Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... D..., agissant en son nom propre et au nom de sa fille mineure, Mme B... D..., a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat à leur verser, en réparation des préjudices qu'elles estiment avoir subis du fait de la pollution atmosphérique, une somme totale de 160 000 euros, majorée des intérêts légaux, capitalisés, courant à compter de la demande d'indemnisation formée le 30 octobre 2017, ainsi que les entiers dépens, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1802202 du 25 juin 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de Mme D....
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 23 août 2019, 31 octobre 2019, 10 décembre 2020 et 8 juillet 2021, Mme D..., agissant en son nom propre et au nom de sa fille mineure B..., représentée par Me Lafforgue, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de déclarer l'Etat responsable du préjudice subi par elle et sa fille, et de le condamner à lui verser en réparation de ses préjudices la somme totale de 100 000 euros, majorée des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation formée le 30 octobre 2017 auprès du ministre de la transition écologique et solidaire et du préfet de la zone de défense et de sécurité de Paris, préfet de police de Paris, avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette même formalité ;
3°) de condamner l'Etat au paiement de la somme de 60 000 euros en réparation des préjudices subis par sa fille mineure B..., majorée des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation, formée le 30 octobre 2017 auprès du ministre de la transition écologique et solidaire et du préfet de la zone de défense et de sécurité de Paris, préfet de police de Paris, avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette même formalité ;
4°) de condamner l'Etat aux entiers dépens en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ;
5°) et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'article 13 de la directive 2008/50 impose aux Etats membres de respecter des valeurs limites pour tous les polluants cités ;
- l'article 23 de cette même directive impose aux Etats membres de mettre en œuvre des mesures appropriées pour permettre de ramener la concentration en polluants en deçà des valeurs limites dans le délai le plus court possible ;
- les Etats membres doivent exécuter les directives conformément au résultat qu'elles visent à atteindre (CJCE, 10 avril 1984, aff. 14/83, Von Colson, Rec. CJCE 1891, spéc. pts 16 et 28) ;
- ces deux articles qui ont été transposés fondent une double obligation de résultat pesant sur les Etats membres de l'Union Européenne, consacrée par une décision de la CJUE du 5 avril 2017, Commission c/ Bulgarie, C-488/15, PG n°15 et n°16 et deux arrêts du Conseil d'Etat du 12 juillet 2017, n°394254 et PG n°17 et CE, 10 juillet 2020, n°428409 ;
- la France dépassant ces valeurs limites, notamment pour les PM10 et le NO2, fait l'objet de procédures d'infraction au niveau européen dont certaines sont encore pendantes ;
- la Cour de Justice de l'Union Européenne a par un arrêt C-636/18 du 24 octobre 2019 jugé que l'Etat français dépasse de manière systématique et persistante la valeur limite annuelle pour le NO2 depuis le 1er janvier 2010 notamment dans l'agglomération parisienne, et que la France " n'a manifestement pas adopté, en temps utile, des mesures appropriées permettant d'assurer un délai de dépassement qui soit le plus court possible " ;
- l'État n'a donc pas édicté un cadre législatif et réglementaire adapté à la prévention des risques sanitaires, en violation du droit de l'Union européenne ;
- le tribunal administratif de Montreuil a reconnu une carence fautive de l'Etat français en matière de lutte contre la pollution atmosphérique sur le terrain de l'article 23 de la directive, en estimant que " l'insuffisance des mesures prises pour y remédier est en revanche constitutive d'une telle carence " ;
- mais en affirmant que " le dépassement des valeurs limites ne peut constituer, à lui seul, une carence fautive de l'Etat en matière de lutte contre la pollution atmosphérique ", alors que la CJUE interprète l'article 13 de sorte que la simple constatation d'un dépassement des seuils vaut violation de cette disposition, le tribunal administratif de Montreuil a limité la violation des obligations de l'Etat aux seules dispositions de l'article 23 de la directive et par là même, n'a pas constaté l'étendue de sa carence fautive ;
- or il ressort clairement de la jurisprudence communautaire et notamment de la décision de la CJUE du 24 octobre 2019 que la combinaison des articles L. 221-1 et R. 221-1 du code de l'environnement doit être interprétée par le juge national à la lumière des objectifs de la directive 2008/50, et particulièrement de son article 13, c'est-à-dire comme formant le support d'une obligation de résultat, dont l'Etat est redevable vis-à-vis de ses citoyens.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 novembre 2020, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés ;
- l'État a bien élaboré et mis en œuvre un corpus législatif et réglementaire conséquent afin de parvenir à une amélioration significative de la qualité de l'air sur l'ensemble du territoire national, y compris sur le territoire de la région Ile-de-France ;
- si tous les résultats espérés ne sont pas atteints, ces efforts sont poursuivis avec détermination.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive du Parlement européen et du Conseil 2008/50/CE du 21 mai 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe ;
- le code de l'environnement ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne C-61/21 du 22 décembre 2022 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,
- et les observations de Me Guillemard, substituant Me Lafforgue, pour Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., agissant pour elle-même et pour le compte sa fille mineure B..., qui résidaient en Île-de-France de 2001 à 2018, affirment avoir souffert durant cette période de pathologies respiratoires qu'elles imputent à la pollution atmosphérique persistante observée en région parisienne, notamment de l'année 2012 à la fin de l'année 2016. Elles ont adressé une réclamation indemnitaire le 30 octobre 2017, à laquelle l'Etat n'a pas répondu. Elles font appel du jugement du 25 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demandant tendant à la condamnation de l'Etat à les indemniser des préjudices qu'elles estiment avoir subis en raison de la pollution de l'air en Ile-de-France.
Sur la responsabilité de l'Etat :
En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat au regard des article 2 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
2. Aux termes de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 8 de cette même convention : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Mme D... soutient que l'État n'a pas édicté un cadre législatif et réglementaire adapté à la prévention des risques sanitaires en violation des articles 2 portant sur le droit à la vie et 8 sur le droit au respect de la vie privée et familiale de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. L'obligation positive de prendre toutes les mesures nécessaires à la protection de la vie au sens de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales implique avant tout pour les Etats le devoir primordial de mettre en place un cadre législatif et administratif visant une prévention efficace de nature à ne pas porter atteinte au droit à la vie. Les Etats doivent également s'acquitter d'une obligation positive de garantir le respect du domicile et de la vie privée et familiale en prenant, avec la diligence requise, les mesures appropriées adaptées à la nature des affaires posant des questions environnementales, en présence d'un risque grave, réel et immédiat pour la vie, la santé ou l'intégrité physique ou encore de nuisances de nature à empêcher de jouir de son domicile.
5. Il résulte de l'instruction que, depuis plusieurs années, un ensemble de politiques publiques, regroupant une multiplicité d'acteurs et comportant des sanctions, a été développé dans de nombreux secteurs, tant à l'échelon national que localement, pour lutter contre la pollution atmosphérique. Si les mesures adoptées et appliquées n'ont pas encore permis d'empêcher tout dépassement des seuils précités, il résulte des relevés de l'association AIRPARIF, que les efforts fournis ont toutefois permis de diminuer la concentration de polluants dans l'air dans la région Île-de-France, entre 2007 et 2017. Dans ce contexte et compte tenu, spécialement, des risques écologiques inhérents à la vie en ville combinés, en particulier, avec la difficulté de lutter contre une pollution d'origine multifactorielle, voire diffuse, le dépassement des valeurs limites constaté entre 2011 et 2017, et l'insuffisance des plans de protection de l'atmosphère pour y mettre fin dans cette même période, ne sauraient suffire à caractériser une défaillance manifeste des pouvoirs publics dans les actions destinées à protéger ou améliorer la vie des habitants de la région parisienne, ni une atteinte suffisamment grave à leur droit de vivre dans un environnement sain. Dans ces conditions, Mme D... n'est pas fondée à invoquer une carence de l'Etat à exécuter ses obligations découlant des stipulations des articles 2 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat au regard du droit de l'Union européenne et des normes transposées en droit national :
6. Aux termes de l'article 1er de la directive du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe : " La présente directive établit des mesures visant : / 1) à définir et à fixer des objectifs concernant la qualité de l'air ambiant, afin d'éviter, de prévenir ou de réduire les effets nocifs pour la santé humaine et pour l'environnement dans son ensemble (...) ". Aux termes de son article 4 : " Les États membres établissent des zones et des agglomérations sur l'ensemble de leur territoire. L'évaluation de la qualité de l'air et la gestion de la qualité de l'air sont effectuées dans toutes les zones et agglomérations ". Aux termes du paragraphe 1 de son article 13 : " Les États membres veillent à ce que, dans l'ensemble de leurs zones et agglomérations, les niveaux d'anhydride sulfureux, de PM10, de plomb et de monoxyde de carbone dans l'air ambiant ne dépassent pas les valeurs limites fixées à l'annexe XI. / En ce qui concerne le dioxyde d'azote et le benzène, les valeurs limites indiquées à l'annexe XI ne peuvent pas être dépassées à partir des dates indiquées à ladite annexe. (...) ". Aux termes du 1 de l'article 23 de la directive du 21 mai 2008 précitée : " Lorsque, dans une zone ou agglomération donnée, les niveaux de polluants dans l'air ambiant dépassent toute valeur limite ou toute valeur cible, majorée dans chaque cas de toute marge de dépassement, les États membres veillent à ce que des plans relatifs à la qualité de l'air soient établis pour cette zone ou agglomération afin d'atteindre la valeur limite ou la valeur cible correspondante indiquée aux annexes XI et XIV. / En cas de dépassement de ces valeurs limites après le délai prévu pour leur application, les plans relatifs à la qualité de l'air prévoient des mesures appropriées pour que la période de dépassement soit la plus courte possible. Ils peuvent comporter des mesures additionnelles spécifiques pour protéger les catégories de population sensibles, notamment les enfants. / Ces plans relatifs à la qualité de l'air contiennent au moins les informations énumérées à l'annexe XV, section A, et peuvent aussi inclure les mesures visées à l'article 24. Ils sont transmis à la Commission sans délai, et au plus tard deux ans après la fin de l'année au cours de laquelle le premier dépassement a été constaté. (...) ".
7. Mme D... soutient que la combinaison des articles L. 221-1 et R. 221-1 du code de l'environnement doit être interprétée par le juge national à la lumière des objectifs de la directive 2008/50 - et particulièrement de son article 13 -, c'est-à-dire comme formant le support d'une obligation de résultat, dont l'Etat est redevable vis-à-vis de ses citoyens, et que dans la mesure où la France dépasse ces valeurs limites, notamment pour les PM10 et le NO2, l'État doit être regardé comme n'ayant pas édicté un cadre législatif et réglementaire adapté à la prévention des risques sanitaires, en violation du droit de l'Union européenne.
8. La Cour de justice de l'Union européenne a par son arrêt de la Grande chambre C-61/21du 22 décembre 2022 jugé que : " Les articles 3 et 7 de la directive 80/779/CEE du Conseil, du 15 juillet 1980, concernant des valeurs limites et des valeurs guides de qualité atmosphérique pour l'anhydride sulfureux et les particules en suspension, les articles 3 et 7 de la directive 85/203/CEE du Conseil, du 7 mars 1985, concernant les normes de qualité de l'air pour le dioxyde d'azote, les articles 7 et 8 de la directive 96/62/CE du Conseil, du 27 septembre 1996, concernant l'évaluation et la gestion de la qualité de l'air ambiant, l'article 4, paragraphe 1, et l'article 5, paragraphe 1, de la directive 1999/30/CE du Conseil, du 22 avril 1999, relative à la fixation de valeurs limites pour l'anhydride sulfureux, le dioxyde d'azote et les oxydes d'azote, les particules et le plomb dans l'air ambiant, ainsi que l'article 13, paragraphe 1, et l'article 23, paragraphe 1, de la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008, concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe, doivent être interprétés en ce sens que ils n'ont pas pour objet de conférer des droits individuels aux particuliers susceptibles de leur ouvrir un droit à réparation à l'égard d'un État membre, au titre du principe de la responsabilité de l'État pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l'Union qui lui sont imputables. ".
9. Si, eu égard à cette solution rendue par la Cour de justice de l'Union européenne, qui a ainsi fait application d'un cadre minimal de responsabilité des Etats membres à l'égard des particuliers, qu'elle a forgé en cette matière, ces derniers ne peuvent selon cette Cour utilement invoquer la méconnaissance de ces articles de la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe pour engager la responsabilité d'un Etat membre, alors qu'un défaut ou une insuffisance de transposition n'est pas allégué en l'espèce, ceci ne fait pas obstacle à la mise en jeu des règles spéciales moins restrictives de la responsabilité administrative de l'Etat en droit français. La Cour de justice de l'Union européenne a au demeurant précisé, aux points 63 et 64 de sa décision, que sa solution " n'exclut pas que la responsabilité de l'État puisse être engagée dans des conditions moins restrictives sur le fondement du droit interne " et que, le cas échéant, il puisse être, à ce titre, tenu compte de méconnaissances des obligations européennes " en tant qu'élément susceptible d'être pertinent aux fins d'établir la responsabilité des pouvoirs publics sur un autre fondement que le droit de l'Union ".
10. Aux termes de l'article 1er de la Charte de l'environnement : " Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ". Aux termes de l'article L. 220-1 du code de l'environnement : " L'Etat et ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ainsi que les personnes privées concourent, chacun dans le domaine de sa compétence et dans les limites de sa responsabilité, à une politique dont l'objectif est la mise en œuvre du droit reconnu à chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé. Cette action d'intérêt général consiste à prévenir, à surveiller, à réduire ou à supprimer les pollutions atmosphériques, à préserver la qualité de l'air et, à ces fins, à économiser et à utiliser rationnellement l'énergie. La protection de l'atmosphère intègre la prévention de la pollution de l'air et la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre ". L'article L. 221-1 du code de l'environnement prévoit que : " I. - L'Etat assure, avec le concours des collectivités territoriales dans le respect de leur libre administration et des principes de décentralisation, la surveillance de la qualité de l'air et de ses effets sur la santé et sur l'environnement. Un organisme chargé de la coordination technique de la surveillance de la qualité de l'air est désigné par arrêté du ministre chargé de l'environnement. Des normes de qualité de l'air définies par décret en Conseil d'Etat sont fixées, après avis de l'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, en conformité avec celles définies par l'Union européenne et, le cas échéant, par l'Organisation mondiale de la santé. Ces normes sont régulièrement réévaluées pour prendre en compte les résultats des études médicales et épidémiologiques. / Un objectif pluriannuel de diminution de la moyenne annuelle des concentrations journalières de particules atmosphériques est fixé par arrêté des ministres chargés de l'environnement et de la santé, pris après avis de l'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail. (...) ". L'article R. 221-1 du même code, qui reprend les valeurs prévues à l'annexe XI de la directive du 21 mai 2008 précitée, fixe les normes de qualité de l'air. Aux termes de l'article L. 222-4 du code de l'environnement : " I. - Dans toutes les agglomérations de plus de 250 000 habitants, ainsi que dans les zones où, dans des conditions précisées par décret en Conseil d'Etat, les normes de qualité de l'air mentionnées à l'article L. 221-1 ou, le cas échéant, les normes spécifiques mentionnées au 2° du I de l'article L. 222-1, applicables aux plans de protection de l'atmosphère ne sont pas respectées ou risquent de ne pas l'être, le préfet élabore un plan de protection de l'atmosphère, compatible avec les orientations du plan régional pour la qualité de l'air s'il existe et, à compter de son adoption, avec les orientations du schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie. / Pour les zones mentionnées au premier alinéa, le recours à un plan de protection de l'atmosphère n'est pas nécessaire lorsqu'il est démontré que des mesures prises dans un autre cadre seront plus efficaces pour respecter ces normes. (...) ". Aux termes de l'article L. 222-5 du même code : " Le plan de protection de l'atmosphère et les mesures mentionnées au deuxième alinéa du I de l'article L. 222-4 ont pour objet, dans un délai qu'ils fixent, de ramener à l'intérieur de la zone la concentration en polluants dans l'atmosphère à un niveau conforme aux normes de qualité de l'air mentionnées à l'article L. 221-1 ou, le cas échéant, les normes spécifiques mentionnées au 2° du I de l'article L. 222-1. (...) ".
11. Il est constant que les articles 13 et 23 de la directive ont été effectivement transposées en droit interne, respectivement, par les articles L. 221-1, L 122-4 et R. 221-1 du code de l'environnement.
12. Il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que les seuils de concentration de gaz polluants fixés par l'article R. 221-1 du code de l'environnement, en particulier pour le dioxyde d'azote et les particules fines, ont été dépassés de manière récurrente dans la région Île-de-France depuis 2011.
13. Des plans de protection de l'atmosphère ont été adoptés pour ces zones sur le fondement de l'article L. 222-4 du code de l'environnement. Le dépassement des valeurs limites de concentrations en particules fines et en dioxyde d'azote constitue, pour les zones concernées, une méconnaissance des dispositions des articles L. 221-1 et R. 221-1 du code de l'environnement, qui transposent sur ce point les exigences prévues par l'article 13 de la directive du 21 mai 2008 précitée.
14. Si le dépassement des valeurs limites ne suffit pas à caractériser une carence fautive de l'Etat, la fréquence et la persistance des dépassements observés démontrent que les instruments déployés par l'Etat, notamment le plan de protection de l'atmosphère pour l'Ile-de-France, adopté le 7 juillet 2006 et révisé pour la dernière fois en 2018, qui tient lieu de plan relatif à la qualité de l'air prévus par l'article 23 de la directive du 21 mai 2008 pour les zones en cause et leurs conditions de mise en œuvre doivent être regardés comme insuffisants dès lors qu'ils n'ont pas permis que la période de dépassement des valeurs limites soit la plus courte possible. Les exigences prévues aux articles L. 222-4 et L. 222-5 du code de l'environnement, qui transposent l'article 23 de la directive du 21 mai 2008, doivent donc être regardées comme ayant été méconnues. L'Etat a ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité en adoptant des mesures insuffisantes qui n'ont pas permis, pour la région Île-de-France, une amélioration suffisante de la qualité de l'air s'agissant de la concentration en dioxyde d'azote, en oxyde d'azote et en particules fines.
En ce qui concerne la carence fautive alléguée des services déconcentrés de l'Etat :
15. Mme D... soutient que les mesures d'urgence adoptées par le préfet de police, préfet de la zone de défense et de sécurité de Paris, pour lutter contre l'épisode de pollution de décembre 2016, révèlent une carence fautive des services déconcentrés de l'Etat.
16. En premier lieu, aux termes de l'article L. 221-6 du code de l'environnement : " (...) Lorsque les normes de qualité de l'air mentionnées à l'article L. 221-1 ne sont pas respectées ou risquent de ne pas l'être, le public en est immédiatement informé par l'autorité administrative compétente. (...) ". Aux termes de l'article L. 223-1 du même code : " En cas d'épisode de pollution, lorsque les normes de qualité de l'air mentionnées à l'article L. 221-1 ne sont pas respectées ou risquent de ne pas l'être, le préfet en informe immédiatement le public selon les modalités prévues par la section 2 du chapitre Ier du présent titre et prend des mesures propres à limiter l'ampleur et les effets de la pointe de pollution sur la population. Ces mesures, prises en application du plan de protection de l'atmosphère lorsqu'il existe et après information des maires intéressés, comportent un dispositif de restriction ou de suspension des activités concourant aux pointes de pollution, y compris, le cas échéant, de la circulation des véhicules notamment par la réduction des vitesses maximales autorisées, et de réduction des émissions des sources fixes et mobiles. (...) ". Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 26 mars 2014 relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d'épisodes de pollution de l'air ambiant : " Les modalités de déclenchement des procédures préfectorales d'information et de recommandation et d'alerte en cas d'épisode de pollution, relatives au polluant dioxyde de soufre, sont définies par arrêté préfectoral ou inter-préfectoral. " Aux termes de l'article 6 de cet arrêté : " Lorsqu'il est informé d'un épisode de pollution par l'organisme agréé de surveillance de la qualité de l'air, conformément à l'arrêté préfectoral ou inter-préfectoral (...) le préfet ou, à Paris, le préfet de police déclenche, pour le département concerné par la nécessité de mettre en œuvre des actions d'information, de communication et de recommandation et/ou de mesures réglementaires de réduction des émissions, une procédure adaptée au(x) polluant(s) et au(x) seuil(s) réglementaire(s) concerné(s) (...) / Dans la procédure d'information et de recommandation, le préfet déclenche des actions d'information du public, des maires, des établissements de santé et établissements médico-sociaux, des professionnels concernés et des relais adaptés à la diffusion de cette information ainsi que des diffusions de recommandations sanitaires et de recommandations visant à limiter les émissions des sources fixes ou mobiles de pollution atmosphérique concourant à l'élévation de la concentration du polluant considéré. / Dans la procédure d'alerte, le préfet déclenche, d'une part, des actions d'information du public, des maires, des établissements de santé et établissements médico-sociaux, des professionnels concernés et des relais adaptés à la diffusion de cette information, ainsi que des diffusions de recommandations sanitaires et de recommandations visant à limiter les émissions des sources fixes ou mobiles de pollution atmosphérique concourant à l'élévation de la concentration du polluant considéré et, d'autre part, des mesures réglementaires de restriction ou de suspension de certaines activités concourant à l'élévation de la concentration du polluant considéré, y compris, le cas échéant, de la circulation des véhicules, en application du chapitre III du titre II du livre II du code de l'environnement. / Pour les épisodes de pollution aux particules PM10, la procédure d'information et de recommandation évolue en procédure d'alerte en cas de persistance de l'épisode. ". Enfin, l'article 17 de l'arrêté du 7 avril 2016 relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d'épisodes de pollution de l'air ambiant dispose que : " L'arrêté du 26 mars 2014 relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d'épisodes de pollution de l'air ambiant est abrogé. / Les documents-cadres et arrêtés préfectoraux pris en application de l'article 5 de l'arrêté du 26 mars 2014 mentionné au précédent alinéa continuent de produire leurs effets pendant un délai d'un an à compter de la publication du présent arrêté. ".
17. Si, en ce qui concerne les recommandations sanitaires, les communiqués de presse diffusés par le préfet se sont contentés de renvoyer aux pages internet de l'agence régionale de santé, de l'association AIRPARIF et de la préfecture de police, il ressort de l'instruction que quatorze communiqués de presse ont été publiés entre le 30 novembre 2016 et le 17 décembre 2016, qui indiquent chacun l'ampleur de l'épisode de pollution pour la journée à suivre, l'origine probable du dépassement du seuil d'information ou d'alerte, les mesures réglementaires d'urgence prises et les recommandations ainsi que les mesures mises en place par les collectivités, comme la gratuité du stationnement résidentiel et des transports en commun. Dans ces conditions, la communication du préfet pendant l'épisode de pollution fin 2016 ne peut être regardée comme insuffisante.
18. En deuxième lieu, Mme D... soutient, d'une part, que le préfet n'a pas instauré l'ensemble des mesures d'urgence qui étaient à sa disposition, et, d'autre part, que la mise en œuvre de la circulation alternée, qui a été tardive, aurait dû avoir lieu en fonction du caractère polluant du véhicule et non du numéro figurant sur la plaque d'immatriculation.
19. D'une part, en se bornant à faire valoir que d'autres mesures auraient pu être prises, notamment l'application de mesures d'urgence en matière d'installations classées, l'interdiction d'utiliser du bois de chauffage ou la restriction de l'utilisation des groupes électrogènes, Mme D... ne démontre pas l'existence d'une carence fautive, alors que l'autorité préfectorale n'avait pas l'obligation de mettre en œuvre les mesures non-automatiques, et qu'il résulte de l'instruction que le préfet a mis en œuvre de nombreuses mesures en matière industrielle, agricole, de transports, d'espaces verts et d'habitat individuel pour lutter contre l'épisode de pollution. Par ailleurs, les prescriptions particulières prévues dans les autorisations d'exploitation des installations classées pour la protection de l'environnement et l'interdiction de l'utilisation du bois de chauffage individuel d'appoint ou d'agrément ont été mises en œuvre par arrêtés préfectoraux entre le 1er et le 11 décembre 2016 et du 16 au 17 décembre 2016.
20. D'autre part, si Mme D... soutient que le dispositif de circulation alternée selon les numéros d'ordre pairs ou impairs de la plaque d'immatriculation des véhicules aurait dû être mis en œuvre sur le fondement d'un autre critère, elle ne démontre pas que le préfet aurait commis une faute en instaurant une telle mesure, dès lors notamment qu'elle a pour effet de réduire les sources d'émission d'ozone et de dioxyde d'azote et permet de réagir dans les meilleurs délais aux pointes de pollution selon un critère objectif, aisément applicable par les usagers et contrôlable par les agents chargés du contrôle. En outre, il résulte de l'instruction que la circulation alternée a été mise en place pour quatre jours, par une série d'arrêtés préfectoraux, à compter du cinquième jour de l'épisode de pollution, dès qu'une nouvelle dégradation de la qualité de l'air a été indiquée malgré les précédentes mesures prises et tant que cet indice annonçait une pollution élevée, puis au seizième jour après une nouvelle hausse de la pollution aux particules PM10. La circulation alternée a ainsi été mise en place à deux reprises, dès que le caractère prolongé de l'épisode de pollution a été constaté. Par suite, Mme D... n'est pas fondée à soutenir que cette mesure aurait été mise en place tardivement.
21. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 221-3 du code de l'environnement : " Dans chaque région, et dans la collectivité territoriale de Corse, l'Etat confie la mise en œuvre de la surveillance prévue à l'article L. 221-2 à un organisme agréé pour un ou des paramètres donnés de la qualité de l'air. Celui-ci associe, de façon équilibrée, des représentants de l'Etat et de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, des collectivités territoriales et leurs groupements, des représentants des diverses activités contribuant à l'émission des substances surveillées, des associations de protection de l'environnement agréées au titre de l'article L. 141-1, des associations agréées de consommateurs et, le cas échéant, faisant partie du même collège que les associations, des personnalités qualifiées. Les modalités d'application du présent article sont définies par un décret en Conseil d'Etat. ". Aux termes de l'article R. 221-3 de ce code : " Un arrêté du ministre chargé de l'environnement fixe les modalités et les techniques de surveillance de la qualité de l'air. " Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 23 octobre 2016 portant renouvellement de l'agrément de l'association de surveillance de la qualité de l'air de la région Ile-de-France : " L'agrément de l'association de surveillance de la qualité de l'air " AIRPARIF ", au titre de l'article L. 221-3 du code de l'environnement, est renouvelé jusqu'au 23 octobre 2019. Cet agrément est valable sur la région Ile-de-France. ".
22. Il résulte de l'instruction, et notamment des relevés fournis par l'association AIRPARIF, seule agréée pour la surveillance de la qualité de l'air en Ile-de-France en application des dispositions précitées, que l'indice européen de pollution Citeair était qualifié de " faible " pour les journées des 28 et 29 novembre 2016, soit inférieur à 50 sur une échelle de 0 à 100, et " élevé " pour la journée du 30 novembre, soit situé entre 75 et 100. Le premier arrêté préfectoral portant application des mesures d'urgence en cas de pointe de pollution atmosphérique, daté du 30 novembre 2016 et applicable à compter du 1er décembre, n'est par conséquent pas intervenu tardivement, alors même que d'autres organismes auraient annoncé un risque de pollution élevé avant cette date.
23. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction, en particulier des bulletins d'information de l'association AIRPARIF, que si la baisse passagère de la concentration dans l'air des polluants est attribuée en partie aux conditions météorologiques et à la baisse de la circulation automobile le week-end, l'association souligne également l'importance de mesures telles que la circulation alternée pour diminuer l'importance d'un tel épisode de pollution. D'ailleurs, une baisse du trafic routier a été observée pendant cette mesure. Dès lors, en l'absence d'autres éléments produits par la requérante, celle-ci n'est pas fondée à soutenir que les mesures d'urgence prises par le préfet auraient été inefficaces, ni que les moyens consacrés aux contrôles auraient été insuffisants, alors qu'il résulte de l'instruction que le nombre d'agents affectés au contrôle des véhicules par la préfecture de police a doublé lors des six journées de mise en place de la circulation alternée et que plus de 100 000 véhicules ont été contrôlés.
24. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... est seulement fondée à soutenir que l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ce que les mesures adoptées n'ont pas permis, pour la région Ile-de-France, une amélioration suffisante de la qualité de l'air.
Sur les préjudices allégués et l'exigence du lien de causalité :
25. Aux termes de l'article L. 220-2 du code de l'environnement : " Constitue une pollution atmosphérique au sens du présent titre l'introduction par l'homme, directement ou indirectement ou la présence, dans l'atmosphère et les espaces clos, d'agents chimiques, biologiques ou physiques ayant des conséquences préjudiciables de nature à mettre en danger la santé humaine, à nuire aux ressources biologiques et aux écosystèmes, à influer sur les changements climatiques, à détériorer les biens matériels, à provoquer des nuisances olfactives excessives. "
26. Il ressort des études médicales très générales, versées au dossier par les requérantes, que l'exposition à la pollution atmosphérique est susceptible d'avoir des conséquences négatives en termes d'aggravation sur les maladies respiratoires dont sont atteintes les victimes, et en particulier l'asthme, la bronchite, la laryngite, la trachéite et la sinusite, ainsi que sur les affections cardio-vasculaires. Cependant, il résulte de l'instruction que l'origine probablement multifactorielle de leurs pathologies respiratoires, qui ont une composante allergique, n'est pas clairement établie par les pièces du dossier. En outre, l'existence d'un lien entre les épisodes de dégradation de la qualité de l'air en région parisienne et la nature ou l'ampleur de l'aggravation de leurs symptômes respiratoires au cours de ces périodes ne ressort pas des pièces du dossier, certaines consultations médicales étant antérieures à ces pics de pollution, alors que les intéressées ont été par ailleurs exposées à une pollution non exclusivement atmosphérique dans des milieux intérieurs. Enfin, le lien entre la réduction de ces symptômes et le déménagement des requérantes en dehors de la région parisienne n'est pas démontré. Par suite, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise sur ce point, ni de statuer sur les circonstances exonératoires de responsabilité, l'existence d'un lien de causalité suffisamment direct et certain entre la carence fautive de l'Etat à éviter un dépassement des valeurs limites de concentration en particules fines, en dioxyde d'azote et en oxyde d'azote et les préjudices allégués, n'est pas établie.
27. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande indemnitaire. Ses conclusions à fin de condamnation de l'Etat ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
28. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par Mme D..., à ce titre, soit mise à la charge de l'Etat, lequel n'est pas la partie perdante à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré après l'audience du 6 avril 2023, à laquelle siégeaient :
M. Even, président de chambre,
Mme Dorion, présidente assesseure,
Mme Houllier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mai 2023.
Le président-rapporteur,
B. A...
L'assesseure la plus ancienne,
O. DORION
La greffière,
C. RICHARD
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 19VE03054