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01/10/2024 | FRANCE | N°22VE01795

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 1ère chambre, 01 octobre 2024, 22VE01795


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société à responsabilité limitée (SARL) Eurogenet a demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge, en droits et majorations, d'une part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2014, 2015 et 2016, d'autre part, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 12 décembre 2015.



Par un jug

ement n° 2005675 du 5 juillet 2022, le tribunal administratif de Versailles a déchargé la SARL Eurogenet, e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Eurogenet a demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge, en droits et majorations, d'une part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2014, 2015 et 2016, d'autre part, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 12 décembre 2015.

Par un jugement n° 2005675 du 5 juillet 2022, le tribunal administratif de Versailles a déchargé la SARL Eurogenet, en premier lieu, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2015, à concurrence d'une somme de 1 750 euros, en deuxième lieu, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés mise à sa charge au titre de l'année 2015, à concurrence d'une réduction de son bénéfice imposable d'une somme de 12 160 euros, enfin a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 juillet 2022 et 29 mars 2023, la SARL Eurogenet, représentée par Me Dumont, avocat, demande à la cour :

1°) de rejeter les conclusions de l'appel incident du ministre ;

2°) d'annuler le jugement du 5 juillet 2022 en tant qu'il ne fait pas intégralement droit aux conclusions de sa demande au titre des année 2014 à 2016 ;

3°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés restant en litige au titre des années 2014 à 2016 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions de l'appel incident du ministre sont irrecevables car tardives ;

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé, en ce qui concerne sa réponse au moyen tiré du mandat donné au père du gérant, dès lors qu'il ne cite que les dispositions du code du commerce, sans citer les dispositions du code civil et la jurisprudence qui fondait le moyen ;

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en ce qui concerne sa réponse aux moyens tirés de l'interprétation administrative de la loi relative à la procédure d'imposition, dès lors qu'il ne cite pas les dispositions du décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 ni les dispositions des articles L. 312-2 et L. 312-3 du code des relations entre le public et l'administration ;

- le jugement est entaché d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation ;

- l'administration fiscale ne justifie pas de l'envoi de l'avis de vérification et de la charte du contribuable vérifié avant l'engagement du contrôle dès lors que l'accusé de réception n'est pas signé par son gérant mais par un tiers, qui ne saurait être regardé comme un membre de la famille du contribuable, sauf à méconnaître le principe de l'égalité des parties à l'instance ;

- l'existence d'une présomption de distribution de l'avis de vérification revient à manquer aux principes de loyauté, d'impartialité, d'égalité des parties et de respect des droits de la défense ;

- son gérant n'a pas disposé du délai minimum pour préparer sa défense et se faire assister d'un conseil, puisqu'il n'a été informé de la vérification qu'au moment où il a donné mandat à son père pour recevoir le courrier de la société, en méconnaissance de la charte du contribuable vérifié et du paragraphe 3 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la proposition de rectification ne lui a été notifiée que le 11 janvier 2018, alors qu'elle peut opposer à l'administration fiscale l'interprétation administrative de la loi fiscale référencée 13 L-1514 du 1er juillet 2002, n° 33 reprise sous la référence BOI-CF-IOR-10-50 du 4 février 2015, n° 400 sur le fondement de la charte du contribuable et des articles L. 312-2 et 312-3 du code des relations entre le public et l'administration, de telle sorte que la procédure exercée au titre de l'année 2014 doit être annulée car irrégulière ;

- l'absence de mandat régulier, au sens des dispositions de l'article R. 197-4 du livre des procédures fiscales lors des réunions de vérification postérieures à celle du 12 septembre 2017 vicie la procédure d'une irrégularité substantielle au sens des dispositions de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales ;

- les droits de la défense n'ont pas été respectés en ce que la charte du contribuable vérifié ne lui a pas été communiquée ;

- l'avis de mise en recouvrement du 16 décembre 2019 est insuffisamment motivé au regard des exigences de l'article L. 256 du livre des procédures fiscales, dès lors qu'il ne présente pas les articles de loi qui fondent les rectifications notifiées et sans préciser l'application de la majoration pour manquement délibéré et mentionner l'article 1729 du code général des impôts ;

- le rehaussement de 68 776 euros correspondant à une provision pour charge sur un exercice antérieur a été prononcé en méconnaissance des dispositions du 4 bis de l'article 38 du code général des impôts et celles de l'article 123-1 du code des relations entre le public et l'administration, dès lors que l'origine de cette provision remonte à plus de sept ans avant l'ouverture du premier exercice non-prescrit ;

- les rehaussements de 26 829 euros et 17 265 euros correspondant à des provisions pour dépréciation de compte client ont étés prononcés alors que les impayés étaient avérés, et le caractère probable de l'absence de paiement était établi dans son principe et son montant ;

- ces rehaussement ne pouvaient être prononcés sans méconnaître le devoir de loyauté de l'administration fiscale dès lors que ces provisions n'avaient pas étés remises en cause lors du contrôle précédent ;

- les pénalités doivent être déchargées par voie de conséquence de la décharge des droits ;

- eu égard à son taux, l'intérêt de retard constitue une sanction, le montant de ces intérêts peut être modulé par l'administration et par le juge ; il doit être réduit à celui de l'intérêt légal, qui correspond au préjudice effectivement subi par le Trésor ;

- la majoration de 40 % pour manquement délibéré doit être déchargée dès lors que l'intention frauduleuse n'est pas démontrée, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 57 et de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 février 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête de la SARL Eurogenet et, par la voie de l'appel incident, à la réformation de l'article 2 du jugement attaqué.

Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés et que c'est à tort que le tribunal administratif a inclus le montant de deux factures relatives à l'achat de fioul dans la réduction des bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés de l'exercice correspondant à l'année 2015.

Par une ordonnance du 26 octobre 2023, l'instruction a été close le 12 décembre 2023, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Tar,

- les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public,

- et les observations de Me Guiorguieff, substituant Me Dumont, pour la SARL Eurogenet.

Considérant ce qui suit :

1. La société à responsabilité limitée (SARL) Eurogenet, qui exerce une activité de nettoyage de locaux et d'espaces verts, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos au cours des années 2014, 2015 et 2016. A l'issue du contrôle, des rehaussements en matière d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos au cours des années 2014 et 2015 ont été mis à sa charge, ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période correspondant à l'année 2015. La SARL Eurogenet relève appel du jugement du 5 juillet 2022 du tribunal administratif de Versailles en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande de décharge des impositions mises à sa charge au titre des années 2014 et 2015. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, par la voie de l'appel incident, demande la réforme de l'article 2 de ce jugement en tant qu'il a inclus le montant de deux factures relatives à l'achat de fioul dans la réduction des bases d'imposition d'impôts sur les sociétés de l'exercice correspondant à l'année 2015.

Sur l'appel principal :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'articles L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

3. Le tribunal administratif a répondu aux moyens fondés sur l'absence de mandat régulier donné à M. B... A... aux points 2, 3 et 4, s'agissant de la régularité de la vérification de comptabilité et aux points 5 et 6, s'agissant de l'existence d'un débat oral et contradictoire. Dans les deux cas, le tribunal administratif a cité les textes dont il entendait faire application, à savoir les dispositions des articles L. 47 et L. 13 du livre des procédures fiscales, et les circonstances de fait qui lui ont permis d'écarter les moyens dont il s'agit, notamment les qualités de M. B... A... et les caractéristiques de son mandat et la circonstance que ce mandat avait été complété.

4. Le tribunal administratif a répondu à l'ensemble des moyens tirés des interprétations administratives de la loi fiscale tenant à la procédure d'imposition en précisant que celles-ci étaient exclues du champ d'application de la garantie contre les changements d'interprétation figurant à l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales. Le jugement est par suite suffisamment motivé.

5. Si la SARL Eurogenet soutient que le tribunal administratif aurait commis une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation, de telles circonstances, qui sont seulement susceptibles d'affecter le bien-fondé du jugement dont le contrôle est opéré par l'effet dévolutif de l'appel, sont sans incidence sur la régularité du jugement attaqué.

En ce qui concerne la légalité des impositions :

S'agissant de la régularité de la procédure d'imposition :

6. Aux termes de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales : " (...) une vérification de comptabilité ne peut être engagée sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi où la remise d'un avis de vérification. (...) "

7. L'expéditeur d'un pli recommandé est en droit de regarder comme régulièrement parvenu à son destinataire un tel pli, dès lors que l'accusé de réception lui a été renvoyé, et sans qu'il appartienne à cet expéditeur de rechercher si le signataire de cet accusé de réception avait qualité pour y apposer sa signature. Lorsque le contribuable soutient que l'avis d'accusé de réception d'un pli recommandé n'a pas été signé par lui, il lui appartient d'établir que le signataire de l'avis n'avait pas qualité pour recevoir le pli dont il s'agit. En l'espèce, il est constant que le pli comportant l'avis de vérification était parvenu à la bonne adresse et que le signataire de l'avis de réception était M. B... A..., père du gérant de la SARL Eurogenet et associé de cette société. Dans ces conditions, et alors que la SARL Eurogenet ne produit pas la liste des personnes qui, en l'absence de toute habilitation, auraient néanmoins eu qualité pour signer de tels avis, la SARL Eurogenet, qui se borne à affirmer que M. B... A... devrait être regardé comme un tiers à cette société, ne peut être regardée comme ayant démontré que le signataire de l'avis de réception n'était pas habilité à réceptionner ce pli. Le moyen tiré de l'absence de notification de l'avis de vérification et de la charte du contribuable vérifié doit être écarté, sans qu'il y ait lieu d'examiner les arguments complémentaires se rattachant au même moyen, à savoir les allégations de manquement aux principes de loyauté, d'égalité des parties, d'impartialité et de respect des droits de la défense.

8. Il résulte de ce qui précède que la SARL Eurogenet doit être regardée comme ayant reçu l'avis de vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet le 17 août 2017, soit plus de trois semaines avant le début des opérations de vérification le 12 septembre suivant. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la SARL Eurogenet aurait été privée du délai minimum pour préparer sa défense et se faire assister d'un conseil ne peut qu'être écarté, sans qu'il y ait lieu de faire application de la charte du contribuable vérifié ou des stipulations du paragraphe 3 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui ne définissent pas de délai minimum pour préparer la défense du contribuable.

9. La SARL Eurogenet soutient que la procédure d'imposition suivie au titre de l'année 2014 est irrégulière, dès lors que la proposition de rectification du 8 décembre 2017 ne lui serait parvenue que le 11 janvier 2018, après l'expiration du délai de reprise pour l'année 2014. Toutefois, ce moyen se rattache au bien-fondé des impositions et est sans effet sur la procédure d'imposition. Le moyen, tel qu'il est formulé par la SARL Eurogenet, ne peut qu'être écarté, sans qu'il y ait lieu d'examiner l'interprétation administrative de la loi fiscale référencée, en dernier lieu, BOI-CF-IOR-10-50 n° 400 du 4 février 2015.

10. La SARL Eurogenet soutient que la procédure de contrôle serait viciée, faute pour M. B... A... de justifier d'un mandat régulier, au sens des dispositions de l'article R. 197-4 du livre des procédures fiscales, qui lui aurait permis de représenter cette société au cours des opérations de contrôle postérieures à celle du 12 septembre 2017, à savoir les opérations des 12 octobre, 26 octobre et 7 décembre 2017. Toutefois, les dispositions de l'article R. 197-4 du livre des procédures fiscales ne régissent pas les mandats relatifs aux opérations de contrôle mais ceux relatifs à l'introduction d'une réclamation pour autrui. Le moyen, tel qu'il est formulé, doit être écarté comme inopérant.

11. La SARL Eurogenet soutient que la procédure d'imposition aurait méconnu les droits de la défense en ce que la charte du contribuable vérifié ne lui aurait pas été communiquée. Aux termes de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales, dans sa version applicable aux faits de l'espèce : " (...) L'avis [de vérification] informe le contribuable que la charte des droits et obligations du contribuable vérifié peut être consulté sur le site internet de l'administration fiscale ou lui être remise sur simple demande. ". En l'espèce, il résulte de l'instruction que l'avis de vérification du 11 août 2017 comportait toutes les mentions nécessaires et indiquait, en particulier, que la charte des droits et obligations du contribuable vérifié était consultable sur le site www.impots.gouv.fr ou pouvait être adressée au contribuable sur simple demande de celui-ci. La SARL Eurogenet n'établit, ni même n'allègue, avoir demandé à l'administration fiscale l'envoi d'une version imprimée de cette charte. Dans ces conditions, du défaut de communication d'une version imprimée de cette charte ne découle aucune méconnaissance des droits de la défense.

12. Aux termes de l'article L. 256 du livre des procédures fiscales : " Un avis de mise en recouvrement est adressé par le comptable public compétent à tout redevable de sommes, droits, taxes et redevances de toute nature dont le recouvrement lui incombe lorsque le paiement n'a pas été effectué à la date d'exigibilité. ". Aux termes de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales : " L'avis de mise en recouvrement prévu à l'article L. 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l'objet de cet avis ; (...)/ Lorsque l'avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, il fait référence à la proposition prévue à l'article L. 57 ou à la notification prévue à l'article L. 76 et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l'informant d'une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications. "

13. Il résulte de l'instruction que l'avis de mise en recouvrement adressé à la SARL Eurogenet le 16 décembre 2019 mentionne les montants des rectifications pour chaque impôt en droits, intérêts et majorations et renvoie à la proposition de rectification du 8 décembre 2017, laquelle précise les motifs de droit et de fait des rectifications. Dans ces conditions, et alors qu'aucune disposition d'aucun texte ou aucun principe de droit n'exige qu'un avis de mise en recouvrement indique le fondement légal des rectifications ou des majorations, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cet avis de mise en recouvrement doit être écarté.

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

14. La SARL Eurogenet soutient que les impositions prononcées au titre de l'année 2014 doivent être déchargées, dès lors que la proposition de rectification du 8 décembre 2017 ne lui serait parvenue que le 11 janvier 2018, après l'expiration du délai de reprise pour l'année 2014. Toutefois, le pli recommandé contenant la proposition de rectification du 8 décembre 2017 a été distribué par les services postaux le 13 décembre 2017, comme l'indique la mention portée sur l'avis de réception. La société n'ayant pas retiré le pli dans le délai imparti, celui-ci a été retourné à l'administration fiscale avec la mention " pli avisé non réclamé ". Compte tenu des mentions précises, claires et concordantes figurant sur le pli retourné à l'administration fiscale, la proposition de rectification doit être regardée comme ayant été régulièrement notifiée à la SARL Eurogenet avant le 31 décembre 2017. Le moyen doit être écarté.

15. L'administration fiscale a remis en cause la déduction du bénéfice imposable d'une somme de 68 776 euros comptabilisée comme charge sur exercice antérieur au motif que cette charge n'était pas justifiée et n'avait pas été engagée au cours de l'exercice clos en 2014.

16. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts : " (...) 4 bis. Pour l'application des dispositions du 2, pour le calcul de la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de l'exercice, l'actif net d'ouverture du premier exercice non prescrit déterminé sauf dispositions particulières, conformément au premier, deuxième et troisième alinéas de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales ne peut être corrigé des omissions ou erreurs entraînant une sous-estimation ou surestimation de celui-ci. / Les dispositions du premier alinéa ne s'appliquent pas lorsque l'entreprise apporte la preuve que ces omissions ou erreurs sont intervenues plus de sept ans avant l'ouverture du premier exercice non prescrit. (...) "

17. En vertu de ces dispositions, une erreur ou omission affectant l'évaluation d'un élément quelconque du bilan d'un des exercices non prescrits peut, si elle a été commise au cours d'un exercice clos plus de sept ans avant l'ouverture du premier des exercices non prescrits, être corrigée de manière symétrique dans les bilans de clôture et d'ouverture des exercices non prescrits, y compris dans le bilan d'ouverture du premier d'entre eux.

18. Il résulte par ailleurs des dispositions des articles 39 et 209 du code général des impôts qu'une entreprise ne peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle qu'à la condition, notamment, que ces pertes ou charges apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice. Dès lors, l'inscription non justifiée en provision d'une somme pendant plusieurs exercices successifs, même si les montants sont identiques, constitue la répétition d'une erreur. Par suite, cette erreur, même lorsqu'elle a été commise pour la première fois au cours d'un exercice clos plus de sept ans avant l'ouverture du premier des exercices non prescrits, ne peut être corrigé dans le bilan d'ouverture du premier de ces exercices.

19. La SARL Eurogenet soutient que la somme de 67 776 euros dont il s'agit, comptabilisée comme " charge sur exercice antérieur " a le caractère d'une " provision pour charges sur exercice antérieur " provenant d'une écriture passée au titre des années 2001 à 2006 puis reportée d'année en année. Toutefois, elle ne fait état d'aucune circonstance de nature à justifier que cette charge puisse apparaître comme probable eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture d'un quelconque exercice. Dans ces conditions, cette inscription non justifiée en provision de cette somme pendant plusieurs exercices successifs constitue la répétition d'une erreur. Il en résulte que la SARL Eurogenet ne peut se prévaloir des dispositions précitées du 4 bis de l'article 38 du code général des impôts, quand bien même cette erreur aurait été commise pour la première fois au cours d'un exercice clos plus de sept ans avant l'ouverture du premier des exercices non prescrits.

20. Enfin, si la SARL Eurogenet invoque le droit à l'erreur prévu par les dispositions de l'article L. 123-1 du code des relations entre le public et l'administration, ce moyen est inopérant à l'encontre des rehaussements en cause dès lors que ces dispositions ne sont applicables qu'aux seules sanctions et que ces rehaussements n'ont pas le caractère d'une sanction.

21. Il résulte des dispositions du 5° de l'article 39 du code général des impôts qu'une entreprise peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'elles se rattachent par un lien direct aux opérations de toute nature déjà effectuées par l'entreprise. Il appartient au contribuable de justifier tant du montant des provisions qu'il entend déduire de son bénéfice net que du principe même de leur déductibilité. Une entreprise est en droit de constater une provision pour créance douteuse lorsque la situation financière difficile du débiteur rend improbable, à la clôture de l'exercice, son redressement et, par voie de conséquence, le recouvrement des créances.

22. L'administration a remis en cause deux provisions de 26 829 euros et 17 265 euros, comptabilisées respectivement au titre des exercices clos en 2015 et 2016. Pour justifier du bien-fondé de ces provisions pour créances douteuses, la SARL Eurogenet fait état des relances adressées à ses clientes pour obtenir le paiement des sommes litigieuses. Toutefois, la seule production relative à la situation financière des débiteurs consiste en une déclaration de créance de 2018 en raison du placement de la société Labodial, le 7 avril 2018, en procédure de liquidation judiciaire, qui ne permet pas d'établir que la créance correspondante aurait été constituée dès l'année 2015 ou 2016. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration fiscale a remis en cause les provisions dont il s'agit.

23. Enfin, aucune disposition d'aucun texte, ni aucun principe de droit et notamment le devoir de loyauté de l'administration ne fait obstacle à ce que l'administration fiscale remette en cause à l'occasion d'un contrôle ultérieur des provisions qui n'avaient pas été remises en cause au cours d'un contrôle précédent.

En ce qui concerne les pénalités :

24. Dès lors qu'il n'est pas fait droit à ses conclusions à fin de décharge des impositions contestées en principal, la SARL Eurogenet n'est pas fondée à demander la décharge ou la réduction des intérêts de retard et majorations à concurrence de la décharge des droits.

25. Aux termes du I. de l'article 1727 du code général des impôts : " Toute créance de nature fiscale, dont l'établissement ou le recouvrement incombe aux administrations fiscales, qui n'a pas été acquittée dans le délai légal donne lieu au versement d'un intérêt de retard. A cet intérêt s'ajoutent, le cas échéant, les sanctions prévues au présent code. (...) ".

26. L'intérêt de retard institué par ces dispositions vise essentiellement à réparer les préjudices de toute nature subis par l'Etat à raison du non-respect par les contribuables de leurs obligations de déclarer et payer l'impôt aux dates légales. Si l'évolution des taux du marché a conduit à une hausse relative de cet intérêt depuis son institution, cette circonstance ne lui confère pas pour autant la nature d'une sanction, dès lors que son niveau n'est pas devenu manifestement excessif au regard du taux moyen pratiqué par les prêteurs privés pour un découvert non négocié. Par suite, le moyen tiré de ce que le montant de ces intérêts devrait être modulé au taux de l'intérêt légal doit être écarté.

27. Il résulte de l'instruction que l'administration fiscale justifie l'application des pénalités pour manquement délibéré en faisant valoir que, s'agissant de l'exercice clos en 2014, la SARL Eurogenet a déduit de son bénéfice imposable la somme de 68 776 euros sans aucun justificatif, alors que cette société ne pouvait pas ignorer le caractère non-déductible de cette somme. Par ailleurs, s'agissant des exercices clos en 2015 et 2016, la SARL Eurogenet a déduit des montants importants de provision pour créances douteuses sans justifier des difficultés financières de ses clients et alors qu'elle avait déjà fait l'objet de rectifications pour les mêmes motifs lors d'un précédent contrôle de comptabilité. Dans ces conditions, l'administration fiscale doit être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, de l'intention de la SARL Eurogenet d'éluder l'impôt. Le moyen tiré de ce que cette intention ne serait pas établie doit être écarté.

Sur l'appel incident du ministre :

28. La recevabilité des recours incidents n'est pas soumise à une condition de délai. Dès lors, la fin de non-recevoir opposée par la SARL Eurogenet, aux conclusions de l'appel incident du ministre, tirée de leur tardiveté, doit être écartée.

29. Le ministre fait valoir que c'est à tort et en contradiction avec les motifs du jugement attaqué, que celui-ci a inclus dans le montant des sommes déductibles au titre de la facture d'évacuation des terres du 27 avril 2015 le montant des factures de fioul, dont le tribunal administratif de Versailles estime qu'il n'est pas établi que les dépenses correspondantes ont été réalisées dans l'intérêt de la SARL Eurogenet. Ce point n'est pas contesté au fond par la SARL Eurogenet, alors qu'il résulte de l'instruction que le montant de la facture d'évacuation des terres du 27 avril 2015 est de 10 500 euros toutes taxes comprises, soit 8 750 euros hors taxes, et non de 12 160 euros, montant retenu à l'article 2 du jugement attaqué, et que le montant des factures de fioul comptabilisées au titre de l'exercice 2015 est de 1 660 euros.

30. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Eurogenet n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Versailles a rejeté le surplus de ses conclusions, tandis que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que la somme de 1 660 euros a été retirée de la base imposable à l'impôt sur les sociétés de cette société au titre de l'exercice clos au cours de l'année 2015. La requête de la SARL Eurogenet doit par suite être rejetée y compris ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, tandis que le montant de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2015 doit être augmentée à hauteur de l'augmentation de la base d'imposition mentionnée ci-dessus.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SARL Eurogenet est rejetée.

Article 2 : La somme de 1 660 euros est réintégrée à la base d'imposition de la SARL Eurogenet à l'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2015.

Article 3 : La cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés correspondant à la base d'imposition décidée à l'article 2 ci-dessus est remise à la charge de la SARL Eurogenet.

Article 4 : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Versailles du 5 juillet 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Eurogenet et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Délibéré après l'audience du 17 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Versol, présidente de chambre,

Mme Le Gars, présidente assesseure,

M. Tar, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 1er octobre 2024.

Le rapporteur,

G. TAR La présidente,

F. VERSOL

La greffière,

A. GAUTHIER

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

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N° 22VE01795


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