard Sécurité Privée exerçant désormais son activité sous le nom de D..., prise en la personne de ses deux administrateurs, la Selarl A et M C... et la Selarl Tulier Polge-Alirezai et les deux mandataires judiciaires, la Selarl MJC2A et la Selarl C. Basse, représentés par Me Bertrand, conclut au rejet de la requête et à ce que M. A... lui verse une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

La requête a été transmise à la ministre du travail et de l'emploi qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Collet,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Bertrand pour la société D....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a été recruté par la société Alphaguard Sécurité Privée le 1er janvier 2017 comme agent de service de sécurité incendie et d'assistance à personnes dans le cadre d'une reprise de son contrat de travail alors qu'il était affecté depuis le 17 janvier 2000 sur le site de l'hôpital européen Georges Pompidou. Il exerçait le mandat de représentant syndical au comité social et économique. Le 21 novembre 2019, il a été convoqué à un entretien préalable prévu le 29 novembre suivant. Par décision du 1er septembre 2020, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 23 janvier 2020 refusant à son employeur l'autorisation de licencier l'intéressé et a autorisé le licenciement de M. A.... Par jugement du 13 juin 2023, dont M. A... relève appel, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 1er septembre 2020 de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Sur la légalité de la décision de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion :

2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

3. Le refus opposé par un salarié protégé à un changement de ses conditions de travail décidé par son employeur en vertu, soit des obligations souscrites dans le contrat de travail, soit de son pouvoir de direction, constitue, en principe, une faute. En cas d'un tel refus, l'employeur, s'il ne peut directement imposer au salarié ledit changement, doit, sauf à y renoncer, saisir l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement à raison de la faute qui résulterait de ce refus. Après s'être assuré que la mesure envisagée ne constitue pas une modification du contrat de travail de l'intéressé, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'apprécier si le refus du salarié constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation sollicitée, compte tenu de la nature du changement envisagé, de ses modalités de mise en œuvre et de ses effets, tant au regard de la situation personnelle du salarié, que des conditions d'exercice de son mandat. En tout état de cause, le changement des conditions de travail ne peut avoir pour objet de porter atteinte à l'exercice de ses fonctions représentatives.

4. Suite à un incident survenu le 4 septembre 2019 sur le site de l'hôpital Georges Pompidou entre M. A... et le chargé de sécurité de l'hôpital, l'accès à son lieu de travail lui a été interdit. Par courrier du 9 septembre 2019, la société Alphaguard Sécurité Privée lui a alors proposé une affectation au tribunal de grande instance de Bobigny sur un poste " ACC à temps plein " (accueil et contrôle d'entrée), requalifié dans le courrier de relance du 9 octobre 2019 en poste " SSIAP1 à temps plein ". Deux nouvelles relances lui ont été adressées, en l'absence de réponse sur cette nouvelle affectation, les 29 octobre et 12 novembre 2019. M. A... a finalement accepté ce poste le 14 novembre 2019 à condition de ne pas exercer de missions de sûreté. La société lui a alors indiqué, par courrier du 15 novembre 2019, que les fonctions de SSIAP1 sont polyvalentes et comportent également des missions de sûreté et qu'il devait explicitement faire connaître son accord ou son refus d'affectation. En l'absence de réponse de M. A..., ce dernier a été convoqué le 29 novembre 2019 à un entretien préalable à son licenciement et, parallèlement, son employeur lui a également proposé quatre autres postes d'agent SSIAP1, offres restées également sans réponse de l'intéressé.

5. Pour soutenir que cette nouvelle affectation constituait une modification de son contrat de travail qu'il était en droit de refuser, M. A... fait valoir que le poste qui lui a été proposé au tribunal de grande instance de Bobigny comportait des missions de sûreté alors qu'il était agent de sécurité incendie et que cette nouvelle affectation constituait un retrait substantiel de ses responsabilités.

6. Il ressort, toutefois, des pièces du dossier que le contrat de travail qui a été signé le 24 juillet 2012 entre la Sarl Assistance Sécurité Protection et M. A... en qualité d'" agent de sécurité / Niveau 3 " a été repris par la société Alphaguard Sécurité Privée qui exerce son activité sous le nom " société D... " par l'avenant du 14 décembre 2016 avec effet à compter du 1er janvier 2017 dans les mêmes conditions que son contrat initial. La circonstance qu'antérieurement M. A... a été recruté par son précédent employeur, la société Cave Canem, à compter du 17 janvier 2000 en qualité d'agent de sécurité incendie est sans incidence sur la qualification des missions qui peuvent lui être dévolues par la société D..., missions qui doivent être appréciées à la date de la reprise de son contrat de travail en fonction de ce dernier contrat signé le 24 juillet 2012. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que M. A... est titulaire du certificat de qualification professionnelle agent de prévention et de sécurité, qu'il a suivi en 2017 des formations de maintien et d'actualisation de ses compétences comme agent de sécurité et agent de service de sécurité incendie et d'assistance à personnes (SSIAP1 et 2) et d'une carte professionnelle d'agent de sécurité qui l'autorise ainsi à exercer des activités privées de sécurité. Si M. A... soutient que le poste sur lequel il était affecté depuis le 17 janvier 2000 à l'hôpital Georges Pompidou ne comportait que des missions de sécurité incendie, à l'exclusion des missions de sûreté, la société D... conteste ses allégations, qui sont d'ailleurs en contradiction avec les formations suivies mentionnées ci-dessus et qui ont été financées par son employeur. Ce dernier produit le cahier des clauses techniques particulières relatif aux prestations de sûreté anti-malveillance, de sécurité incendie et de télésurveillance pour l'hôpital Georges Pompidou ainsi qu'une attestation du chef d'équipe en poste au sein de cet hôpital indiquant au contraire que les agents SSIAP exercent des missions de sûreté et notamment des rondes, des recherches de personnes en fugue et des renforts de sûreté. Enfin, il ressort de l'article 3 de son contrat de travail du 24 juillet 2012 qui a été repris par la société D... que, concernant le lieu de travail, " le salarié est amené à faire preuve d'une mobilité géographique sur Paris, les départements de la région parisienne ainsi que les départements limitrophes à la région parisienne " et il ajoute qu'il " n'est pas engagé et affecté au titre d'un poste ou lieu de travail précis, mais pour l'ensemble des contrats de l'entreprise qui sont déterminés par des clients " permettant ainsi une proposition d'affectation dans le cadre de cette mobilité géographique sur les départements de la région parisienne.

7. Concernant la teneur des missions qui lui seront confiées sur le site du tribunal de grande instance de Bobigny, M. A... soutient qu'il n'a pas été informé du contenu exact de cette mission et qu'il appartenait à son employeur de répondre à la demande d'information du salarié en lui précisant le contenu précis du poste, la proportion entre les missions de sécurité incendie et celles relatives à la sûreté. Il ne ressort, toutefois, pas des éléments du dossier qu'il aurait fait une demande en ce sens à son employeur auquel il n'aurait pas été répondu. Par ailleurs, la circonstance que l'intitulé du poste proposé ait évolué entre le courrier du 9 septembre 2019 mentionnant un poste " ACC à temps plein " et ceux des relances postérieures des 9 et 29 octobre puis du 12 novembre 2019 indiquant " SSIAP 1 " ne permet pas à elle seule d'établir le manque d'information dont il se prévaut. S'il fait valoir qu'en acceptant cette nouvelle affectation, il subirait une perte de responsabilité, M. A... n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations permettant d'en apprécier le bien-fondé. Enfin, s'il soutient que seules des missions de sûreté pourraient lui être confiées au sein de sa nouvelle affectation, cette affirmation est démentie par l'attestation du chef de sécurité du site du tribunal de grande instance de Bobigny produite en défense par la société D... qui précise que les agents SSIAP se voit confier deux types de missions, tenant à la sûreté et la sécurité incendie et qu'une rotation sur les différents postes permet qu'ils ne soient pas exclusivement affectés à des postes d'agents de sûreté.

8. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que la modification des conditions de travail de M. A... aurait eu un impact sur les conditions d'exercice de son mandat. Par suite, compte tenu de la nature du changement envisagé, de ses modalités de mise en œuvre et de ses effets tant au regard de la situation personnelle du salarié que des conditions d'exercice de son mandat, le refus réitéré de M. A... de se conformer à la modification de son affectation entraînant seulement un changement de ses conditions de travail et non une modification de son contrat de travail constitue une faute qui est dans les circonstances de l'espèce d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation de licenciement demandée par son employeur quand bien même il fait valoir qu'il n'a jamais fait l'objet de sanctions disciplinaires auparavant.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 13 juin 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 1er septembre 2020 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 23 janvier 2020 et a autorisé la société Alphaguard Sécurité Privée à le licencier. Ses conclusions tendant l'annulation de ce jugement et de cette décision doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société D..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande M. A... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... la somme 1 500 euros à verser à la société D... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : M. A... est condamné à verser la somme de 1 500 euros à la société D... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la société D... et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

Copie en sera adressée aux deux administrateurs, la Selarl A et M C... et la Selarl Tulier Polge-Alirezai et aux deux mandataires judiciaires, la Selarl MJC2A et la Selarl C. Basse.

Délibéré après l'audience du 9 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- Mme Collet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 janvier 2025.

La rapporteure,

A. ColletLa présidente,

A. Menasseyre

La greffière

N. Couty

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA03693


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA03693
Date de la décision : 14/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Aude COLLET
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : RICCI

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-14;23pa03693 ?
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