Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Melun, d'une part, d'annuler l'arrêté du 25 octobre 2022 par lequel le préfet du Val-de-Marne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de cette mesure et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans et, d'autre part, l'arrêté du 28 octobre 2022 par lequel le préfet l'a maintenue en rétention administrative.
Par un jugement nos 2210505, 2210557 du 24 novembre 2022, la magistrate désignée par le tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 7 décembre 2022, Mme B... A..., représentée par Me Simon, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement nos 2210505, 2210557 du 24 novembre 2022 du tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler l'arrêté du 25 octobre 2022 du préfet du Val-de-Marne ;
3°) d'annuler l'arrêté du 28 octobre 2022 du préfet du Val-de-Marne ;
4°) d'enjoindre au préfet du Val-de-Marne d'effacer son signalement aux fins de non admission dans le système d'informations Schengen et de réexaminer sa situation administrative ;
5°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 611-3 (9°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de la menace pour l'ordre public ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
S'agissant de la décision portant refus de délai de départ volontaire :
- elle est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur manifeste d'appréciation ;
S'agissant de la décision fixant le pays de destination :
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
S'agissant de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français sur laquelle elle se fonde ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
S'agissant de la décision portant refus d'admission au séjour au titre de l'asile et maintien en rétention administrative :
- elle est entachée d'un défaut d'examen, d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 23 janvier 2025, le préfet du Val-de-Marne, représenté par Me Termeau conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Stéphane Diémert,
- et les conclusions de M. Jean-François Gobeill, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A..., ressortissante russe originaire de la République de Tchétchénie, née en juin 1976, s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée le 23 novembre 2009. L'Office français de protection des réfugiés et des apatrides a mis fin à son statut de réfugiée le 18 septembre 2015. Par un arrêté du 25 octobre 2022, le préfet du Val-de-Marne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans et, par un arrêté du 28 octobre 2022, a maintenu l'intéressée en rétention administrative. Mme A... relève appel devant la Cour du jugement du 24 novembre 2022 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) / 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ; / (...). ".
3. Pour obliger Mme A... à quitter le territoire français, le préfet du Val-de-Marne s'est fondé sur la menace pour l'ordre public que représente l'intéressée dès lors qu'elle a été condamnée le 12 octobre 2022 par le tribunal correctionnel de Paris à une peine d'emprisonnement de quatre ans et six mois pour des faits de financement d'entreprise terroriste et de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, en lien avec l'islamisme. La requérante soutient qu'elle ne représente pas une telle menace dès lors qu'elle n'avait jamais été condamnée auparavant, qu'elle a été libérée treize jours après sa condamnation, ayant été incarcérée dès janvier 2019, et que son comportement en détention a été irréprochable. Toutefois, elle ne conteste pas la réalité des faits pour lesquels elle a été condamnée, qui sont récents et d'une particulière gravité. Si elle soutient que son discernement a été altéré au moment des faits, ce qui est attesté par l'expertise psychiatrique conduite dans le cadre de la procédure pénale qu'elle produit, celle-ci ne conclut pas à l'abolition de son discernement et n'est donc pas, en tout état de cause, de nature à l'exonérer de sa responsabilité pénale ni à diminuer le risque potentiel qu'elle représente pour l'ordre public. Par suite, le préfet du Val-de-Marne n'a pas entaché sa décision d'une erreur de droit ni d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions précitées.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...) ".
5. Mme A... fait valoir qu'elle souffre de troubles psychiques nécessitant un traitement lourd et qu'elle se trouve en situation de handicap. Elle produit une décision de la maison départementale des personnes handicapées reconnaissant un taux d'incapacité compris entre 50% et 79%, une attestation de son suivi psychiatrique en prison, une ordonnance médicale et les conclusions d'une expertise psychiatrique faisant état d'une pathologie de type schizo-affectif caractérisé par des hallucinations, des angoisses et un état dépressif avec risque suicidaire non négligeable. Cette expertise souligne la nécessité pour l'intéressée de poursuivre de façon régulière le traitement antipsychotique et thymorégulateur dont elle fait l'objet pour éviter les risques de rechute, ce qui pourrait permettre d'estimer qu'un défaut de prise en charge entraînerait potentiellement des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Toutefois, la requérante n'établit pas qu'elle ne pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine en se bornant à produire une liste de substances psychotropes contrôlés en Fédération de Russie et des articles généraux relatifs au marché des médicaments dans ce pays. Par suite, la requérante ne peut se prévaloir des dispositions précitées du 9° de l'article L. 611-3 pour faire obstacle à sa mesure d'éloignement.
6. En troisième lieu, Mme A... reprend en appel, sans apporter d'éléments nouveaux de nature à permettre à la Cour de remettre en cause l'appréciation portée sur ce point par le tribunal administratif, les moyens tirés de l'erreur manifeste d'appréciation et de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il y a donc lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge au point 10 de son jugement.
Sur la décision portant refus de délai de départ volontaire :
7. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; / (...). ".
8. Ainsi qu'il a été dit au point 3, Mme A... représente une menace pour l'ordre public. Dès lors le préfet du Val-de-Marne pouvait, pour ce seul motif, refuser d'accorder un délai de départ volontaire à la requérante. Par suite, les moyens tirés de l'erreur de fait et de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.
Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
9. En premier lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant entachée d'aucune des illégalités alléguées, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de cette décision, invoqué à l'appui des conclusions dirigées contre la décision portant interdiction de retour sur le territoire français doit, en conséquence, être écarté.
10. En second lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".
11. Mme A..., qui a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, ne justifie d'aucune circonstance humanitaire faisant obstacle au prononcé d'une décision d'interdiction de retour sur le territoire français. Eu égard à ce qui a été dit précédemment, et notamment à la menace pour l'ordre public que représente l'intéressée, le préfet du Val-de-Marne n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en fixant à trois ans la durée de cette interdiction.
Sur la décision fixant le pays de destination :
12. Aux termes de l'article 3 de de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Mme A... soutient qu'elle risque d'être exposée à des mauvais traitements en cas de retour en Russie, seul pays dont elle a la nationalité.
13. D'une part, la requérante se prévaut du statut de réfugiée qu'elle a obtenu en 2009 du fait des activités d'opposants politiques des membres de sa famille ayant conduit à son arrestation et à l'assassinat de son père en 2003. Il ressort toutefois des pièces du dossier que l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides a mis fin à ce statut le 18 septembre 2015 au motif que l'intéressée avait sollicité en 2013 un passeport auprès des autorités russes et devait ainsi être regardée comme s'étant de nouveau réclamée de leur protection. Si Mme A... fait par ailleurs valoir que son " ex-mari " était engagé dans la résistance tchétchène et qu'il combat aujourd'hui au sein d'une légion internationale pour la défense territoriale de l'Ukraine, elle n'apporte aucun élément permettant d'établir leur union et était en tout état de cause célibataire depuis de nombreuse années à la date de la décision contestée. Enfin, si l'intéressée produit des extraits d'articles de journaux et de rapports d'organisations non gouvernementale de défense des droits de l'homme faisant état des persécutions subies par les opposants politiques en Tchétchénie, ces documents ne sauraient suffire, par leur généralité, à établir le caractère personnel, réel et actuel des craintes alléguées en cas de retour dans son pays d'origine. Au demeurant l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides a, le 3 novembre 2022, déclaré irrecevable la demande de réexamen présentée par la requérante sur sa demande d'asile au motif que les éléments présentés n'augmentaient pas de manière significative la probabilité qu'elle justifie des conditions requises pour prétendre à une protection.
14. D'autre part, Mme A... soutient que la France aurait informé les autorités de la Fédération de Russie de sa condamnation pour des infractions en lien avec le terrorisme islamiste, ce qui l'exposerait ainsi, selon elle, à des traitements inhumains et dégradants à son retour dans ce pays. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la demande de laissez-passer consulaire adressée au consul de la Fédération de Russie en France mentionne seulement que l'intéressée a fait l'objet d'une mesure d'éloignement, sans faire état de sa condamnation pour terrorisme, et la requérante n'apporte aucun autre élément permettant d'établir que les autorités russes auraient eu connaissance de la procédure judiciaire ayant conduit à sa condamnation.
15. Enfin, si la requérante invoque sa particulière vulnérabilité liée à ses troubles psychiques, elle n'établit pas qu'elle ne pourrait bénéficier des soins appropriés à sa pathologie en Fédération de Russie.
16. Il résulte de ce qui précède qu'en décidant que Mme A... pouvait être éloignée à destination de la Fédération de Russie, le préfet du Val-de-Marne n'a pas méconnu les stipulations précitées.
Sur le refus d'admission au titre de l'asile et le maintien en rétention administrative :
17. Aux termes de l'article L. 754-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la France est l'État responsable de l'examen de la demande d'asile et si l'autorité administrative estime, sur le fondement de critères objectifs, que cette demande est présentée dans le seul but de faire échec à l'exécution de la décision d'éloignement, elle peut prendre une décision de maintien en rétention de l'étranger pendant le temps strictement nécessaire à l'examen de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et, en cas de décision de rejet ou d'irrecevabilité de celle-ci, dans l'attente de son départ / (...). ".
18. Il ressort des pièces du dossier que le préfet du Val-de-Marne a refusé l'admission au séjour de Mme A... au titre de l'asile et l'a maintenue en rétention administrative au motif que sa demande avait été présentée dans un but dilatoire. La requérante fait valoir que la décision de cessation de son statut de réfugiée ne lui a été notifiée qu'en rétention, que sa carte de résident ne lui a pas été retirée et qu'elle fait état, à l'appui de sa demande d'admission au séjour au titre de l'asile, d'éléments nouveaux aggravant ses craintes de persécution. Toutefois, l'intéressée qui avait connaissance de la perte de son statut de réfugiée au plus tard le 12 août 2022 ainsi qu'en atteste la notice de renseignement du centre pénitentiaire de Fresnes, n'a pas jugé utile de contester cette décision auprès de la Cour nationale du droit d'asile et n'a par ailleurs effectué aucune démarche administrative depuis l'expiration de sa carte de résident le 21 février 2020. Enfin, si la requérante soutient que son placement en rétention et la sollicitation d'un laissez-passer auprès des autorités russes sont des éléments nouveaux au soutien de sa demande de réexamen, il ne s'agit pas d'éléments tenant aux menaces actuelles qu'elle encourrait en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, en estimant que la demande d'asile de Mme A... était dilatoire et en décidant son maintien en rétention, le préfet du Val-de-Marne n'a pas entaché sa décision d'un défaut d'examen, ni d'une erreur de droit ou d'une erreur manifeste d'appréciation.
19. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à se plaindre que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles relatives aux frais du litige ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre d'État, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- M. Stéphane Diémert, président assesseur,
- Mme Irène Jasmin-Sverdlin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 mai 2025.
Le rapporteur,
S. DIÉMERTLe président,
I. LUBEN
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au ministre d'État, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22PA05192 2