Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... Vieux a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser une somme de 578 082 euros en réparation des préjudices consécutifs à la décision du 31 mai 2018 par laquelle le ministre de l'intérieur a procédé à sa mutation d'office.
Par un jugement n° 2119024/6-3 du 21 décembre 2023, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à M. Vieux une somme de 5 108,42 euros, a renvoyé le requérant devant l'administration pour la liquidation des chefs de préjudice tenant à la nouvelle bonification indiciaire, à l'indemnité de responsabilité et de performance, et à la perte d'un supplément de pension, a assorti ces sommes des intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2021, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais de l'instance et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 22 février 2024 et le 8 janvier 2025, M. Vieux, représenté par Me Alzeari, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 21 décembre 2023 en tant qu'il ne lui a accordé qu'une satisfaction partielle ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 574 902 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2021, en réparation de ses préjudices ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'illégalité de la décision du ministre de l'intérieur du 31 mai 2018 portant mutation d'office constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration ;
- il a droit à la réparation du préjudice financier résultant de la perte de rémunération pour 155 823 euros, de la perte de chance d'accéder au grade de commissaire général pour 77 624 euros, de la perte de chance de pouvoir continuer à travailler jusqu'à l'âge de soixante-cinq ans pour 261 295 euros ;
- son préjudice lié à la perte de son logement de fonction s'élève à 38 460 euros, et celui lié à la perte de son véhicule de fonction à 10 000 euros ;
- il a droit à la réparation de son préjudice matériel résultant de la vente d'un véhicule à un prix inférieur au prix de l'argus pour 1 700 euros ;
- il a droit à la réparation de ses troubles dans les conditions d'existence et de son préjudice moral à hauteur de 30 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 février 2025, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 11 février 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 4 mars 2025.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le décret n° 67-600 du 23 juillet 1967 ;
- le décret n° 95-654 du 9 mai 1995 ;
- le décret n° 2013-314 du 15 avril 2013 ;
- l'arrêté du 7 novembre 2002 fixant les conditions d'attribution de la nouvelle bonification indiciaire en faveur des fonctionnaires du ministère de l'intérieur appartenant au corps de conception et de direction de la police nationale ;
- l'arrêté du 30 mars 2017 fixant la liste des postes prévus par le décret n° 2010-1102 du 21 septembre 2010 portant création d'une indemnité de responsabilité et de performance allouée aux fonctionnaires du corps de conception et de direction de la police nationale et à certains emplois des services actifs de la police nationale et de la préfecture de police ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bories,
- et les conclusions de M. Perroy, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. Vieux, commissaire divisionnaire de police alors affecté en qualité de directeur départemental de la police aux frontières en Guyane, a été muté d'office sur le poste de chef de projets à la direction centrale de la police aux frontières par une décision du 31 mai 2018 du ministre de l'intérieur, prenant effet le 1er juillet 2018. Par un jugement n° 1809960/5-1 du 28 mai 2020, devenu définitif, le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision. Par une lettre réceptionnée le 12 mai 2021, M. Vieux a demandé à être indemnisé des préjudices consécutifs à cette décision illégale. Il relève appel du jugement n° 2119024/6-3 du 21 décembre 2023 en tant que le tribunal administratif de Paris ne lui a accordé qu'une satisfaction partielle, et demande la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 574 902 euros en réparation de ses préjudices.
Sur la responsabilité :
2. D'une part, pour annuler la décision du 31 mai 2018 du ministre de l'intérieur portant mutation d'office de M. Vieux, le tribunal administratif de Paris a considéré qu'en mutant l'intéressé sur un poste d'un niveau inférieur à celui qu'il occupait, le ministre de l'intérieur avait fait une inexacte application des dispositions du dernier alinéa de l'article 25 du décret du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale, aux termes desquelles la mutation dans l'intérêt du service est opérée sur un poste de niveau comparable. Cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
3. D'autre part, il résulte de l'instruction que M. Vieux, initialement admis à faire valoir ses droits à la retraite à partir du 30 juillet 2019, a obtenu rétroactivement une prolongation d'activité d'un an après qu'il a contesté la date de son admission à la retraite. Par un arrêté du
7 décembre 2021, le ministre de l'intérieur l'a ainsi réintégré dans ses fonctions de directeur départemental de la police aux frontières à Cayenne à compter du 1er juillet 2018 et lui a accordé une prolongation d'activité jusqu'au 29 juillet 2020.
Sur les préjudices :
4. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction.
En ce qui concerne les préjudices financiers :
5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que M. Vieux percevait, au titre de ses fonctions de directeur départemental de la police aux frontières, une nouvelle bonification indiciaire (NBI) de 60 points, qui lui a été versée jusqu'au mois de juillet 2018 inclus. Dès lors qu'il aurait dû être muté sur un poste comparable, il justifie d'une perte de chance sérieuse de percevoir une NBI équivalente entre le 1er août 2018 et le 29 juillet 2020, date de son admission à la retraite. Il n'y a toutefois pas lieu de réformer l'exacte appréciation effectuée pour ce poste par les premiers juges et s'élevant à la somme de 6 747,84 euros, dont il convient de déduire le montant des cotisations sociales afférentes.
6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que l'indemnité de responsabilité et de performance versée à M. Vieux en raison de son affectation à Cayenne s'élevait à 2 566 euros, qu'elle a été réduite à 1 833 euros au cours de la période du 1er juillet 2018 au 29 juillet 2019, puis qu'elle a cessé de lui être versée, compte tenu de son admission à la retraite à compter du 30 juillet 2019. Dès lors qu'il aurait dû être muté sur un poste comparable, il justifie d'une perte de chance sérieuse d'avoir continué à percevoir, du 1er juillet 2018 au 29 juillet 2020, une indemnité de responsabilité et de performance équivalente à celle allouée avant sa mutation d'office. Il sera fait une exacte appréciation de ce poste de préjudice en condamnant l'Etat à lui verser, à ce titre, une somme de 733 euros mensuels pour les treize premiers mois de cette période, et une somme de 2 566 euros mensuels pour les douze derniers mois, soit un total de 40 321 euros, dont il convient de déduire le montant des cotisations sociales afférentes. Il y a lieu de réformer le jugement du 21 décembre 2023 sur ce point.
7. En troisième lieu, l'application aux traitements des fonctionnaires du coefficient de majoration régi par le décret du 23 juillet 1967 relatif au régime des rémunérations des magistrats et fonctionnaires de l'Etat en service dans les territoires d'outre-mer est subordonnée à l'exercice effectif des fonctions dans le territoire ou la collectivité où ce coefficient est susceptible de s'appliquer. Dès lors que M. Vieux n'a pas exercé de fonctions en Guyane entre le 1er août 2018 et le 29 juillet 2020, il ne peut prétendre à être indemnisé de la perte du produit de l'application de ce coefficient à son traitement. Il en va de même de l'indemnité de sujétion géographique, dès lors que cette indemnité a été instituée pour compenser les contraintes liées à l'exercice effectif des fonctions outre-mer. Aucune somme ne peut ainsi lui être allouée à ces deux titres et il y a donc lieu de confirmer le jugement attaqué sur ce point.
8. En quatrième lieu, M. Vieux se prévaut des préjudices consécutifs à son admission à la retraite le 30 juillet 2019, tenant à la différence entre sa pension de retraite et le salaire qu'il aurait dû percevoir, ainsi que d'une perte de chance d'avoir travaillé au-delà du 30 juillet 2020, conduisant à une perte d'indemnité de sujétion géographique et de droits à pension. Toutefois, ces chefs de préjudice relèvent des contentieux qui opposent l'intéressé à l'Etat au sujet de son admission à la retraite et sont sans lien de causalité avec la faute commise par l'administration à raison de sa mutation d'office, dont il demande l'indemnisation dans la présente instance. Il en va de même de la perte de chance d'accéder au grade supérieur à l'occasion du tableau d'avancement au grade de commissaire général en 2020, qui n'est pas imputable à la mutation d'office de M. Vieux sur un poste d'un niveau non comparable.
9. En cinquième lieu, l'avantage en nature résultant de la disposition d'un logement de fonction par nécessité de service est la contrepartie des sujétions attachées à l'exercice effectif des fonctions, et ne peut être pris en considération pour la détermination des droits à indemnité du requérant en dépit de son éviction illégale du service, l'intéressé n'ayant pas accompli, au cours de la période litigieuse, de service nécessitant un tel logement. Il en est de même pour les préjudices allégués par M. Vieux du fait du retrait de son véhicule de fonction, également lié à l'exercice effectif des fonctions, et qui ne sauraient par suite donner lieu à indemnisation.
En ce qui concerne le préjudice matériel :
10. M. Vieux n'établit pas, en se bornant à produire une annonce de la vente de son véhicule personnel sur papier libre et un certificat de cession de ce véhicule sans mention de prix de vente, qu'il aurait été contraint de convenir d'une vente inférieure de 1 700 euros au prix de l'Argus du fait de son départ précipité de la Guyane. Par suite, ce poste de préjudice n'ouvre pas droit à indemnisation.
En ce qui concerne le préjudice moral :
11. M. Vieux se prévaut de troubles dans ses conditions d'existence et d'un préjudice moral consécutifs à sa mutation d'office. Il n'y a pas lieu de réformer la juste appréciation effectuée par les premiers juges pour ces préjudices s'élevant à la somme de 4 000 euros.
12. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. Vieux est seulement fondé à demander que l'indemnité que le tribunal administratif a condamné l'Etat à lui verser, au titre de l'indemnité de responsabilité et de performance, soit portée à un montant de 40 321 euros, sous réserve de la déduction des cotisations sociales. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2021, date de réception de sa demande indemnitaire préalable par le ministre de l'intérieur.
Sur les conclusions relatives aux frais de l'instance :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser au requérant sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE:
Article 1er : La somme que l'Etat a été condamné à verser à M. Vieux au titre de l'indemnité de responsabilité et de performance est portée à un montant de 40 321 euros, dont il convient de déduire le montant des cotisations sociales afférentes. M. Vieux est renvoyé devant l'administration pour qu'il soit procédé à la liquidation de cette somme.
Article 2 : L'indemnité prévue à l'article 1er sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2021.
Article 3 : Le jugement n° 2119024/6-3 du 21 décembre 2023 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. Vieux la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... Vieux et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 21 mai 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Vidal, présidente de chambre,
Mme Bories, présidente assesseure,
Mme Breillon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juin 2025.
La rapporteure,
C. BORIES
La présidente,
S. VIDAL
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24PA00902 2