Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Bajonael a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge de l'obligation de payer, au titre de la période allant du 1er février 2012 au 31 décembre 2013, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, de taxe d'apprentissage, de contribution au développement de l'apprentissage et de taxe de participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue mis à la charge de la société ASFI, dont le paiement lui a été réclamé à hauteur d'un montant total de 100 373 euros en sa qualité de débitrice solidaire de cette société, en application de l'article 1724 quater du code général des impôts.
Par un jugement n° 1611605 du 15 mars 2019, le tribunal administratif de
Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 14 mai 2019 et 7 septembre 2020, la société Bajonael, représentée par la société d'avocats " Les juristes associés du Nord ", demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2)° de prononcer la décharge de l'obligation de payer les suppléments d'impôt qui lui ont été réclamés en qualité de codébiteur solidaire de la SARL ASFI, en application de l'article 1724 quater du code général des impôts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les avis de mise en recouvrement ne comportent pas toutes les indications prescrites par l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales et notamment les mentions permettant au débiteur solidaire de demander la communication des documents de nature à l'éclairer sur les modalités de calcul des droits mis à sa charge ;
- en particulier, ces avis ne font référence ni à l'avis de mise en recouvrement adressé à la société ASFI, ni au procès-verbal de constatation de travail dissimulé, ni aux modalités de calcul du montant dû ;
- l'administration a refusé de lui communiquer, malgré sa demande, les pièces de la procédure diligentée à l'encontre de la société ASFI et la communication des pièces sollicitées au cours de la procédure de première instance ne saurait régulariser le refus initial ;
- elle a obtenu l'ensemble des documents exigés par l'article D. 8222-5 du code du travail ;
- elle n'est pas tenue à une obligation de vigilance consistant à vérifier l'authenticité des documents produits par son donneur d'ordre ;
- la charge de la preuve du respect de son obligation de vigilance ne lui incombe pas ;
- elle apporte la preuve de l'authenticité des documents remis par la société ASFI le 19 novembre 2012 et le 9 avril 2013.
..........................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de M. Illouz, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction, qu'à l'issue de la vérification de comptabilité de la société ASFI, l'administration fiscale a mis à sa charge, pour un montant total de 1 217 128 euros en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des années 2012 et 2013 ainsi que, pour la même période, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, de taxe d'apprentissage, de contribution au développement de l'apprentissage et de taxe de participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue. La société ASFI a en outre fait l'objet d'un procès-verbal de travail dissimulé établi par la direction départementale des finances publiques du Val-d'Oise, le 9 octobre 2014. En application de l'article 1724 quater du code général des impôts, deux avis de mise en recouvrement ont été émis le 6 novembre 2015 à l'encontre de la société Bajonael, afin de lui réclamer, en sa qualité de débitrice solidaire, le paiement de la somme de 100 373 euros, représentant le montant des impositions supplémentaires, majorations et des intérêts de retard dus par la société ASFI, en proportion du chiffre d'affaires réalisé avec celle-ci au cours de la période allant du 1er février 2012 au 31 décembre 2013. La société Bajonael fait appel du jugement du 15 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la décharge de l'obligation de payer les impositions litigieuses.
Sur la mise en oeuvre de la solidarité de paiement :
2. Aux termes de l'article 1724 quater du code général des impôts : " Toute personne qui ne procède pas aux vérifications prévues à l'article L. 8222-1 du code du travail (...) est, conformément à l'article L. 8222-2 du même code, tenue solidairement au paiement des sommes mentionnées à ce même article dans les conditions prévues à l'article L. 8222-3 du code précité ".
3. Il résulte des dispositions de l'article L. 8222-1 du code du travail que toute personne qui conclut un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce est tenue de vérifier, lors de la conclusion de ce contrat et périodiquement jusqu'à la fin de son exécution, que son cocontractant s'acquitte de certaines obligations déclaratives et formalités exigées par la législation du travail. Aux termes de l'article L. 8222-2 du même code : " Toute personne qui méconnaît les dispositions de l'article L. 8222-1, ainsi que toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, est tenue solidairement avec celui qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé : / 1° Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale (...) ". Par sa décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 8222-2 du code du travail, citées ci-dessus, sous la réserve qu'elles n'interdisent pas au donneur d'ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires, ainsi que les pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu.
4. Aux termes de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales : " L'avis de mise en recouvrement individuel prévu à l'article L. 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l'objet de cet avis. (...) / Lorsque l'avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, il fait référence à la proposition prévue à l'article L. 57 ou à la notification prévue à l'article L. 76 et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l'informant d'une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications. / (...) ". Aux termes de l'article R. 256-2 du même livre : " Lorsque le comptable poursuit le recouvrement d'une créance à l'égard de débiteurs tenus conjointement ou solidairement au paiement de celle-ci, il notifie préalablement à chacun d'eux un avis de mise en recouvrement ".
5. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées que lorsque l'administration adresse un avis de mise en recouvrement par lequel elle met en oeuvre une solidarité de paiement, telle que celle qui est prévue par l'article 1727 quater du code général des impôts à l'encontre d'une société qui n'a pas procédé aux vérifications prévues à l'article L. 8222-1 du code du travail, elle est tenue de lui adresser un avis de mise en recouvrement individuel qui doit comporter les indications prescrites par l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales. Ces mentions permettent au débiteur solidaire d'obtenir, à sa demande, la communication des documents mentionnés dans cet avis de mise en recouvrement ainsi que de tout document utile à la contestation de la régularité de la procédure, du bien-fondé et de l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations correspondantes au paiement solidaire desquels il est tenu.
6. Il résulte de l'instruction que les deux avis de mise en recouvrement adressés à la société Bajonael le 6 novembre 2015, précisent qu'elle est tenue au paiement des dettes fiscales de la société ASFI au titre de la solidarité financière des donneurs d'ordre en matière de travail dissimulé, en application des articles L. 8222-1 et L. 8222-2 du code du travail et 1724 quater du code général des impôts, et à due proportion de la valeur des travaux réalisés ou des prestations de services fournis par la société ASFI pour son compte, au titre de la période allant du 1er février 2012 au 31 décembre 2013. Ils indiquent donc, contrairement à ce que soutient la société Bajonael, les modalités de calcul des sommes qui lui sont réclamées. Les avis de mise en recouvrement font en outre référence à la proposition de rectification et à la lettre de motivation des majorations adressées à la société ASFI le 4 décembre 2014 et détaillent, par périodes, impôts et taxes, droits et pénalités, les sommes réclamées à la société requérante. Ils comportent ainsi l'ensemble des mentions prescrites par l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales, lequel n'impose pas, contrairement à ce que soutient la société Bajonael, que ces avis de mise en recouvrement fassent référence à celui adressé à la société ASFI, ainsi qu'au procès-verbal de constatation de travail dissimulé et détaillent le calcul effectué par l'administration pour déterminer l'étendue de sa solidarité financière. Le moyen tiré de ce que les avis de mise en recouvrement ne comportent pas l'ensemble des indications prescrites par l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales doit, par suite, être écarté.
7. En deuxième lieu, l'administration ne peut pas refuser la communication des documents utiles à la défense du débiteur solidaire lorsqu'ils sont en sa possession, sauf à priver ce dernier d'une garantie au respect de laquelle le Conseil constitutionnel a subordonné la conformité à la Constitution de la disposition législative instituant la solidarité de paiement. Il en découle que le refus de communication est de nature à faire obstacle à la mise en oeuvre des dispositions de l'article 1724 quater du code général des impôts. En revanche, lorsque l'administration fiscale produit en cours d'instance, soit spontanément, soit à la suite d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge de l'impôt, saisi par le débiteur solidaire d'une demande en ce sens, y compris pour la première fois en cause d'appel, les éléments du dossier fiscal nécessaires à sa défense, la circonstance que le service ait initialement refusé de communiquer ces éléments au débiteur solidaire est sans influence sur la possibilité de mettre en oeuvre la solidarité. Dans cette hypothèse, le débiteur solidaire, une fois en possession de ces éléments, peut soulever à l'appui de sa demande en décharge de l'obligation de payer, dans la limite des conclusions de sa demande, tant devant le tribunal administratif que devant la cour administrative d'appel, jusqu'à la clôture de l'instruction, tous moyens relatifs à la régularité et au bien-fondé des impositions au paiement desquelles il est solidairement tenu.
8. Il résulte de l'instruction que, le 20 juillet 2017, au cours de la procédure de première instance, l'administration a adressé à la société requérante, via la plate-forme Escale, l'ensemble des pièces de la procédure de vérification de comptabilité de la société ASFI. La circonstance que la société n'a pas pu engager un débat contradictoire sur les éléments du dossier fiscal de la société ASFI avant cette date est sans influence, ainsi que cela été exposé au point précédent, sur la possibilité de mettre en oeuvre la solidarité.
Sur le bien-fondé de la solidarité de paiement :
9. D'une part, pour l'application des dispositions précitées de l'article 1724 quater du code général des impôts, l'obligation de vérification incombant au donneur d'ordre naît à la conclusion du contrat et dure jusqu'à la fin de l'exécution de celui-ci. Cette obligation est méconnue pour la totalité de cette période si le donneur d'ordre n'effectue pas l'une des vérifications périodiques qui lui incombe. En cas de manquement à cette obligation de vérification, la solidarité de paiement couvre toute la durée du contrat au cours de laquelle a été constatée une infraction aux dispositions relatives au travail dissimulé.
10. D'autre part, aux termes de l'article D. 8222-5 du code du travail : " La personne qui contracte, lorsqu'elle n'est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l'article D. 8222-4, est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l'article L. 8222-1 si elle se fait remettre par son cocontractant, lors de la conclusion et tous les six mois jusqu'à la fin de son exécution : / 1° Une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l'article L. 243-15 émanant de l'organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions datant de moins de six mois dont elle s'assure de l'authenticité auprès de l'organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale. / 2° Lorsque l'immatriculation du cocontractant au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est obligatoire ou lorsqu'il s'agit d'une profession réglementée, l'un des documents suivants : / a) Un extrait de l'inscription au registre du commerce et des sociétés (K ou K bis) (...) ".
11. Enfin, si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Contrairement à ce que soutient la société Bajonael, il appartient, dès lors, au donneur d'ordre, pour l'application des dispositions précitées de l'article D. 8222-5 du code du travail, de justifier de l'accomplissement de ses obligations de vigilance et de contrôle en découlant.
12. En l'espèce, la société Bajonael soutient, qu'elle s'est faire remettre par la société ASFI, les 19 novembre 2012 et 9 avril 2013, les attestations visées au 1° de l'article D. 8222-5 du code du travail et qu'elle justifie de leur authenticité au regard des informations délivrées sur le site de l'Urssaf qu'elle a consulté le 5 juin 2017. Cependant, elle n'établit pas avoir demandé, lors de la conclusion du contrat avec la société ASFI au mois de février 2012, les attestations en cause et a fortiori s'être assurée auprès de l'organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale de leur authenticité. L'administration a donc pu, à bon droit, mettre en jeu à son égard la solidarité de paiement prévue par l'article 1724 quater du code général des impôts sur la totalité de la durée du contrat conclu avec la société ASFI.
13. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevées par le ministre, que la société Bajonael n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la décharge de l'obligation de payer la somme qui lui a été réclamée en qualité de codébiteur solidaire de la société ASFI, en application de l'article 1724 quater du code général des impôts. Il y a lieu, par suite, de rejeter sa requête, y compris les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Bajonael est rejetée.
N° 19VE01756 4