Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler les décisions des 2 et 9 juillet 2019 par lesquelles le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle.
Par un jugement n° 1907781/6 du 26 décembre 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 février 2024, et un mémoire enregistré le 28 janvier 2025, qui n'a pas été communiqué, Mme B..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 26 décembre 2023 ;
2°) d'annuler les décisions du ministre de la justice portant refus de protection fonctionnelle ;
3°) d'enjoindre au ministre de la justice de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 553 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la situation de harcèlement moral et de discrimination en raison d'un handicap qu'elle a subie lui ouvre droit au bénéfice de la protection fonctionnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2025, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de Mme B... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 13 janvier 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 31 janvier 2025.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bories,
- les conclusions de M. Perroy, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., magistrate de l'ordre judiciaire depuis 1996, a été affectée, à compter du 4 septembre 2017, en qualité de vice-présidente chargée des libertés et de la détention au tribunal de grande instance de Créteil. S'estimant victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral et de discrimination, elle a demandé, le 2 mai 2019, le bénéfice de la protection fonctionnelle. Le silence gardé sur sa demande par le garde des sceaux, ministre de la justice, a fait naître une décision implicite de rejet. Par une décision du 9 juillet 2019, qui s'est substituée à cette décision implicite, le ministre a rejeté sa demande de protection fonctionnelle. Mme B... relève appel du jugement du 26 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 9 juillet 2019.
2. Aux termes de l'article 11 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : " Indépendamment des règles fixées par le Code pénal et les lois spéciales, les magistrats sont protégés contre les menaces, attaques de quelque nature que ce soit, dont ils peuvent être l'objet dans l'exercice ou à l'occasion de leurs fonctions. L'Etat doit réparer le préjudice direct qui en résulte, dans tous les cas non prévus par la législation des pensions. / (...) ".
3. D'une part, il appartient au magistrat judiciaire qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement.
La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.
4. D'autre part, s'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une mesure qui a pu être empreinte de discrimination de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
5. Mme B... se prévaut d'une situation de harcèlement moral et d'une discrimination à raison de son handicap, subies à compter du mois de juillet 2018, se matérialisant par la suppression de ses jours de récupération, le refus d'aménager son poste conformément aux préconisations de la médecine du travail, une volonté de stigmatiser sa situation de handicap, des pressions
exercées pendant son arrêt maladie de novembre 2018 et une évaluation défavorable pour
la période 2016-2018.
6. En premier lieu, la requérante soutient qu'elle a été privée des jours de récupération accordés aux juges des libertés et de la détention (JLD) du tribunal de grande instance (TGI) de Créteil, à compter de l'annonce de sa situation de handicap, en dépit des préconisations du médecin du travail du 10 juillet 2018 qui concluait à la compatibilité de son poste avec son état de santé, tout en recommandant d'éviter le travail de nuit et les horaires irréguliers. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier du rapport d'activité du service des JLD du TGI pour 2016, que de telles journées de récupération, caractérisées par l'absence d'audience pour le magistrat concerné, sont accordées autant que possible le lendemain des journées d'audiences pénales des JLD, pour compenser l'horaire très avancé auquel ces dernières peuvent se terminer. Contrairement à ce que soutient la requérante, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à l'exception des journées des 5 et 6 août 2018, elle aurait été sollicitée pour assurer des journées d'audiences pénales de JLD auxquelles se seraient succédé des journées d'audiences civiles. Compte tenu du bref délai écoulé entre la fiche de service du médecin du travail et sa permanence du 5 août 2018, et des contraintes inhérentes à l'organisation de la période estivale, l'absence de récupération accordée à Mme B... le 6 août 2018 doit être regardée comme justifiée par l'intérêt du service. Par ailleurs, si l'audience de JLD du samedi 4 mai 2019, que la requérante a assurée en qualité de vice-présidente de permanence, s'est terminée tardivement, elle était suivie d'une journée de repos et pouvait être assurée conjointement avec un magistrat de renfort. Enfin, si Mme B... bénéficiait de moins de jours de récupération que ses homologues dans le tableau de roulement prévisionnel des JLD pour le premier semestre 2019, établi avant qu'elle renonce à ces fonctions à compter de janvier 2019, il ressort de ce tableau qu'il prévoyait qu'elle soit totalement exonérée des journées de procédures pénales que ces récupérations ont vocation à compenser. Dans ces conditions, la requérante n'établit pas qu'elle aurait été injustement privée des jours de récupération garantis aux JLD.
7. Mme B... fait valoir, en deuxième lieu, qu'aucun aménagement de son poste n'est intervenu en dépit des préconisations du médecin du travail du 10 juillet 2018. Il ressort toutefois de ce qui a été dit au point précédent qu'à l'exception d'une permanence début août 2018, l'état de santé de l'intéressée a été pris en compte en ce qui concerne les audiences pénales de JLD au second semestre 2018. Il en va de même de sa permanence de la semaine du 31 décembre 2018, au cours de laquelle aucune journée d'audiences pénales ne lui a été attribuée. Par ailleurs il est constant que la requérante a été affectée, à compter du mois de janvier 2019 et à raison de son état de santé, sur des fonctions de juge aux affaires familiales, dont elle n'allègue pas qu'elles impliqueraient un travail de nuit ou des horaires irréguliers. En ce qui concerne la période postérieure à cette affectation, il ne ressort pas des pièces du dossier que les permanences de comparutions immédiates qu'elle a assurées le 24 mai et le 1er juillet 2019, au demeurant inhérentes à ses fonctions de vice-présidente, auraient méconnu les recommandations du médecin du travail tenant au travail de nuit et aux horaires réguliers. Enfin, si sa permanence de JLD du 4 mai 2019 s'est finie tardivement, cette occurrence isolée d'un travail de nuit, pour lequel elle pouvait faire appel à un magistrat de renfort, ne permet pas de faire présumer une situation de harcèlement moral ou de discrimination.
8. En troisième lieu, Mme B... se prévaut du caractère stigmatisant d'un message électronique du magistrat coordinateur du service des JLD le 26 novembre 2018, rédigé en réponse à ses observations sur le tableau de roulement prévisionnel pour le premier semestre 2019. Contrairement à ce que soutient la requérante, la teneur et le ton de ce message, lequel exclut les modifications qu'elle sollicitait en raison de leur caractère trop individualisé, ne manifestent ni humiliation, ni dénigrement, ni discrimination.
9. En quatrième lieu, la requérante n'établit pas, en faisant état de conversations téléphoniques et électroniques avec les services de la présidence de la juridiction, qu'elle aurait subi des pressions, au cours de son arrêt maladie de novembre 2018, pour renoncer à exercer les fonctions de JLD. Au demeurant, la mutation de Mme B... sur un poste de juge aux affaires familiales à compter du mois de janvier 2019, à la supposer contrainte, n'excède pas le cadre normal du pouvoir d'organisation du service, compte tenu de son incapacité à remplir certaines fonctions des JLD.
10. En dernier lieu, Mme B... soutient que son évaluation professionnelle pour la période 2016-2018, effectuée en janvier 2019, serait " volontairement défavorable ", et obéirait à une volonté de dénigrement. Si les appréciations portées dans son compte-rendu d'évaluation professionnelle (CREP) sont mitigées, il ressort toutefois des pièces du dossier qu'elles sont en grande partie élogieuses et qu'elle a obtenu, après avis de la commission d'avancement du 3 juillet 2019, la modification des appréciations relatives au contenu intellectuel de ses décisions juridictionnelles. Enfin, elle n'établit pas, par la production d'un CREP non daté, que des réserves à son avancement auraient été émises par ses chefs de juridiction.
11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les faits énoncés par la requérante, pris ensemble ou séparément, ne peuvent être regardés comme soumettant au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'agissements constitutifs de harcèlement moral ou de discrimination à son encontre. Par suite, en l'absence de harcèlement moral ou de discrimination exercés à l'encontre de Mme B..., le garde des sceaux, ministre de la justice, a pu légalement lui refuser le bénéfice de la protection fonctionnelle.
12. Il résulte de l'ensemble ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa requête. Il y a lieu, par suite, de rejeter sa requête en toutes ses conclusions.
DECIDE:
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... épouse C... et au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 11 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Vidal, présidente de chambre,
- Mme Bories, présidente assesseure,
- Mme Breillon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 juin 2025.
La rapporteure,
C. BORIES
La présidente,
S. VIDAL
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24PA00925 2