Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision du 9 avril 2020 par laquelle la ministre du travail a annulé la décision du 6 août 2019 de l'inspectrice du travail rejetant la demande d'autorisation de licenciement présentée par la SAS Société Nouvelle Sofrapain (SNS) et a autorisé son licenciement.
Par un jugement n° 2003176 du 24 novembre 2022, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 janvier 2023, Mme A..., représentée par Me Metin, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 24 novembre 2022 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 9 avril 2020 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision contestée est insuffisamment motivée, dès lors, en premier lieu, qu'elle ne se prononce pas sur l'existence d'un lien entre le licenciement et le mandat exercé par la requérante, en deuxième lieu, qu'elle ne fait pas mention de l'obligation de formation et d'adaptation incombant à l'employeur et, en troisième lieu, qu'elle ne précise pas suffisamment en quoi la compétitivité du secteur d'activité est menacée et en quoi la réorganisation envisagée est strictement nécessaire à la sauvegarde de cette compétitivité ;
- cette décision est entachée d'une erreur d'appréciation quant au secteur d'activité retenu pour apprécier l'existence d'une menace pour la compétitivité ;
- en estimant que le licenciement était justifié par l'existence d'une telle menace, la ministre a entaché la décision contestée d'une erreur dans la qualification juridique des faits ;
- en estimant que la société SNS avait satisfait à son obligation de reclassement, la ministre a également entaché la décision contestée d'une erreur dans la qualification juridique des faits, dès lors, d'une part, que la liste des postes disponibles adressée à tous les salariés ne comporte ni de descriptif des postes, ni leur classification, en méconnaissance des dispositions de l'article D. 1233-2-1 du code du travail et qu'un délai de quinze jours seulement leur a été laissé pour répondre à ces offres, d'autre part, que l'offre personnalisée de reclassement qui lui a été adressée ne constitue pas une offre loyale, eu égard au délai de quinze jours qui lui a été laissé pour y répondre, à l'absence de mention dans la fiche de poste adressée de la rémunération et de la durée de travail, et à l'absence d'organisation d'un entretien individuel préalable.
La requête a été communiquée à la société SNS et à la ministre du travail et de l'emploi, qui n'ont pas produit d'observations en défense.
Par ordonnance du 20 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 20 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Troalen,
- les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public,
- et les observations de Me Reyes, représentant la SAS Société Nouvelle Sofrapain.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Société Nouvelle Sofrapain (SNS) a formulé une demande d'autorisation de licenciement pour motif économique de Mme A..., exerçant un mandat de membre du comité d'entreprise et de déléguée du personnel, qui a été rejetée par l'inspectrice du travail de la première section de la troisième unité de contrôle de l'unité départementale des Yvelines par une décision du 6 août 2019. Saisie d'un recours hiérarchique par la société SNS, la ministre du travail, par une décision du 9 avril 2020, a, d'une part, annulé la décision de l'inspectrice du travail du 6 août 2019 et, d'autre part, autorisé le licenciement de Mme A.... Cette dernière relève appel du jugement du 24 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur le cadre juridique :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 1233-2 du code du travail : " Tout licenciement pour motif économique est motivé dans les conditions définies par le présent chapitre. / Il est justifié par une cause réelle et sérieuse. " Aux termes de l'article L. 1233-3 du même code : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : / 1° A des difficultés économiques ; / (...) / 2° A des mutations technologiques ; / 3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; / 4° A la cessation d'activité de l'entreprise. / (...) Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national. / Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce. / Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché. (...) ".
3. D'autre part, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Lorsque la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise ou, le cas échéant, celle du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises, établies sur le territoire national, du groupe auquel elle appartient, justifie le licenciement du salarié protégé, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière. A cet égard, la spécialisation de l'entreprise en cause dans le groupe ne suffit pas à exclure son rattachement à un secteur d'activité plus étendu.
Sur la motivation de la décision contestée :
4. Lorsqu'il est saisi d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, le ministre chargé du travail doit, soit confirmer cette décision, soit, si celle-ci est illégale, l'annuler puis se prononcer de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision. Dans le cas où le ministre, ainsi saisi d'un recours hiérarchique, annule la décision par laquelle un inspecteur du travail s'est prononcé sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, il est tenu de motiver l'annulation de cette décision ainsi que le prévoit l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, que cette annulation repose sur un vice affectant la légalité externe de la décision ou sur un vice affectant sa légalité interne. Dans le premier cas, si le ministre doit indiquer les raisons pour lesquelles il estime que la décision de l'inspecteur du travail est entachée d'illégalité externe, il n'a pas en revanche à se prononcer sur le bien-fondé de ses motifs. Dans le second cas, il appartient au ministre d'indiquer les considérations pour lesquelles il estime que le motif ou, en cas de pluralité de motifs, chacun des motifs fondant la décision de l'inspecteur du travail est illégal.
5. En l'espèce, par la décision contestée du 9 avril 2020, la ministre du travail a tout d'abord annulé la décision du 6 août 2019 de l'inspectrice du travail pour un motif tiré de l'illégalité externe de celle-ci, en raison de la méconnaissance du principe du contradictoire. Puis, se prononçant à nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement, la ministre a accordé l'autorisation, après avoir estimé que la compétitivité du secteur d'activité concerné, celui de la boulangerie-viennoiserie-pâtisserie-traiteur, était menacée compte tenu de la diminution de son résultat d'exploitation, de la perte de clients et de volume produits, de l'absence de client permettant le maintien de l'activité de pizza, et en relevant la sous-utilisation des sites de production du secteur et la circonstance que, bien que le marché du pain était en progression, les parts de marché du groupe diminuaient quant à elles. Elle a également indiqué que la décision de fermeture totale et définitive de l'activité exercée sur son site de Trappes, entraînant la suppression de l'ensemble des soixante-quinze postes, visait à sauvegarder la compétitivité du secteur d'activité. Enfin, elle a estimé que l'employeur avait satisfait à son obligation de reclassement.
6. Ainsi, la décision de la ministre, qui indique avec précision les motifs pour lesquelles elle estime, d'une part, que la compétitivité du secteur d'activité est menacée, d'autre part, que la mesure de réorganisation envisagée était justifiée par la nécessité de sauvegarder cette compétitivité, est suffisamment motivée à cet égard, étant précisé que, contrairement à ce que soutient la requérante, il ne lui appartenait pas de vérifier que cette réorganisation était strictement nécessaire. En outre, la décision du 9 avril 2020 se prononçant sur une demande de licenciement fondée sur la suppression de l'ensemble des postes de la société, la ministre, qui a pris en compte le mandat exercé par Mme A..., n'avait pas à préciser expressément que le licenciement envisagé était sans lien avec ce mandat. Enfin, la ministre n'avait pas à se prononcer sur les efforts de formation et d'adaptation réalisés par l'entreprise pour statuer sur la demande soumise. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée serait insuffisamment motivée en fait doit être écarté.
Sur le motif économique du licenciement :
7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que la société SNS, qui appartient au groupe Nutrixo, regroupant les sociétés ayant une activité de transformation de blé du groupe Vivescia, a pour activité la fabrication de fonds de pâte à pizza crus surgelés et de pains précuits surgelés, d'autre part, que figure également parmi les entreprises du groupe Nutrixo établies en France la société Delifrance, qui a pour activité principale une activité de boulangerie-viennoiserie. Il n'est pas contesté qu'eu égard aux produits fabriqués, à la clientèle ciblée et aux modes de distribution, la société SNS et la société Delifrance, s'agissant pour cette dernière de ce qui concerne l'activité de boulangerie-viennoiserie, interviennent sur le même marché. Par suite, bien que la société Delifrance exerce également une activité minoritaire de pâtisserie-traiteur, la ministre n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en estimant que l'existence d'une menace pour la compétitivité de l'entreprise devait s'appréciait au niveau du secteur d'activité constitué par celui des sociétés SNS et Delifrance.
8. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le résultat d'exploitation des sociétés SNS et Delifrance a significativement diminué, passant, pour la première, de 190 508 euros pour l'exercice clos en 2016 à - 257 699 euros pour l'exercice clos en 2019 et, pour la seconde, de 4 302 561 euros pour l'exercice clos en 2016 à - 21 730 152 euros pour l'exercice clos en 2019. En outre, il ressort du rapport réalisé par l'expert désigné par le comité d'entreprise qu'alors que le marché du pain surgelé connaît une évolution positive en Europe, l'évolution des parts de marché des sociétés du groupe Nutrixo est en baisse. Les sociétés constituant le secteur d'activité pertinent ont subi le retrait d'un nombre de références significatif de la part de clients importants et ont enregistré une baisse des volumes produits entre 2016 et 2019. Dans ces conditions, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que l'existence d'une menace sérieuse pour la compétitivité du secteur d'activité n'est pas établie.
9. En troisième lieu, la demande d'autorisation de licenciement fait état de la décision de regrouper l'ensemble des activités de production, afin d'éviter la sous-utilisation des capacités de production du groupe, et de concentrer ces activités sur les sites les plus compétitifs. Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la suppression des emplois de la société SNS, dans ce contexte, ne serait pas justifiée par la nécessité de sauvegarder la compétitivité économique.
Sur l'obligation de reclassement :
10. Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. / L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ". Aux termes de l'article D. 1233-2-1 du même code : " I.- Pour l'application de l'article L. 1233-4, l'employeur adresse des offres de reclassement de manière personnalisée ou communique la liste des offres disponibles aux salariés, et le cas échéant l'actualisation de celle-ci, par tout moyen permettant de conférer date certaine. / II.- Ces offres écrites précisent : / a) L'intitulé du poste et son descriptif ; / b) Le nom de l'employeur ; / c) La nature du contrat de travail ;/ d) La localisation du poste ; / e) Le niveau de rémunération ;/ f) La classification du poste. / (...) ".
11. En premier lieu, la société SNS a affiché dans les locaux de l'entreprise et a également adressé à Mme A..., par courriers des 9 et 11 avril 2019, la liste des postes disponibles au sein du groupe. Si cette liste, qui fait apparaître le nom de l'employeur, le lieu de travail, l'intitulé du poste, le type de contrat de travail, la catégorie socio-professionnelle ainsi que le salaire minimum théorique et la mention selon laquelle le salaire minimum prévu par le plan social d'entreprise est le salaire de base du salarié, ne contient pas de descriptif du poste, il n'est pas sérieusement contesté que le descriptif de chacun de ces postes pouvait être obtenu auprès du service des ressources humaines ou du cabinet chargé du reclassement interne au groupe présent dans les locaux. Mme A... n'apporte aucun élément de nature à contredire la réalité de la présence de ce cabinet, alors que l'accord majoritaire prévoyait la mise en place d'un point information conseil. En outre, si la liste des offres de postes disponibles ne comporte pas la mention de la classification des postes, prévue par les dispositions du f) du II de l'article D. 1233-2-1 du code du travail, mais seulement la catégorie socio-professionnelle, cette seule omission, dont il n'est pas avéré qu'elle aurait pu empêcher les salariés d'apprécier leur intérêt pour ces postes, ne saurait suffire à ôter à ces offres de reclassement leur caractère précis. Enfin, le délai de quinze jours imparti aux salariés pour candidater sur ces offres est conforme aux dispositions du III de l'article D. 1233-2-1 du code du travail.
12. En deuxième lieu, si Mme A... soutient que l'offre personnalisée qui lui a été adressée, en complément de la liste des postes disponibles, ne mentionnait ni la rémunération, ni la durée de travail concernée, cette offre figurait également sur la liste précitée, qui mentionnait le salaire minimum théorique et comportait la mention selon laquelle le salaire minimum prévu par le plan social d'entreprise était le salaire de base actuel du salarié, conformément à ce qui avait été prévu par l'accord majoritaire, ainsi que la nature du contrat de travail concerné, soit un contrat à durée indéterminée. En outre, le délai de quinze jours qui lui a été imparti pour candidater à ce poste est conforme aux dispositions du III de l'article D. 1233-2-1 du code du travail. Enfin, si Mme A... se plaint de ne pas avoir bénéficié d'un entretien individuel lors du voyage de reconnaissance organisé par la société SNS, elle ne justifie pas, en tout état de cause, avoir sollicité par écrit, ainsi que le prévoyait l'accord majoritaire, un entretien individuel.
13. Dans ces conditions, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que l'obligation de reclassement n'a pas été respectée.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Sa requête doit par suite être rejetée, y compris ses conclusions relatives aux frais d'instance.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à la SAS Société Nouvelle Sofrapain et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Délibéré après l'audience du 14 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Versol, présidente de chambre,
Mme Le Gars, présidente-assesseure,
Mme Troalen, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 janvier 2025.
La rapporteure,
E. TroalenLa présidente,
F. VersolLa greffière,
A. Gauthier
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 23VE00181