Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société La Poste a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 18 juillet 2019 par lequel la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Ile-de-France lui a infligé une amende administrative d'un montant de 26 500 euros pour des manquements aux articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail constatés dans son établissement d'Ermont ou, à titre subsidiaire ou infiniment subsidiaire, de substituer un avertissement à l'amende infligée ou de réduire le montant de cette amende.
Par un jugement n° 1912491 du 29 septembre 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés respectivement le 29 novembre 2022, le 28 mars 2023 et le 14 juin 2024, la société La Poste, représentée par Me Rossignol, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision précitée du 18 juillet 2019 ;
3°) à titre subsidiaire, de substituer un avertissement à l'amende infligée ;
4°) à titre infiniment subsidiaire, de réduire le montant de l'amende.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que, d'une part, les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de l'absence de pouvoir de l'administration pour écarter le régime d'horaires collectifs et que, d'autre part, ils ont écarté la demande subsidiaire de substitution d'un avertissement au motif que La Poste n'articulait aucun moyen alors qu'elle revendiquait expressément sa bonne foi en application de l'article L. 8115-4 du code du travail ;
- l'administration n'avait pas le pouvoir d'écarter le régime d'horaire collectif et ne pouvait, le cas échéant, que sanctionner des manquements à ce régime de travail ;
- aucune méconnaissance de l'article D. 3171-8 du code du travail ne peut être constatée dès lors que cet article ne s'applique qu'aux salariés ne travaillant pas selon le même horaire collectif ;
- en exigeant que La Poste rapporte la preuve du " caractère ponctuel " des dépassements, les premiers juges ont, à tort, inversé la charge de la preuve qui incombe à l'administration ;
- il ne pouvait être constaté une méconnaissance structurelle du régime de l'horaire collectif ;
- contrairement à ce qui est soutenu, elle a communiqué des documents de décompte individuels du temps de travail ;
- étant donné sa bonne foi, un avertissement doit au moins être substitué à l'amende prononcée ;
- l'amende ne pouvait dépasser le montant de 4 000 euros en application de l'article L. 8115-3 alinéa 1er du code du travail ;
- une telle sanction méconnaît le principe de légalité des délits et des peines.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 février 2023, le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion renvoie à la sagesse de la cour dans cette affaire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pham, première conseillère ;
- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,
- et les observations de Me Rossignol pour la société La Poste.
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de contrôles effectués les 19 septembre 2017 et le 19 janvier 2018 sur la plateforme de préparation et de distribution du courrier d'Ermont, la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a, par une décision du 18 juillet 2019, infligé à la société La Poste une amende de 26 500 euros liquidée au tarif unitaire de 500 euros et appliquée à cinquante-trois salariés, pour manquement à l'obligation de tenir des décomptes individuels de durée du travail applicable quand les salariés d'un établissement sont soumis au régime d'horaire non collectif. Par un jugement n° 1912491 du 29 septembre 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande de la société La Poste tendant à l'annulation de cette décision ou à la réduction de la sanction prise à son encontre. La société La Poste relève appel de ce jugement.
2. En premier lieu, d'une part, le premier alinéa de l'article L. 3171-1 du code du travail prévoit que : " L'employeur affiche les heures auxquelles commence et finit le travail ainsi que les heures et la durée des repos ". L'article D. 3171-1 du même code précise que : " Lorsque tous les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe travaillent selon le même horaire collectif, un horaire établi selon l'heure légale indique les heures auxquelles commence et finit chaque période de travail. / Aucun salarié ne peut être employé en dehors de cet horaire, sous réserve des dispositions (...) relatives au contingent annuel d'heures supplémentaires (...) ". L'article D. 3171-4 de ce code prévoit en outre qu'un double de cet horaire collectif est adressé, avant son application, à l'inspecteur du travail.
3. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 3171-2 du même code : " Lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés (...) ". L'article D. 3171-8 précise que : " Lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe (...) ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, la durée du travail de chaque salarié concerné est décomptée selon les modalités suivantes : / 1° Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d'heures de travail accomplies ; / 2° Chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d'heures de travail accomplies par chaque salarié ".
4. Enfin, le premier alinéa de l'article L. 3171-3 du code du travail prévoit que : " L'employeur tient à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail (...) les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. ". Le premier aliéna de l'article L. 3171-4 du même code dispose que : " En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. ". Les manquements aux dispositions relatives à la durée du travail, à la répartition et à l'aménagement des horaires sont pénalement réprimés selon les dispositions figurant aux articles R. 3124-1 à R. 3124-16 de ce code.
5. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que l'employeur doit être en mesure de fournir à l'inspection du travail, dont les agents de contrôle sont chargés, en vertu du deuxième alinéa de l'article L. 8112-1 du code du travail, de veiller à l'application des dispositions du code du travail et des autres dispositions légales relatives au régime du travail, ainsi qu'aux stipulations des conventions et accords collectifs de travail, de même qu'au juge en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, les documents leur permettant de contrôler la durée du travail accomplie par chaque salarié. Lorsque le travail de tous les salariés d'un même service ou atelier ou d'une même équipe est organisé selon le même horaire collectif par l'employeur, le cas échéant après conclusion d'un accord collectif, il doit informer les salariés par affichage des heures auxquelles commence et finit chaque période de travail et adresser, avant son application, le double de cet horaire collectif à l'inspection du travail. Dans les autres cas, un décompte des heures accomplies par chaque salarié doit être établi quotidiennement et chaque semaine.
6. En second lieu, en vertu de l'article L. 8115-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable : " L'autorité administrative compétente peut, sur rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1, et sous réserve de l'absence de poursuites pénales, prononcer à l'encontre de l'employeur une amende en cas de manquement : (...) 3° A l'article L. 3171-2 relatif à l'établissement d'un décompte de la durée de travail et aux dispositions réglementaires prises pour son application (...) ".
7. Le principe de légalité des délits et des peines, qui s'étend à toute sanction ayant le caractère d'une punition, fait obstacle à ce que l'administration inflige une sanction si, à la date des faits litigieux, il n'apparaît pas de façon raisonnablement prévisible par l'intéressé que le comportement litigieux est susceptible d'être sanctionné. Par suite, les dispositions mentionnées au point précédent ne sauraient permettre à l'administration de sanctionner un employeur à raison d'un manquement à l'obligation, attachée à des horaires non collectifs, d'établir un décompte de la durée de travail de chaque salarié selon les modalités rappelées au point 3, s'agissant de salariés dont le travail est organisé selon un horaire collectif. Il s'ensuit que l'autorité administrative ne pouvait légalement infliger à la société La Poste, s'agissant de salariés employés sur un site sur lequel un horaire collectif de travail, négocié par un accord collectif, avait été rendu opposable par voie de règlement affiché et adressé à l'inspection du travail, l'amende encourue en cas de manquement à l'obligation, mentionnée au point 3, de tenir des décomptes individuels de la durée du travail des travailleurs ne travaillant pas selon le même horaire collectif de travail. Par suite, la société La Poste est fondée à demander l'annulation de la décision du 18 juillet 2019.
8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la société La Poste est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1912491 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 29 septembre 2022 et la décision du 18 juillet 2019 sont annulés.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société La Poste et au ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Copie en sera adressée à la DIRECCTE Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 17 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Etienvre, président de chambre,
M. Pilven, président assesseur,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 janvier 2025.
La rapporteure,
C. Pham Le président,
F. Etienvre
La greffière,
F. Petit-Galland
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 22VE02674