Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Scierie BMNS a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 30 janvier 2020 du maire de Farino règlementant la circulation des poids lourds sur la voie urbaine n°1, dite route de Tendéa.
Par un jugement n° 2000102 du 12 novembre 2020, le tribunal administratif de
Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour avant cassation :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 janvier et 27 mai 2021, la société Scierie BMNS, représentée par Me Charlier, a demandé à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 12 novembre 2020 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 30 janvier 2020 du maire de Farino ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Farino la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement omet de statuer sur un moyen d'ordre public ;
- l'arrêté contesté a été pris par une autorité incompétente ;
- il n'est pas motivé ;
- il n'a pas été précédé d'une procédure contradictoire ;
- il est entaché d'une erreur de droit ;
- l'existence des fissures affectant la chaussée n'est pas établie et, à supposer que tel soit le cas, elles ne sont pas de nature à justifier la mesure contestée ;
- la mesure prise est disproportionnée, porte une atteinte excessive à la liberté de circulation et à la liberté de commerce et d'industrie et lui cause un préjudice important ;
- elle est entachée de détournement de pouvoir.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 2 avril et 9 juillet 2021, dont le second n'a pas été communiqué, la commune de Farino, représentée par la SELARL de Greslan-Lentignac, a conclu au rejet de la requête et à ce que la somme de 500 000 francs CFP soit mise à la charge de la société Scierie BMNS au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Par un arrêt n° 21PA00223 du 4 novembre 2022, la Cour a annulé le jugement du 12 novembre 2020 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ainsi que l'arrêté du 30 janvier 2020 du maire de Farino.
Par une décision n° 470189 du 17 juin 2024, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi présenté par la commune de Farino, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 4 novembre 2022 et a renvoyé l'affaire devant la Cour, où elle a été enregistrée le 20 juin 2024 sous le n° 24PA02814.
Procédure devant la Cour après cassation :
Par un mémoire récapitulatif, enregistré le 25 octobre 2024, portant notamment sur les conclusions et moyens présentés en première instance, à l'invitation de la Cour sur le fondement de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, la société Scierie BMNS, représentée par Me Charlier, reprend les conclusions de sa requête et de son mémoire en réplique enregistrés les 15 janvier et 27 mai 2021 et les mêmes moyens.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er août 2024, et un mémoire récapitulatif, enregistré le 7 novembre 2024, portant notamment sur les conclusions et moyens présentés en première instance, à l'invitation de la Cour sur le fondement de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, la commune de Farino, représentée par la SELARL de Greslan-Lentignac, reprend les conclusions de ses mémoires en défense enregistrés les 2 avril et 9 juillet 2021 et les mêmes moyens.
Elle soutient, en outre, que les demandes de la société Scierie BMNS sont devenues sans objet dès lors que, par un arrêté conjoint du 8 décembre 2022, les maires de Farino et Moindou ont réglementé la circulation sur l'axe en cause.
Par une ordonnance du 19 novembre 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 99-209 organique du 19 mars 1999 ;
- le code des communes de la Nouvelle-Calédonie ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Jayer,
- et les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 30 janvier 2020, le maire de Farino (Nouvelle-Calédonie) a réglementé la circulation des poids lourds sur la voie urbaine n° 1 dite " route de Tendéa ". La société Scierie BMNS a relevé appel du jugement du 12 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Par un arrêt du 4 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement ainsi que l'arrêté contesté. Par une décision du 17 juin 2024, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la Cour.
Sur l'exception de non-lieu à statuer :
2. Un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte administratif n'a d'autre objet que d'en faire prononcer l'annulation avec effet rétroactif. Si, avant que le juge n'ait statué, l'acte attaqué est rapporté par l'autorité compétente et si le retrait ainsi opéré acquiert un caractère définitif faute d'être critiqué dans le délai du recours contentieux, il emporte alors disparition rétroactive de l'ordonnancement juridique de l'acte contesté, ce qui conduit à ce qu'il n'y ait plus lieu pour le juge de la légalité de statuer sur le mérite de la requête dont il était saisi. Il en va ainsi, quand bien même l'acte rapporté aurait reçu exécution. Dans le cas où l'administration se borne à procéder à l'abrogation de l'acte attaqué, cette circonstance prive d'objet le recours formé à son encontre, à la double condition que cet acte n'ait reçu aucune exécution pendant la période où il était en vigueur et que la décision procédant à son abrogation soit devenue définitive.
3. Il ressort des pièces du dossier que les maires de Farino et Moindou, par leur décision conjointe du 8 décembre 2022, n'ont ni retiré ni abrogé l'arrêté du 30 janvier 2020 du maire de Farino, qui avait été annulé par l'arrêt du 4 novembre 2022 de la Cour, mais ont seulement entendu tirer les conséquences de cette annulation, en réglementant de nouveau, dans le respect de la chose alors jugée, la circulation des poids lourds sur la route de Tendéa. Par suite, la commune de Farino n'est pas fondée à soutenir que l'appel de la société Scierie BMNS aurait perdu son objet.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. En vertu de l'article L. 131-1 du code des communes de la Nouvelle-Calédonie, le maire " est chargé, sous le contrôle administratif du haut-commissaire, de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l'Etat qui y sont relatifs ". Aux termes de l'article L. 131-2 du même code : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : / 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques (...) / 4° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, (...) les accidents et les fléaux calamiteux (...) ". L'article L. 131-3 de ce code poursuit : " Le maire a la police de la circulation sur les routes territoriales, les routes provinciales et les voies de communication à l'intérieur des agglomérations ". Enfin, selon l'article L. 131-4 de ce code : " Le maire peut, par arrêté motivé, eu égard aux nécessités de la circulation : 1° Interdire à certaines heures l'accès de certaines voies de l'agglomération ou de certaines portions de voie ou réserver cet accès, à certaines heures, à diverses catégories d'usagers ou de véhicules (...) ".
5. Il résulte des dispositions des articles L. 131-1, L. 131-2, L. 131-3 et L. 131-4 du code des communes de la Nouvelle-Calédonie, citées ci-dessus, que le maire est compétent, sous le contrôle administratif du haut-commissaire, pour assurer la police de la circulation sur les routes territoriales, les routes provinciales et l'ensemble des voies publiques ou privées ouvertes à la circulation publique à l'intérieur des agglomérations. A l'extérieur des agglomérations, le maire exerce également la police de la circulation sur les voies du domaine public routier communal, sous réserve le cas échéant des pouvoirs dévolus aux autorités territoriales et provinciales. A ce titre, il peut notamment interdire à certaines heures l'accès de certaines voies de l'agglomération ou de certaines portions de voie ou réserver cet accès, à certaines heures, à diverses catégories d'usagers ou de véhicules.
6. Lorsqu'une voie sur laquelle s'exercent les pouvoirs conférés au maire en matière de police de la circulation traverse successivement le territoire de différentes communes, chaque maire est compétent, au titre de la police municipale, pour réglementer la circulation sur cette voie sur le territoire de sa commune. Il lui appartient cependant, dans l'exercice de cette compétence, de prendre en considération les incidences de cette réglementation sur les conditions de circulation sur le territoire des communes voisines.
7. Par l'arrêté en litige, le maire de Farino a, notamment, interdit la circulation sur la route de Tendéa aux véhicules dont le poids total excède trente tonnes, sauf demande de transport exceptionnel adressée au maire trois jours ouvrés au moins avant la date envisagée d'un transport exceptionnel, qu'il peut refuser en fonction des conditions météorologiques rendant la chaussée impraticable pour ce type de transport.
8. Il ressort des pièces du dossier que la commune de Farino a entrepris, entre décembre 2017 et novembre 2019, des travaux de réfection de la route de Tendéa, qui constitue l'unique voie permettant le transport du bois commercialisé par la scierie BMNS, implantée sur le territoire de la commune voisine de Moindou. A la suite de ces travaux, la commune de Farino a rapidement constaté la fissuration, à plusieurs endroits, du revêtement de la chaussée et a entendu, ainsi qu'il résulte des motifs de l'arrêté litigieux, réglementer la circulation des poids lourds pour préserver la pérennité de la chaussée nouvellement refaite. Toutefois, d'une part, au vu des photographies seules produites par la commune, il ne ressort pas des pièces du dossier que la chaussée se serait affaissée ou que l'état altéré de son revêtement résulterait d'une sollicitation excessive de la route au regard de ses caractéristiques plutôt que des malfaçons consécutives aux travaux ni que cette voie, qui a permis pendant de nombreuses années la circulation de véhicules de plus de trente tonnes destinés à la livraison de bois pour les besoins de l'activité de la société requérante, ne pourrait plus supporter de tels transports, le passage de véhicules de fort tonnage étant le fait quasi-exclusif de la scierie, dont le camion opère deux rotations par mois. D'autre part, si la commune invoque également les risques induits par la circulation de camions de fort tonnage en cas de précipitations importantes, il n'est pas davantage établi qu'une mesure moins restrictive de la liberté de circulation que l'interdiction retenue, assortie de possibilités de dérogations sans même qu'un délai d'autorisation adapté soit prévu, n'aurait pas permis d'assurer la sécurité des usagers en cas de fortes pluies, dont la fréquence, avancée par la société Scierie BMNS et non contestée, est seulement de deux ou trois fois par an. Par suite, le maire de Farino a pris une mesure de police qui n'apparaît ni strictement nécessaire, ni proportionnée aux exigences de sécurité de la circulation sur cette voie.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par la commune en première instance et non reprise dans son mémoire récapitulatif ni d'examiner les autres moyens de la requête, que la société Scierie BMNS est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du maire de Farino du 30 janvier 2020.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Scierie BMNS, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la commune de Farino. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de cette dernière le versement à la société Scierie BMNS d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 12 novembre 2020 du tribunal administratif de Nouvelle Calédonie et l'arrêté du 30 janvier 2020 du maire de Farino sont annulés.
Article 2 : La commune de Farino versera à la société Scierie BMNS une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la commune de Farino présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Scierie BMNS et à la commune de Farino.
Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie et au procureur de la République près le tribunal de première instance de Nouméa.
Délibéré après l'audience du 17 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Fombeur, présidente de la Cour,
Mme Bonifacj, présidente de chambre,
Mme Jayer, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 janvier 2025.
La rapporteure,
M.-D. JAYERLa présidente,
P. FOMBEUR
La greffière,
E. TORDO
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA02814