Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Yaalom a demandé au tribunal administratif de Melun de prononcer la décharge des amendes fiscales mises à sa charge sur le fondement des articles 1737 et 1759 du code général des impôts au titre des exercices 2014 et 2015.
Par un jugement n° 2006881/3 du 19 octobre 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 13 décembre 2023, la SAS Yaalom, représentée par Me Sebban, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2006881/3 du 19 octobre 2023 du tribunal administratif de Melun ;
2°) de prononcer la décharge des pénalités litigieuses ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'amende appliquée sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts n'est pas due dès lors que la société Smookies a désigné les bénéficiaires des distributions ;
- l'amende pour factures fictives n'est pas due dès lors qu'elle n'est pas l'auteur des factures en cause.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 février 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés ;
- à titre subsidiaire, la substitution d'une amende pour manœuvres frauduleuses, fondée sur l'article 1729 du code général des impôts, à l'amende pour factures fictives peut être demandée.
Par une ordonnance du 13 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 juin 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Segretain,
- les conclusions de M. Perroy, rapporteur public,
- et les observations de Me Sebban, représentant la société Yaalom.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Smookies, aux droits et obligations de laquelle vient la SAS Yaalom à la suite de la transmission universelle de son patrimoine réalisée le 10 septembre 2018, avait pour objet la commercialisation de liquides pour cigarettes électroniques. A la suite de la vérification de sa comptabilité, conclue par une proposition de rectification du 18 décembre 2017, l'administration lui a notamment notifié des amendes sur le fondement du I de l'article 1737 et de l'article 1759 du code général des impôts. La SAS Yaalom relève appel du jugement du 19 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces amendes.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 1759 du code général des impôts : " Les sociétés et les autres personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés qui versent ou distribuent, directement ou par l'intermédiaire de tiers, des revenus à des personnes dont, contrairement aux dispositions des articles 117 et 240, elles ne révèlent pas l'identité, sont soumises à une amende égale à 100 % des sommes versées ou distribuées. (...) " Aux termes de l'article 117 du même code : " Au cas où la masse des revenus distribués excède le montant total des distributions tel qu'il résulte des déclarations de la personne morale visées à l'article 116, celle-ci est invitée à fournir à l'administration, dans un délai de trente jours, toutes indications complémentaires sur les bénéficiaires de l'excédent de distribution. En cas de refus ou à défaut de réponse dans ce délai, les sommes correspondantes donnent lieu à l'application de la pénalité prévue à l'article 1759. "
3. Il résulte de l'instruction qu'en réponse à l'invitation formulée par le service vérificateur dans la proposition de rectification du 18 décembre 2017 de fournir des indications sur l'identité des bénéficiaires des revenus distribués révélés par la vérification de sa comptabilité, la société Smookies a désigné, d'une part, les sociétés qui avaient émis les factures fictives, et encaissé les montants correspondants, et, d'autre part, des sociétés tierces qui avaient reçu des sommes correspondant à des factures émises par d'autres sociétés. Pour appliquer à la société Smookies la pénalité de 100 % prévue par l'article 1759 du code général des impôts, l'administration a considéré qu'en l'absence de précision supplémentaire, cette réponse devait être assimilée à un défaut de réponse et fait valoir qu'elle était dénuée de vraisemblance. S'agissant des sociétés Ekin, Périphérique Automobile et Jancarthier, qui ont bénéficié, pour l'une en 2014, et toutes en 2015, de sommes, reçues pour la première par virement, et pour les deux autres par chèques, figurant sur des factures, remises en cause par l'administration, qu'elles n'avaient pas émises, leur désignation comme bénéficiaires de revenus distribués est dénuée de vraisemblance dès lors que la requérante n'avance aucune explication sur les liens de la société Smookies avec ces entreprises ou les motifs pour lesquels elles ont perçu ces sommes qui, sans plus de précisions, ne peuvent être regardées comme dénuées de contrepartie et versées aux bénéficiaires des revenus distribués. S'agissant des sociétés IT Diffusion, DTL Net, LG Center et Prestacom, ayant en 2015 émis des factures fictives et reçu un paiement en contrepartie, dès lors que la requérante, qui ne donne aucune information sur la nature des relations de la société Smookies avec ces entreprises et le cadre de la délivrance, par elles, de factures fictives, n'avance aucun élément de nature à étayer qu'elles seraient, en recevant ces sommes, les bénéficiaires des revenus distribués correspondants, et alors, en outre, que toutes étaient, depuis leur création, défaillantes à leurs obligations déclaratives en matière d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée, que les trois premières d'entre elles n'existaient plus à la date de la désignation des bénéficiaires de la distribution, en raison, respectivement, d'une dissolution sans liquidation, d'une radiation et d'une liquidation judiciaire clôturée, et que l'administration fait valoir que la quatrième, inconnue à l'adresse de son siège, redirigeait systématiquement ses encaissements sur des comptes d'autres sociétés sises à l'étranger, la réponse apportée doit être regardée comme dépourvue de précisions et de vraisemblance suffisantes. Par suite, l'administration était fondée à considérer que les réponses de la société Smookies devaient être assimilées à un défaut de réponse, au sens des dispositions précitées de l'article 117 du code général des impôts, passible de l'amende de 100 % prévue par l'article 1759 du même code.
4. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article 1737 du code général des impôts : " I. - Entraîne l'application d'une amende égale à 50 % du montant : (...) 2. De la facture, le fait de délivrer une facture ne correspondant pas à une livraison ou à une prestation de service réelle ; (...). " Si la personne dont le nom figure sur une facture est présumée être celle qui l'a délivrée, cette présomption peut être combattue par l'administration comme par la personne en cause. Si l'une ou l'autre établit qu'une facture fictive a été délivrée non par la personne dont le nom figure sur cette facture, mais par une autre personne, l'amende prévue par les dispositions précitées ne peut être mise à la charge que de cette dernière, redevable de cette amende, égale à 50 % du montant de la facture.
5. D'autre part, aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : (...) c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses (...). "
6. Il ressort de la proposition de rectification du 18 décembre 2017 que, parmi les factures ayant donné lieu à une amende de 50 % sur le fondement du 1 du I de l'article 1737 du code général des impôts pour utilisation et comptabilisation de factures de complaisance, figuraient trois factures émises en 2015 par la société IT Diffusion, regardées par le service comme fictives. Si la société requérante ne conteste pas le caractère fictif de ces trois factures, n'entrant ainsi pas dans le champ des factures de complaisance, l'administration n'établit pas, en tout état de cause, que celles-ci, présumées délivrées par la société IT Diffusion, ne l'ont en réalité pas été par elle, en se bornant à faire valoir que cette société avait été dissoute sans liquidation par une décision du 3 novembre 2014 déposée au greffe du tribunal de commerce le 9 février 2015, dont la publication au BODACC est intervenue le 24 février 2015, alors que les trois factures en cause étaient datées des 6 janvier, 3 et 26 février 2015, sans faire valoir que la société Smookies aurait émis elle-même ces factures. Par suite, la société requérante est fondée à soutenir que l'amende en litige appliquée sur la base du montant de ces trois factures ne pouvait, en tout état de cause, être fondée sur les dispositions précitées de l'article 1737 du code général des impôts.
7. L'administration présente une demande de substitution de base légale tendant à ce que soit appliquée à la société requérante, à raison de la remise en cause, au regard de l'impôt sur les sociétés comme de la taxe sur la valeur ajoutée, de trois factures émises par la société IT Diffusion en 2015, la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses prévue par les dispositions du c) de l'article 1729 du code général des impôts en lieu et place de l'amende de l'article 1737 du code général des impôts qui lui avait été initialement infligée.
8. L'administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, de justifier d'une pénalité en en modifiant le fondement juridique, à la double condition que la substitution de base légale ainsi opérée ne prive le contribuable d'aucune des garanties de procédure prévues par la loi et que l'administration invoque, au soutien de la demande de substitution de base légale, des faits qu'elle avait retenus pour motiver la pénalité initialement appliquée.
9. Il ressort, d'une part, de la proposition de rectification du 18 décembre 2017 que l'administration a appliqué une telle pénalité de 80 % pour manœuvres frauduleuses aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée et aux rehaussements d'impôt sur les sociétés résultant du rejet des factures fictives comptabilisées notamment en 2015, qu'elle a néanmoins indiqué ne pas mettre en recouvrement pour éviter la disproportion des sanctions cumulées aux faits concernés. Il résulte de l'instruction, d'autre part, que la pénalité pour manœuvres frauduleuses dont le ministre demande la substitution est fondée sur la déduction de factures fictives, tant au regard de l'impôt sur les sociétés que de la taxe sur la valeur ajoutée. Ces faits, qui ne sont pas contestés par la société requérante, sont identiques à ceux qui ont fondé l'amende appliquée sur le fondement de l'article 1737 du code général des impôts. Par suite, l'administration est en droit de demander, sur le fondement des dispositions de l'article 1729 du code général des impôts et dans la limite du quantum de l'amende initialement infligée, l'application de la majoration de 80 % par substitution à l'amende de l'article 1737 appliquée initialement, dès lors que cette substitution ne prive la société contribuable d'aucune garantie. Il y a ainsi lieu de substituer à l'amende infligée à l'intéressée à raison du montant figurant sur les factures émises par la société IT Diffusion en 2015 sur le fondement de l'article 1737 du code général des impôts, la majoration pour manœuvres frauduleuses prévue par l'article 1729 du même code à hauteur de 80 % des droits éludés en matière d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée, soit 29 867 euros. La société requérante doit dès lors être déchargée de la différence entre l'amende de 50 % appliquée sur le fondement de l'article 1737 aux trois factures IT Diffusion de 2015, s'élevant à 42 200 euros, et la pénalité pour manœuvres frauduleuses de 29 867 euros, soit 12 133 euros.
10. Il résulte de ce qui précède que la SAS Yaalom est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande en tant qu'elle tendait à la décharge, à concurrence de 12 133 euros, de l'amende appliquée aux trois factures IT Diffusion. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la requérante sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Il est substitué à l'amende de l'article 1737 du code général des impôts infligée à la société Smookies à raison de trois factures émises par la société IT Diffusion en 2015 la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses pour un montant de 29 867 euros.
Article 2 : La société Yaalom est déchargée de la différence, s'élevant à 12 133 euros, entre l'amende de l'article 1737 initialement appliquée et la majoration pour manœuvres frauduleuses qui lui a été substituée.
Article 3 : Le jugement du 19 octobre 2023 du tribunal administratif de Melun est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Yaalom est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Yaalom et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal Ile-de-France (division juridique).
Délibéré après l'audience du 5 février 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Vidal, présidente de chambre,
- M. Magnard, premier conseiller,
- M. Segretain, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 février 2025.
Le rapporteur,
A. SEGRETAINLa présidente,
S. VIDAL
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA05157 2