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16/04/2025 | FRANCE | N°24PA00860

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 2ème chambre, 16 avril 2025, 24PA00860


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M A... B... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner la région Ile-de-France à lui verser la somme totale de 50 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.



Par un jugement avant dire droit n° 1903843/5 du 22 septembre 2022, le tribunal administratif de Melun a déclaré que M. B... était fondé à rechercher la responsabilité sans faute de la région Ile-de-France au titre de l'accident de service du 6 mai 2011 et de s

a maladie professionnelle ainsi que sa responsabilité pour faute au titre de cinq décisions illégal...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M A... B... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner la région Ile-de-France à lui verser la somme totale de 50 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.

Par un jugement avant dire droit n° 1903843/5 du 22 septembre 2022, le tribunal administratif de Melun a déclaré que M. B... était fondé à rechercher la responsabilité sans faute de la région Ile-de-France au titre de l'accident de service du 6 mai 2011 et de sa maladie professionnelle ainsi que sa responsabilité pour faute au titre de cinq décisions illégales datées des 12 juin 2015, 14 décembre 2015 et 19 décembre 2016. Il a condamné la région à verser à M. B... la somme de 3 500 euros, augmentée des intérêts, en réparation des préjudices subis en raison des fautes commises par la région, a ordonné une expertise afin de fixer une date de consolidation et d'évaluer les préjudices de M. B... consécutifs à son accident de service et à sa maladie professionnelle.

Par un jugement n° 1903843/5 du 8 décembre 2023, le tribunal administratif de Melun a condamné la région Ile-de-France à indemniser les préjudices de M. B... à hauteur de 25 700 euros, augmentés des intérêts, sur le fondement de la responsabilité sans faute.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 20 février 2024 et le 18 février 2025, ce dernier mémoire n'étant pas communiqué, M. B..., représenté par Me Lerat, doit être regardé comme demandant à la Cour :

1°) de réformer ces jugements du 22 septembre 2022 et du 8 décembre 2023 en tant qu'ils ont limité à la somme totale de 29 200 euros le montant de l'indemnisation mise à la charge de la région Ile-de-France ;

2°) de condamner la région Ile-de-France à lui verser la somme complémentaire de 60 200 euros en réparation de ses préjudices, assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2018 ;

3°) de dire que la somme de 3 500 euros mise à la charge de la région par le jugement du 22 décembre 2022 porte intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2018 ;

4°) de mettre à la charge de la région Ile-de-France la somme de 3 600 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne la régularité des jugements :

- les jugements sont insuffisamment motivés ;

- ils sont entachés d'une contradiction de motifs ;

- les jugements sont entachés d'erreur de droit et d'erreurs manifestes d'appréciation.

En ce qui concerne le bien-fondé des jugements :

- la responsabilité pour faute de la région est engagée à raison de l'illégalité de dix décisions prises à son encontre, datées des 1er avril 2014, 7 juillet 2014, 10 juillet 2014, 5 novembre 2014, 12 juin 2015, 14 décembre 2015 et 19 décembre 2016, qui ont toutes fait l'objet de recours contentieux ;

- il a subi un préjudice moral en raison des illégalités fautives dont sont entachées ces décisions de la région, qu'il convient d'indemniser à hauteur de 15 000 euros, ainsi que des troubles dans les conditions d'existence qu'il convient également d'indemniser à hauteur de 15 000 euros ;

- son état de santé n'est consolidé que depuis le 24 mai 2022 ;

- il a subi des préjudices en raison de sa maladie professionnelle, dont il demande l'indemnisation à hauteur de 10 000 euros au titre de son préjudice esthétique, de 5 000 euros au titre de son préjudice d'agrément, de 20 000 euros au titre de ses souffrances et troubles dans les conditions d'existence avant consolidation, et de 34 400 euros au titre de ses derniers postes de préjudices, après consolidation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 septembre 2024, la région Ile-de-France, représentée par Me Magnaval, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge du requérant sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance du 3 février 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 18 février 2025.

Les parties ont été informées par un courrier du 10 mars 2025, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions indemnitaires de M. B... en tant qu'elles excèdent le montant total de l'indemnité demandée en première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bories,

- les conclusions de M. Perroy, rapporteur public,

- les observations de Me Lerat, représentant M. B...,

- et les observations Me Safatian, substituant Me Magnaval, représentant le conseil régional d'Ile-de-France.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., adjoint technique territorial principal de deuxième classe des établissements d'enseignement, a exercé au sein de la région Ile-de-France, dans l'équipe mobile du lycée Arago de Villeneuve-Saint-Georges. Il a sollicité, par un courrier du 21 décembre 2018 réceptionné par la région Ile-de-France le 24 décembre 2018, la réparation de différents préjudices qu'il estime avoir subis à raison d'illégalités fautives entachant les décisions prises dans la gestion de sa situation professionnelle ainsi que des accidents de service et de la maladie professionnelle dont il a été affecté. Le silence gardé sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet. Par un jugement avant dire droit n° 1903843/5 du 22 septembre 2022, le tribunal administratif de Melun a déclaré que M. B... était fondé à rechercher la responsabilité sans faute de la région Ile-de-France au titre de l'accident de service du 6 mai 2011 et de sa maladie professionnelle ainsi que sa responsabilité pour faute au titre de cinq décisions illégales datées des 12 juin 2015, 14 décembre 2015 et 19 décembre 2016. Il a condamné la région à verser à M. B... la somme de 3 500 euros, augmentée des intérêts, en réparation des préjudices subis en raison des fautes commises par la région, a ordonné une expertise afin de fixer une date de consolidation de son état de santé et d'évaluer les préjudices de M. B... consécutifs à son accident de service et à sa maladie professionnelle. Par un jugement n° 1903843/5 du 8 décembre 2023, le tribunal a condamné la région Ile-de-France à indemniser les préjudices de M. B... à hauteur de 25 700 euros, augmentés des intérêts, sur le fondement de la responsabilité sans faute. M. B... relève appel des jugements des 22 septembre 2022 et 8 décembre 2023 en tant qu'ils ont limité à la somme totale de 29 200 euros le montant de l'indemnisation mise à la charge de la région.

Sur la recevabilité de la requête :

2. Devant le tribunal administratif, M. B... avait limité ses conclusions à la condamnation de la région Ile-de-France à lui allouer une indemnité de 50 000 euros. Il ne se prévaut en appel d'aucun chef de préjudice autre que ceux pour la réparation desquels cette somme avait été réclamée non plus que d'une aggravation du préjudice subi. Les conclusions présentées par l'intéressé devant la cour tendant à ce que cette indemnité soit portée à la somme totale de 89 400 euros constituent ainsi une demande nouvelle et ne sont, dès lors, pas recevables.

Sur la régularité des jugements :

3. En premier lieu, d'une part, il ressort des termes du jugement du 22 septembre 2022 que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments développés par le requérant à l'appui de ses conclusions et moyens, ont indiqué de manière suffisamment précise, aux points 3 à 7 de leur jugement, les motifs pour lesquels l'ensemble des illégalités fautives ne permettaient pas d'engager la responsabilité de l'Etat. D'autre part, il ressort des termes du jugement du 8 décembre 2023, et en particulier de son point 8, que les premiers juges ont examiné, et indemnisé, les souffrances endurées par l'intéressé avant la consolidation de son état de santé. Par suite, le moyen tiré d'une insuffisante motivation des jugements doit être écarté.

4. En second lieu, les moyens tirés de ce que les premiers juges auraient insuffisamment indemnisé certains postes de préjudice et que les jugements attaqués seraient entachés de contradiction de motifs, d'erreurs de droit et d'appréciation relèvent de leur bien-fondé et sont sans influence sur leur régularité.

Sur la responsabilité de la région :

5. En premier lieu, il est constant que le tribunal administratif de Melun a annulé, par un jugement n°1408019, 1506100, 1506101, 1601375, 1603817, et 1701402 du 9 novembre 2017 devenu définitif, trois décisions du président du conseil régional d'Ile-de-France du 12 juin 2015 fixant la consolidation de son état de santé au 7 janvier 2014, le plaçant en congé de maladie ordinaire et le maintenant à demi-traitement, ainsi que la décision du 14 décembre 2015 le plaçant en disponibilité d'office, et celle du 19 décembre 2016 prolongeant son placement dans cette position. L'illégalité de ces cinq décisions est constitutive de fautes de nature à engager la responsabilité de la région Ile-de-France.

6. En second lieu, M. B... se prévaut de l'illégalité de la décision du 1er avril 2014 portant suspension du contrat de travail, de l'acte du 7 juillet 2014, par lequel le président du conseil régional d'Ile-de-France l'a informé de l'établissement à son encontre d'un ordre de reversement de la somme de 3 393,57 euros, de l'avis de sommes à payer du 10 juillet 2014 notifié par la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France de la somme de 3 393,57 euros et de l'arrêté du 5 novembre 2014, par lequel le président du conseil régional d'Ile-de-France l'a placé en disponibilité pour convenances personnelles. Il est constant que ces décisions ont été retirées par l'administration le 12 juin 2015, et que le tribunal a constaté le non-lieu à statuer sur les quatre requêtes dirigées par M. B... contre ces décisions par quatre ordonnances du 11 décembre 2015. Si l'intéressé énumère les moyens qu'il avait alors soulevés contre chacune de ces décisions, il n'assortit pas ces moyens de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé, et n'établit ainsi pas qu'elles auraient été entachées d'une illégalité susceptible d'ouvrir droit à indemnisation.

7. Il résulte de ce qui précède que la responsabilité de la région n'est engagée, ainsi que l'ont relevé les premiers juges que, d'une part, en raison de l'illégalité fautive des arrêtés mentionnés au point 5 et, d'autre part, au titre de la responsabilité sans faute, en raison de l'accident de service du 6 mai 2011 et de la maladie professionnelle de M. B....

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne l'indemnisation des préjudices consécutifs aux illégalités fautives :

8. Le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence résultant des illégalités fautives mentionnées aux points 5 et 7 ouvrent droit à réparation. Il en sera fait une juste appréciation en mettant à la charge de la région Ile-de-France une somme de 5 000 euros à ce titre. Il y a lieu de réformer le jugement du 22 septembre 2022 sur ce point.

En ce qui concerne l'indemnisation des préjudices consécutifs à l'accident de service et à la maladie professionnelle :

9. En premier lieu, il résulte de l'instruction que l'accident de service subi par M. B... le 6 mai 2011 a consisté en un traumatisme lombaire à l'occasion de transport de matériel, entraînant des lombalgies. Il y a lieu de retenir que son état de santé résultant de cet accident de service a été consolidé au 8 novembre 2011, date de reconnaissance de sa maladie professionnelle, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges au point 4 du jugement du 8 décembre 2023.

10. En deuxième lieu, l'expert désigné par le tribunal administratif a fixé au 24 mai 2022 la date de consolidation de la maladie professionnelle de M. B..., eu égard à l'absence de prise en charge médicale en dehors des soins d'entretien après cette date. Si le requérant se prévaut d'une expertise ultérieure, qui conclut, le 16 mai 2023, au défaut de consolidation de son état de santé, cette dernière n'est pas circonstanciée et ne permet pas de remettre en cause les conclusions de l'expertise judiciaire. Dans ces conditions, l'état de santé de M. B..., au regard de sa maladie professionnelle, doit être regardé comme consolidé au 24 mai 2022.

11. En troisième lieu, les souffrances physiques et morales de M. B... ont été évaluées par l'expert à 4 sur une échelle de 1 à 7. Il sera fait une juste appréciation de ces souffrances en mettant une somme de 7 000 euros à la charge de la région à ce titre. Il y a lieu de réformer le jugement du 8 décembre 2023 sur ce point.

12. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que l'état de santé de M. B... est caractérisé par une raideur lombaire, une gêne à la marche, à la station debout et au port de charges, ainsi que par des douleurs au dos et aux membres inférieurs. Son déficit fonctionnel permanent peut être évalué, à la lecture d'expertises réalisées par des médecins rhumatologues le 15 avril 2016, le 20 décembre 2016 et le 9 octobre 2017, à un taux de 15%. Compte tenu de cette incapacité et des traitements nécessités par son état de santé, il n'y a pas lieu de réformer la juste appréciation effectuée par les premiers juges pour l'ensemble des souffrances et troubles dans les conditions d'existence subies par l'intéressé après la consolidation de son état de santé et s'élevant à la somme de 22 000 euros.

13. En cinquième lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que M. B... est fondé à se prévaloir d'un préjudice esthétique, tenant à une boiterie du côté droit et au port d'une ceinture lombaire. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à l'intéressé une somme de 1 000 euros à ce titre. Il y a lieu de réformer les jugements attaqués sur ce point.

14. En dernier lieu, M. B... n'établit pas, en se bornant à se prévaloir d'une limitation à la marche, l'existence d'un préjudice d'agrément distinct de ses troubles liés à son incapacité physique. La demande à ce titre doit donc être rejetée.

15. Il résulte de l'ensemble ce qui précède qu'il y a lieu de porter à la somme de 35 000 euros le montant de l'indemnité due par la région Ile-de-France à M. B... et de réformer en ce sens les jugements attaqués du tribunal administratif de Melun. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2018, date de réception de sa demande indemnitaire préalable par la région.

Sur les conclusions relatives aux frais de l'instance :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la région Ile-de-France au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la région une somme de 1 500 euros à verser au requérant sur le fondement de ces dispositions.

DECIDE:

Article 1er : La somme totale de 29 200 euros que la région Ile-de-France a été condamnée à verser à M. B... par les jugements des 22 septembre 2022 et 8 décembre 2023 est portée à 35 000 euros. Elle sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2018.

Article 2 : Les jugements n° 1903843/5 des 22 septembre 2022 et 8 décembre 2023 du tribunal administratif de Melun sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La région Ile-de-France versera à M. B... la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de la région Ile-de-France présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la région Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 2 avril 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Vidal, présidente de chambre,

- Mme Bories, présidente assesseure,

- M. Magnard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe 16 avril 2025.

La rapporteure,

C. BORIES

La présidente,

S. VIDALLe greffier,

C. MONGIS

La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 24PA00860 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA00860
Date de la décision : 16/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: Mme Colombe BORIES
Rapporteur public ?: M. PERROY
Avocat(s) : SELARL CENTAURE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-16;24pa00860 ?
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