Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... a demandé au demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 26 avril 2021 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine a prononcé son transfert aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile et d'enjoindre au préfet de l'admettre au séjour au titre de l'asile ou à défaut de réexaminer sa situation.
Par un jugement n° 2106248 du 1er juin 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cet arrêté et enjoint au préfet des Hauts-de-Seine d'enregistrer la demande d'asile de Mme A....
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 24 juin 2021, le préfet des Hauts-de-Seine demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
Il soutient que :
- l'arrêté attaqué n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que la demande d'asile du conjoint de Mme A... a été rejeté et qu'il n'a pas vocation à rester sur le territoire ;
- l'arrêté est suffisamment motivé ;
- Mme A... a été informée de ses droits lors de l'entretien du 19 février 2021, qui s'est déroulé en langue française à la demande de l'intéressée ;
- Mme A... a reçu les brochures A et B en français ;
- Mme A... ne produit aucun document attestant de la réalité de mauvais traitements en cas de retour en Italie.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
-la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Le Gars a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante ivoirienne, née le 10 novembre 1986, entrée irrégulièrement en France, a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté en date du 26 avril 2021 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine a prononcé son transfert aux autorités italiennes. Par jugement du 1er juin 2021 le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cet arrêté. Le préfet des Hauts-de-Seine relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :
2.. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique :
" Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée (...) par la juridiction compétente ou son président. ".
3. Dans les circonstances particulières de l'espèce, il y a lieu de prononcer l'admission de Mme A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire en application de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991, précité.
Sur le moyen retenu par le tribunal :
4. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 :
" 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / (...). / 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) / "
5. Pour annuler l'arrêté du préfet des Hauts-de-Seine, le tribunal a considéré qu'il était entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement n°604/2013 dès lors que Mme A... vit en France avec un compatriote M. B..., ainsi que l'enfant du couple né en 2012 en Côte d'Ivoire, et que son compagnon a déposé une demande d'asile qui est en cours d'examen en procédure normale devant la cour nationale du droit d'asile. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la demande d'asile de M. B... a été rejetée par l'office français de protection des réfugiés et apatrides le 8 septembre 2020, et par la cour nationale du droit d'asile le 17 février 2021. Dans ces conditions, dès lors que Mme A... ne dispose d'aucune attache sur le territoire ayant vocation à y rester, l'arrêté décidant de sa remise aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation. Le préfet des Hauts-de-Seine est par suite fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise s'est fondé sur ce motif pour annuler l'arrêté du 26 avril 2021.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
Sur les autres moyens invoqués en première instance et en appel :
7. En premier lieu, l'arrêté litigieux vise les textes dont il est fait application, en particulier le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il mentionne que Mme A... est entrée irrégulièrement sur le territoire français et s'y est maintenue sans détenir les documents et visa exigés, qu'une attestation de demande d'asile en procédure Dublin lui a été remise le 19 février 2021. L'arrêté indique également que la consultation du fichier Eurodac a fait apparaître que les empreintes digitales de l'intéressée avaient été relevées en Italie le 17 novembre 2020, que les autorités italiennes ont été saisies le 22 février 2021 d'une demande de prise en charge. L'arrêté poursuit en indiquant que ces dernières ont accepté leur responsabilité par un accord implicite du 23 avril 2021, en application de l'article 13 paragraphe 1 du règlement (UE) n° 604/2013. En outre, il précise qu'elle ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale stable en France et n'établit pas l'impossibilité de retourner en Italie. S'agissant d'une décision de transfert intervenant dans le cadre d'une prise en charge par un autre État membre, la décision fait ainsi apparaître les éléments de fait au vu desquels l'État de destination a été déterminé. Les éléments de fait relevés par l'arrêté en litige cités précédemment et les éléments de droit qu'il mentionne permettent de comprendre quel est le critère appliqué. Par ailleurs, la demande d'asile du conjoint de Mme A... ayant été rejetée avant l'arrêté attaqué, l'absence de mention de cette demande d'asile ne révèle aucun défaut d'examen sérieux de la situation de l'intéressée.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Droit à l'information / 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. (...) ".
9. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations, l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées et telle qu'elle figure à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 modifiant le règlement (CE) n° 1560/2003, constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
10. Il ressort des pièces produites au dossier que Mme A... a reçu la brochure intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " (brochure A) et la brochure intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " (brochure B), contre signature, le jour de l'entretien individuel dont elle a bénéficié le 19 février 2021, en langue française, conformément à son choix. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit par suite être écarté.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) . /
3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
12. La conduite de l'entretien par une personne qualifiée en vertu du droit national constitue, pour le demandeur d'asile, une garantie. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a bénéficié d'un tel entretien le 19 février 2021 dans les locaux de la préfecture des Hauts-de-Seine, en langue française conformément au choix de l'intéressée. Si le résumé de l'entretien ne comporte pas l'identité de l'agent y ayant procédé, il doit être regardé, en l'absence de tout élément contraire versé au dossier, comme une personne qualifiée en vertu du droit national. En outre l'absence d'indication de l'identité de la personne ayant mené l'entretien n'a pas privé l'intéressée de la garantie tenant au bénéfice de cet entretien et à la possibilité de faire valoir toutes observations utiles relatives à la détermination de l'Etat responsable. Par ailleurs, Mme A... n'a émis aucune observation relative à l'entretien et n'a fait état d'aucune violation de ses droits laissant supposer que cet entretien ne se serait pas déroulé dans les conditions prévues par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué aurait méconnu les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.
13. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne du 26 juin 2013 :
" (...) 2. (...)/ Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
14. Mme A... soutient que l'Italie connaît des défaillances systémiques dans la procédure d'examen des demandes d'asile, qu'elle a dormi dans la rue avec sa fille, qu'elle n'a pas pu demander l'asile en Italie, que le père de l'enfant est demandeur d'asile en France, et produit des extraits de rapports de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés ou d'Amnesty International sur les conditions générales d'accueil des réfugiés en Italie. Elle soutient également que la situation a empiré avec la crise sanitaire actuelle.
15. Toutefois, l'Italie est membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. De ce fait, le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet État membre est présumé conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à celles de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les pièces versées au dossier par Mme A... constituées de rapports à caractère général émanant d'organisations internationales de défense des droits de l'homme comme il a été dit, ne suffisent pas à établir qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Italie dans la procédure d'asile ou que sa demande d'asile ne serait pas traitée dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit, la demande d'asile en France de M. B..., père de l'enfant de Mme A..., a été rejetée. Ainsi, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.
16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet des Hauts-de-Seine est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé l'arrêté du 26 avril 2021 décidant la remise de Mme A... aux autorités italiennes, lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de Mme A... et de lui délivrer une attestation de demande d'asile, et a mis, en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, 1 000 euros à la charge de l'Etat. Les conclusions présentées sur ce fondement par Mme A... en appel doivent par conséquent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Mme A... est admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
Article 2 : Le jugement n°2106248 du 1er juin 2021 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.
Article 3 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise est rejetée.
Article 4 : Les conclusions présentées par Mme A... au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
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N° 21VE01823