Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Paris de réformer la décision du 9 novembre 2022 par laquelle la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a approuvé le compte de campagne déposé au titre de sa candidature à l'élection des députés à l'Assemblée nationale les 12 et 19 juin 2022, dans la troisième circonscription de l'Isère, en tant qu'elle a exclu du montant du remboursement forfaitaire dû par l'État, au titre de l'article L. 52-11 du code électoral, la somme de 2 026 euros, correspondant à des frais de vitrophanie de sa permanence électorale, et arrêté par suite ce remboursement à la somme de 24 585 euros.
Par un jugement n° 2301614 du 11 avril 2024, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 11 juin 2024 et des mémoires enregistrés le 25 novembre 2024 et le 10 janvier 2025, Mme A... C..., représentée par Me Léron, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 11 avril 2024 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de réformer la décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques pour réintégrer dans son compte de campagne la somme de 2 026 euros retranchées de l'assiette des dépenses et pour fixer le montant du remboursement dû par l'État à la somme de 26 611 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la dépense en cause n'a pas trait à un affichage en dehors des panneaux autorisés mais à l'habillage de sa permanence électorale pour les besoins de l'élection, et afin de signaler sa présence auprès des électeurs, ce qui lui confère le caractère de dépense électorale ;
- la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques admet elle-même dans le " Guide du candidat et du mandataire financier du 6 janvier 2022 " que de telles dépenses sont autorisées ;
- l'article L. 51 du code électoral, dans l'interprétation qu'en donne le tribunal administratif, est contraire aux stipulations de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de l'article 3 de son premier protocole additionnel, ainsi qu'à celles des articles 19 et 25 du pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 décembre 2024, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
- le code électoral ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- les conclusions de M. Gobeill, rapporteur public,
- et les observations de Mme B..., pour la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... C..., candidate à l'élection des députés à l'Assemblée nationale les 12 et 19 juin 2022 dans la troisième circonscription de l'Isère, a déposé, le 3 août 2022, son compte de campagne afférent à cette élection auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Par une décision du 9 novembre 2022, la Commission a approuvé ce compte de campagne et arrêté à la somme de 24 585 euros le montant du remboursement forfaitaire dû par l'État au titre de l'article L. 52-11 du code électoral. Mme C... a demandé au tribunal administratif de Paris de réformer cette décision en tant qu'elle a exclu du montant de ce remboursement forfaitaire la somme de 2 026 euros et de fixer ce remboursement à la somme de 26 611 euros. Ce tribunal a rejeté sa demande par un jugement du 11 avril 2024 dont l'intéressée relève appel devant la Cour.
2. Aux termes du I de l'article L. 52-12 du code électoral : " Chaque candidat (...) soumis au plafonnement des dépenses électorales prévu à l'article L. 52-11 est tenu d'établir un compte de campagne lorsqu'il a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés (...). / Pour la période mentionnée à l'article L. 52-4 du présent code, le compte de campagne retrace, selon leur origine, l'ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection par le candidat (...) ou pour son compte, à l'exclusion des dépenses de la campagne officielle. / (...) Le candidat estime et inclut, en recettes et en dépenses, les avantages directs ou indirects, les prestations de services et dons en nature dont il a bénéficié. Le compte de campagne doit être en équilibre ou excédentaire et ne peut présenter un déficit. (...) ". Aux termes de l'article L. 52-11-1 du même code : " Les dépenses électorales des candidats aux élections auxquelles l'article L. 52-4 est applicable font l'objet d'un remboursement forfaitaire de la part de l'État égal à 47,5 % de leur plafond de dépenses. Ce remboursement ne peut excéder le montant des dépenses réglées sur l'apport personnel des candidats et retracées dans leur compte de campagne. / (...) ". Aux termes de l'article L. 52-15 du même code : " La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne. Elle arrête le montant du remboursement forfaitaire prévu à l'article L. 52-11-1. (...) / Le remboursement total ou partiel des dépenses retracées dans le compte de campagne, quand la loi le prévoit, n'est possible qu'après l'approbation du compte de campagne par la commission. (...) ".
3. Les dépenses électorales susceptibles de faire l'objet, en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral, d'un remboursement forfaitaire de la part de l'État sont celles qui ont pour finalité l'obtention des suffrages des électeurs. Il appartient au juge de se prononcer sur le droit au remboursement du candidat et de réformer le cas échéant son compte de campagne, en arrêtant le montant du remboursement auquel le candidat peut prétendre de la part de l'État. Les dépenses engagées en vue d'une élection doivent figurer dans le compte de campagne mais, si elles sont irrégulières, doivent être retranchées du montant de remboursement forfaitaire calculé au préalable conformément à l'article L. 52-11-1 du code électoral.
4. D'une part, aux termes de l'article L. 51 du code électoral : " Pendant la durée de la période électorale, dans chaque commune, des emplacements spéciaux sont réservés par l'autorité municipale pour l'apposition des affiches électorales. / Dans chacun de ces emplacements, une surface égale est attribuée à chaque candidat, chaque binôme de candidats ou à chaque liste de candidats. / Pendant les six mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, tout affichage relatif à l'élection, même par affiches timbrées, est interdit en dehors de cet emplacement ou sur l'emplacement réservé aux autres candidats, ainsi qu'en dehors des panneaux d'affichage d'expression libre lorsqu'il en existe. / En cas d'affichage électoral apposé en dehors des emplacements prévus au présent article, le maire ou, à défaut, le préfet peut, après une mise en demeure du ou des candidats en cause, procéder à la dépose d'office des affiches ". L'article L. 90 du même code dispose en outre que l'amende de 9 000 euros prévue à son premier alinéa " sera également applicable à toute personne qui aura contrevenu aux dispositions du troisième alinéa de l'article L. 51 ".
5. D'autre part, aux termes de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques (...). / 2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ". L'article 3 du premier protocole additionnel à cette convention stipule en outre que : " Les Hautes Parties contractantes s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif ". Aux termes de l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques : " (...) 2. Toute personne a droit à la liberté d'expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix. / 3. L'exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires : / a) Au respect des droits ou de la réputation d'autrui ; / b) À la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques ". L'article 25 du même pacte stipule que : " Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l'article 2 et sans restrictions déraisonnables : / a) De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis ; / b) De voter et d'être élu, au cours d'élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l'expression libre de la volonté des électeurs ; / (...) ".
6. Dans le cadre de la campagne en vue des élections régies par le code électoral, les candidats peuvent librement décider d'aménager un local pour en faire une permanence ouverte au public, et les dépenses y afférentes sont d'ailleurs éligibles au remboursement par l'État dans les conditions rappelées aux points 2 et 3. L'installation d'une telle permanence électorale ayant notamment pour vocation d'y accueillir le public, les candidats doivent demeurer libres d'en marquer la présence par un signalement approprié visible de l'extérieur qui, sous quelque forme que ce soit, doit permettre en particulier de souligner son usage à des fins politiques, qu'il s'agisse de la mention, non seulement, de l'identité des candidats, de leur parti ou mouvement politique et de la date de l'élection concernée, mais aussi, notamment, de slogans, photographies ou logos. Un tel signalement ne saurait être regardé comme un affichage au sens de l'article L. 51 du code électoral, dont l'interdiction constituerait à la fois une ingérence qui n'est pas nécessaire dans une société démocratique au sens de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et une restriction déraisonnable apportée à la liberté des candidats de faire campagne, au sens du pacte international relatif aux droits civils et politiques.
7. Il résulte de l'instruction que Mme C... a exposé une dépense de 2 026 euros pour la réalisation d'une vitrophanie faisant apparaître, sur la façade vitrée de sa permanence électorale, le logo du parti politique l'ayant investie et des slogans correspondant à ses propositions. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la dépense électorale correspondante n'est pas irrégulière et n'a pas à être retranchée du montant des dépenses prises en compte pour le calcul du remboursement forfaitaire par l'État.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande, tendant à ce que la somme de 2 026 euros soit réintégrée au montant du remboursement dû par l'État en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral, et que ce dernier soit ainsi porté à la somme de 26 611 euros, soit celui des dépenses réglées sur l'apport personnel de la candidate.
9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État le versement à Mme C... de la somme de 1 000 euros qu'elle réclame sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le montant du remboursement dû par l'État à Mme A... C... en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral, au titre de sa candidature à l'élection des députés à l'Assemblée nationale organisée les 12 et 19 juin 2022, dans la troisième circonscription de l'Isère, est fixé à la somme de 26 611 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 11 avril 2024 est annulé.
Article 3 : L'État versera à Mme C... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
Copie en sera adressée au ministre d'État, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 16 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Pascale Fombeur, présidente de la Cour,
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- M. Stéphane Diémert, président-assesseur.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 février 2025.
Le rapporteur,
S. D...La présidente,
P. FOMBEUR
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au ministre d'État, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA02509