Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 22 avril 2021 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé la société Challancin à le licencier pour motif disciplinaire, ainsi que la décision expresse du 16 février 2022 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire.
Par jugement n° 2127876/3-2 du 12 octobre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires récapitulatifs enregistrés les 12 décembre 2023, 13 et 31 mai 2024, M. A..., représenté par Me Mangou, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2127876/3-2 du 12 octobre 2023 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision du 22 avril 2021 de l'inspectrice du travail ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision de l'inspectrice du travail est entachée d'un défaut de motivation ;
- elle est entachée d'un vice de forme en l'absence de visas indiquant les éléments qu'il a transmis lors de l'enquête contradictoire ;
- les décisions de l'inspectrice du travail et de la ministre du travail sont entachées d'erreur de droit dès lors qu'elles méconnaissent le délai de prescription prévu à l'article L. 1332-4 du code du travail ;
- les faits qui lui sont reprochés ne sont pas matériellement établis ;
- la demande d'autorisation de licenciement est en lien avec son mandat syndical.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 mars 2024, la ministre du travail, de la santé et des solidarités conclut au rejet de la requête de M. A....
Elle renvoie à son mémoire en défense produit devant les premiers juges qu'elle produit à nouveau pour soutenir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense enregistrés les 19 avril, 22 mai et 27 septembre 2024, la société Challancin, représentée par Me Raymondjean, demande à la cour de rejeter la requête de M. A... et de mettre à sa charge la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice admirative.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Collet,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Mangou pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a été recruté à compter du 5 février 2010 en contrat à durée indéterminée en qualité d'agent très qualifié de services. Son contrat de travail a été transféré le 1er juin 2018 à la société Challancin, lors de la reprise du marché de nettoyage de l'hôpital européen Georges Pompidou, site sur lequel M. A... est affecté. Il est membre titulaire du comité économique et social et délégué syndical. Par courrier du 24 février 2021, la société Challancin a demandé à l'inspection du travail l'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire, qui lui a été accordée le 22 avril 2021. M. A... a formé le 25 juin 2021 un recours hiérarchique, reçu le 26 juin suivant, contre cette décision, que la ministre du travail a implicitement rejeté le 25 octobre 2021 puis expressément par décision du 16 février 2022. Par jugement n° 2127876/3-2 du 12 octobre 2023, dont M. A... relève appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces décisions des 22 avril 2021 et 16 février 2022.
Sur la légalité des décisions contestées des 22 avril 2021 et 16 février 2022 :
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
3. En premier lieu, M. A... invoque les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de la décision de l'inspectrice du travail du 22 avril 2021 s'agissant de l'absence de lien entre la demande d'autorisation de licenciement et ses mandats syndicaux et du vice de forme dont serait entachée cette décision en l'absence de visas indiquant les éléments qu'il a transmis lors de l'enquête contradictoire. Toutefois, il n'apporte à l'appui de ces moyens, déjà soulevés devant le tribunal administratif, aucun élément nouveau susceptible de remettre en cause l'appréciation portée à juste titre par les premiers juges aux points 4 à 6 du jugement attaqué. Il y a dès lors lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par ces derniers.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ". Peut être regardé comme l'employeur, au sens et pour l'application du premier alinéa de l'article L. 122-44 du code du travail, non seulement le représentant légal de l'entreprise investi du pouvoir disciplinaire mais également tout représentant de ce dernier qui aurait qualité pour prendre l'initiative d'une action disciplinaire à l'égard du salarié fautif.
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme C..., la responsable du site dans lequel M. A... est affecté et sa supérieure hiérarchique directe, a le 11 août 2020 été victime de faits constitutifs selon elle de harcèlement par ce dernier et pour lesquels elle a déposé une plainte contre l'intéressé. Un collègue avec lequel M. A... a eu une altercation le 12 août 2020 a également déposé plainte contre lui le jour même. Suite à ces plaintes, la commission santé sécurité conditions de travail a décidé, le 7 octobre 2020, de diligenter une enquête interne qui s'est déroulée de novembre 2020 à janvier 2021 et au cours de laquelle plusieurs salariés ont été auditionnés. Cette enquête s'est conclue le 22 janvier 2021 par la transmission d'un rapport à la direction de la société Challancin. Par suite, contrairement à ce que M. A... soutient, ce n'est qu'à cette date que l'ampleur des faits qui pouvaient lui être reprochés, et qui ne concernent pas seulement sa relation conflictuelle avec Mme C..., a été connue par son employeur, de sorte que le 26 janvier 2021, date de sa convocation à un entretien préalable à son éventuel licenciement, le délai de deux mois prévu par l'article L. 1332-4 du code du travail n'était pas écoulé. Les circonstances que Mme C... aurait eu qualité pour prendre l'initiative d'une action disciplinaire à son encontre, ce qui ne ressort pas des pièces du dossier, et que M. D..., le directeur d'exploitation, était présent sur les lieux le 11 août 2020, sont en tout état de cause sans incidence sur l'appréciation de la date à laquelle l'ampleur des faits qui pouvaient lui être reprochés a été connue. Le moyen selon lequel les décisions de l'inspectrice du travail et de la ministre du travail sont entachées d'erreur de droit dès lors qu'elles méconnaissent le délai de prescription prévu à l'article L. 1332-4 du code du travail ne peut, par suite, qu'être écarté.
6. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier et notamment de la demande d'autorisation de licenciement qu'il est reproché à M. A... d'adopter régulièrement un comportement agressif, menaçant et insultant envers les salariés et plus particulièrement sa supérieure hiérarchique. Si l'intéressé conteste ces faits, il ressort des témoignages concordants de sa supérieure hiérarchique et d'autres salariés qui ont été auditionnés soit le 30 novembre 2020, soit les 11 ou 15 janvier 2021, qu'il entre dans le bureau de sa supérieure sans dire bonjour, qu'il démarre une discussion tout seul puis qu'il s'emporte en criant, et qu'il a eu à plusieurs reprises un comportement irrespectueux vis-à-vis d'elle. Tant les propos dégradants qu'il a tenus à l'égard de sa supérieure hiérarchique, que son comportement agressif vis-à-vis de celle-ci le 6 octobre 2020 ont été confirmés par une autre salariée. D'autres témoignages de collègues attestent du fait qu'il est coutumier des insultes proférées quand il est énervé et de son comportement agressif. Enfin, s'agissant de l'altercation du 10 août 2020, les propos d'un de ses collègues qui indique avoir été enfermé dans la laverie de l'hôpital parce qu'il refusait de se porter gréviste ce jour-là ont été confirmés par un autre collègue indiquant s'être blessé après avoir glissé sur des œufs, de la farine et du sucre que M. A... avait volontairement jetés au sol. Ce dernier témoigne également de son comportement habituel d'agressivité. Si M. A... conteste le déroulement et le caractère partial de l'enquête diligentée par la commission de santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) au motif que seuls 9 salariés sur 300 ont été auditionnés et qu'ils appartenaient tous au syndicat adverse au sien ou qu'il existait un lien de subordination ou de parenté avec la directrice des ressources humains qui l'a conduite conjointement à un membre de la CSSCT, d'une part, il ressort des pièces du dossier qu'ont été auditionnés les salariés ayant les mêmes horaires de travail que M. A..., d'autre part, que l'intéressé n'apporte à l'appui de ses allégations de partialité aucun élément permettant d'en établir le bien-fondé. De plus, les témoignages qu'il produit s'ils permettent d'attester des relations difficiles qu'il entretenait avec sa supérieure hiérarchique, ne remettent en revanche pas en cause utilement les déclarations précitées, dès lors que leur contenu est général et imprécis et qu'elles émanent de salariés dont les relations professionnelles avec l'intéressé ne sont pas précisées et qui n'ont pas été directement témoins des faits qui lui sont reprochés. Par suite, les différents témoignages concordants précités qui ont été recueillis lors de l'enquête interne et corroborés lors de l'enquête administrative menée par l'inspection du travail permettent d'établir la matérialité du comportement agressif, menaçant et insultant de M. A... envers les salariés et plus particulièrement envers sa supérieure hiérarchique, sans qu'ait une incidence sur cette appréciation la circonstance que les deux plaintes déposées contre lui ont été classées sans suite. Enfin, ces faits matériellement établis sont, dans les circonstances de l'espèce, d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation de licenciement sollicitée compte tenu de leur nature et de leur caractère répété, et de la circonstance que M. A... avait déjà fait l'objet de deux rappels à l'ordre les 26 novembre 2019 et 21 avril 2020 pour ce même comportement.
7. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la demande d'autorisation de licenciement de M. A... ait été motivée par son activisme syndical et notamment par le fait qu'il a appelé à la grève à plusieurs reprises. Par ailleurs, les deux témoignages des 26 avril 2023 et 25 mai 2024 que M. A... cite dans ses écritures ne permettent pas de caractériser l'existence d'une discrimination. Par suite, le moyen selon lequel la demande d'autorisation de licenciement sollicitée serait en lien avec son mandat syndical ne peut qu'être écarté.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement n° 2127876/3-2 du 12 octobre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la décision du 22 avril 2021 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé la société Challancin à le licencier pour motif disciplinaire, ainsi que la décision expresse du 16 février 2022 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation de ce jugement et de ces décisions ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais d'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par M. A... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de M. A... la somme de 1 500 euros demandée par la société Challancin sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : M. A... versera à la société Challancin la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la société Challancin et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Délibéré après l'audience du 13 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Vrignon-Villalba, présidente de la formation de jugement, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Jayer, première conseillère,
- Mme Collet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 février 2025.
La rapporteure,
A. Collet La présidente,
C. Vrignon-Villalba
Le greffier,
P. Tisserand La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA05131