La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/04/2025 | FRANCE | N°23PA05126

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 2ème chambre, 16 avril 2025, 23PA05126


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SARL Artists Proof a demandé au tribunal administratif de Melun de prononcer la décharge totale des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2016 pour un montant de 175 180 euros en droits et 77 780 euros de pénalités.



Par un jugement n° 2001732/3 du 5 octobre 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête enregistrée le 12 décembre 2023, la SARL Artists Proof, représentée par Me Fournier, demande à la C...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Artists Proof a demandé au tribunal administratif de Melun de prononcer la décharge totale des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2016 pour un montant de 175 180 euros en droits et 77 780 euros de pénalités.

Par un jugement n° 2001732/3 du 5 octobre 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 12 décembre 2023, la SARL Artists Proof, représentée par Me Fournier, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 5 octobre 2023 du tribunal administratif de Melun ;

2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses et leur remboursement assorti des intérêts moratoires ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle vend des biens au profit de la société Mondrian Ltd basée à Londres et les expédie donc de la France vers le Royaume-Uni ;

- elle réalise ainsi des livraisons intracommunautaires de biens, exonérées de taxe sur la valeur ajoutée en application du 1° du I de l'article 262 ter du code général des impôts ;

- elle a produit 700 documents en version papier que le tribunal n'a pas examiné ;

- le manquement délibéré n'est pas établi ;

- la majoration de 40 % de l'article 1729 du code général des impôts pour manquement délibéré est disproportionnée et porte atteinte aux principes de proportionnalité et de nécessité des peines issus de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son premier protocole additionnel ;

Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 mars et 9 septembre 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens présentés par la société requérante ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 27 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 1er octobre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Magnard,

- les conclusions de M. Perroy, rapporteur public,

- et les observations de Me Fournier, représentant la société Artists Proof.

Considérant ce qui suit :

1. La société à responsabilité limitée (SARL) Artists Proof, qui a pour activité la fabrication, la production et le design d'objets d'art, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier au 31 décembre 2016 à l'issue de laquelle elle s'est vu notifier, par proposition de rectification du 27 novembre 2017 selon la procédure de rectification contradictoire de l'article L. 55 du livre des procédures fiscales, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour un montant de 213 692 euros en droits et 94 879 euros de pénalités, ramenés par la suite à 175 180 euros en droits et 77 780 euros de pénalités. Par la présente requête, la SARL Artists Proof relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande en décharge de ces rappels de taxe sur la valeur ajoutée.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il résulte de l'instruction qu'à l'appui du moyen tiré de ce qu'elle avait réalisé des livraisons intracommunautaires de biens exonérées de taxe sur la valeur ajoutée en application du 1° du I de l'article 262 ter du code général des impôts, la société requérante avait produit devant les premiers juges de très nombreuses pièces justificatives et que les premiers juges, qui ont indiqué dans leur jugement qu'aucune pièce n'avait été produite pour justifier du transfert physique des biens en cause, n'ont pas eu accès à ces pièces, qui ont été égarées, dans le cadre de leur examen du dossier qui a été reconstitué en appel par la société requérante. Ils ne peuvent par suite être regardés comme ayant régulièrement statué sur le litige qui leur était soumis. Il y a par suite lieu d'annuler le jugement attaqué et de statuer par la voie de l'évocation sur les conclusions présentées par la société requérante devant le tribunal administratif de Melun.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

3. Aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ". Aux termes de l'article 256 A de ce code : " Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. / (...) Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l'exploitation d'un bien meuble corporel ou incorporel en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence. " Aux termes de l'article 269 du même code : " 1. Le fait générateur de la taxe se produit : / a) Au moment où la livraison, l'acquisition intracommunautaire du bien ou la prestation de services est effectuée (...) / 2. La taxe est exigible : / a) Pour les livraisons et les achats visés au a du 1 et pour les opérations mentionnées aux b et d du même 1, lors de la réalisation du fait générateur (...) ".

4. En outre, aux termes du I de l'article 262 ter du code général des impôts : " Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : / 1° Les livraisons de biens expédiés ou transportés sur le territoire d'un autre Etat membre de la Communauté européenne à destination d'un autre assujetti ou d'une personne morale non assujettie. (...) ".

5. Il résulte des dispositions précédentes que l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée prévue au profit des livraisons intracommunautaires de biens est notamment subordonnée à la condition, d'une part, que l'acquéreur de ces biens soit assujetti à cette taxe ou ait la qualité de personne morale non assujettie et ne bénéficiant pas dans l'Etat membre dans lequel elle est établie d'un régime dérogatoire l'autorisant à ne pas soumettre à la taxe sur la valeur ajoutée ses acquisitions intracommunautaires et, d'autre part, que le bien ait été expédié ou transporté hors de France par le vendeur, par l'acquéreur ou par un tiers pour leur compte, à destination d'un autre Etat membre. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l'impôt, au vu de l'instruction et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si la situation du contribuable entre dans le champ de l'assujettissement à l'impôt ou, le cas échéant, s'il remplit les conditions légales d'une exonération. S'agissant de la réalité de la livraison d'une marchandise sur le territoire d'un autre Etat de l'Union européenne, seul le redevable de la taxe sur la valeur ajoutée est en mesure de produire les documents afférents au transport de la marchandise, lorsqu'il l'a lui-même assuré, ou tout document de nature à justifier de la livraison effective de la marchandise, lorsque le transport a été assuré par l'acquéreur.

6. Il résulte de l'instruction que la SARL Artists Proof a facturé des objets d'art à la société Mondrian Ltd située à Londres au Royaume-Uni. Estimant que la SARL Artists Proof n'établissait pas la réalité des flux de ses objets d'arts vendus à la société Mondrian Ltd hors du territoire français vers le territoire d'un autre Etat membre, en l'espèce le Royaume-Uni, l'administration fiscale a refusé d'exonérer les livraisons correspondantes de taxe sur la valeur ajoutée en application du 1° du I de l'article 262 ter précité du code général des impôts.

7. Pour démontrer la réalité de ces flux physiques, la requérante soutient que, si, en tant que vendeur, elle ne dispose pas, au moment de la livraison, des moyens de preuve permettant d'établir la réalité des flux hors de France puisque c'est l'acquéreur, à savoir la société Mondrian Ltd, qui assure lui-même le transport, elle est en mesure de prouver la sortie des biens du territoire français grâce aux documents afférents à la vente de ces biens. Au surplus, elle fait valoir qu'elle est en mesure de renforcer cette preuve grâce aux documents afférents à la revente depuis le Royaume-Uni vers la France, un autre pays membre ou un pays non membre comme les Etats-Unis d'Amérique. A l'appui de son moyen, la société Artists Proof produit des documents de transports CMR vers le Royaume-Uni, en partie difficilement lisibles, qui mentionnent tous comme expéditeur la société Carpenters Workshop Gallery et indiquent une adresse différente et un numéro de SIRET différent de ceux de la société Artists Proof. Aucun mandat donné à la société Carpenters Workshop Gallery par la société requérante ne permet de regarder les opérations de transport en cause comme réalisées pour le compte de cette dernière. Par ailleurs, ces documents de transports ne portent aucune signature de la société qui aurait réceptionné les biens au Royaume-Uni. Dans les circonstances de l'espèce, où une grande partie des biens prétendument transportés vers le Royaume-Uni sont, aux dires mêmes de la société requérante, réexportés vers la France, notamment à destination de la société Carpenters Workshop Gallery pour être revendus à des clients français ou étrangers, où les sociétés Artists Proof, Mondrian et Carpenters Workshop Gallery sont détenues par les mêmes associés, et où les documents de transports CMR décrits ci-dessus sont seulement accompagnés de documents, tels que des bons d'enlèvement, internes à ce groupe de sociétés, et qui ne sauraient en conséquence être regardés comme probants, c'est à bon droit, en l'absence de pièces d'origine douanière permettant de corroborer la réalité du transfert, et alors même que certains des objets concernés auraient ultérieurement fait l'objet d'expéditions au départ du Royaume-Uni, que l'administration a estimé que les livraisons en litige ne constituaient pas, pour la société requérante, des livraisons intracommunautaires exonérées de taxe sur la valeur ajoutée en application du 1° du I de l'article 262 ter du code général des impôts et lui a notifié en conséquence les rappels de taxe sur la valeur ajoutée litigieux.

Sur la majoration pour manquement délibéré de l'article 1729 du code général des impôts :

8. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de :

/ a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".

9. En premier lieu, il résulte de l'instruction que les échanges litigieux ont eu lieu entre entités ayant les mêmes associés et qu'aucun document n'est de nature à établir la réalité de la livraison intracommunautaire à l'origine de l'exonération dont la société se prévaut en ce qui concerne ses propres ventes. Compte tenu de ces éléments et de l'importance des montants en cause, le manquement constaté ne peut être regardé que comme délibéré. Si la société Artists Proof se prévaut du courrier du 7 décembre 2018 aux termes duquel l'administration aurait d'ores et déjà reconnu que la majoration de 40 % n'était pas appropriée au cas d'espèce en proposant de l'abandonner, un tel courrier, qui avait trait à l'interlocution départementale du 4 décembre précédent au cours de laquelle l'interlocuteur départemental avait envisagé la possibilité d'une transaction en application de l'article L. 247 du livre des procédures fiscales, est par lui-même sans incidence sur le bien-fondé de la pénalité litigieuse, alors, au demeurant qu'il est constant que la requérante a rejeté cette offre de l'interlocuteur départemental par courrier du 19 décembre 2018.

10. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que l'administration a appliqué aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée la majoration de 40 % du a) de l'article 1729 précité du code général des impôts pour manquement délibéré. Si la SARL Artists Proof soutient que le montant de la majoration est disproportionné et que la pénalité méconnaît de ce fait le principe de légalité et de nécessité des peines énoncé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il résulte de l'instruction que la majoration en litige résulte de l'application de la loi fiscale. La société requérante, qui ne soulève par mémoire distinct aucune question prioritaire de constitutionnalité, ne peut utilement se prévaloir des principes constitutionnels procédant de cet article.

11. Enfin, les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts instituent une sanction financière dont la nature est directement liée à celle de l'infraction. La loi a elle-même assuré la modulation des peines en fonction de la gravité des comportements réprimés. Le juge de l'impôt, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, décide, dans chaque cas, selon les résultats de ce contrôle, soit de maintenir la majoration effectivement encourue au taux prévu par la loi, soit de ne laisser à la charge du contribuable que les intérêts de retard s'il estime que l'administration n'établit pas que ce dernier se serait rendu coupable de manquements délibérés. Il peut ainsi proportionner les pénalités selon la gravité des agissements commis par le contribuable. L'amende procédant du comportement de l'intéressée et le taux de 40 % n'étant pas manifestement disproportionné, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du §1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention doit être écarté. La circonstance selon laquelle cette pénalité porterait atteinte à l'image de la société est sans incidence sur le bien-fondé de cette majoration.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Artists Proof n'est pas fondée à demander la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2016 pour un montant de 175 180 euros en droits et 77 780 euros de pénalités. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que la société requérante demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2001732/3 du 5 octobre 2023 du tribunal administratif de Melun est annulé.

Article 2 : Les conclusions de la société Artists Proof présentées devant le tribunal administratif de Melun ainsi que le surplus de ses conclusions devant la Cour sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Artists Proof et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris.

Délibéré après l'audience du 2 avril 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Vidal, présidente de chambre,

- Mme Bories, présidente assesseure,

- M. Magnard, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 avril 2025.

Le rapporteur,

F. MAGNARDLa présidente,

S. VIDAL

Le greffier,

C. MONGIS

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

7

N° 23PA05126 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA05126
Date de la décision : 16/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: M. Franck MAGNARD
Rapporteur public ?: M. PERROY
Avocat(s) : EQUATIS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-16;23pa05126 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award