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07/01/2025 | FRANCE | N°23VE01049

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 4ème chambre, 07 janvier 2025, 23VE01049


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 7 octobre 2022 par lequel le préfet de l'Essonne l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.



Par un jugement n° 2208162 du 13 avril 2023, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement le 17 mai et l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 7 octobre 2022 par lequel le préfet de l'Essonne l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2208162 du 13 avril 2023, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement le 17 mai et le 28 août 2023, M. A..., représenté par Me Zelmat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Essonne de procéder à l'examen de sa situation administrative et de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou à tout le moins un récépissé de demande de titre de séjour dans l'attente de la décision qui sera prise ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

Sur la régularité du jugement attaqué :

- le jugement attaqué, qui ne prend pas en considération l'ensemble des moyens en défense soulevés par lui, est entaché d'erreur d'appréciation et insuffisamment motivé ;

- le jugement attaqué est entaché d'une contradiction de motifs et d'une d'erreur manifeste d'appréciation ;

Sur la légalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français :

- cette décision est entachée d'irrégularité dès lors qu'un procédé manifestement déloyal a conduit à son interpellation ;

- elle ne pouvait être prise sans examiner préalablement sa demande de titre de séjour ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle ;

- la décision attaquée a été prise en violation des articles 6 et 7 bis de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 et l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- contrairement aux termes de l'arrêté attaqué, il ne constitue pas un trouble récurrent à l'ordre public ;

- la décision de refus de titre de séjour attaquée porte atteinte au droit au respect de sa vie privée et familiale et viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que, placé en garde à vue et sans contact avec l'extérieur, il n'a pas été en mesure de produire les documents qui auraient pu servir sa cause ;

Sur la légalité de la décision lui refusant un délai de départ volontaire :

- le préfet de l'Essonne a considéré à tort qu'il ne justifiait pas de garanties de représentation alors qu'il possède des attaches familiales en France ;

Sur la légalité de la décision lui interdisant de retourner sur le territoire français :

- la décision d'interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée ;

- elle viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. .

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juillet 2023, le préfet de l'Essonne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, Mme Villette, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Pham a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant de nationalité algérienne né le 30 mars 1994, déclare être entré en France en 2019. Le 7 octobre 2022, il a été interpellé dans les locaux de la préfecture de l'Essonne, où il s'était rendu sur convocation pour déposer son dossier de demande de titre de séjour. Par arrêté du même jour, le préfet de l'Essonne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai sur le fondement des 1° et 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans. M. A... relève appel du jugement n° 2208162 du 13 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, M. A... ne démontre pas que le jugement attaqué est insuffisamment motivé en se bornant à affirmer qu'il n'a pas suffisamment pris en compte les moyens soulevés par lui.

3. En second lieu, dans le cadre de l'effet dévolutif, le juge d'appel se prononce, non sur les motifs du jugement de première instance, mais sur les moyens mettant en cause la légalité des décisions contestées. Par suite, les moyens tirés de l'erreur d'appréciation, de l'erreur manifeste d'appréciation ou de la contradiction de motifs dont serait entaché le jugement attaqué sont inopérants.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la légalité de la décision obligeant M. A... à quitter le territoire français :

4. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public (...) ". Le seul dépôt d'une demande de titre de séjour alors que l'étranger se trouvait en France en situation irrégulière ne saurait faire obstacle à ce que l'autorité administrative décide d'obliger à quitter le territoire un étranger se trouvant dans le champ du 1° ou du 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ne saurait davantage y faire obstacle la circonstance qu'un récépissé ou une autorisation provisoire de séjour a été délivré à l'intéressé pendant la durée d'instruction de cette demande de titre de séjour. Il ne saurait en aller autrement que lorsque la loi prescrit l'attribution de plein droit d'un titre de séjour à l'intéressé, cette circonstance faisant alors obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une obligation de quitter le territoire.

5. En premier lieu, la décision attaquée énonce l'ensemble des considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet s'est fondé et satisfait dès lors aux exigences de motivation.

6. En deuxième lieu, M. A... ne peut utilement invoquer les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui concerne les exigences liées à la tenue d'un procès équitable.

7. En troisième lieu, les conditions d'interpellation, de retenue ou de garde à vue, dont il appartient au seul juge judiciaire de connaître, sont sans incidence sur la légalité de la décision du préfet obligeant l'intéressé à quitter le territoire français sans délai.

8. En quatrième lieu, comme indiqué au point 4, le seul dépôt d'une demande de titre de séjour ne saurait faire obstacle à ce que l'autorité administrative décide d'obliger à quitter le territoire français un étranger qui se trouve dans l'un des cas mentionnés aux 1° et 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, la décision obligeant M. A... à quitter le territoire français n'est pas irrégulière du seul fait que le préfet de l'Essonne n'a pas examiné la demande de titre de séjour qu'il s'apprêtait à déposer.

9. En cinquième lieu, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 2) au ressortissant algérien, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que son entrée sur le territoire français ait été régulière, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ; (...) ". L'article 7 bis de ce même accord dispose : " Le certificat de résidence valable dix ans est délivré de plein droit sous réserve de la régularité du séjour pour ce qui concerne les catégories visées au a), au b), au c) et au g) : a) Au ressortissant algérien, marié depuis au moins un an avec un ressortissant de nationalité française, dans les mêmes conditions que celles prévues à l'article 6 nouveau 2) et au dernier alinéa de ce même article ". M. A... ne peut se prévaloir de ces dispositions dès lors que, entré irrégulièrement en France, il n'en remplit pas les conditions.

10. En sixième lieu, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". M. A... se prévaut de son mariage célébré le 7 mai 2022 avec une ressortissante française, des liens qu'il entretient avec la fille de celle-ci, de la présence d'une sœur en France et fait valoir qu'il est titulaire d'une promesse d'embauche. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. A... est entré irrégulièrement en France en 2019. Il n'est pas dépourvu d'attaches dans son pays d'origine, qu'il a quitté à l'âge de 25 ans et où résident ses parents et certains de ses frères et sœurs. Par arrêté du 4 mai 2021, le préfet des Bouches-du-Rhône a pris à son encontre une obligation de quitter le territoire français assortie d'une interdiction de retour sur le territoire français qu'il n'a pas exécutée. Par jugement du 5 mai 2021 de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, il a été condamné à un emprisonnement délictuel de deux mois et à une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans pour usage de faux en écriture et usage et tentative d'obtention frauduleuse de faux document administratif constatant un droit, une qualité ou accordant une autorisation. Le mariage de M. A... est par ailleurs récent et, hormis une facture d'électricité de mars 2022, il n'a pas produit de document permettant d'établir la communauté de vie avec son épouse avant le mois d'octobre 2022. Il a enfin déclaré, lors de son interpellation, être sans profession et sans revenu et n'a produit que des bulletins de paie de juillet, août et septembre 2021. Au vu de l'ensemble de ces éléments, notamment de ses conditions de séjour et du caractère récent de son mariage, la décision attaquée n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. A....

11. En septième lieu, les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que M. A... invoque, ne sont pas applicables aux ressortissants de nationalité algérienne. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit donc être écarté comme inopérant. Par ailleurs, au vu des éléments cités au point précédent, le préfet de police n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en n'exerçant pas son pouvoir de régularisation exceptionnelle.

En ce qui concerne la légalité de la décision interdisant à M. A... de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans :

12. M. A... est marié à une ressortissante française. La majeure partie des documents qu'il fournit, qui attestent de sa communauté de vie avec son épouse à compter d'octobre 2022, permettent d'établir la réalité de sa relation conjugale. Si le préfet de l'Essonne fait valoir que le requérant trouble de manière récurrente l'ordre public, il ressort des pièces du dossier qu'il n'a été condamné qu'une fois, en 2021, à un emprisonnement délictuel de deux mois pour usage et tentative d'obtention frauduleuse de faux document administratif. Par suite, au vu de sa situation familiale, l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans prise à son encontre porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande en ce qu'elle tendait à l'annulation de la décision lui interdisant de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

14. L'exécution du présent arrêt n'implique pas que l'administration délivre à M. A... une carte mention " vie privée et familiale " ou qu'elle réexamine sa demande. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction présentées par M. A... doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement de la somme réclamée par M. A... et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : L'article 3 de l'arrêté du 7 octobre 2022 du préfet de l'Essonne édictant à l'encontre de M. A... une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans est annulé.

Article 2 : Le jugement n° 2208162 du tribunal administratif de Versailles du 13 avril 2023 est réformé en ce sens.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre d'État, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de l'Essonne.

Délibéré après l'audience du 17 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Etienvre, président de chambre,

M. Pilven, président assesseur,

Mme Pham, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 janvier 2025.

La rapporteure,

C. Pham Le président,

F. Etienvre

La greffière,

F. Petit-Galland

La République mande et ordonne au ministre d'État, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 23VE01049


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23VE01049
Date de la décision : 07/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335 Étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. ETIENVRE
Rapporteur ?: Mme Christine PHAM
Rapporteur public ?: Mme VILLETTE
Avocat(s) : ZELMAT

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-07;23ve01049 ?
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