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17/09/2024 | FRANCE | N°21VE02309

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 1ère chambre, 17 septembre 2024, 21VE02309


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 29 août 2018 par laquelle la ministre du travail a retiré la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique, annulé la décision de l'inspectrice du travail du 8 décembre 2017 et autorisé son licenciement.



Par un jugement n° 1810883 du 10 juin 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.



Procédure devant l

a cour :



Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 août 2021 et 4 août 2023, M....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 29 août 2018 par laquelle la ministre du travail a retiré la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique, annulé la décision de l'inspectrice du travail du 8 décembre 2017 et autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1810883 du 10 juin 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 août 2021 et 4 août 2023, M. B..., représenté par Me Brousse, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 10 juin 2021 ;

2°) d'annuler la décision du 29 août 2018 de la ministre du travail ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier pour défaut de motivation ;

- le grief des pressions exercées sur les salariés de l'entreprise Europe Services Voirie (ESV) était atteint par la prescription ;

- il fallait rechercher si ce comportement avait été réitéré dans les deux mois précédant la mise à pied ;

- la demande d'autorisation de licenciement est liée à l'exercice de ses mandats comme cela ressort de la demande d'autorisation de licenciement.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 septembre 2021, 21 octobre 2022 et 19 septembre 2023, l'établissement public Paris-La Défense, représenté par Me Chastagnol, avocat, venant aux droits de l'établissement public de gestion du quartier d'affaire de la Défense DEFACTO, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est dûment motivé ;

- l'établissement n'a eu connaissance exacte de la réalité et de l'ampleur des faits reprochés que le 25 août 2017 ;

- les faits permettent de caractériser un comportement fautif continu ;

- tant l'entrée dans le poste central de sécurité pour récupérer des photos et faire pression sur les salariés d'ESV que l'insubordination persistance du requérant sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement ;

- les abus commis par le requérant dans l'exercice de ses mandats représentatifs causaient des troubles au sein de l'établissement ;

- l'inspection du travail a manqué de neutralité dans l'instruction de la demande d'autorisation de licenciement ;

- l'intervention du syndicat CGT est irrecevable.

Par un mémoire enregistré le 16 septembre 2022, l'union des syndicats de La Défense CGT déclare intervenir au soutien de la requête de M. B....

Par un mémoire enregistré le 19 avril 2024, la ministre du travail, de la santé et de la solidarité conclut au rejet de la requête.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Le Gars,

- les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public,

- et les observations de Me Brousse, pour M. B... et l'union des syndicats de La Défense CGT, et les observations de Me Cailleux, pour l'établissement public Paris-La Défense.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... a été recruté par l'établissement public pour l'aménagement de la région de La Défense (Epad) le 1er septembre 2001. Le 1er janvier 2009, son contrat a été transféré à l'établissement public local à caractère industriel et commercial Defacto, établissement public de gestion du quartier d'affaires de La Défense. A la suite de la dissolution de cet établissement public, le 1er janvier 2018, son contrat de travail a été transféré à l'établissement public local Paris La Défense. M. B... occupait, en dernier lieu, les fonctions de chargé des délégations de service public. Il détenait plusieurs mandats représentatifs en qualité de délégué syndical CGT, membre de la délégation unique du personnel, représentant syndical au comité d'entreprise et conseiller du salarié. Par un courrier du 3 octobre 2017, l'établissement public Defacto a demandé à l'inspection du travail l'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire. Par une décision du 8 décembre 2017, l'inspectrice du travail de l'unité de contrôle n°4 des Hauts-de-Seine a refusé d'accorder l'autorisation sollicitée. Par un courrier reçu le 18 janvier 2018, l'établissement public Paris La Défense, venant aux droits de l'établissement public Defacto, a formé un recours hiérarchique à l'encontre de cette décision, qui a été implicitement rejeté le 18 mai 2018. Par une décision du 29 août 2018, la ministre du travail a retiré cette décision implicite, annulé la décision de l'inspectrice du travail du 8 décembre 2017 et autorisé le licenciement de M. B.... Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi par M. B..., a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 29 août 2018 de la ministre du travail. Il relève appel de ce jugement.

Sur l'intervention de l'union des syndicats de la Défense CGT :

2. L'union des syndicats de la Défense CGT justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de la décision autorisant le licenciement d'un salarié protégé. Ainsi son intervention est recevable.

Sur la régularité du jugement :

3. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administratif : " Les jugements sont motivés ".

4. M. B... soutient que le jugement n'explique pas pourquoi le courrier du 25 janvier 2017 ne constituait pas le point de départ du délai de prescription des faits fautifs pour engager des poursuites disciplinaires. Il ressort toutefois de l'examen du jugement attaqué qu'au point 14, il indique qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'établissement public Defacto aurait eu connaissance des faits reprochés à M. B... le 25 janvier 2017, date à laquelle le secrétaire général adjoint du syndicat CDFT a, par une lettre, appelé l'attention de l'entreprise ESV sur le comportement de l'intéressé à l'égard de plusieurs salariés. Le jugement est ainsi suffisamment motivé. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ".

6. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 25 janvier 2017, le secrétaire général adjoint du syndicat CDFT a appelé l'attention de la société Europe Services Voirie (ESV), prestataire de service pour l'établissement public employeur de M. B..., sur le comportement de ce dernier à l'égard de plusieurs salariés, en précisant qu'il ne respectait pas les salariés de la société, qu'il appelait le responsable du site pour informer qu'un salarié n'était pas à son poste alors qu'il n'était pourtant pas le supérieur hiérarchique des salariés de la société ESV. Si le comportement répréhensible de M. B... à l'égard des salariés de la société ESV était relevé dans ce courrier, au demeurant non adressé à l'établissement public, ce n'est toutefois que le 20 juillet 2017, à la suite de l'intrusion de M. B... dans la salle opérationnelle du poste central de sécurité pour visionner les écrans des caméras de surveillance et des propos agressifs et violents tenus à cette occasion, que la direction de l'établissement public a été alertée et qu'une enquête a alors été réalisée. Par courrier du 25 août 2017 de la société ESV, la directrice générale de l'établissement public Defacto a alors été informée précisément de la gravité du comportement de M. B..., du fait qu'il prenait des photos des écrans de contrôle des caméras de surveillance afin d'exercer des pressions sur les salariés d'ESV travaillant sur le site, que son comportement générait des perturbations sociales et s'apparentait à du harcèlement, enfin que l'inspection du travail aurait été saisie par la CFDT. Par suite, en informant l'intéressé de l'engagement de poursuites disciplinaires le 14 septembre 2017, l'employeur ne s'est pas fondé sur des faits antérieurs de plus de deux mois à compter du jour où il a eu connaissance des faits, sans qu'y fasse obstacle la circonstance alléguée que M. B... n'aurait pas réitéré ces faits jusqu'à l'engagement des poursuites disciplinaires.

7. En second lieu, en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Il doit aussi vérifier qu'il n'est pas en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec son appartenance syndicale.

8. M. B... soutient que la demande d'autorisation de licenciement est en lien avec l'exercice de ses mandats, que le conseil des prud'hommes a condamné l'établissement public pour ce motif et qu'une précédente demande d'autorisation de licenciement présentée en 2013 avait été refusée également pour ce motif. Si la demande d'autorisation de licenciement mentionne notamment l'exercice des mandats du requérant, en relevant qu'il détourne ses fonctions représentatives pour accéder par exemple à la salle opérationnelle du poste de sécurité, qu'il ne respecte pas les procédures applicables, qu'il exerce des pressions sur les autres représentants du personnels, il ressort toutefois de cette demande de licenciement qu'elle repose sur les abus commis dans le cadre de ses fonctions professionnelles, à savoir, avoir divulgué des informations confidentielles relatives à un marché public en cours de passation, être entré sans autorisation dans la salle d'enregistrement des vidéos surveillance au mépris de la réglementation sur l'accès à ces images, restreint aux seuls personnels habilités, et avoir exercé des pressions sur les salariés d'ESV afin qu'ils réduisent leurs pauses. Compte tenu des griefs reprochés et établis, de leur gravité, la ministre du travail n'a pas entaché sa décision d'erreur d'appréciation en estimant que la demande d'autorisation de licenciement n'était pas liée à l'exercice des mandats détenus par M. B....

9. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Sur les frais de l'instance :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'établissement public Paris La Défense qui n'est pas la partie perdante.

11. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... une somme de 1 500 euros à verser à l'établissement public Paris La Défense, au titre des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention de l'union des syndicats de La Défense CGT est admise.

Article 2 : La requête de M. B... est rejetée.

Article 3 : M. B... versera une somme de 1 500 euros à l'établissement public Paris La Défense au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à l'union des syndicats de la Défense CGT, au ministre du travail et à l'établissement public Paris-La-Défense.

Délibéré après l'audience du 3 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Versol, présidente,

Mme Le Gars, présidente assesseure,

Mme Troalen, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 septembre 2024.

La rapporteure,

A-C. LE GARS La présidente,

F. VERSOLLa greffière,

C. DROUOT

La République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 21VE02309 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21VE02309
Date de la décision : 17/09/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés.


Composition du Tribunal
Président : Mme VERSOL
Rapporteur ?: Mme Anne-Catherine LE GARS
Rapporteur public ?: M. LEROOY
Avocat(s) : CABINET FACTORHY AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-09-17;21ve02309 ?
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