Vu les procédures suivantes :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le centre hospitalier de Perpignan (Pyrénées-Orientales) à lui verser la somme de 35 725 euros en réparation de son préjudice, d'assortir cette somme des intérêts au taux légal et de mettre à la charge du centre hospitalier les entiers dépens ainsi que la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le centre hospitalier de Perpignan à lui verser la somme de 647 653,94 euros au titre de ses débours, avec intérêts au taux légal à compter du jour de la demande ou à compter du jour de paiement des prestations à la victime si celui-ci est postérieur, à titre subsidiaire, le prononcé d'un complément d'expertise pour déterminer la perte de chance, la mise à la charge du centre hospitalier de Perpignan de la somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et de la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1806071 du 29 mars 2021, le tribunal administratif de Montpellier a mis hors de cause l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, a condamné le centre hospitalier de Perpignan à verser à M. A... la somme de 2 400 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 août 2018 en réparation de ses préjudices, ainsi que la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, a mis les frais d'expertise à la charge du centre hospitalier et l'a condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Garonne la somme de 13 154,63 euros, celle de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ainsi que la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus de leurs demandes.
Procédures devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 29 mai 2021, sous le n° 21MA02040 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 21TL02040, M. B... A..., représenté par Me Manya, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du 29 mars 2021 en ce qu'il a limité l'indemnisation qui lui est due à la somme de 2 400 euros ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Perpignan à lui verser la somme de 35 725 euros en réparation de ses préjudices, assortie des intérêts au taux légal ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier les entiers dépens ainsi que la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la responsabilité du centre hospitalier est engagée sur le fondement de la faute commise lors de sa prise en charge et en raison d'un défaut d'information ;
- il n'entend pas mettre en cause l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ;
- compte-tenu de la perte de chance définie par l'expert, à hauteur de 5% de l'incapacité permanente partielle dont il reste atteint, une indemnité de 8 125 euros doit lui être allouée au titre de ce chef de préjudice ;
- le taux de perte de chance doit être fixé à 100% au regard des conclusions de l'expert ; subsidiairement un complément d'expertise pourrait être ordonné ;
- le préjudice esthétique doit être indemnisé à hauteur de la somme de 4 500 euros ;
- le préjudice moral lié au défaut d'information doit être indemnisé à hauteur de la somme de 3 000 euros ; à défaut, un préjudice moral d'impréparation doit être retenu ;
- les troubles dans ses conditions d'existence doivent être indemnisés à hauteur de la somme de 10 000 euros ;
- les souffrances endurées doivent être indemnisées à hauteur de la somme de 8 000 euros ;
- une somme de 1 500 euros doit lui être allouée au titre des frais d'expertise ainsi qu'une somme de 600 euros au titre des honoraires d'avocat pour les démarches préalables.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juillet 2021, l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me de la Grange de la SELARL GF Avocats, demande à la cour de confirmer le jugement du tribunal administratif de Montpellier et de le mettre hors de cause.
Il fait valoir que le requérant n'a présenté aucune demande à son encontre et que le dommage ne résulte pas d'un accident médical non fautif indemnisable par la solidarité nationale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 novembre 2021, le centre hospitalier de Perpignan, représenté par Me Le Prado, demande à la cour, par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement attaqué et de rejeter la demande de M. A... ainsi que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne.
Il fait valoir que :
- aucune perte de chance ne pouvait être retenue, en l'absence de lien de causalité direct et certain entre la méthode thérapeutique mise en œuvre par l'établissement hospitalier et l'amputation, l'amputation n'étant que la conséquence des lésions initiales ;
- à supposer qu'une perte de chance puisse être retenue, elle ne saurait être supérieure à 5 % ;
- il n'a commis aucun manquement à son obligation d'information de nature à engager sa responsabilité ;
- les souffrances endurées par M. A... ne peuvent faire l'objet d'une indemnisation en l'absence de lien direct avec la thérapeutique mise en œuvre ;
- le requérant a déjà été indemnisé par le juge judiciaire au titre du déficit fonctionnel permanent et des troubles dans ses conditions d'existence.
Par un mémoire, enregistré le 19 novembre 2021, la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne, représentée par Me Noy de la SCP Vinsonneau Palies Noy Gauer et Associés, demande à la cour :
1°) de condamner le centre hospitalier de Perpignan à lui verser la somme de 137 458,37 euros, assortie des intérêts de droit à compter de l'enregistrement de son premier mémoire, et une somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
2°) de mettre à la charge du centre hospitalier la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a qualité et intérêt à agir pour exercer les recours subrogatoires fondés sur les articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour le compte de la caisse des Pyrénées-Orientales ;
- sa créance au titre des dépenses actuelles s'élève à la somme de 135 032,97 euros ; contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, sont imputables au choix thérapeutique fautif les dépenses liées à l'amputation ainsi que celles liées au traitement de l'infection qui y a conduit, ainsi que la rééducation subséquente et les frais de transport induits ;
- celle au titre des pertes de gains professionnels actuels ressort à la somme de 630,72 euros et celle au titre des pertes futures à la somme de 315 372,33 euros ;
- celle au titre des dépenses de santé futures ressort à la somme de 236 255,84 euros ;
- le total de ses débours imputables au choix thérapeutique fautif s'élève à 687 291,86 euros ; compte-tenu du taux de perte de chance retenu par le tribunal, une somme de 137 458,37 euros doit lui être allouée.
Par ordonnance du 9 février 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 17 mars 2023.
II. Par une requête, enregistrée le 31 mai 2021 sous le n° 21MA02061 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 21TL02061, la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne, représentée par Me Noy de la SCP Vinsonneau Palies Noy Gauer et Associés, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Montpellier en ce qu'il a limité l'indemnisation qui lui est due à la somme de 13 154,63 euros ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Perpignan à lui verser la somme de 137 458,37 euros, assortie des intérêts de droit à compter de l'enregistrement de son premier mémoire, et une somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a qualité et intérêt à agir pour exercer les recours subrogatoires fondés sur les articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour le compte de la caisse des Pyrénées-Orientales ;
- sa créance au titre des dépenses actuelles s'élève à la somme de 135 032,97 euros ; contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, sont imputables au choix thérapeutique fautif les dépenses liées à l'amputation ainsi que celles liées au traitement de l'infection qui y a conduit, ainsi que la rééducation subséquente et les frais de transport induits ;
- celle au titre des pertes de gains professionnels actuels ressort à la somme de 630,72 euros et celle au titre des pertes futures à la somme de 315 372,33 euros ;
- celle au titre des dépenses de santé futures ressort à la somme de 236 255,84 euros ;
- le total de ses débours imputables au choix thérapeutique fautif s'élève à 687 291,86 euros ; compte-tenu du taux de perte de chance retenu par le tribunal, une somme de 137 458,37 euros doit lui être allouée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juillet 2021, l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me de la Grange de la SELARL GF Avocats, demande à la cour de confirmer le jugement du tribunal administratif de Montpellier et de le mettre hors de cause.
Il reprend les mêmes observations que celles présentées dans le cadre de l'instance n° 21TL02040.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 novembre 2021, le centre hospitalier de Perpignan, représenté par Me Le Prado, demande à la cour, par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement attaqué et de rejeter la demande de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne.
Il fait valoir que :
- aucune perte de chance ne pouvait être retenue, en l'absence de lien de causalité direct et certain entre la méthode thérapeutique mise en œuvre par l'établissement hospitalier et l'amputation, l'amputation n'étant que la conséquence des lésions initiales ;
- à supposer qu'une perte de chance puisse être retenue, elle ne saurait être supérieure à 5 % ;
- la caisse primaire d'assurance maladie n'est pas fondée à solliciter la réformation du jugement sur le montant des indemnités qui lui ont été allouées : les dépenses de santé actuelles et futures dont elle sollicite le remboursement sont en lien avec l'accident du travail dont a été victime M. A..., ainsi que l'a retenu l'expert ; seuls les frais d'hospitalisation liés à l'intervention visant à pratiquer l'amputation trans-tibiale sont en lien direct avec la thérapeutique mise en œuvre par le centre hospitalier, ainsi que les frais d'appareillage ; aucune indemnité au titre des indemnités journalières ne saurait lui être versée, lesquelles sont en lien avec l'accident du travail et ont déjà été indemnisées par le juge judiciaire ; pour les mêmes motifs, les pertes de gains professionnels futurs ne peuvent être indemnisées.
Par ordonnance du 17 mars 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 19 avril 2022.
Vu :
- l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier n° 1002197 du 23 juin 2010 ;
- l'ordonnance de taxation du président du tribunal administratif de Montpellier en date du 8 avril 2011.
- les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 15 décembre 2022 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L.376-1 et L 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2021 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bardoux substituant Me Manya, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., né le 5 mai 1953, qui était alors employé de la société centre d'éducation sécurité routière 66 en qualité de moniteur d'engins de travaux publics, a été victime d'un accident du travail le 18 juin 2008, par suite de la chute d'un lourd engin de travaux publics. Il a présenté une fracture bimalléolaire de la cheville gauche associée à un écrasement du pied gauche avec fracture comminutive du tarse, des 2ème, 3ème et 4ème métatarsiens et une large plaie de la face antérieure du pied. Admis au centre hospitalier de Perpignan, il a bénéficié d'une ostéosynthèse dont les suites ont été marquées par des nécroses ischémiques. M. A... a dû subir, le 27 août 2008, une amputation trans-tibiale gauche. Estimant que la prise en charge au sein du centre hospitalier de Perpignan, laquelle s'est poursuivie jusqu'au 22 août 2008, était fautive, il a formé une demande préalable d'indemnisation par lettre de son conseil du 14 août 2018. A la suite du courrier que lui a adressé l'assureur du centre hospitalier le 19 octobre 2018 faisant état de la procédure engagée par l'intéressé auprès du tribunal des affaires de sécurité sociale afin de mettre en cause la faute inexcusable de son employeur, M. A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le centre hospitalier de Perpignan à lui verser la somme de 35 725 euros en réparation de ses préjudices. La caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne a demandé le remboursement de ses débours à hauteur de la somme de 647 653,94 euros. Par un jugement du 29 mars 2021, le tribunal administratif de Montpellier a condamné le centre hospitalier de Perpignan à verser à M. A... la somme de 2 400 euros, et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne la somme de 13 154,63 euros ainsi que celle de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Par la requête enregistrée sous le n° 21TL02040, M. A... demande de réformer ce jugement et de condamner le centre hospitalier de Perpignan à lui verser la somme de 35 725 euros en réparation de ses préjudices. Par la requête enregistrée sous le n° 21TL02061, la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne, qui a présenté les mêmes conclusions dans le cadre de l'instance n°21TL02040, demande de condamner le centre hospitalier de Perpignan à lui verser la somme de 137 458,37 euros en remboursement de ses débours. Par la voie de l'appel incident, le centre hospitalier de Perpignan demande l'annulation du jugement et le rejet des demandes de M. A... et de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne.
2. Les requêtes n° 21TL02040 et 21TL02061 de M. A... d'une part, et de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne d'autre part, sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier de Perpignan :
S'agissant du défaut d'information :
3. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel ". En application de ces dispositions, doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.
4. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, que M. A... a subi une intervention chirurgicale pratiquée en urgence au centre hospitalier de Perpignan le 18 juin 2008 à partir de 20 heures 20, à la suite de l'accident du travail dont il a été victime vers 17 heures 30. Il a bénéficié, sous anesthésie générale et avec utilisation d'un garrot pneumatique à la racine du membre non gonflé, d'une ostéosynthèse de fracture bimalléolaire complexe, à foyer ouvert, et d'une ostéosynthèse de fractures de plusieurs os de l'avant-pied, à foyer fermé. L'évolution a été marquée par une nécrose de toutes les zones contuses, avec apparition d'un écoulement purulent conduisant à des prélèvements profonds le 10 juillet 2008. Au regard des conditions d'urgence dans lesquelles l'intervention chirurgicale du 18 juin 2008 est intervenue, aucun devoir d'information n'incombait à l'établissement hospitalier. Si l'expert a précisé que " la gravité de ces lésions et leur manifestation rapide dans le post-opératoire auraient dû aussi susciter une information de cet état et des évolutions possibles, à brève ou moyenne échéance, auprès de M. A..., de sa famille, de son médecin traitant ", le défaut d'information ainsi relevé portant sur les évolutions possibles des lésions graves dont il était atteint en post-opératoire est dépourvu de lien avec les dommages subis par l'intéressé résultant du choix thérapeutique lors de l'intervention chirurgicale réalisée en urgence le 18 juin 2008. De plus, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, le défaut d'information relevé par l'expert ne portait pas sur les risques inhérents à un acte de soins ou de diagnostic. Ainsi, ce défaut d'information n'a fait perdre à la victime aucune chance d'échapper aux dommages survenus. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que le centre hospitalier de Perpignan aurait commis une faute sur le fondement du défaut d'information. Ses demandes tendant à l'indemnisation de son préjudice moral lié au manquement à l'obligation d'information ou, à défaut, à un préjudice moral d'impréparation concernant l'intervention chirurgicale initiale, doivent dès lors être rejetées.
S'agissant de la prise en charge de M. A... par le centre hospitalier de Perpignan :
5. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".
6. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert, chirurgien spécialiste en orthopédie et traumatologie, que les lésions initiales et le processus évolutif permettent d'exclure la survenue d'une infection nosocomiale, en l'absence de manquement aux règles de l'art concernant l'antibioprophylaxie et la prise en charge d'éventuels phénomènes infectieux. Aucun manquement fautif ne peut davantage être relevé concernant l'ostéosynthèse interne réalisée lors de l'intervention du 18 juin 2008. Toutefois, le choix thérapeutique initial d'un garrot pneumatique utilisé en per-opératoire lors de l'ostéosynthèse interne exposait M. A... à plus ou moins longue échéance à une évolution septique inéluctable et secondaire de la cheville du fait de la contamination obligatoire par la lésion d'ouverture cutanée initiale au niveau du pied, alors que la gravité des lésions aurait dû conduire à vérifier l'état vasculaire de la cheville, le cas échéant, par une artériographie et à utiliser un fixateur externe. Si selon l'expert, " l'ensemble des conséquences temporelles sont imputables de façon directe, certaine et exclusive au traumatisme initial quelles que soient les attitudes techniques et choix thérapeutiques effectués " au regard de la gravité de la lésion initiale qui mettait d'emblée le pronostic de la cheville et du pied gauche en jeu, le choix thérapeutique initial associant l'utilisation du garrot pneumatique et l'ostéosynthèse interne constitue une thérapeutique inadaptée mise en œuvre par l'établissement de santé, en ce qu'elle a conduit à une amputation trans-tibiale. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu que le centre hospitalier de Perpignan avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
7. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel réparé, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
8. Si l'expert n'a pas fixé le taux de perte de chance d'échapper à la réalisation des conséquences dommageables, il a néanmoins précisé qu'alors que M. A... reste atteint d'une incapacité permanente partielle qu'il a déterminée au taux de 30%, en l'absence d'utilisation du garrot pneumatique et du recours à un fixateur externe, lequel aurait pu permettre une consolidation osseuse en laissant comme séquelles une cheville et un pied sans mobilité avec des algies résiduelles, des troubles de la mobilité au niveau des tendons et des troubles sensitifs en particulier au niveau du pied, et aurait pu aboutir à un taux d'incapacité permanente partielle évalué à 25%. L'expert a ainsi estimé qu'un taux de 5% de l'incapacité permanente partielle dont reste atteint M. A... est imputable à la " perte de chance " consécutive aux choix thérapeutiques effectués par le centre hospitalier de Perpignan. Par suite, compte-tenu de la gravité des lésions initiales liées à la chute d'un lourd engin de chantier et eu égard aux éléments du dossier, il y a lieu de retenir une ampleur de perte de chance à hauteur de 20% tel que retenue par le tribunal.
9. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées par la voie de l'appel incident par le centre hospitalier tendant à l'annulation du jugement en ce qu'il a retenu une perte de chance de 20% doivent être rejetées.
En ce qui concerne les conclusions de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales tendant à sa mise hors de cause :
10. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. (...) ".
11. Ni M. A... ni le centre hospitalier de Perpignan ni encore la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne ne contestent la mise hors de cause de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales qui a été retenue par les premiers juges.
Sur l'indemnisation :
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
12. La caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne justifie avoir exposé des frais d'hospitalisation d'un montant total de 83 994,31 euros à compter du 1er juillet 2008, date à laquelle les premiers prélèvements ont permis de mettre en évidence l'évolution septique de la cheville de M. A... en lien avec la faute retenue au point 6, ayant nécessité une amputation trans-tibiale pratiquée au centre hospitalier de Montpellier le 25 août 2008, suivie de soins en centre de rééducation fonctionnelle du 6 septembre au 3 novembre 2008, et non jusqu'au 8 novembre 2020 comme mentionné par erreur dans l'attestation d'imputabilité produite. Elle justifie également avoir exposé des frais médicaux du 22 août 2008 au 18 novembre 2010 d'un montant de 1 465,17 euros, des frais pharmaceutiques du 8 août 2008 au 13 juillet 2010 d'un montant de 277,85 euros, des frais d'appareillage du 8 août 2008 au 19 octobre 2017 d'un montant de 44 989,28 euros et des frais de transport du 22 août 2008 au 10 novembre 2009 d'un montant de 3 243,09 euros, dont la nécessité et le caractère certain sont suffisamment établis par l'attestation d'imputabilité produite, établie par le médecin-conseil de la caisse le 11 mai 2021. Eu égard à l'ampleur de perte de chance retenue, le montant indemnisable s'élève à la somme de 26 793,94 euros.
13. Si la caisse primaire d'assurance de la Haute-Garonne demande le remboursement d'une somme de 236 255,84 euros au titre des dépenses de santé futures, aucun détail de cette somme n'a été apporté dans l'attestation d'imputabilité établie le 11 mai 2021. Le document établi le 21 décembre 2018 par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault sous la mention " fiche de liaison médico-administrative ", concernant un devis de " frais futurs viagers " d'un montant de 20 507,02 euros, auquel l'attestation d'imputabilité ne se réfère pas, ne permet pas de justifier du montant des dépenses de santé futures demandées à hauteur de la somme totale de 236 255,84 euros, en l'absence de tout autre document explicatif. Par suite, la demande présentée à ce titre par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne doit être rejetée.
14. Enfin, au regard de la circonstance que le centre hospitalier de Perpignan n'est pas responsable de l'accident de travail dont M. A... a été victime et du déficit fonctionnel temporaire total qu'il a induit, la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne ne saurait solliciter le remboursement des indemnités journalières, ni les arrérages échus ou le capital de la rente d'accident de travail que ce dernier perçoit. Par suite, la demande présentée au titre des pertes de gains professionnels actuels et futurs doit être rejetée.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne est seulement fondée à demander que la somme que le tribunal lui a allouée en remboursement de ses débours soit portée à 26 793,94 euros.
16. Si M. A... demande qu'une somme de 600 euros lui soit allouée au titre des honoraires d'avocat pour les démarches préalables effectuées, il ne justifie cependant de l'engagement de ces dépenses par aucune pièce.
En ce qui concerne les préjudices extra patrimoniaux :
17. M. A... sollicite l'indemnisation d'une somme de 8 000 euros au titre des souffrances physiques et morales eu égard au choix de la thérapeutique. Il résulte toutefois de l'instruction qu'une somme de 8 000 euros lui a été accordée à ce titre par la cour d'appel de Montpellier, qui, par un arrêt rendu le 2 avril 2014, a retenu la faute inexcusable de l'employeur de M. A... et l'a indemnisé au titre de " sa souffrance tant physique que morale du fait de l'amputation et des justificatifs versés aux débats ". Dans ces conditions, la demande présentée à ce titre par M. A... doit être rejetée.
18. L'expert a retenu que la perte de chance d'éviter l'amputation trans-tibiale est à l'origine d'un déficit fonctionnel permanent résiduel de 5%. Selon lui, l'utilisateur d'un fixateur externe en lieu et place d'un garrot pneumatique aurait sans doute permis une consolidation osseuse laissant toutefois M. A... avec de lourdes séquelles, un pied sans aucune mobilité et des algies et troubles sensitifs, de sorte que son déficit fonctionnel permanent aurait été de 25% et non de 30%. En outre, ainsi que l'expose le centre hospitalier, M. A... bénéficie d'une rente d'invalidité majorée en application des dispositions des articles L. 452-1 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale, en vertu de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Montpellier du 2 avril 2014. Eu égard à l'âge de la victime, 57 ans, à la date de consolidation, le 18 novembre 2010, ce poste de préjudice incluant les troubles définitifs dans les conditions d'existence peut être fixé à la somme de 10 000 euros. Compte tenu du taux de perte de chance, il y a lieu de lui accorder la somme de 2 000 euros qui lui a été allouée par les premiers juges.
19. Il résulte de l'instruction que le préjudice esthétique permanent de M. A... lié à un appareillage de la jambe gauche permettant une déambulation de qualité avec boiterie résiduelle a été évalué par l'expert à 3,5 sur une échelle de 1 à 7, " entre modéré et moyen ", alors qu'en l'absence de faute, il aurait pu espérer un préjudice esthétique permanent moindre évalué à 2,5. Compte tenu du taux de perte de chance, il y a lieu de fixer l'indemnisation de ce préjudice subi par M. A... à la somme de 1 000 euros.
20. Les troubles définitifs dans les conditions d'existence étant inclus dans le poste de préjudice lié à l'atteinte permanente, M. A... n'est pas fondé à en solliciter l'indemnisation.
21. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à demander que la somme que le tribunal lui a allouée en réparation de ses préjudices soit portée à 3 000 euros.
Sur les intérêts :
22. Lorsqu'ils sont demandés, les intérêts au taux légal sur le montant de l'indemnité allouée sont dus, quelle que soit la date de la demande préalable, à compter du jour où cette demande est parvenue à l'autorité compétente ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. Par suite, la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne a droit aux intérêts sur la somme de 26 793,94 euros, à compter du 13 février 2019, date de réception de son premier mémoire devant le tribunal. M. A... a droit aux intérêts sur la somme de 3 000 euros à compter du 21 août 2018, date de réception de sa demande préalable.
Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :
23. En application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et de l'article 1er de l'arrêté du 15 décembre 2022 susvisé, il y a lieu de porter à 1 162 euros la somme due par le centre hospitalier de Perpignan à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne, qui a obtenu en appel la majoration des indemnités qui lui sont dues au titre des prestations à servir à M. A..., au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Sur les frais liés au litige :
24. Les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, liquidés et taxés à la somme de 1 500 euros par ordonnance de la présidente du tribunal administratif de Montpellier du 8 avril 2011, doivent être laissés à la charge définitive du centre hospitalier de Perpignan.
25. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Perpignan une somme de 1 000 euros à verser à M. A..., ainsi qu'une somme de 500 euros à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : L'indemnité que le centre hospitalier de Perpignan a été condamné à verser à M. A... est portée à 3 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 21 août 2018.
Article 2 : L'indemnité que le centre hospitalier de Perpignan a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne est portée à 26 793,94 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 13 février 2019,
Article 3 : La somme que le centre hospitalier de Perpignan est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion est portée à 1 162 euros.
Article 4 : Les frais de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 500 euros, sont laissés à la charge du centre hospitalier de Perpignan.
Article 5 : Le centre hospitalier de Perpignan versera à M. A... la somme de 1 000 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le jugement n° 1806071 du tribunal administratif de Montpellier du 29 mars 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, au centre hospitalier de Perpignan et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 24 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente,
Mme Blin, présidente assesseure,
M. Teulière, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2023.
La rapporteure,
A. Blin
La présidente,
A. Geslan-Demaret La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°21TL02040, 21TL02061 2