Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société coopérative participative Union Technique du Bâtiment (société UTB) a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise la condamnation de la région Ile-de-France à lui verser la somme de 2 125 864,81 euros hors taxes, assortie des intérêts moratoires et de leur capitalisation, en indemnisation des préjudices nés des retards dans l'exécution du macro-lot n° 3 " plomberie sanitaire, chauffage-ventilation, aspiration des copeaux et poussière de bois " dont elle était titulaire dans le cadre de l'opération de restructuration du lycée Prony à Asnières-sur-Seine.
Par un jugement n° 1810905 du 3 novembre 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 décembre 2020 et 11 janvier 2022, la société UTB, représentée par Me Poux-Jalaguier, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la région Ile-de-France à lui verser la somme de 2 125 864,81 euros hors taxes ;
3°) de mettre à la charge de la région Ile-de-France la somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a dénaturé la nature et la portée des engagements auxquels la région Ile-de-France était tenue ;
- en rejetant en bloc, après un silence de plus de cinq ans, sa réclamation, la région Ile-de-France n'a pas respecté son engagement, prévu par l'ordre de service (OS) n° 15 du 6 mars 2013 et constamment réitéré, d'analyser la question de l'indemnisation des entreprises pour l'allongement de la durée d'exécution du marché, de même que les engagements dont cet OS était nécessairement assorti de vérifier ou analyser le devis de l'entreprise, d'envoyer, en fonction de cette vérification, un OS valorisé ou non, de ne pas pénaliser les entreprises non fautives et de prendre des décisions à bref délai ; le non-respect injustifié des engagements pris ouvrait droit à des dommages et intérêts compensatoires à compter de la date à laquelle ils auraient dû être valorisés ; la jurisprudence Région Haute-Normandie ne lui est pas opposable dans ces circonstances ;
- à titre subsidiaire, à supposer que la région Ile-de-France soit fondée à se prévaloir de la jurisprudence Région Haute-Normandie, les circonstances de l'espèce justifieraient en toute hypothèse qu'elle réponde de la totalité du préjudice de la société UTB ; d'une part, dès lors qu'il n'a jamais été contesté qu'UTB était étrangère à tout retard, et qu'au surplus le maître d'ouvrage s'était engagé à l'indemniser personnellement, la société n'avait évidemment pas à constituer le dossier dont se dotent en principe les entreprises dans la nécessité d'établir les causes d'un retard quand les perspectives d'un contentieux éventuel sur ce point apparaissent en cours de chantier, d'autant qu'UTB n'était par ailleurs pas directement associée aux décisions concernant la conduite du chantier ; c'est donc essentiellement sur les éléments partiels et confus tardivement fournis par la région Ile-de-France que cette preuve pourrait être recherchée ; d'autre part, le maître d'ouvrage a commis des fautes dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché ; en effet, un tel retard exceptionnel, alors que nombre d'entreprises avaient rempli correctement leurs obligations, ne pouvait provenir que d'une absence de maîtrise et de prise de responsabilité du maître d'ouvrage ; les seules mises en demeure adressées à la société Fayolle, qui remontent pour la plupart à 2010 et 2011, ne suffisent pas si les mesures coercitives nécessaires n'appuyaient pas les mises en demeure non suivies d'effet et les pénalités appliquées à la société n'ont pu qu'ajouter aux difficultés manifestes que connaissait l'entreprise ; en l'espèce, la résiliation du marché de la société Fayolle s'imposait ; contrairement par ailleurs à ce qu'allègue le maître d'ouvrage, le remplacement de l'entreprise aurait pu s'opérer en moins de six mois ; il est patent que le maître d'ouvrage a à la fois mal anticipé les problèmes posés par le remplacement de la société Fayolle et mal géré son maintien ;
- elle est fondée à solliciter une indemnisation de 1 699 477,34 euros hors taxes (2 039 372,80 euros toutes taxes comprises) soit la somme en principal retenue par l'expert de 1 526 061 60 euros hors taxes déduction faite d'un devis de 27 702,59 euros hors taxes intégré dans les travaux supplémentaires, soit 1 498 359,01 euros hors taxes, à laquelle il convient d'ajouter le devis n° 1701189047 de 145 962,05 euros hors taxes et le devis n° DV1709189048 du 30 septembre 2017 de 55 156,28 euros hors taxes ; la société est en droit d'obtenir également les intérêts moratoires au taux de la BCE majoré de 7 points à compter du 5 décembre 2017 et les intérêts capitalisés par application des dispositions prévues à l'article 1343-2 nouveau du code civil.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 octobre 2021 et 3 novembre 2022, la région Ile-de-France, représentée par Me Mokhtar, avocat, conclut au rejet de la requête et demande à la cour que soit mise à la charge de la société requérante la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le tribunal administratif de Cergy-Pontoise n'a pas dénaturé les écritures de la société UTB ; la région ne s'est pas engagée contractuellement à indemniser la société UTB des retards et n'a pas commis de faute dans l'examen des réclamations de la société UTB et, en tout état de cause, aucun lien de causalité entre les préjudices invoqués par la société UTB et la prétendue faute de la région dans l'examen des réclamations n'est caractérisé ;
- par ailleurs, la région n'a commis aucune faute dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction ; l'affirmation selon laquelle l'allongement de la durée du chantier ne pouvait provenir que d'une absence de maîtrise et de prise de responsabilité du maître d'ouvrage dont l'ampleur du retard constituerait à elle seule le témoignage n'est aucunement démontrée ; la région Ile-de-France a adressé pas moins de vingt-neuf mises en demeure à la société, l'a convoquée à des réunions spécifiques pour traiter les difficultés d'exécution rencontrées, a appliqué les pénalités de retard à un niveau important (2 620 426,89 euros) ; il ne saurait être reproché à la région de ne pas avoir résilié le marché de l'entreprise Fayolle, qui aurait nécessairement conduit à une interruption de chantier pour une durée minimum d'un an, n'aurait fait qu'aggraver la situation, sans compter la difficulté de trouver une entreprise de substitution qui aurait accepté de poursuivre l'exécution de travaux déjà commencés, quitte à voir sa responsabilité engagée pour les travaux effectués par une autre entreprise, et qui aurait pu obtenir une assurance décennale pour ces travaux déjà entamés ; en outre, la région n'était pas responsable du suivi de l'exécution des travaux confié au groupement de maitrise d'œuvre et de l'organisation du chantier confiée à l'OPC ;
- la société UTB ne démontre ni la réalité, ni le quantum de ses préjudices en se bornant à renvoyer aux conclusions de l'expert judiciaire ou aux analyses du bureau d'étude Beterem ; le rapport d'expertise remis ne procède en effet à aucune analyse sérieuse ni des retards ni de leurs conséquences ; les devis produits sont par ailleurs insuffisants ; s'agissant des personnels et moyens mobilisés, la société ne démontre ni la réalité des mobilisations, ni leur durée, ni les prix unitaires sollicités ; s'agissant des pertes d'exploitation, les explications données sont très largement insuffisantes et permettent de conclure que la société sollicite en réalité une double indemnisation de ses préjudices en demandant tout à la fois l'indemnisation des moyens complémentaires et l'indemnisation de la perte de marge ; quant à la diminution des ventes de la société, elles ne sont pas démontrées ; par ailleurs, il n'entre pas dans les prérogatives du bureau d'étude Beterem d'apprécier le bien-fondé de la réclamation ; au demeurant, les deux avis rendus par Beterem remettent en cause l'essentiel des devis présentés par la société UTB ; enfin, la société UTB n'est pas fondée à solliciter le paiement d'intérêts moratoires à compter du dernier jour du mois suivant l'envoi de ses devis ; à supposer qu'ils soient dus, les intérêts moratoires sur lesdites sommes n'ont commencé à courir qu'à compter de l'expiration d'un délai de 40 jours suivant la réception par le maître de l'ouvrage du mémoire de réclamation de la société UTB.
Par une ordonnance du 20 juillet 2023, le président de la 6ème chambre a fixé la clôture de l'instruction au 15 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le décret n° 2002-232 du 21 février 2002 ;
- le décret n° 2008-408 du 28 avril 2008 ;
- le décret n° 2008-1550 du 31 décembre 2008 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Florent,
- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,
- et les observations de Me Poux-Jalaguier, pour la société UTB et de Me Bajn, pour la région Ile-de-France.
Considérant ce qui suit :
1. La région Ile-de-France a conduit de 2009 à 2017 une opération de restructuration et d'extension du lycée de Prony, à Asnières-sur-Seine, dont la maîtrise d'ouvrage a été déléguée à la société d'aménagement et d'équipement de la région parisienne (SAERP). Le macro-lot n° 3 " plomberie sanitaire, chauffage-ventilation, aspiration des copeaux et poussière de bois " a été attribué à la société Union Technique du Bâtiment (UTB), pour un montant initial global et forfaitaire de 2 055 370,50 euros hors taxes, ultérieurement porté par deux avenants à la somme de 2 109 041,79 euros hors taxes. La fin de la phase 3 a été décalée à six reprises par des ordres de service. Ainsi, alors que le marché initial prévoyait une durée globale d'exécution de 41 mois à compter d'octobre 2009, les travaux de la phase 3 sur le site " Bretagne " du lycée n'ont été réceptionnés que le 24 septembre 2017. La société UTB a, postérieurement à la délivrance de chacun de ces six ordres de service, adressé au mandataire du maitre d'ouvrage des devis chiffrant les surcoûts résultant selon elle de ces allongements. Il n'a pas été donné suite à ces réclamations. Parallèlement, par une ordonnance du 14 janvier 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi par la région Ile-de-France, a désigné un expert afin qu'il se prononce sur les causes de ces retards et les préjudices subis par les différents intervenants. Ce rapport déposé le 12 août 2016 a, entre autres, conclu au caractère justifié des préjudices allégués par la société UTB. Sur ce fondement, cette dernière a saisi le comité consultatif interrégional de règlement amiable des litiges (CCIRA), qui a conclu, par un avis du 28 septembre 2017, au caractère légitime d'une indemnisation versée par la région à hauteur de 1 505 749,16 euros toutes taxes comprises, majorée d'intérêts moratoires. Le 27 octobre 2017, la société UTB a adressé son projet de décompte final, comprenant une réclamation à hauteur de 2 125 864,81 euros hors taxes. Le décompte général, excluant toute prise en compte de cette demande, lui a été notifié le 14 mars 2018. La société requérante a adressé, le 22 mars 2018, un mémoire en réclamation puis saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Par la présente requête, la société UTB relève appel du jugement du 3 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande de condamnation de la région Ile-de-France à lui verser la somme de 2 125 864,81 euros hors taxes, majorée des intérêts moratoires, en indemnisation des préjudices nés des retards du chantier.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. La société UTB ne peut donc utilement se prévaloir de la dénaturation des pièces du dossier qu'auraient commise les premiers juges pour demander l'annulation du jugement attaqué.
3. Par ailleurs, à supposer que la société appelante ait entendu soulever le moyen tiré de ce que le tribunal aurait omis de répondre à son argumentation selon laquelle la responsabilité de la région devait être engagée sur le fondement des promesses non tenues et non sur les principes dégagés par la décision du Conseil d'Etat du 5 juin 2013, Région Haute Normandie, n° 352917, il résulte de l'instruction que la société UTB avait formulé dans ses écritures en réplique une argumentation à titre subsidiaire sur ce dernier fondement et, après avoir écarté le moyen tenant à l'existence d'une promesse d'indemnisation par la région, le tribunal a examiné cette demande subsidiaire. Par suite, le jugement n'est entaché d'aucune omission à statuer.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. Les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.
En ce qui concerne le non-respect par la région Ile-de-France de ses engagements pris par l'ordre de service n° 15 du 6 mars 2013 :
5. La société UTB soutient que la région Ile-de-France a commis une faute en s'abstenant d'examiner ses réclamations en raison du retard de chantier en méconnaissance de l'engagement pris par l'ordre de service n° 15 du 6 mars 2013 de prolongation des délais, et réitéré par les ordres de services n° 17 et 18 des 6 août et 28 octobre 2013, aux termes desquels : " Les incidences financières et de délais feront l'objet d'une proposition de la maîtrise d'œuvre à la maitrise d'ouvrage et fera l'objet, si cela est justifié, d'un OS ultérieur. ".
6. Toutefois, ces ordres de service, de même que le courrier électronique du 21 mars 2013, qui prévoient uniquement que les demandes seront examinées et qu'un OS revalorisé interviendra si la demande est fondée, ne sauraient s'analyser comme une promesse d'indemnisation. Le préjudice subi par la société UTB du fait du retard de chantier ne présente par ailleurs pas de lien de causalité avec la faute dont elle se prévaut. Enfin, si la société UTB fait valoir pour la première fois en appel que le non-respect par la région de ses engagements lui " ouvrait droit à des dommages et intérêts compensatoires à compter de la date à laquelle ils auraient dû être valorisés ", la société ne détaille aucunement ce chef de préjudice et n'établit pas qu'il excèderait le montant des intérêts moratoires prévus au contrat auquel elle pourrait le cas échéant prétendre dans le cas où le retard de chantier serait imputable à une faute du maître d'ouvrage et qui ont vocation à réparer le retard de paiement.
En ce qui concerne la faute commise par la région Ile-de-France dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché :
7. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du 12 août 2016, que l'allongement de la durée du chantier de plus de trois ans constaté en 2016 est, pour l'essentiel, imputable à la défaillance de la société Fayolle et fils, titulaire du macro-lot 1 comprenant notamment le gros œuvre. Il résulte ainsi de l'instruction qu'entre 2010 et 2013, malgré les nombreux courriers et mises en demeure qui lui étaient adressés par le maître d'ouvrage, la société Fayolle et fils n'a jamais respecté le calendrier de remise des plans d'exécution du chantier, de même que les plannings d'exécution des travaux, pourtant sans cesse recalés. Il résulte également de l'instruction, notamment du rapport dressé en 2014 par le cabinet Corbice, que les productions adressées par la société étaient de mauvaise qualité et que les travaux exécutés ne donnaient pas davantage satisfaction. Outre le retard de chantier, l'intervention de la société Fayolle et fils a par ailleurs engendré d'importantes difficultés de direction, de pilotage et de coordination des travaux, ce que la maîtrise d'œuvre et le cabinet Klein, chargé de la mission d'ordonnancement, de pilotage et de coordination (OPC), ont dénoncé à plusieurs reprises à la maîtrise d'ouvrage déléguée, sollicitant expressément la résiliation du marché de l'entreprise de travaux notamment les 17 septembre 2011, 24 septembre 2012 et 24 janvier 2013. Il résulte enfin de l'instruction, en particulier du compte rendu de chantier du 23 avril 2013, que le cabinet Klein a souhaité la résiliation de son contrat OPC en raison de ces dysfonctionnements.
8. La région Ile-de-France fait valoir qu'elle a fait usage de ses pouvoirs de direction et de contrôle en adressant à la société Fayolle et fils un nombre conséquent de mises en demeure, en la convoquant à des réunions spécifiques pour traiter les difficultés d'exécution rencontrées et en appliquant des pénalités de retard qui s'élevaient au 31 janvier 2015 à 1,6 millions d'euros. Elle indique avoir également étudié l'opportunité d'une résiliation du contrat de la société Fayolle et fils, ainsi qu'en atteste le compte rendu de la réunion du 24 janvier 2013, mais a préféré faire usage de ses pouvoirs de coercition au motif " que la résiliation du marché, qui aurait nécessairement conduit à une interruption de chantier pour une durée minimum d'un an, n'aurait fait qu'aggraver la situation, sans compter la difficulté de trouver une entreprise de substitution qui aurait accepté de poursuivre l'exécution de travaux déjà commencés, quitte à voir sa responsabilité engagée pour les travaux effectués par une autre entreprise, et qui aurait pu obtenir une assurance décennale pour ces travaux déjà entamés ". Il résulte toutefois du compte rendu du 24 janvier 2013 que l'étude d'une telle résiliation a été réalisée de façon très sommaire lors de cette réunion et près d'un an et demi après les premières demandes formulées par le maître d'œuvre et de l'OPC. La région ne détaille par ailleurs aucunement pour quelle raison un délai d'un an aurait été nécessaire pour conclure un marché de substitution alors que les documents de la consultation étaient déjà pour l'essentiel rédigés et qu'il résulte de l'instruction que la région a remplacé en cours de chantier le cabinet chargé de la mission OPC en deux mois. Par ailleurs, le nouveau titulaire n'aurait aucunement eu l'obligation de souscrire une assurance décennale pour les travaux antérieurs à son intervention, qui aurait alors fait l'objet d'un état des lieux précis.
9. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu de la carence manifeste de la société Fayolle dès le début du chantier, de l'important retard et de la désorganisation du chantier qui en ont résulté ainsi que des conséquences tant financière qu'organisationnelle pour les autres entreprises intervenantes et les usagers des locaux en travaux, la société UTB est fondée à soutenir que la région Ile-de-France a commis une faute à l'origine d'une partie du retard de chantier en s'abstenant de prononcer la résiliation du marché de l'entreprise Fayolle et fils.
En ce qui concerne l'évaluation du préjudice imputable à la faute de la région :
10. D'une part, seul le retard imputable à la société Fayolle postérieurement au troisième trimestre 2011 doit être regardé comme rattachable à la faute commise par la région dès lors que ce n'est qu'à compter de cette date que la résiliation du contrat aurait dû s'imposer au vu de la défaillance quasi-totale de la société pendant plus d'un et demi. D'autre part, en l'absence de toute démonstration sur les causes du retard constaté postérieurement à 2014 et dès lors que les pièces du dossier, notamment le rapport d'expertise, ne permettent pas d'identifier ces causes, la société UTB n'est pas fondée à demander une indemnisation pour la période postérieure au terme de l'exécution de la 1ère phase du site Bretagne, soit le 7 janvier 2014. Enfin, il y a lieu de tenir compte du délai qui aurait été nécessaire à la région Ile-de-France pour passer un nouveau marché, qu'il y a lieu d'évaluer à six mois. Les retards antérieurs à février 2012 ne sauraient donc être comptabilisés.
11. Au regard par ailleurs, d'une part, du retard constaté sur chaque phase par rapport à date de réception initialement prévue (phase 1 Maine : 17,5 mois - réception le 31 août 2012 au lieu du 16 février 2011 / phase 2 Maine : 6,5 mois - réception le 31 août 2012 au lieu du 17 février 2012 / phase 3 Maine : 10 mois : réception le 28 janvier 2014 au lieu du 15 mars 2013 / phase 1 Bretagne : 34 mois - réception le 7 janvier 2014 au lieu du 15 mars 2011), d'autre part, des tableaux annexés au rapport de l'OPC Corbice et des délais et imputabilité retenus par l'expert, il sera fait une juste évaluation de l'allongement de la durée du chantier imputable à la faute de la région Ile-de-France sur les phases 1 à 3 Maine et la phase 1 Bretagne, qui se recoupent toutefois en partie, à un total de 40 mois (phase 1 Maine : 5 mois, phase 2 Maine : 4 mois, phase 3 Maine : 9 mois, phase 1 Bretagne : 22 mois).
12. Il résulte cependant des devis produits par l'appelante que les périodes pour lesquelles la société UTB sollicite une indemnisation concernent uniquement la période postérieure au 28 février 2013. Une partie des devis produits concerne par ailleurs la phase 3 du site Bretagne, pour laquelle les causes du retard n'ont pas pu être identifiées. Au regard de ce qui a été dit aux deux points précédents, l'indemnisation ne pourra donc excéder les sommes sollicitées au titre des devis n° 130336668, n° 130336669 et n° 130851549 présentés pour la période du 28 février 2013 au 1er novembre 2013 (7 mois), seule période durant laquelle la société chiffre l'immobilisation de ses moyens humains et matériels en lien avec le retard de chantier dont les causes ont pu être établies.
13. La région Ile-de-France fait valoir que la société UTB n'établit pas la réalité et le quantum de son préjudice dès lors qu'elle ne produit aucun justificatif des dépenses dont elle demande le remboursement. Les devis, communiqués à la région dès 2013, ont toutefois été analysés par la maîtrise d'œuvre ainsi que par le CCIRA, qui ont réévalué à la baisse un certain nombre de postes, en particulier la perte d'exploitation critiquée dans ses écritures par la région. Le CCIRA indiquait ainsi que la perte d'exploitation demandée était bien fondée du fait de la crise que traverse le secteur du bâtiment dans la période 2010-2015 et serait évaluée à 50 % du montant demandé, pourcentage ramené à 33 % en 2015 et 0 au-delà. Il ne résulte pas de l'instruction, par ailleurs, que l'indemnisation, telle que recalculée par le CCIRA, serait déjà couverte par une indemnisation des moyens mobilisés par l'entreprise déjà octroyée pendant la même durée. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de son préjudice lié à la faute commise par la région Ile-de-France en allouant à la société UTB une somme de 221 320,94 euros hors taxes (197 607,99 euros hors taxes + 23 712,95 euros hors taxes de frais généraux évalués à 12 %), soit 264 699,84 euros toutes taxes comprises.
En ce qui concerne les intérêts :
14. Aux termes de l'article 5 du décret du 21 février 2002 relatif à la mise en œuvre du délai maximum de paiement, dans sa version applicable aux marchés dont la procédure a été engagée entre le 30 avril 2008 et le 1er janvier 2009 : " I.-Le défaut de paiement dans les délais prévus par l'article 98 du code des marchés publics fait courir de plein droit, et sans autre formalité, des intérêts moratoires au bénéfice du titulaire ou du sous-traitant payé directement. / Les intérêts moratoires courent à partir du jour suivant l'expiration du délai global jusqu'à la date de mise en paiement du principal incluse. / Les intérêts moratoires appliqués aux acomptes ou au solde sont calculés sur le montant total de l'acompte ou du solde toutes taxes comprises, diminué de la retenue de garantie, et après application des clauses d'actualisation, de révision et de pénalisation. / Les intérêts moratoires ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée. / II.-1° Le taux des intérêts moratoires est référencé dans le marché. / 2° Pour les organismes soumis au délai de paiement mentionné au 1° de l'article 98 du code des marchés publics, qu'il soit ou non indiqué dans le marché, le taux des intérêts moratoires est égal au taux d'intérêt de la principale facilité de refinancement appliquée par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement principal la plus récente effectuée avant le premier jour de calendrier du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de sept points. / 3° Pour les organismes soumis aux délais de paiement mentionnés aux 2° et 3° de l'article 98 du code des marchés publics, qu'il soit ou non indiqué dans le marché, le taux des intérêts moratoires est celui de l'intérêt légal en vigueur à la date à laquelle les intérêts moratoires ont commencé à courir, augmenté de deux points. / Toutefois, s'agissant des marchés formalisés, si le taux des intérêts moratoires n'est pas référencé dans le marché, le taux applicable est égal au taux d'intérêt de la principale facilité de refinancement appliquée par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement principal la plus récente effectuée avant le premier jour de calendrier du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de sept points. (...) ".
15. Aux termes par ailleurs de l'article 98 du code des marchés publics, dans sa version en vigueur du 30 avril 2008 au 21 décembre 2008 : " Le délai global de paiement d'un marché public ne peut excéder : / 1° 30 jours pour l'Etat et ses établissements publics autres que ceux ayant un caractère industriel et commercial et autres que ceux mentionnés au 3° ; / 2° 45 jours pour les collectivités territoriales et les établissements publics locaux autres que ceux mentionnés au 3° ; (...) ".
16. Il résulte de ces dispositions que pour les marchés publics des collectivités territoriales passés selon une procédure formalisée dont la procédure de consultation est engagée ou l'avis d'appel public à la concurrence a été envoyé à la publication entre le 30 avril 2008 et le 1er janvier 2009 et dont le taux d'intérêt a été référencé dans le marché, le taux des intérêts moratoires applicable est celui de l'intérêt légal en vigueur à la date à laquelle les intérêts moratoires ont commencé à courir, augmenté de deux points. Ce taux a par la suite été rehaussé pour l'ensemble des marchés des collectivités territoriales dont la procédure a été engagée postérieurement au 1er janvier 2009 par le décret n° 2008-1550 du 31 décembre 2008.
17. En l'espèce, il résulte de l'instruction, en particulier des documents de la consultation datée de " décembre 2008 " que le lancement de la procédure de passation du marché litigieux est nécessairement antérieur au 1er janvier 2009. Le marché prévoit par ailleurs le taux d'intérêts qui lui est applicable. Dès lors, contrairement à ce que soutient la société UTB, le taux d'intérêts tel que fixé par le décret n° 2008-1550 du 31 décembre 2008 modifiant le décret n° 2002-232 du 21 février 2002 relatif à la mise en œuvre du délai maximum de paiement dans les marchés publics n'est pas applicable au marché en cause et il y a lieu de faire application du taux légal augmenté de 2 points prévu à l'article 3.3.9 du CCAP du marché de la société UTB.
18. En application, par ailleurs, de l'article 98 du code des marchés publics, le délai global de paiement d'un marché public ne peut excéder 45 jours pour les collectivités territoriales pour les contrats dont la procédure de passation a été engagée avant le 1er janvier 2009. Aucune disposition ne fait par ailleurs obstacle à ce que ces intérêts courent avant l'établissement du solde du marché. Par suite, il y a lieu de condamner la région Ile-de-France à verser à la société UTB la somme de 264 699,84 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts moratoires prévus à l'article 3.3.9 du CCAP du marché, à compter du 5 mai 2013 pour la somme 208 239,02 euros, et à compter du 14 octobre 2013 pour la somme de 56 460,83 euros. Ces intérêts seront capitalisés à compter de la saisine du tribunal administratif le 19 octobre 2018, date à laquelle il était dû au moins une année d'intérêts.
19. Il résulte de tout ce qui précède que la société UTB est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande de condamnation de la région Ile-de-France.
Sur les frais relatifs à l'instance d'appel :
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société UTB, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la région Ile-de-France sollicite au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu en revanche de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la région Ile-de-France la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société UTB et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1810905 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 3 novembre 2020 est annulé.
Article 2 : La région Ile-de-France est condamnée à verser à la société UTB la somme de 264 699,84 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts moratoires au taux légal augmenté de deux points, à compter du 5 mai 2013 pour la somme 208 239,02 euros, et à compter du 14 octobre 2013 pour la somme de 56 460,83 euros. Les intérêts échus à la date du 19 octobre 2018 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : La région Ile-de-France versera à la société UTB la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la région Ile-de-France présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Union technique du bâtiment et à la région Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 19 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Albertini, président de chambre,
M. Pilven, président assesseur,
Mme Florent, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2023.
La rapporteure,
J. FLORENTLe président,
P-L. ALBERTINILa greffière,
S. DIABOUGA
La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 20VE03370