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07/11/2024 | FRANCE | N°23TL01022

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 4ème chambre, 07 novembre 2024, 23TL01022


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... C... a demandé au tribunal administratif de Nîmes l'annulation de l'arrêté du 9 mars 2023 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, l'a interdit de retour sur ce territoire pendant une durée de deux ans et a fixé le pays de renvoi pour l'exécution de cette mesure d'éloignement.



Par un jugement n° 2300844 du 3 avril 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administr

atif de Nîmes a rejeté la demande de l'intéressé.

Procédure devant la cour :



Par une ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... C... a demandé au tribunal administratif de Nîmes l'annulation de l'arrêté du 9 mars 2023 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, l'a interdit de retour sur ce territoire pendant une durée de deux ans et a fixé le pays de renvoi pour l'exécution de cette mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 2300844 du 3 avril 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté la demande de l'intéressé.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 mai 2023, M. B... A... C..., représenté par Me Dridi, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 3 avril 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 9 mars 2023 ;

3°) de prononcer la suspension de l'exécution de la mesure d'éloignement au regard de son mariage prévu le 1er juillet 2023 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les décisions en litige sont insuffisamment motivées ; la motivation de l'arrêté est identique à celle de l'arrêté du 6 octobre 2022 annulé par le tribunal administratif de Nice par un jugement du 27 octobre 2022 et ne fait pas référence à ce jugement ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- ladite décision méconnaît l'autorité de la chose jugée par le tribunal administratif de Nice dans son jugement du 17 octobre 2022 annulant l'arrêté du 6 octobre 2022 ;

- la décision portant refus de délai de départ volontaire est entachée d'illégalité en raison de l'absence de risque de fuite avéré ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français procède d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît également l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La requête a été communiquée le 7 juillet 2023 au préfet des Alpes-Maritimes, lequel n'a pas produit de mémoire en défense.

Par une ordonnance en date du 5 janvier 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 février 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord conclu le 17 mars 1988 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Jazeron, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... C..., ressortissant tunisien né le 9 juin 1994 à Bizerte (Tunisie), est entré irrégulièrement sur le territoire français au cours de l'année 2017 selon ses déclarations. Il a fait l'objet d'un premier arrêté portant obligation de quitter le territoire français, pris par le préfet de la Seine-Maritime, le 15 juin 2020, lequel n'a pas été exécuté. Par un arrêté du 6 octobre 2022, le préfet des Alpes-Maritimes l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et l'a interdit de retour sur ce territoire pour une durée de deux ans, mais, par un jugement n° 2204838 rendu le 27 octobre suivant, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nice a prononcé l'annulation de cet arrêté. Placé en retenue en vue de la vérification de son droit de séjour et de circulation le 8 mars 2023, M. A... C... a fait l'objet le 9 mars suivant d'un nouvel arrêté du préfet des Alpes-Maritimes portant obligation de quitter le territoire français sans délai, interdiction de retour sur ce territoire pendant une durée de deux ans et fixation du pays de renvoi. Par la présente requête, l'intéressé interjette appel du jugement du 3 avril 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté pris à son encontre le 9 mars 2023.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le moyen commun à l'ensemble des décisions :

2. L'arrêté en litige mentionne les dispositions et stipulations dont il fait application et indique avec une précision suffisante les éléments de fait tenant à la situation personnelle de M. A... C... sur lesquels le préfet des Alpes-Maritimes s'est fondé pour l'obliger à quitter le territoire français sans délai et l'interdire de retour sur ce territoire pendant deux ans. Par suite, les décisions attaquées sont suffisamment motivées. La seule circonstance que l'arrêté n'évoque pas le jugement du 27 octobre 2022 annulant la précédente mesure d'éloignement édictée à l'encontre de l'intéressé ne révèle pas par elle-même le défaut de motivation allégué.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

3. En premier lieu, l'autorité absolue de la chose jugée s'attachant au dispositif d'un jugement, devenu définitif, prononçant l'annulation d'une décision administrative, ainsi qu'aux motifs qui sont le support nécessaire de ce dispositif, fait obstacle à ce que, en l'absence de modification dans les circonstances de droit ou de fait, l'autorité administrative puisse reprendre la même décision en se fondant sur un motif identique à celui qui avait été censuré.

4. En l'espèce, il ressort des termes du jugement susmentionné du 27 octobre 2022, lequel est devenu définitif, que, pour annuler la mesure d'éloignement prise le 6 octobre 2022 à l'encontre du requérant, la magistrate désignée du tribunal administratif de Nice a relevé que l'intéressé vivait avec une ressortissante française avec laquelle il avait déposé un dossier de mariage en mairie et a jugé que la mesure en cause se trouvait dès lors entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. Si l'appelant soutient que l'autorité de la chose jugée attachée à ce jugement s'opposait à ce que le préfet puisse prendre une nouvelle mesure d'éloignement en l'absence d'élément nouveau survenu dans sa situation depuis son prononcé, le seul constat de l'absence de concrétisation du mariage plus de cinq mois après l'arrêté annulé caractérise une modification de la situation de fait et permettait donc au préfet de prendre la décision en litige sans méconnaître l'autorité de chose jugée. Dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté.

5. En second lieu, selon les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

6. Il ressort des pièces du dossier que M. A... C... était présent depuis six ans au plus sur le territoire français à la date de l'arrêté en litige, qu'il y est entré irrégulièrement et qu'il s'y être maintenu malgré une mesure d'éloignement prononcée le 15 juin 2020 sans jamais solliciter un titre de séjour. L'intéressé soutient avoir initié une relation de couple avec une ressortissante française à compter du mois de mai 2021 et une vie commune avec cette dernière à partir du mois de septembre de la même année, mais les seules attestations peu circonstanciées et photographies non datées versées au dossier ne sont pas suffisantes pour établir l'antériorité et l'intensité de la relation ainsi invoquée avant le dépôt du dossier de mariage en mairie intervenu seulement au mois d'octobre 2022. Il ressort par ailleurs du procès-verbal de l'audition du requérant par les services de police le 8 mars 2023 qu'il n'est pas sans attaches familiales dans son pays d'origine où il a vécu jusqu'à l'âge de vingt-trois ans et où résident toujours sa mère et ses deux sœurs. M. A... C... ne justifie enfin d'aucune insertion sociale ou professionnelle significative en France et il ressort des pièces de la procédure qu'il a été incarcéré pendant neuf mois en 2019 et 2020 à la suite de faits de rébellion, menaces de mort et violences commis à l'encontre d'une personne dépositaire de l'autorité publique. Dans ces conditions, la décision portant obligation de quitter le territoire français ne porte pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts poursuivis. Par suite, la mesure d'éloignement ne méconnaît pas les stipulations rappelées au point précédent.

En ce qui concerne la décision portant refus de délai de départ volontaire :

7. L'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mentionne que : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / (...) / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". L'article L. 612-3 du même code dispose à cet égard que : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / (...) / 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; / (...) / 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce (...) qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale (...) ".

8. Il a été indiqué précédemment que M. A... C... était entré irrégulièrement sur le territoire français, qu'il n'avait jamais sollicité un titre de séjour et qu'il s'était soustrait à la mesure d'éloignement prise à son encontre le 15 juin 2020. Eu égard à ces seuls faits et alors même que le requérant a précisé son adresse lorsqu'il s'est présenté aux services de police, le préfet des Alpes-Maritimes n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant qu'il existait un risque de fuite et en lui refusant, par conséquent, l'octroi d'un délai de départ volontaire.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

9. L'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". L'article L. 612-10 du même code dispose que : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ".

10. Il ne ressort pas des pièces du dossier et il n'est au demeurant pas allégué que la situation de M. A... C... se caractériserait par des circonstances humanitaires de nature à justifier l'absence d'une interdiction de retour sur le territoire français. Il résulte par ailleurs de l'ensemble des éléments développés aux points précédents que le requérant ne peut se prévaloir ni d'une durée de présence importante en France, ni, malgré son récent projet de mariage, de liens particulièrement intenses et anciens sur le territoire national. Il en résulte également que l'intéressé a déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement le 15 juin 2020 et qu'il s'est manifesté par un comportement menaçant l'ordre public ayant conduit à son incarcération pendant neuf mois. Dans ces conditions alors qu'il restait possible à l'appelant de solliciter l'abrogation de l'interdiction de retour en cas de concrétisation ultérieure de son mariage, la durée de deux ans retenue par l'autorité préfectorale ne procède pas d'une appréciation erronée. Pour les mêmes motifs, l'interdiction litigieuse ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales mentionné au point 5.

11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. A... C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté en litige.

Sur les conclusions tendant à la suspension de l'exécution de l'éloignement :

12. Si le requérant demande à la cour, à titre subsidiaire, de prononcer la suspension de l'exécution de la mesure d'éloignement contenue dans l'arrêté préfectoral en litige au regard de la proximité de son mariage alors programmé pour le 1er juillet 2023, les conclusions ainsi présentées ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées à la date du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, une somme quelconque à verser à l'appelant au titre des frais non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Chabert, président,

M. Jazeron, premier conseiller,

Mme Lasserre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2024.

Le rapporteur,

F. JazeronLe président,

D. Chabert

La greffière,

N. Baali

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23TL01022


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL01022
Date de la décision : 07/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Chabert
Rapporteur ?: M. Florian Jazeron
Rapporteur public ?: M. Diard
Avocat(s) : DRIDI

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-07;23tl01022 ?
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