Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée E... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2012 au 31 août 2015.
Par un jugement n° 1705713 du 24 septembre 2019, le tribunal administratif de Toulouse a prononcé la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 décembre 2021 sous le n° 19BX04776 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux et ensuite sous le n° 19TL24776 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, et des mémoires, enregistrés le 3 juin 2021 et le 20 mai 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de la société E... présentée devant le tribunal administratif de Toulouse ;
3°) de remettre à la charge de la société E... les rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2012 au 31 août 2015, et les pénalités correspondantes.
Il soutient que :
- l'article 268 du code général des impôts, interprété conformément à l'article 292 de la directive 2006/112/CE qu'il transpose, ne permet pas d'appliquer le régime de la taxe sur la valeur ajoutée dit " sur la marge " lorsque le terrain vendu comme terrain à bâtir n'a pas été acquis comme un terrain à bâtir ;
- les moyens soulevés par la société E... devant le tribunal administratif de Toulouse et relatifs notamment, d'une part, au respect des dispositions de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales, et d'autre part, à la condition tenant à l'identité de nature entre le bien acquis et le bien cédé ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 1er décembre 2020 et le 11 juin 2021, la société E..., représentée par Me Ribes, conclut :
- à titre principal, au rejet de la requête ;
- à titre subsidiaire, à ce qu'il soit sursis à statuer ;
- à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par le ministre de l'économie, des finances et de la relance ne sont pas fondés ;
- les biens immobiliers qu'elle a achetés n'ont fait l'objet d'aucune transformation substantielle ;
- il y a lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la réponse de la Cour de justice de l'Union européenne à la question préjudicielle que lui a posée la cour administrative d'appel de Lyon à la suite de son arrêt 19LY00501 du 18 mars 2021.
Par ordonnance du 13 mai 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 31 mai 2022.
Par ordonnance du 11 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête du ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de Mme Cherrier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Lavoisier, représentant la société E....
Considérant ce qui suit :
1. La société E... a procédé, à compter du 3 mai 2012, à la vente de terrains à bâtir situés dans la commune de C... (Haute-Garonne) qui faisaient initialement partie d'un ensemble immobilier, comprenant une maison d'habitation et garage attenant avec un terrain environnant, acquis le 11 février 2011. Elle a également cédé, à compter du 24 juillet 2014, des terrains à bâtir situés dans la commune de D... (Haute-Garonne) qui faisaient initialement partie d'un ensemble immobilier, comprenant une maison d'habitation, un hangar et une dépendance avec un terrain environnant, acquis le 28 janvier 2014. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration a estimé que la taxe sur la valeur ajoutée sur ces opérations de revente devait être calculée sur le prix de vente et non pas sur la marge et a ainsi réclamé à la société des rappels de taxe, assortis des intérêts de retard. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance fait appel du jugement du 24 septembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulouse, saisi par la société, a prononcé la décharge de ces rappels et intérêts de retard.
2. Le I de l'article 257 du code général des impôts dans sa rédaction applicable, issue initialement de l'article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, prévoit que les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles, lesquelles comprennent les livraisons à titre onéreux de terrains à bâtir, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. En vertu du b du 2 de l'article 266 du même code, l'assiette de la taxe est en principe constituée par le prix de cession.
3. L'article 392 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose toutefois que : " Les Etats membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat ". Aux termes de l'article 268 du code général des impôts, dans sa rédaction également issue de l'article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010 : " S'agissant de la livraison d'un terrain à bâtir (...), si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d'imposition est constituée par la différence entre : / 1° D'une part, le prix exprimé et les charges qui s'y ajoutent ; / 2° D'autre part, selon le cas : / a) soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du terrain ou de l'immeuble ; / b) soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu'il a effectués (...) ".
4. Il résulte de ces dernières dispositions, lues à la lumière de celles de la directive dont elles ont pour objet d'assurer la transposition, que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elles prévoient s'appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s'appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti.
5. Il ressort des actes de vente des 11 février 2011 et 28 janvier 2014 que les opérations immobilières sur lesquelles le vendeur et l'acheteur se sont mis d'accord ont consisté en l'achat par la société requérante, pour un prix déterminé, d'un ensemble immobilier comprenant notamment un immeuble bâti et son terrain d'assiette. La circonstance que la société ait obtenu dès le 12 mai 2010 un permis d'aménager pour lotir cinq lots sur le bien immobilier situé à Grantentour et dès le 10 avril 2013 une décision de non-opposition à la déclaration préalable pour la création d'un lotissement de trois lots sur le bien immobilier situé à D... et que les arrêtés des maires de ces communes aient été annexés aux actes de vente correspondant n'a pas modifié la nature des opérations immobilières, la société E... n'ayant pas acheté séparément les parties du terrain qui n'étaient pas bâties et qu'elle a ensuite revendues en tant que terrain à bâtir. Ainsi, dès lors que la société a cédé des terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti, le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulouse a estimé que les dispositions applicables, notamment celles de l'article 268 du code général des impôts, prévoient que le régime de la taxe sur la valeur ajoutée dit " sur la marge " s'applique à ces deux opérations d'achat-revente réalisées par la société E....
6. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés devant le tribunal administratif et devant la cour.
7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales, applicable au présent litige : " I. Lorsque la comptabilité est tenue au moyen de système informatisés, le contribuable satisfait à l'obligation de représentation des documents comptables mentionnés au premier alinéa de l'article 54 du code général des impôts en remettant au début des opérations de contrôle, sous forme dématérialisée répondant à des normes fixées par arrêté du ministre chargé du budget, une copie des fichiers des écritures comptables définies aux articles 420-1 et suivants du plan comptable général. / (...) L'administration peut effectuer des tris, classements ainsi que tous calculs aux fins de s'assurer de la concordance entre la copie des enregistrements comptables et les déclarations fiscales du contribuable (...) / II. En présence d'une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés et lorsqu'ils envisagent des traitements informatiques, les agents de l'administration fiscale indiquent par écrit au contribuable la nature des investigations souhaitées (...) ".
8. Il résulte de l'instruction que, pour procéder aux rectifications contestées, l'administration fiscale s'est bornée à tirer les conséquences des stipulations contenues dans les actes de vente des 11 février 2011 et 28 janvier 2014 sans procéder à un traitement informatique au sens des dispositions du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales. Par suite, le moyen selon lequel la procédure d'imposition serait entachée d'un vice en raison de l'absence d'indication de la nature des investigations souhaitées adressée par écrit au contribuable par le vérificateur doit être écarté.
9. En deuxième lieu, la circonstance que les biens revendus comme terrain à bâtir n'aient fait l'objet d'aucune transformation substantielle et qu'ils étaient déjà, à la date de l'achat initial, constructibles au regard des règles d'urbanisme applicables n'est pas de nature, pour les motifs indiqués aux points 4 et 5, à permettre l'application du régime de taxe sur la valeur ajoutée dit " sur la marge ".
10. En dernier lieu, les dispositions précédemment citées du code général des impôts sont claires et il n'y a donc pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente des décisions de la Cour de justice de l'Union européenne. En tout état de cause, celle-ci, par l'ordonnance C-191/21 du 10 février 2022, statuant sur la question préjudicielle posée par la cour administrative d'appel de Lyon, a dit pour droit que " l'article 392 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens qu'il exclut l'application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains acquis bâtis sont devenus, au moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, des terrains à bâtir (...) ".
11. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a prononcé la décharge demandée par la société E... et à demander à ce que les rappels d'imposition et pénalités susvisés soient remis à sa charge.
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme à verser à la société E... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 24 septembre 2019 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société E... devant le tribunal administratif de Toulouse est rejetée.
Article 3 : Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 août 2015, et les pénalités correspondantes, sont remis à la charge de la société E....
Article 4 : Les conclusions de la société E... présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société à responsabilité limitée E....
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Pyrénées.
Délibéré après l'audience du 23 juin 2022, où siégeaient :
- M. Barthez, président,
- Mme Fabien, présidente assesseure,
- Mme Restino, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juillet 2022.
Le président-rapporteur,
A. B...L'assesseure la plus ancienne,
M. A...
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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