Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Toulouse à lui verser la somme de 102 220,77 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 11 septembre 2017, en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de la maladie professionnelle qu'elle a contractée à la suite de l'accident de service du 19 mars 1987, de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Toulouse la somme de 1 711,30 euros au titre des frais d'expertise médicale et 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1800218 du 25 juin 2020, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande de Mme C... ainsi que les conclusions présentées par le centre hospitalier régional universitaire de Toulouse sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 25 août 2020, sous le n°20BX22238 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux, puis le 16 janvier 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 20TL22838 un mémoire enregistré le 25 février 2022, Mme D... C..., représentée par Me Mandile, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 25 juin 2020 ;
2°) de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Toulouse à lui verser la somme de 102 220,77 euros en réparation de ses préjudices ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Toulouse les entiers dépens ainsi qu'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'une erreur de date et par voie de conséquence d'une erreur d'appréciation quant à la chronologie des faits ;
- la composition de la juridiction n'était pas similaire lors des audiences du 19 décembre 2019 et du 11 juin 2020 et le rapporteur public de la deuxième audience a fait siennes les conclusions du rapporteur public de la première audience ;
En ce qui concerne le bien fondé du jugement :
- sa créance n'est pas prescrite ;
- le centre hospitalier a reconnu, dans son mémoire du 24 mars 2015 présenté dans le cadre de l'instance n°1500937 devant le juge des référés du tribunal, que l'hépatite C diagnostiquée en 1993 trouvait son origine dans l'accident de service du 19 mars 1987 ;
- le tribunal a inversé la charge de la preuve, seul le centre hospitalier universitaire étant en mesure de produire la preuve de la reconnaissance de l'imputabilité au service ;
- la commission de réforme a rendu, le 28 mars 1994, un avis favorable à l'imputabilité de l'hépatite C diagnostiquée en 1993 à l'accident de service du 9 mars 1987 ;
- une maladie professionnelle contractée par un agent public jouit d'une présomption légale d'imputabilité ; en raison du caractère professionnel de l'hépatite C qu'elle a contractée, le lien de sa pathologie avec le service est présumé, ce qu'ont reconnu les professionnels de santé ;
- l'expert judiciaire a reconnu l'imputabilité au service de l'hépatite C qu'elle a contractée en 1987 ; il a également reconnu que l'aggravation de son état de santé à partir de 2011 est la conséquence de l'hépatite C contractée en 1987, qui après être restée asymptomatique, s'est réactivée du fait de son caractère chronique ;
- l'établissement doit réparer les préjudices résultant de l'hépatite C contractée lors de l'exercice de ses fonctions ; son déficit fonctionnel permanent peut être évalué à la somme de 79 300 euros, son déficit fonctionnel temporaire peut être évalué à la somme de 1 995 euros, son pretium doloris à la somme de 10 000 euros, son préjudice esthétique à la somme de 3 000 euros et ses frais d'appareillage dentaire à celle de 8 195,77 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 octobre 2021, le centre hospitalier régional universitaire de Toulouse, représenté par Me Sabatté, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire que les indemnités sollicitées par Mme C... soient ramenées à de plus justes proportion et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme C... en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la motivation du jugement est suffisante au regard de la teneur de l'argumentation de Mme C... devant les premiers juges ; le tribunal a tiré les conséquences nécessaires des lacunes sur le terrain de la preuve du lien de causalité entre la pathologie et le service ;
- la mention de la date erronée du certificat du docteur E... procède d'une erreur de plume qui n'a pas eu d'incidence sur l'appréciation de la chronologie des faits et le jugement de l'affaire ;
-il ne ressort d'aucune disposition législative ou jurisprudence que, lors du renvoi à une audience ultérieure, la composition de la formation doive être identique à celle qui s'est tenue lors de la première audience, il en va de même du changement de rapporteur public ;
- la créance de Mme C... est éteinte du fait de la prescription quadriennale ;
- si Mme C... a déclaré un accident en 1987, puis une maladie en 1993, le silence du centre hospitalier a fait naître des décisions implicites de refus de reconnaissance de l'imputabilité au service ; la reconnaissance de l'imputabilité au service n'est pas révélée par les maladresses rédactionnelles commises devant le juge des référés, les pièces du dossier ne comportant d'ailleurs aucune décision de reconnaissance ; l'existence d'une décision de reconnaissance d'imputabilité n'entraîne pas automatiquement l'engagement de la responsabilité de l'administration ; Mme C... s'est bornée à exciper d'une décision de reconnaissance qui n'existe pas ; cette circonstance ne suffit pas à établir l'existence d'un lien de causalité ;
- les pièces du dossier ne sont pas de nature à établir l'existence d'un lien direct et certain entre les préjudices et l'activité professionnelle de Mme C... en 1987 ; la matérialité de l'épisode accidentel n'est pas établie ; la preuve d'un lien direct entre la maladie déclarée en 1993 et l'exercice des fonctions de Mme C... entre 1986 et 1989 n'est pas apportée ;
- Mme C... a subi six interventions chirurgicales entre 1969 et 1988, alors qu'il est admis qu'avant 1992 la transfusion sanguine et les soins ou examens médicaux constituaient les principaux modes de contamination par le virus de l'hépatite C ;
- les expertises n'ont pas recherché si Mme C... a été exposée à des accidents de contamination postérieurement à 1993, au détour notamment de la pratique d'analyses sanguines ou de dons de sang ; l'expertise du docteur A... n'a pas été contradictoire ;
- les conditions nécessaires à l'obtention d'une réparation forfaitaire des séquelles invoquées ne sont pas remplies, ainsi qu'il ressort des deux refus successifs non contestés que lui a opposés la caisse des dépôts et consignations, et à supposer établie l'existence d'une rechute ou d'une aggravation d'un accident ou d'une maladie imputable au service, il lui appartient de démontrer que les préjudices allégués sont directement liés à l'accident ou à la maladie ;
- les préjudices ont été surévalués.
Par une ordonnance du 14 mars 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 31 mars 2022 à 12 heures.
Vu :
- les autres pièces du dossier,
- l'ordonnance du 13 juin 2016 par laquelle le président du tribunal administratif de Toulouse a taxé les frais d'expertise à la somme de 1 711,30 euros.
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
-l'avis n° 450102 du Conseil d'État du 15 octobre 2021 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Céline Arquié, première conseillère,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- les observations de Me Montamat pour Mme C... et celles de Me Sabatté pour le centre hospitalier régional universitaire de Toulouse.
Une note en délibéré présentée pour Mme C... a été enregistrée le 16 mai 2022.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., qui exerce depuis 1973 ses fonctions d'aide-soignante au centre hospitalier régional universitaire de Toulouse, a déclaré, le 19 mars 1987, un accident de travail après avoir été piquée par l'aiguille d'un patient lors du nettoyage du matériel au cours de la désinfection d'une salle de soins. Des examens médicaux réalisés en 1993 ayant révélé la présence de marqueurs de l'hépatite C, Mme C... a déclaré, le 16 décembre 1993, cette maladie comme d'origine professionnelle et a continué à exercer ses fonctions au sein de l'établissement. Elle a été admise le 1er mars 2006 à faire valoir ses droits à la retraite. A compter de l'année 2011, son état de santé s'est dégradé et Mme C... a alors été à nouveau diagnostiquée malade de l'hépatite C. Mme C... relève appel du jugement n° 1800218 du 25 juin 2020 du tribunal administratif de Toulouse rejetant sa demande de condamnation du centre hospitalier régional universitaire de Toulouse à lui verser la somme de 102 220,77 euros, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la maladie professionnelle qu'elle a contractée lors de l'accident de service du 19 mars 1987.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. "
3. En se bornant à indiquer au point 3 de son jugement que le raisonnement de l'expert comme celui de la requérante se fondent sur une reconnaissance d'imputabilité initiale de l'hépatite C et signaler qu'aucune pièce du dossier n'établit que le centre hospitalier universitaire ait reconnu cette maladie comme étant imputable au service, sans répondre au moyen de Mme C... faisant valoir que sa pathologie bénéficie d'un présomption d'imputabilité au service et indiquer les raisons pour lesquelles les éléments fournis par l'intéressée n'étaient pas de nature à apporter la preuve du lien de causalité entre sa pathologie et le service, le tribunal administratif a insuffisamment motivé son jugement. Celui-ci doit, par suite, être annulé. Il y a lieu, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de Mme C... devant le tribunal administratif de Toulouse.
Sur les conclusions indemnitaires :
4. En premier lieu, une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
5. En deuxième lieu, les dispositions instituant la rente viagère d'invalidité et l'allocation temporaire d'invalidité ont pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Ces chefs de préjudices sont réparés forfaitairement dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.
6. Mme C... a déclaré, le 19 mars 1987, un accident de service après avoir été piquée à deux endroits à la jambe gauche par l'aiguille d'un patient lors du nettoyage du matériel d'une salle de soins, ce qui a été attesté à l'époque par deux témoins du même service. Il résulte de l'instruction et notamment du certificat médical établi le 14 mars 1993 par le docteur E... que Mme C... a été contaminée par une hépatite C ancienne, qui n'avait pas été précédemment diagnostiquée, que l'intéressée en était alors probablement guérie et qu'il est " très vraisemblable que Mme C... ait pu contracter cette hépatite C au cours de ses activités professionnelles anciennes ". La commission de réforme a donné, dans sa séance du 25 mars 1994, un avis favorable à la reconnaissance de cette hépatite C comme maladie professionnelle. Dans une lettre du 30 décembre 2011 adressée au docteur B..., expert, le directeur des ressources humaines de l'hôpital Purpan mentionne que la maladie de Mme C... a été reconnue comme maladie professionnelle et sollicite une expertise sur le point de savoir si les soins sont ou non à prendre en charge au titre de la maladie professionnelle. Il résulte également des termes de l'expertise du 25 février 2013 du docteur B... que " la maladie professionnelle de Mme C... a été contractée pendant sa période d'activité ". Dans ces conditions, nonobstant l'absence de décision écrite du directeur du centre hospitalier reconnaissant la maladie de Mme C... comme maladie professionnelle et alors même que l'avis de la commission de réforme ne lie pas l'administration, la maladie contractée par Mme C... et diagnostiquée en 1993 doit être regardée comme étant d'origine professionnelle. Toutefois, si le rapport d'expertise judiciaire du 12 mai 2016 du docteur A... affirme que la pathologie thyroïdienne et la pathologie dentaire dont souffre Mme C... sont les conséquences directes de la maladie professionnelle qu'elle a contractée, cet expert n'a pas recherché les causes de la charge virale à nouveau détectée en 2011 et n'apporte pas d'éléments permettant d'établir que cette infection est une rechute de la maladie diagnostiquée en 1993, alors que le centre hospitalier universitaire fait valoir en défense que l'infection virale à nouveau diagnostiquée a pu être contractée en 2011 lors de la néoplasie du sein gauche traitée par tumorectomie et radiothérapie, lors de l'athéromatose carotidienne effectuée en 2005, ou encore au cours de travaux dentaires réalisés le 21 février 2011. La caisse primaire d'assurance maladie n'a d'ailleurs pas reconnu l'origine professionnelle de l'hyperthyroïdie et de la parodontose prises en charge en 2011 et qui sont apparues 24 ans après l'accident de 1987. Dans ces conditions, il ne peut être établi de lien direct entre l'infection diagnostiquée en 2011 et l'exercice des fonctions.
7. En troisième lieu, Mme C... ne peut utilement se prévaloir du régime de présomption légale d'imputabilité de l'article L.461-1 du code de la sécurité sociale, au motif que l'hépatite C figure dans le tableau n° 45 des maladies professionnelles, les dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires créées par l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017 aux termes desquelles " (...) IV.- Est présumée imputable au service toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale et contractée dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions dans les conditions mentionnées à ce tableau (...) ", en tant qu'elles s'appliquent à la fonction publique hospitalière, ainsi d'ailleurs que l'indique l'avis du Conseil d'État visé ci-dessus, à la date d'entrée en vigueur le 16 mai 2020, du décret du 13 mai 2020 relatif au congé pour invalidité temporaire imputable au service dans la fonction publique hospitalière.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'exception de prescription soulevée en défense, que les conclusions à fin d'indemnisation de Mme C... ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les dépens :
9. Par une ordonnance du 13 juin 2016, le président du tribunal administratif de Toulouse a taxé les frais d'expertise à la somme de 1 711,30 euros. Il y a lieu de laisser cette somme à la charge de Mme C....
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le centre hospitalier régional universitaire de Toulouse, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à Mme C... la somme que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme C... le paiement de la somme demandée par le centre hospitalier régional universitaire de Toulouse en application de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n°1800215 du 25 juin 2020 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Toulouse et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.
Article 3 : Les frais de l'expertise taxés et liquidés à la somme de 1 711,30 euros sont mis à la charge définitive de Mme C....
Article 4 : Les conclusions du centre hospitalier régional universitaire de Toulouse tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à notifié à Mme D... C... et au centre hospitalier régional universitaire de Toulouse.
Délibéré après l'audience du 10 mai 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Blin, présidente assesseure,
Mme Arquié, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mai 2022.
La rapporteure,
C. Arquié
La présidente,
A. Geslan-Demaret
La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20TL22838